Numéro 1 - Janvier 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2023

REFERE

Com., 11 janvier 2023, n° 21-10.440, (B), FRH

Rejet

Applications diverses – Contrats de la commande publique – Référé précontractuel – Procédure – Délai pour statuer – Inobservation – Sanction – Détermination

Le délai de vingt jours dans lequel, en application de l'article 1441-2, I°, du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire doit statuer sur les demandes qui lui sont présentées en vertu des articles 2 et 5 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique, n'est pas prescrit à peine de nullité, de sorte que son inobservation ne peut pas donner lieu à cassation.

Applications diverses – Contrats de la commande publique – Référé précontractuel – Procédure – Pourvoi en cassation – Cassation – Exclusion – Cas – Inobservation du délai pour statuer

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Paris, 30 décembre 2020) rendu selon la procédure accélérée au fond, le 8 novembre 2019, la société CDC Habitat a publié au Journal officiel de l'Union européenne un appel d'offres portant sur un accord-cadre relatif à des prestations de menues réparations, entretien courant, dépannages et remises en état de logements à la suite duquel la société TBS a déposé une offre pour plusieurs lots.

2. Après l'annulation de la première procédure d'attribution, une nouvelle procédure a été lancée pour laquelle la société TBS a déposé une offre identique à la première.

3. Par lettre du 30 octobre 2020, la société CDC Habitat a informé la société TBS qu'elle était pressentie pour le lot menuiserie sur l'ensemble des secteurs géographiques pour lesquels elle s'était portée candidate, mais que ses offres relatives à d'autres lots pour lesquels elle avait été pressentie lors du premier appel d'offres n'avaient pas été retenues.

4. La société TBS a assigné la société CDC Habitat devant le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond en demandant la suspension de la procédure de passation de l'accord-cadre portant sur les prestations de remise en état de logements pour un certain nombre de lots géographiques, l'annulation de chaque décision d'attribution de l'accord-cadre pour ces prestations et pour ces lots et qu'il soit enjoint à la société CDC Habitat de reprendre la procédure pour ces lots à l'étape de la publication d'un avis d'appel public à la concurrence, subsidiairement à celle de l'analyse des offres.

5. La société CDC Habitat social est intervenue volontairement à l'instance.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses cinquième et sixième branches, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. La société TBS fait grief au jugement de rejeter ses demandes, alors « qu'il résulte de l'article 2 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique qu' « En cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par des pouvoirs adjudicateurs des contrats de droit privé ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, les personnes ayant intérêt à conclure l'un de ces contrats et susceptibles d'être lésées par ce manquement peuvent saisir le juge avant la conclusion du contrat.

La demande est portée devant la juridiction judiciaire » ; qu'il résulte de l'article 1441-2 du code de procédure civile que « Le juge statue dans un délai de vingt jours sur les demandes qui lui sont présentées en vertu des articles 2 et 5 de l'ordonnance mentionnée ci-dessus » ; qu'en l'espèce, par acte de saisine en date du 4 décembre 2020, le président du tribunal judiciaire a été saisi des demandes de la société TBS prises sur le fondement de l'article 2 de l'ordonnance du 7 mai 2009 selon la procédure accéléré au fond ; que le jugement ayant été rendu le 30 décembre 2020, soit plus de vingt jours après la saisine, le président du tribunal a méconnu les textes susvisés. »

Réponse de la Cour

8. Le délai de vingt jours dans lequel, en application de l'article 1441-2, I°, du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire doit statuer sur les demandes qui lui sont présentées en vertu des articles 2 et 5 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique, n'est pas prescrit à peine de nullité, de sorte que son inobservation ne peut pas donner lieu à cassation.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

10. La société TBS fait le même grief au jugement, alors :

« 2°/ que constitue un traitement inégal l'attribution de notes différentes à des offres identiques concernant des lots identiques ; qu'en l'espèce, le président du tribunal a constaté qu'une première procédure d'attribution du lot n° 7 « remise en état de logements » divisé en 26 lots géographiques en Île-de-France avait eu lieu, avec une date limite de dépôt des offres le 6 janvier 2020, qu'à l'issue de cette procédure, la société TBS avait obtenu les notes de 9,9 pour l'organisation et les moyens consacrés au marché, 13,2 pour les modes opératoires et 3,3 pour la démarche responsabilité sociétale des entreprises (RSE), que cette procédure ayant été annulée, une nouvelle procédure d'attribution avait eu lieu, avec date limite de dépôt des offres le 7 août 2020, à l'issue de laquelle la société TBS, qui avait présenté les mêmes offres pour les mêmes lots, avait obtenu les notes de 3,75 pour l'organisation et les moyens consacrés au marché, 15 pour les modes opératoires et 2,5 pour la démarche RSE, soit une différence de 5,15 points sur la note finale, constitutive d'une lésion par la perte de l'attribution des lots ; qu'en retenant néanmoins que la seule différence de points ne pouvait constituer, en l'absence d'autres éléments, et alors même que la société est attributaire d'autres lots du marché, une discrimination illégale, le président du tribunal a méconnu l'article L. 3 du code de la commande publique, ensemble l'article 2 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures applicables aux contrats de la commande publique ;

3°/ que le défaut de motivation de la lettre de rejet constitue une méconnaissance de l'obligation de publicité et de mise en concurrence, et entraîne en conséquence la nullité de la procédure ; que la seule communication des notes obtenues par les sociétés attributaires ne satisfait pas à l'obligation de motivation du rejet de l'offre ; qu'en retenant néanmoins que le pouvoir adjudicateur, en communiquant un récapitulatif des notes obtenues par les sociétés attributaires et celles obtenues par la société TBS, n'avait pas méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence, le président du tribunal a méconnu l'article R. 2181-3 du code de la commande publique ;

4°/ que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que celles-ci, dans la procédure accélérée au fond, ne sont soumises à aucune forme ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions régulièrement déposées, la société TBS avait demandé au président du tribunal d'enjoindre à la société CDC Habitat de communiquer à la société TBS les motifs du rejet de chacune de ses offres ; qu'en retenant qu' « il n'y a pas lieu d'enjoindre au pouvoir adjudicateur de communiquer ces motifs, ce qui n'est en tout état de cause pas demandé », le président du tribunal a méconnu l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

11. En premier lieu, ayant énoncé que la seule différence de notes obtenues entre une première candidature et une seconde, identique à la première, à un appel d'offres dont la procédure a dû être recommencée, ne peut constituer une discrimination illégale entre les candidats, le jugement en déduit exactement que la société TBS n'invoquant pas d'autre élément à l'appui de sa demande d'annulation, elle n'établit aucune erreur de droit dans l'attribution des offres.

12. En second lieu, après avoir rappelé que selon l'article R. 2181-3 du code de la commande publique, la notification prévue à l'article R. 2181 mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l'offre et que lorsque la notification de rejet intervient après l'attribution du marché, l'acheteur communique en outre le nom de l'attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre de même que la date à laquelle il est susceptible de signer le marché, le jugement retient que le pouvoir adjudicateur, en communiquant un récapitulatif des notes obtenues par les sociétés attributaires et celles obtenues par la société TBS, n'a pas méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence.

13. Par ces seuls motifs, abstraction faite de ceux surabondants critiqués par la quatrième branche, le juge délégué par le président du tribunal, appréciant souverainement la portée des précisions contenues dans le récapitulatif des notes attribuées aux sociétés attributaires et celles obtenues par la société TBS, a pu estimer que les éléments figurant dans la notification du rejet d'une partie de l'offre de celle-ci lui permettaient suffisamment d'en connaître et d'en apprécier les motifs.

14. Pour partie inopérant, le moyen n'est pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Michel-Amsellem - Avocat général : M. Debacq - Avocat(s) : SARL Cabinet Rousseau et Tapie ; SAS Buk Lament-Robillot -

Textes visés :

Article 1441-2, I°, du code de procédure civile ; articles 2 et 5 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique.

Com., 25 janvier 2023, n° 21-17.592, (B), FRH

Cassation

Applications diverses – Registre du commerce et des sociétés – Immatriculation – Dépôt des pièces – Injonction du président du tribunal – Prescription – Prescription quinquennale (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 20 mai 2021), lors de l'assemblée générale de la société Bakia du 15 janvier 1993, les associés ont décidé de modifier l'objet social.

2. Soutenant que celui-ci n'avait pas été inscrit en intégralité dans les statuts déposés, le 23 mars 1993, au greffe d'un tribunal de commerce, M. [V] [U] et la société Step 1261, associés, ont, le 21 novembre 2019, assigné M. [B] [U] et la société Bakia en référé aux fins d'enjoindre M. [B] [U], en sa qualité de gérant de la société Bakia, de procéder au dépôt des statuts intégrant cette modification et aux formalités afférentes, en application de l'article L. 123-5-1 du code de commerce.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

3. M. [V] [U] et la société Step 1261 font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable leur demande en référé-injonction, alors « que la requête en référé tendant à ce qu'il soit enjoint sous astreinte au dirigeant de toute personne morale de procéder au dépôt des pièces et actes au registre du commerce et des sociétés auquel celle-ci est tenue par des dispositions législatives ou réglementaires, qui ne tend pas en tant que telle à la reconnaissance d'une créance ou d'un droit de propriété, n'est pas soumise à un délai de prescription ; qu'en soumettant à la prescription de droit commercial la requête formée par M. [V] [U] et la société Step 1261 visant à la régularisation de la publicité des statuts déposés au registre du commerce et des sociétés du tribunal de commerce de Bayonne, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 110-4 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

4. La cour d'appel n'ayant pas jugé que l'action était soumise à la prescription prévue à l'article L. 110-4 du code de commerce, le moyen ne peut être accueilli.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. M. [V] [U] et la société Step 1261 font le même grief à l'arrêt, alors « que la requête en référé tendant à ce qu'il soit enjoint sous astreinte au dirigeant de toute personne morale de procéder au dépôt des pièces et actes au registre du commerce et des sociétés auquel celle-ci est tenue par des dispositions législatives ou réglementaires, qui ne tend pas en tant que telle à la reconnaissance d'une créance ou d'un droit de propriété, n'est pas soumise à un délai de prescription ; qu'en soumettant à la prescription de droit commun la requête formée par M. [V] [U] et la société Step 1261 visant à la régularisation de la publicité des statuts déposés au registre du commerce et des sociétés du tribunal de commerce de Bayonne, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2224 du code civil, L. 123-1, L. 123-5-1 et R. 123-105 du code de commerce :

6. Selon le premier de ces textes, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

7. Selon le deuxième, figurent au registre du commerce et des sociétés, pour être portés à la connaissance du public, les inscriptions et actes ou pièces déposés prévus par décret en Conseil d'Etat.

8. Selon le dernier, les actes, délibérations ou décisions modifiant les pièces déposées lors de la constitution d'une personne morale doivent être déposées au registre du commerce et des sociétés.

9. Cette obligation, destinée à l'information des tiers, perdure pendant toute la vie de la personne morale.

10. Il s'ensuit que l'action prévue à l'article L. 123-5-1 du code de commerce, qui permet à tout intéressé ou au ministère public d'obtenir du dirigeant d'une personne morale de procéder au dépôt des pièces prévues à l'article R. 123-105 du même code, n'est pas soumise au délai de prescription prévue par l'article 2224 du code civil.

11. Pour déclarer irrecevable comme prescrite l'action introduite le 21 novembre 2019 par M. [V] [U] et la société Step 1261, l'arrêt, après avoir retenu qu'elle est une action personnelle en ce qu'elle a pour objet de faire reconnaître l'existence d'un droit ou d'une obligation contre une personne, énonce qu'en l'absence de dispositions dérogatoires, le délai de prescription applicable est le délai de droit commun de cinq ans régissant la prescription des actions personnelles et mobilières, prévu à l'article 2224 du code civil, et retient qu'il a commencé à courir le 23 mars 1993, date de publication des statuts litigieux, dans la mesure où, depuis cette date, ils sont des documents publics opposables tant aux tiers qu'aux associés de la société Bakia.

12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Lefeuvre - Avocat général : M. Crocq - Avocat(s) : SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés ; SCP L. Poulet-Odent -

Textes visés :

Articles L. 123-5-1 et R. 123-105 du code de commerce ; article 2224 du code civil.

3e Civ., 25 janvier 2023, n° 22-10.648, (B), FS

Rejet

Mesures conservatoires ou de remise en état – Trouble manifestement illicite – Applications diverses – Bail commercial – Bailleur – Garantie de paiement des loyers ou des charges locatives – Garantie à première demande – Mise en oeuvre – Interdiction – Mesures législatives prises dans le cadre de la crise sanitaire

L'article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire, qui interdit, du 17 octobre 2020 jusqu'à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle l'activité des locataires éligibles à ce dispositif cesse d'être affectée par une mesure de police administrative, la mise en oeuvre de toutes sûretés réelles et personnelles garantissant le paiement des loyers ou charges locatives afférents aux locaux professionnels ou commerciaux, s'applique à la garantie à première demande, sûreté personnelle régie par l'article 2321 du code civil.

Dès lors, une cour d'appel, statuant en référé, a pu retenir que la mise en oeuvre d'une garantie à première demande en violation de ce texte constituait un trouble manifestement illicite.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 décembre 2021), rendu en référé, le 22 décembre 2017, la société civile immobilière Togar (la SCI) a donné en location à la société Boggi France (la locataire) des locaux à usage commercial.

2. Le 8 mars 2018, la société Intesa Sanpaolo (la banque) a consenti au bénéfice de la SCI une garantie à première demande pour un certain montant.

3. La locataire, invoquant la fermeture de son commerce du fait des restrictions sanitaires décidées par les pouvoirs publics pour lutter contre l'épidémie de covid-19, ayant cessé de verser les loyers, la SCI a, le 7 avril 2021, demandé à la banque de lui régler le montant de la garantie.

4. Le 19 avril 2021, la locataire, se prévalant des mesures de protection prévues à l'article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire, a assigné la SCI et la banque afin qu'il soit interdit à cette dernière de procéder au paiement de la somme garantie.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, et sur le second moyen, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La SCI fait grief à l'arrêt d'interdire à la banque de régler la somme appelée en exécution de la garantie à première demande et de dire qu'elle ne devrait pas la régler avant l'expiration d'un délai de deux mois suivant le jour où la mesure de police administrative prévue à l'article 14 de la loi du 14 novembre 2020 aurait pris fin, alors « que le juge des référés ne peut faire défense au garant de payer que s'il relève le caractère manifestement abusif ou frauduleux de l'appel de la garantie à première demande ; que le bénéficiaire d'une garantie à première demande ne commet ni faute ni abus en appelant le garant à première demande en raison du non-paiement de loyers, fussent-ils partiellement des loyers exigibles après l'entrée en vigueur de l'article 14 de la loi du 14 novembre 2020 ; qu'en énonçant, pour retenir que la mise en oeuvre de la garantie à première demande était constitutive d'un trouble manifestement illicite, que l'appel de la garantie constitue un abus manifeste, l'article 14 de la loi du 14 novembre 2020 interdisant la mise en oeuvre des sûretés personnelles, la cour d'appel a violé l'article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020, les articles 2321 et 1104 du code civil, ensemble l'article 835 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. L'article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 interdit, du 17 octobre 2020 jusqu'à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle l'activité du locataire, éligible à ce dispositif, cesse d'être affectée par une mesure de police administrative, la mise en oeuvre de toutes sûretés réelles et personnelles garantissant le paiement des loyers ou charges locatives afférents aux locaux professionnels ou commerciaux.

8. Ayant exactement relevé, par motifs propres et adoptés, que la garantie à première demande constituait une sûreté personnelle régie par l'article 2321 du code civil, la cour d'appel a pu en déduire que sa mise en oeuvre, en violation des dispositions de l'article 14 de la loi précitée, constituait un trouble manifestement illicite et a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. David - Avocat général : Mme Morel-Coujard - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Richard ; Me Soltner -

Textes visés :

Article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ; article 2321 du code civil.

Com., 18 janvier 2023, n° 22-19.539, (B), FRH

Rejet

Sauvegarde d'éléments de preuve avant tout procès – Motif légitime – Exclusion – Cas – Action manifestement vouée à l'échec

Dès lors qu'elle retient que l'action qu'une société entendait engager à l'encontre d'une autre société était manifestement vouée à l'échec, une cour d'appel décide à bon droit que celle-là ne justifie pas d'un motif légitime d'obtenir, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la mesure d'instruction avant tout procès.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 juin 2022), à la suite de négociations engagées entre la société Crédit mutuel Arkea (le CMA) et la société NBB Lease, dirigée par MM. [L] et [V], cette dernière s'est engagée, par une promesse unilatérale d'achat du 6 novembre 2018, à acquérir au prix de 70 millions d'euros l'intégralité des actions de la société Leasecom détenues par le CMA.

Le 21 mars 2019, la société Fintake Group, se substituant à sa filiale, la société NBB Lease, et le CMA ont conclu un contrat de cession au même prix.

2. Soutenant avoir découvert, postérieurement à la cession, que le budget 2018 transmis lors des pourparlers avait été sciemment surestimé par rapport à celui en vigueur en mars 2018, la société Fintake Group a, le 9 mars 2021, déposé une requête aux fins d'obtenir des mesures d'investigation sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.

3. La requête a été accueillie le 15 mars 2021 et les mesures d'instruction ont été diligentées le 26 mars 2021.

4. Le CMA a assigné la société Fintake Group en rétractation.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

6. La société Fintake Group fait grief à l'arrêt de rétracter l'ordonnance du 15 mars 2021, alors :

« 1°/ que le juge de la mesure in futurum ordonne celle-ci dès lors qu'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige ; que le juge de la mesure in futurum, comme le juge de la rétractation, ne peut retenir l'absence de motif légitime, faisant échec à la mesure demandée, qu'en présence d'une demande qui est soit manifestement irrecevable soit vouée à un échec certain au point d'apparaître comme téméraire ; qu'il n'entre en revanche pas dans l'office du juge de l'expertise in futurum d'apprécier le caractère fondé, ou non, du procès envisagé, au point de procéder à une analyse des pièces d'ores et déjà en possession du demandeur et de les confronter à une norme juridique précise mobilisée dans le cadre d'une argumentation d'ores et déjà figée ; qu'au cas présent, tout en affirmant qu'elle devrait se cantonner à l'appréciation de « l'existence d'un procès en germe possible et non manifestement voué à l'échec [...] sans qu'il revienne au juge des référés de se prononcer sur le fond », et en indiquant apprécier la « plausibilité du litige éventuel », la cour d'appel a « recherch[é] si les allégations de manoeuvres dolosives [...] sont ou non vraisemblables », pour finalement retenir, après un examen approfondi des « pièces produites », qu'il « n'apparaît pas » que la société Fintake Group, demanderesse à la mesure in futurum, « a pu être trompée » et que « les documents financiers internes à la société Leasecom ainsi que les échanges intervenus entre son contrôleur de gestion et son directeur commercial et les dirigeants de la société CMA ne constituent pas des indices suffisants pour justifier l'existence d'un dol » ; que la cour retient encore que le rejet de l'action envisagée par la société Fintake Group serait d'ores et déjà assuré dans la mesure où « la société Fintake Group ne démontre pas l'incidence qu'auraient pu avoir les données du budget 2018 sur la valeur de la société Leasecom » ; qu'en déduisant le caractère, selon elle, « manifestement voué à l'échec » de l'action envisagée d'une analyse approfondie d'un litige qui n'était pourtant que potentiel à ce stade, la cour d'appel, qui a méconnu la circonstance que le demandeur d'une mesure in futurum n'a pas à établir d'emblée le bien-fondé de l'action projetée, a violé l'article 145 du code de procédure civile et méconnu l'office du juge de la mesure in futurum ainsi que du juge de la rétractation ;

2° que le juge de la rétractation d'une mesure in futurum ne peut retenir l'absence de motif légitime en présence d'une situation litigieuse établie et d'une demande non manifestement vouée à l'échec ; qu'il n'entre pas dans son office, une fois cette plausibilité de la demande constatée, d'apprécier par avance tous les moyens de défense qui pourraient, in fine, conduire au rejet par le juge du fond de ladite demande ; qu'au cas présent, la cour d'appel a relevé elle-même qu'il n'était « pas contesté » qu'une pièce déterminante pour la fixation du prix de la société cédée (son budget 2018) avait été « découverte » par hasard par la société acquéreur et qu'elle avait été remplacée par un « business plan 2018 » dont la société cédante savait qu'il ne correspondait pas à ce qui serait réalisé en 2018, et pas même à ce qu'il était demandé aux équipes de la société cédée de réaliser en 2018 (autrement dit à son budget) ; que la cour d'appel a néanmoins écarté ce dol apparent, ayant consisté à substituer au budget 2018 demandé aux équipes de Leasecom un business plan 2018 qui ne correspondait à rien, au motif que « au regard de l'accès à une information exhaustive, portant sur l'ensemble des données sociales, fiscales, juridiques, comptables et financières de la société acquise, de l'analyse de celles-ci tant par les dirigeants de la société NBB Lease, particulièrement avertis, que par les experts qu'ils s'étaient adjoints, et de l'exclusion de garantie portant sur les projections financières, l'action que l'appelante pourrait engager à l'encontre de la société Crédit mutuel Arkea au titre d'un prétendu dol apparaît manifestement vouée à l'échec » ; qu'en statuant ainsi, cependant que la cour avait pour seule mission de vérifier si ne préparait pas un procès téméraire l'allégation de l'exposante selon laquelle une recherche des emails internes échangés entre Leasecom et sa société mère, Crédit mutuel Arkea, la cédante, aurait fait apparaître que la substitution du business plan 2018 au budget 2018, dans la data room, caractérisait une manoeuvre dolosive, la cour d'appel, qui a excédé son office, a violé l'article 145 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. L'arrêt relève qu'il n'est pas contesté que le budget 2018 litigieux, découvert le 5 mars 2018 par la société NBB Lease, dont MM. [L] et [V] sont les dirigeants, faisait état de chiffres différents de ceux mentionnés sur la plate-forme électronique mais identiques au plan budgétaire validé au sein de la société Leasecom et que par courriel du même jour, M. [L] a fait part de ses interrogations « susceptibles pour lui et M. [V] de sérieusement compromettre leur intérêt pour la transaction ». Il retient que, cependant, la société Fintake Group n'a pu être trompée par le CMA, au cours de la période précontractuelle qui a duré plus de dix-huit mois pendant lesquels la société NBB Lease, dont elle a repris les engagements, a eu accès à l'ensemble des éléments notamment financiers et comptables de la société Leasecom.

L'arrêt ajoute que, deux mois avant la cession des titres, M. [V] a adressé au CMA un courriel démontrant de façon évidente que, préalablement à la cession de la société Leasecom, la société Fintake Group avait une parfaite connaissance des résultats de l'exercice 2018.

8. En l'état de ces énonciations, constations et appréciations, dont il résulte que les dirigeants particulièrement avertis de la société NBB Lease et leurs experts avaient eu accès à une information exhaustive portant sur l'ensemble des données sociales, fiscales, juridiques, comptables et financières de la société acquise, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel, qui n'a pas fait peser sur la société Fintake Group l'obligation d'établir le bien fondé de son action, a jugé que l'action que cette société pourrait engager à l'encontre du CMA, au titre d'un prétendu dol, apparaissait manifestement vouée à l'échec, caractérisant, par ces seuls motifs, l'absence de motif légitime justifiant la mesure d'instruction demandée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.

9. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Guillou - Avocat(s) : SAS Hannotin Avocats ; SCP Bénabent -

Textes visés :

Article 145 du code de procédure civile.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.