Numéro 1 - Janvier 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2023

SECURITE SOCIALE, ACCIDENT DU TRAVAIL

2e Civ., 26 janvier 2023, n° 21-16.855, (B), FRH

Rejet

Accidents successifs – Invalidité – Indemnisation – Faute inexcusable – Majoration de l'indemnité

Il résulte de la combinaison des articles L. 434-2, alinéa 4, L. 452-2, alinéa 2, R. 434-4 et R. 452-2 du code de la sécurité sociale qu'en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la majoration des indemnités prévue par le premier alinéa de l'article L. 452-2 s'applique à l'indemnité en capital afférente à l'accident ou à la maladie et non à la rente choisie par la victime en remplacement de l'indemnité en capital.

Faute inexcusable de l'employeur – Majoration de l'indemnité – Détermination – Accidents successifs – Capital

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 mars 2021), la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 4] (la caisse) ayant pris en charge au titre de la législation professionnelle les maladies déclarées successivement par M. [G] (la victime) et lui ayant notifié des taux d'incapacité permanente de 8 % et 7 % pour chacune d'entre elles, ce dernier a opté, le 27 septembre 2017, pour le versement d'une rente.

2. À la suite d'un arrêt du 22 juin 2017 de la cour d'appel de Paris, ayant reconnu la faute inexcusable de l'employeur dans la survenance des deux affections et ordonné la majoration de la rente à son maximum, la caisse a notifié à la victime, le 20 septembre 2017, la majoration des deux indemnités en capital afférentes aux deux maladies.

3. La victime a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La victime fait grief à l'arrêt de rejeter son recours, alors « que lorsque par suite d'accidents successifs, la somme des taux d'incapacité permanente est égale ou supérieure à 10 %, l'indemnisation se fait, sur demande de la victime, soit par l'attribution d'une rente qui tient compte de la ou des indemnités en capital précédemment versées, soit par l'attribution d'une indemnité en capital et, à la condition que la fixation du taux d'incapacité permanente afférente à chacun des accidents successifs soit définitive, l'option souscrite par la victime revêt un caractère définitif (Civ. 2 14 mars 2019 n° 17-27.954 B) ; que la reconnaissance d'une faute inexcusable, postérieurement à l'option définitive par laquelle la victime a sollicité le versement d'une rente, ne remet pas en cause le caractère définitif de l'option exercée, si bien qu'elle engendre une majoration de la rente versée à la victime et non une majoration des indemnités en capital ; que, refusant le caractère définitif de l'option exercée par la victime le 27 septembre 2010 pour le versement d'une rente, et pour considérer que la caisse lui avait valablement notifié la majoration de deux indemnités en capital correspondant à chacune des maladies professionnelles, et qui ont fait l'objet de la reconnaissance d'une faute inexcusable par un arrêt du 22 juin 2017, la cour d'appel retient que « la combinaison des articles R. 434-3, R. 452-2, L. 452-2 ne permet pas la majoration de la rente versée à la victime à la suite de l'exercice par celle-ci de son option en application de l'article R. 434-3 du code de la sécurité sociale, puisque le versement d'une rente dans cette hypothèse aurait nécessairement pour conséquence que le total des sommes versées serait supérieure à celui correspondant au capital majoré » ; qu'en refusant ainsi le caractère définitif de l'option exercée par la victime pour le versement d'une rente antérieurement à la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, la cour d'appel a violé les articles L. 434-1, L. 434-2, L. 452-2, R. 434-3, et R. 452-2 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. La caisse conteste la recevabilité du moyen, en raison de sa nouveauté.

7. Cependant, le moyen, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond, est de pur droit.

8. Le moyen est, dès lors, recevable.

Bien-fondé du moyen

9. Selon les articles L. 434-2, alinéa 4, et R. 434-4 du code de la sécurité sociale, lorsque, à la suite d'accidents ou maladies successifs, la somme des taux d'incapacité permanente est égale ou supérieure à 10 %, l'indemnisation se fait, sur demande de la victime, soit par l'attribution d'une rente qui tient compte de la ou des indemnités en capital précédemment versées, soit par l'attribution d'une indemnité en capital.

10. Selon l'article R. 452-2 du même code, lorsque l'indemnité en capital a été remplacée par une rente dans les conditions ci-dessus le montant de la majoration due en cas de faute inexcusable de l'employeur est calculé conformément au deuxième alinéa de l'article L. 452-2.

11. Selon l'article L. 452-2, alinéa 2, du code de la sécurité sociale, lorsqu'une indemnité en capital a été attribuée à la victime, le montant de la majoration ne peut dépasser le montant de cette indemnité.

12. Il résulte de la combinaison de ces textes qu'en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la majoration des indemnités prévue par le premier alinéa de l'article L. 452-2 s'applique à l'indemnité en capital afférente à l'accident ou à la maladie et non à la rente choisie par la victime en remplacement de l'indemnité en capital.

13. Dès lors, c'est à bon droit que la cour d'appel a dit que la victime ne pouvait prétendre qu'à la majoration des deux indemnités en capital correspondant à chacune des maladies professionnelles dues à la faute inexcusable de l'employeur.

14. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre (président) - Rapporteur : Mme Dudit - Avocat général : Mme Tuffreau - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Articles L. 434-2, alinéa 4, L. 452-2, alinéa 2, R. 434-4, et R. 452-2 du code de la sécurité sociale.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 14 mars 2013, pourvoi n° 12-11.873 (cassation) ; 2e Civ., 14 mars 2019, pourvoi n° 17-27.954, Bull. (rejet).

2e Civ., 5 janvier 2023, n° 21-12.259, (B), FRH

Cassation partielle

Indemnité journalière – Salaire de base – Détermination – Indemnité de fin de contrat – Prise en compte – Modalités

Il résulte de l'article R. 436-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2014-953 du 20 août 2014, applicable au litige, que le salaire servant de base au calcul de l'indemnité journalière, par application de l'article L. 433-2, s'entend des rémunérations, au sens de l'article L. 242-1, versées au travailleur en contrepartie ou à l'occasion du travail, et afférentes à la période à considérer dans chacun des cas prévus à l'article R. 433-4 du même code.

Selon l'article L. 1243-8 du code du travail, l'indemnité de fin de contrat versée au salarié sous contrat à durée déterminée, à titre de complément de salaire et destinée à compenser la précarité de sa situation, est égale à 10 % de sa rémunération totale brute.

Selon l'article L. 1242-16 du code du travail, l'indemnité compensatrice de congés payés versée en fin de contrat au salarié sous contrat à durée déterminée, dès lors que le régime applicable dans l'entreprise ne lui permet pas de les prendre effectivement, est calculée en fonction de la durée du contrat.

Il en résulte que ces indemnités, versées à l'occasion du travail et qui se rapportent à l'ensemble de la période couverte par le contrat à durée déterminée, doivent être prises en compte dans le salaire servant de base au calcul de l'indemnité journalière, à concurrence de la fraction correspondant à la période de référence.

Indemnité journalière – Salaire de base – Détermination – Indemnité compensatrice de congés payés – Prise en compte – Modalités

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 30 octobre 2020), M. [S] (l'assuré), salarié sous deux contrats à durée déterminée successifs du 14 juin 2016 au 10 décembre 2016, puis du 11 décembre 2016 au 11 janvier 2017, a été victime le 7 janvier 2017 d'un accident du travail.

2. La caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne (la caisse) lui ayant notifié, le 27 mars 2018, un indu d'indemnités journalières pour la période du 12 janvier au 22 mai 2017, il a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.

Examen des moyens

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

3. L'assuré fait grief à l'arrêt de le condamner en paiement d'un indu d'indemnités journalières, alors « qu'aux termes de l'article R. 436-1 du code de la sécurité sociale, le salaire servant de base au calcul de l'indemnité journalière et des rentes par application des articles L. 433-2 et L. 434-15 s'entend des rémunérations, au sens de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, versées au travailleur en contrepartie ou à l'occasion du travail, et afférentes à la période de référence ; que selon l'article L. 1243-8 du code du travail, lorsque, à l'issue d'un contrat de travail à durée déterminée, les relations contractuelles de travail ne se poursuivent pas par un contrat à durée indéterminée, le salarié a droit, à titre de complément de salaire, à une indemnité de fin de contrat destinée à compenser la précarité de sa situation ; que cette indemnité ne s'acquiert pas durant l'ensemble du contrat de travail mais uniquement au jour de son expiration, sous condition de non poursuite de la relation de travail par un contrat à durée indéterminée ; qu'elle doit donc être prise en considération pour le calcul de l'indemnité journalière au titre du mois de son versement et non proratisée sur l'ensemble de la période d'exécution du contrat ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 1243-8 du code du travail et R. 436-1 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

4. Il résulte de l'article R. 436-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2014-953 du 20 août 2014, applicable au litige, que le salaire servant de base au calcul de l'indemnité journalière par application de l'article L. 433-2, s'entend des rémunérations, au sens de l'article L. 242-1, versées au travailleur en contrepartie ou à l'occasion du travail, et afférentes à la période à considérer dans chacun des cas prévus à l'article R. 433-4.

5. Selon l'article L. 1243-8 du code du travail, l'indemnité de fin de contrat versée au salarié sous contrat à durée déterminée, à titre de complément de salaire et destinée à compenser la précarité de sa situation, est égale à 10 % de sa rémunération totale brute.

6. Il en résulte que cette indemnité, versée à l'occasion du travail et qui se rapporte à l'ensemble de la période couverte par le contrat à durée déterminée, doit être prise en compte dans le salaire servant de base au calcul de l'indemnité journalière à concurrence de la fraction correspondant à la période de référence.

7. La cour d'appel a, dès lors, retenu à bon droit que l'indemnité de fin de son premier contrat à durée déterminée versée à l'assuré en décembre 2016 devait être proratisée en retenant pour ratio le nombre de jours de ce contrat.

8. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

9. L'assuré fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'aux termes de l'article R. 436-1 du code de la sécurité sociale, le salaire servant de base au calcul de l'indemnité journalière et des rentes par application des articles L. 433-2 et L. 434-15 s'entend des rémunérations, au sens de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, versées au travailleur en contrepartie ou à l'occasion du travail, et afférentes à la période à considérer dans chacun des cas prévus de l'article R. 433-4 ; que selon l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, l'indemnité compensatrice de congés payés, qui correspond au nombre de jours de congés payés acquis par le travailleur en vertu des services antérieurement accomplis constitue un élément de salaire à paiement différé ; qu'enfin, selon l'article R. 433-6-4°, dans le cas où la victime a occupé plusieurs emplois durant la période de référence, l'indemnité journalière doit être calculée sur le montant global des rémunérations perçues au cours de la période à considérer, lorsque ce calcul lui est plus favorable que la prise en compte du seul salaire afférent à l'emploi occupé au moment de l'arrêt de travail ; qu'en l'espèce, il ressort des propres énonciations de l'arrêt attaqué que l'assuré, victime d'un accident du travail le 7 janvier 2017, a été employé, pendant la période de référence de décembre 2016, aux termes de deux contrats à durée déterminée successifs, le premier du 14 juin au 10 décembre 2016, le second du 11 décembre 2016 au 11 janvier 2017 et a perçu pendant cette période de référence des rémunérations et accessoires de salaires afférents à ces deux contrats ; qu'en refusant de prendre en considération, pour le calcul de l'indemnité journalière, l'indemnité compensatrice de congés payés versée, pendant la période de référence, au titre du premier contrat au motif que « M. [S] ayant, au cours du mois civil qui a précédé son accident du travail, été employé, successivement et sans discontinuité, dans le cadre de deux contrats à durée déterminée, il s'ensuit que les indemnités compensatrices de congés payés liées à l'exécution du premier contrat à durée déterminée, qui se sont, de fait, au moment de la paye de décembre 2016, cumulées avec la rémunération perçue au titre du second contrat à durée déterminée, ne peuvent être prises en considération pour le calcul du salaire de référence », la cour d'appel a violé les articles L. 242-1, R. 433-6-4°, R. 436-1 du code de la sécurité sociale, ensemble l'article L. 3141-28 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1242-16 du code du travail, L. 433-2, R. 433-4 et R. 436-1 du code de la sécurité sociale, les deux derniers dans leur rédaction issue du décret n° 2014-953 du 20 août 2014, applicable au litige :

10. Il résulte du dernier de ces textes que le salaire servant de base au calcul de l'indemnité journalière par application du deuxième, s'entend des rémunérations, au sens de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, versées au travailleur en contrepartie ou à l'occasion du travail, et afférentes à la période à considérer dans chacun des cas prévus au troisième.

11. Selon le premier, l'indemnité compensatrice de congés payés versée en fin de contrat au salarié sous contrat à durée déterminée, dès lors que le régime applicable dans l'entreprise ne lui permet pas de les prendre effectivement, est calculée en fonction de la durée du contrat.

12. Il en résulte que cette indemnité, versée à l'occasion du travail et qui se rapporte à l'ensemble de la période couverte par le contrat à durée déterminée, doit être prise en compte dans le salaire servant de base au calcul de l'indemnité journalière à concurrence de la fraction correspondant à la période de référence.

13. Pour condamner l'assuré au paiement de l'indu, l'arrêt retient que l'indemnité compensatrice de congés payés liée à l'exécution de son premier contrat à durée déterminée, alors qu'il a été employé, au cours du mois civil qui a précédé son accident du travail, successivement et sans discontinuité dans le cadre de deux contrats à durée déterminée, s'est, de fait, au moment de la paie de décembre 2016, cumulée avec la rémunération perçue au titre du second contrat et ne peut être prise en considération pour le calcul du salaire de référence.

14. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. [S] à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne la somme de 3 664,26 euros au titre de l'indu, l'arrêt rendu le 30 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse, autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Cassignard - Avocat général : M. de Monteynard - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article R. 436-1 du code de la sécurité sociale ; articles L. 1242-16 et L. 1243-8 du code du travail.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 28 mai 2020, pourvoi n° 19-10.029, Bull. (cassation).

Ass. plén., 20 janvier 2023, n° 21-23.947, (B) (R), PL

Rejet

Rente – Rente prévue à l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale – Objet – Indemnisation du préjudice professionnel et du déficit fonctionnel permanent

La rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.

Dès lors, la victime d'une faute inexcusable de l'employeur peut obtenir une réparation distincte du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées.

Rente – Préjudice indemnisé – Etendue – Détermination

Rente – Paiement – Imputation – Modalités – Détermination – Portée

Rente – Rente prévue à l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale – Objet – Indemnisation de la victime – Etendue – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 7 septembre 2021), rendu sur renvoi après cassation (2e Civ., 8 octobre 2020, pourvoi n° 19-13.126), la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines (la caisse), par décision du 28 janvier 2013, a pris en charge, au titre du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles, la pathologie et le décès d'[J] [V] (la victime), salarié des Houillères du Bassin de Lorraine, aux droits desquelles se sont successivement trouvés l'établissement public Charbonnages de France, puis l'Agent judiciaire de l'Etat.

2. Ses ayants droit ont saisi une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. L'Agent judiciaire de l'Etat fait grief à l'arrêt de fixer l'indemnisation des préjudices personnels subis par [J] [V] aux sommes de 50 000 euros au titre du préjudice moral et 20 000 euros au titre du préjudice physique, alors :

« 1°/ que si l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, dispose qu'en cas de faute inexcusable, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut demander à l'employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation d'autres chefs de préjudice que ceux énumérés par le texte précité, c'est à la condition que ces préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale ; qu'il résulte des articles L. 434-1, L. 434-2 et L. 452-2 du code de la sécurité sociale que la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent ; que ne sont réparables, en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, que les souffrances physiques et morales non indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent ; qu'en l'espèce, pour fixer à la somme de 70 000 euros l'indemnisation des souffrances physiques et morales endurées par [J] [V], la cour d'appel de renvoi a retenu que « l'indemnisation des souffrances physiques et morales prévue par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ne saurait être subordonnée à une condition tirée de la date de consolidation ou encore de l'absence de souffrances réparées par le déficit fonctionnel permanent qui n'est ni prévue par ce texte ni par les dispositions des articles L. 434-1, L. 434-2 et L. 452-2 du code de la sécurité sociale, en sorte que se trouvent indemnisées à ce titre l'ensemble des souffrances physiques et morales causées et éprouvées depuis l'accident ou l'évènement qui lui est assimilé, au nombre desquelles figurent l'angoisse de mort imminente qui constitue une des composantes des souffrances morales pour autant qu'elle soit caractérisée » ; qu'en indemnisant les souffrances physiques et morales subies par [J] [V] sans tenir compte de l'indemnisation procédant de la rente qu'il avait perçue, la cour d'appel de renvoi a violé l'ensemble des textes susvisés.

2°/ qu'il résulte des articles L. 434-1, L. 434-2 et L. 452-2 du code de la sécurité sociale que la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent ; que sont réparables, en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, les souffrances physiques et morales non indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent ; qu'en l'espèce, pour fixer à la somme de 70 000 euros l'indemnisation des souffrances physiques et morales endurées par [J] [V], la cour d'appel de renvoi a retenu que « Au cas présent, il convient de constater que l'intéressé s'est trouvé affecté à l'âge de 56 ans d'un cancer broncho pulmonaire, ce point n'étant pas contesté.

Les pièces médicales produites permettent d'établir qu'après le diagnostic de la maladie, la victime a fait l'objet de traitements médicaux conséquents en particulier sous la forme de chimiothérapie inhérente à ce type de pathologie. Ces mêmes pièces ainsi que l'attestation produite aux débats du gendre de la victime établissent que les soins, traitements et diagnostics se sont poursuivis après la déclaration de la maladie le 29 avril 2012.

En particulier la scintigraphie osseuse réalisée en juillet 2012 mettant en évidence une évolution osseuse secondaire du carcinome bronchique à petite cellules sous chimiothérapie, présentant un caractère diffus (rachis, gril costal, scapula droite et bassin) dont l'indication est caractéristique de douleurs. Tout comme le scanner du 24 août 2012 mettant en évidence des lésions secondaires sous forme d'hyperdensités focalisées, de prise de contraste aussi bien cérébrale que cérébelleuse. De même l'attestation de M. [T] permet de mettre en évidence des soins douloureux, entrecoupés de phases d'hospitalisations, jusqu'au décès de la victime. Il s'ensuit que ces traitements et l'évolution de la maladie constatée en particulier par les examens pratiqués au cours de l'état 2012 mettent en évidence des douleurs physiques s'étant continuées après la déclaration de la maladie qui ont été correctement évaluées par les premiers juges à la somme de 20 000 euros.

En ce qui concerne les douleurs morales afférentes à la maladie, celles-ci résultent du caractère inéluctable, évolutif de la maladie affectant une personne relativement jeune, comme âgée de 56 ans lors de la déclaration de la maladie qui conduira à son décès moins de six mois après. Ces souffrances morales résultent également des conditions dégradées de vie qui étaient celles de la victime au cours de ces derniers mois se traduisant par l'impossibilité de réaliser seul les actes de la vie quotidienne, le regard de sa famille et de son épouse comme l'attestation de M. [T] permet de le mettre en évidence. Il s'ensuit que la fixation des souffrances morales à la somme de 50 000 euros comme opérée par les premiers juges apparaît justifiée. » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à démontrer en quoi les souffrances physiques et morales endurées par la victime étaient distinctes de celles réparées au titre du déficit fonctionnel permanent, la cour d'appel de renvoi a violé les textes susvisés. »

Réponse de la Cour

4. Selon les articles L. 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale, la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle atteinte d'une incapacité permanente égale ou supérieure au taux de 10 % prévu à l'article R. 434-1 du même code est égale au salaire annuel multiplié par le taux d'incapacité qui peut être réduit ou augmenté en fonction de la gravité de celle-ci.

5. Selon l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, indépendamment de la majoration de la rente qu'elle reçoit en vertu de l'article L. 452-2 du même code, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

6. La Cour de cassation juge depuis 2009 que la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent (Crim., 19 mai 2009, pourvois n° 08-86.050 et 08-86.485, Bull. crim. 2009, n° 95 et 96 ; 2e Civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 08-17.581, Bull. 2009, II, n° 155 ; pourvoi n° 07-21.768, Bull. 2009, II, n° 153 ; pourvoi n° 08-16.089, Bull. 2009, II, n° 154).

7. Elle n'admet que la victime percevant une rente d'accident du travail puisse obtenir une réparation distincte des souffrances physiques et morales qu'à la condition qu'il soit démontré que celles-ci n'ont pas été indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent (2e Civ., 28 février 2013, pourvoi n° 11-21.015, Bull. 2013, II, n° 48).

8. Si cette jurisprudence est justifiée par le souhait d'éviter des situations de double indemnisation du préjudice, elle est de nature néanmoins, ainsi qu'une partie de la doctrine a pu le relever, à se concilier imparfaitement avec le caractère forfaitaire de la rente au regard du mode de calcul de celle-ci, tenant compte du salaire de référence et reposant sur le taux d'incapacité permanente défini à l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale.

9. Par ailleurs, il ressort des décisions des juges du fond que les victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles éprouvent parfois des difficultés à administrer la preuve de ce que la rente n'indemnise pas le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent.

10. Enfin, le Conseil d'Etat juge de façon constante qu'eu égard à sa finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail, qui lui est assignée à l'article L. 431-1 du code de la sécurité sociale, et à son mode de calcul, appliquant au salaire de référence de la victime le taux d'incapacité permanente défini à l'article L. 434-2 du même code, la rente d'accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, et que dès lors le recours exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d'une telle rente ne saurait s'exercer que sur ces deux postes de préjudice et non sur un poste de préjudice personnel (CE, section, avis, 8 mars 2013, n° 361273, publié au Recueil Lebon ; CE, 23 décembre 2015, n° 374628 ; CE, 18 octobre 2017, n° 404065).

11. L'ensemble de ces considérations conduit la Cour à juger désormais que la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.

12. Après avoir énoncé à bon droit que la rente versée à la victime, eu égard à son mode de calcul appliquant au salaire de référence de cette dernière le taux d'incapacité permanente défini à l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale, n'avait ni pour objet ni pour finalité l'indemnisation des souffrances physiques et morales prévue à l'article L. 452-3 du même code et qu'une telle indemnisation n'était pas subordonnée à une condition tirée de l'absence de souffrances réparées par le déficit fonctionnel permanent, la cour d'appel a exactement décidé que les souffrances physiques et morales de la victime pouvaient être indemnisées.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne l'Agent judiciaire de l'Etat aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé le vingt janvier deux mille vingt-trois.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat aux Conseils, pour l'Agent judiciaire de l'Etat, venant aux droits de l'établissement public industriel et commercial Charbonnages de France

L'Agent judiciaire de l'Etat fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir fixé l'indemnisation des préjudices personnels subis par [J] [V] de la manière suivante : 50 000 euros au titre du préjudice moral et 20 000 euros au titre du préjudice physique, alors :

1°/ que si l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, dispose qu'en cas de faute inexcusable, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut demander à l'employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation d'autres chefs de préjudice que ceux énumérés par le texte précité, c'est à la condition que ces préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale ; qu'il résulte des articles L. 434-1, L. 434-2 et L. 452-2 du code de la sécurité sociale que la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent ; que ne sont réparables, en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, que les souffrances physiques et morales non indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent ; qu'en l'espèce, pour fixer à la somme de 70 000 euros l'indemnisation des souffrances physiques et morales endurées par [J] [V], la cour d'appel de renvoi a retenu que « l'indemnisation des souffrances physiques et morales prévue par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ne saurait être subordonnée à une condition tirée de la date de consolidation ou encore de l'absence de souffrances réparées par le déficit fonctionnel permanent qui n'est ni prévue par ce texte ni par les dispositions des articles L. 434-1, L. 434-2 et L. 452-2 du code de la sécurité sociale, en sorte que se trouvent indemnisées à ce titre l'ensemble des souffrances physiques et morales causées et éprouvées depuis l'accident ou l'événement qui lui est assimilé, au nombre desquelles figurent l'angoisse de mort imminente qui constitue une des composantes des souffrances morales pour autant qu'elle soit caractérisée » ; qu'en indemnisant les souffrances physiques et morales subies par [J] [V] sans tenir compte de l'indemnisation procédant de la rente qu'il avait perçue, la cour d'appel de renvoi a violé l'ensemble des textes susvisés ;

2°/ qu'il résulte des articles L. 434-1, L. 434-2 et L. 452-2 du code de la sécurité sociale que la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent ; que sont réparables, en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, les souffrances physiques et morales non indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent ; qu'en l'espèce, pour fixer à la somme de 70 000 euros l'indemnisation des souffrances physiques et morales endurées par [J] [V], la cour d'appel de renvoi a retenu que « Au cas présent, il convient de constater que l'intéressé s'est trouvé affecté à l'âge de 56 ans d'un cancer broncho pulmonaire, ce point n'étant pas contesté.

Les pièces médicales produites permettent d'établir qu'après le diagnostic de la maladie, la victime a fait l'objet de traitements médicaux conséquents en particulier sous la forme de chimiothérapie inhérente à ce type de pathologie. Ces mêmes pièces ainsi que l'attestation produite aux débats du gendre de la victime établissent que les soins, traitements et diagnostics se sont poursuivis après la déclaration de la maladie le 29 avril 2012.

En particulier la scintigraphie osseuse réalisée en juillet 2012 mettant en évidence une évolution osseuse secondaire du carcinome bronchique à petite cellules sous chimiothérapie, présentant un caractère diffus (rachis, gril costal, scapula droite et bassin) dont l'indication est caractéristique de douleurs. Tout comme le scanner du 24 août 2012 mettant en évidence des lésions secondaires sous forme d'hyperdensités focalisées, de prise de contraste aussi bien cérébrale que cérébelleuse. De même l'attestation de M. [T] permet de mettre en évidence des soins douloureux, entrecoupés de phases d'hospitalisations, jusqu'au décès de la victime. Il s'ensuit que ces traitements et l'évolution de la maladie constatée en particulier par les examens pratiqués au cours de l'état 2012 mettent en évidence des douleurs physiques s'étant continuées après la déclaration de la maladie qui ont été correctement évaluées par les premiers juges à la somme de 20 000 euros.

En ce qui concerne les douleurs morales afférentes à la maladie, celles-ci résultent du caractère inéluctable, évolutif de la maladie affectant une personne relativement jeune, comme âgée de 56 ans lors de la déclaration de la maladie qui conduira à son décès moins de six mois après. Ces souffrances morales résultent également des conditions dégradées de vie qui étaient celles de la victime au cours de ces derniers mois se traduisant par l'impossibilité de réaliser seul les actes de la vie quotidienne, le regard de sa famille et de son épouse comme l'attestation de M. [T] permet de le mettre en évidence. Il s'ensuit que la fixation des souffrances morales à la somme de 50 000 euros comme opérée par les premiers juges apparaît justifiée. » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à démontrer en quoi les souffrances physiques et morales endurées par la victime étaient distinctes de celles réparées au titre du déficit fonctionnel permanent, la cour d'appel de renvoi a violé les textes susvisés.

Arrêt rendu en Assemblée plénière.

- Président : M. Soulard (premier président) - Rapporteur : Mme Van Ruymbeke, assistée de M. Allain, auditeur au service de documentation, des études et du rapport - Avocat général : M. Gaillardot (premier avocat général) - Avocat(s) : SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés ; SCP Claire Leduc et Solange Vigand -

Rapprochement(s) :

Revirement : 2e Civ., 28 février 2013, pourvoi n° 11-21.015, Bull. 2013, II, n° 48 (cassation partielle). Egalement : Crim., 19 mai 2009, pourvois n° 08-86.050 et 08-86.485, Bull. crim. 2009, n° 95 et n° 96 (cassation) ; 2e Civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 08-17.581, Bull. 2009, II, n° 155 (cassation) ; 2e Civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 07-21.768, Bull. 2009, II, n° 153 (cassation partielle) ; 2e Civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 08-16.089, Bull. 2009, II, n° 154 (cassation). A rapprocher de : Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 20-23.673, Bull. (cassation partielle) ; CE, 8 mars 2013, n° 361273, publié au Recueil Lebon ; CE, 23 décembre 2015, n° 374628 ; CE, 18 octobre 2017, n° 404065.

Ass. plén., 20 janvier 2023, n° 20-23.673, (B) (R), PL

Cassation partielle

Rente – Rente prévue à l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale – Objet – Indemnisation du préjudice professionnel et du déficit fonctionnel permanent

La rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent. Dès lors, la victime d'une faute inexcusable de l'employeur peut obtenir une réparation distincte du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées.

Rente – Préjudice indemnisé – Etendue – Détermination

Rente – Paiement – Imputation – Modalités – Détermination – Portée

Rente – Rente prévue à l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale – Objet – Indemnisation de la victime – Etendue – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 29 octobre 2020), la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche (la caisse), par décision du 18 juin 2012, a pris en charge, au titre de la législation professionnelle, la pathologie déclarée par [D] [C] (la victime), salarié de la société [10] devenue la société [11] (l'employeur) puis, par décision du 22 août 2012, son décès.

2. Ses ayants droit ont saisi une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

Examen du moyen

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en ses trois dernières branches

Enoncé du moyen

4. Les ayants droit font grief à l'arrêt de rejeter leur demande d'indemnisation au titre des souffrances physiques et morales endurées par la victime, alors :

« 2°/ qu'eu égard à sa finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail, qui lui est assignée par l'article L. 431-1 du code de la sécurité sociale, et à son mode de calcul, appliquant au salaire de référence de la victime le taux d'incapacité permanente défini par l'article L. 434-2 du même code, la rente d'accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité (CE, 8 mars 2013, n° 361273, publié au Recueil Lebon ; CE, 5 mars 2008, n° 272447, publié au Recueil Lebon) ; que l'évolution de la jurisprudence conduit à harmoniser les solutions et à délaisser l'interprétation selon laquelle « la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent et que ne sont réparables les souffrances physiques et morales qu'à la condition de n'être pas indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent » (not. Civ. 2, 22 octobre 2020, n° 19-15.951 Civ. 2, 8 octobre 2020, n° 19-13.126) ; que, pour infirmer le jugement en ce qu'il a alloué aux consorts [C] certaines sommes à titre d'indemnité pour les souffrances physiques et morales endurées, la cour d'appel a retenue « que, aux termes des articles L. 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale, la rente ou le capital versé à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle indemnise d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité et, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent. Ainsi, en l'absence de perte de gains professionnels ou d'incidence professionnelle, cette rente indemnise le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent. Ce poste de préjudice correspond à la réduction définitive du potentiel physique, psycho-sensoriel ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques liées à l'atteinte séquellaire ainsi que les conséquences liées à cette atteinte dans la vie quotidienne » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles L. 434-1, L. 434-2, L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;

3°/ que lorsqu'en conséquence de la maladie ou de l'accident, la victime souffre d'une incapacité permanente de travail, elle peut, sans avoir à démontrer une faute de son employeur, obtenir une indemnisation destinée à compenser la perte de salaire, constituée d'un capital quand le taux de l'incapacité est inférieur à 10 %, et d'une rente viagère lorsque le taux est égal ou supérieur à ce pourcentage ¿ en contrepartie de la responsabilité sans faute de l'employeur, l'indemnité versée à la victime est forfaitaire et ne couvre pas les préjudices dits extrapatrimoniaux (CEDH, 5e sect., 12 janv. 2017, n° 74374/14, Saumier c/ France, § 54) ; que l'évolution de la jurisprudence conduit à harmoniser les solutions et à délaisser l'interprétation selon laquelle « la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent et que ne sont réparables les souffrances physiques et morales qu'à la condition de n'être pas indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent » (not. Civ. 2, 22 octobre 2020, n° 19-15.951 Civ. 2, 8 octobre 2020, n° 19-13.126) ; qu'en jugeant que la rente indemnise le déficit fonctionnel permanent et, partant, les souffrances physiques et morales endurées par la victime, la cour d'appel a violé les articles L. 434-1, L. 434-2, L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;

4°/ qu'indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle ; qu'en jugeant que la rente indemnise le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent qui correspond aux souffrances physiques ou morales endurées par la victime, la cour d'appel a violé l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 434-1, L. 434-2, L. 452-2 et L. 452-3 du code la sécurité sociale :

5. Selon les deux premiers de ces textes, la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle atteinte d'une incapacité permanente égale ou supérieure au taux de 10 % prévu par l'article R. 434-1 du même code est égale au salaire annuel multiplié par le taux d'incapacité qui peut être réduit ou augmenté en fonction de la gravité de celle-ci.

6. Selon le dernier de ces textes, indépendamment de la majoration de la rente qu'elle reçoit en vertu du troisième, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

7. La Cour de cassation juge depuis 2009 que la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent (Crim., 19 mai 2009, pourvois n° 08-86.050 et 08-86.485, Bull. crim. 2009, n° 95 et 96 ; 2e Civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 08-17.581, Bull. 2009, II, n° 155 ; pourvoi n° 07-21.768, Bull. 2009, II, n° 153 ; pourvoi n° 08-16.089, Bull. 2009, II, n° 154).

8. Elle n'admet que la victime percevant une rente d'accident du travail puisse obtenir une réparation distincte des souffrances physiques et morales qu'à la condition qu'il soit démontré que celles-ci n'ont pas été indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent (2e Civ., 28 février 2013, pourvoi n° 11-21.015, Bull. 2013, II, n° 48).

9. Si cette jurisprudence est justifiée par le souhait d'éviter des situations de double indemnisation du préjudice, elle est de nature néanmoins, ainsi qu'une partie de la doctrine a pu le relever, à se concilier imparfaitement avec le caractère forfaitaire de la rente au regard du mode de calcul de celle-ci, tenant compte du salaire de référence et reposant sur le taux d'incapacité permanente défini à l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale.

10. Par ailleurs, il ressort des décisions des juges du fond que les victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles éprouvent parfois des difficultés à administrer la preuve de ce que la rente n'indemnise pas le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent.

11. Enfin, le Conseil d'Etat juge de façon constante qu'eu égard à sa finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail, qui lui est assignée à l'article L. 431-1 du code de la sécurité sociale, et à son mode de calcul, appliquant au salaire de référence de la victime le taux d'incapacité permanente défini à l'article L. 434-2 du même code, la rente d'accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité et que dès lors, le recours exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d'une telle rente ne saurait s'exercer que sur ces deux postes de préjudice et non sur un poste de préjudice personnel (CE, section, avis, 8 mars 2013, n° 361273, publié au Recueil Lebon ; CE, 23 décembre 2015, n° 374628 ; CE, 18 oct. 2017, n° 404065).

12. L'ensemble de ces considérations conduit la Cour à juger désormais que la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.

13. Pour rejeter la demande des ayants droit en réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées par la victime, l'arrêt retient que celle-ci était retraitée lors de la première constatation de la maladie prise en charge au titre du risque professionnel, de sorte qu'elle n'avait subi aucune perte de gains professionnels ni d'incidence professionnelle. Il en déduit que la rente indemnise le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent.

14. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande d'indemnisation au titre des souffrances physiques et morales endurées par [D] [C], l'arrêt rendu le 29 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes ;

Condamne la société [11] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé le vingt janvier deux mille vingt-trois.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils pour Mme [B] [C] et M. [X] [C].

Les consorts [C] font grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR confirmé le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné la société [5] à verser aux consorts [C] des sommes à titre d'indemnité pour les souffrances physiques endurées par la victime, et à titre d'indemnité pour les souffrances morales endurées par la victime, de l'AVOIR infirmé de ces chefs, et statuant à nouveau rejeté la demande d'indemnisation au titre des souffrances physiques et morales endurées ;

1) ALORS QUE, la décision du Conseil constitutionnel à intervenir déclarant non conformes à la Constitution, car contraires à l'article 6 de la Déclaration de 1789 et au principe d'égalité, les articles L. 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale, interprétés en tant que « la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent et que ne sont réparables les souffrances physiques et morales qu'à la condition de n'être pas indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent » (not. Civ. 2, 22 octobre 2020, n° 19-15.951 Civ. 2, 8 octobre 2020, n° 19-13.126 Civ. 2, 20 décembre 2018, n° 17-29.023 Civ. 2, 25 janvier 2018, n° 17-10.299 Civ. 2, 19 janvier 2017, n° 15-29.437 Civ. 2, 16 juin 2016, n° 15-18.592 Civ. 2, 26 mai 2016, n° 15-18.591 Civ. 2, 31 mars 2016, n° 14-30.015, au Bull.) entraînera l'annulation de l'arrêt frappé de pourvoi ;

2) ALORS QUE, eu égard à sa finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail, qui lui est assignée par l'article L. 431-1 du code de la sécurité sociale, et à son mode de calcul, appliquant au salaire de référence de la victime le taux d'incapacité permanente défini par l'article L. 434-2 du même code, la rente d'accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité (CE, 8 mars 2013, n° 361273, Lebon ¿ CE, 5 mars 2008, n° 272447, Lebon) ; que l'évolution de la jurisprudence conduit à harmoniser les solutions et à délaisser l'interprétation selon laquelle « la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent et que ne sont réparables les souffrances physiques et morales qu'à la condition de n'être pas indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent » (not. Civ. 2, 22 octobre 2020, n° 19-15.951 Civ. 2, 8 octobre 2020, n° 19-13.126) ; que, pour infirmer le jugement en ce qu'il a alloué aux consorts [C] certaines sommes à titre d'indemnité pour les souffrances physiques et morales endurées, la cour d'appel a retenue « que, aux termes des articles L. 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale, la rente ou le capital versé à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle indemnise d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité et, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent. Ainsi, en l'absence de perte de gains professionnels ou d'incidence professionnelle, cette rente indemnise le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent. Ce poste de préjudice correspond à la réduction définitive du potentiel physique, psycho-sensoriel ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques liées à l'atteinte séquellaire ainsi que les conséquences liées à cette atteinte dans la vie quotidienne » (arrêt p. 8 § 12-13) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles L. 434-1, L. 434-2, L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;

3) ALORS QUE lorsqu'en conséquence de la maladie ou de l'accident, la victime souffre d'une incapacité permanente de travail, elle peut, sans avoir à démontrer une faute de son employeur, obtenir une indemnisation destinée à compenser la perte de salaire, constituée d'un capital quand le taux de l'incapacité est inférieur à 10 %, et d'une rente viagère lorsque le taux est égal ou supérieur à ce pourcentage ¿ en contrepartie de la responsabilité sans faute de l'employeur, l'indemnité versée à la victime est forfaitaire et ne couvre pas les préjudices dits extrapatrimoniaux (CEDH, 5e sect., 12 janv. 2017, n° 74374/14, Saumier c/ France, § 54) ; que l'évolution de la jurisprudence conduit à harmoniser les solutions et à délaisser l'interprétation selon laquelle « la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent et que ne sont réparables les souffrances physiques et morales qu'à la condition de n'être pas indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent » (not. Civ. 2, 22 octobre 2020, n° 19-15.951 Civ. 2, 8 octobre 2020, n° 19-13.126) ; qu'en jugeant que la rente indemnise le déficit fonctionnel permanent et, partant, les souffrances physiques et morales endurées par la victime, la cour d'appel a violé les articles L. 434-1, L. 434-2, L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;

4) ALORS QUE, indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle ; qu'en jugeant que la rente indemnise le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent qui correspond aux souffrances physiques ou morales endurées par la victime, la cour d'appel a violé l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale.

Arrêt rendu en Assemblée plénière.

- Président : M. Soulard (premier président) - Rapporteur : Mme Van Ruymbeke, assistée de M. Allain, auditeur au service de documentation, des études et du rapport - Avocat général : M. Gaillardot (premier avocat général) - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Rapprochement(s) :

Revirement : 2e Civ., 28 février 2013, pourvoi n° 11-21.015, Bull. 2013, II, n° 48 (cassation partielle) ; également : Crim., 19 mai 2009, pourvois n° 08-86.050 et 08-86.485, Bull. crim. 2009, n° 95 et n° 96 (cassation) ; 2e Civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 08-17.581, Bull. 2009, II, n° 155 (cassation) ; 2e Civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 07-21.768, Bull. 2009, II, n° 153 (cassation partielle) ; 2e Civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 08-16.089, Bull. 2009, II, n° 154 (cassation). A rapprocher de : Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 21-23.947, publié au Bulletin (rejet) ; CE, 8 mars 2013, n° 361273, publié au Recueil Lebon ; CE, 23 décembre 2015, n° 374628 ; CE, 18 octobre 2017, n° 404065.

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