Numéro 1 - Janvier 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2023

PROCEDURES CIVILES D'EXECUTION

3e Civ., 25 janvier 2023, n° 21-19.089, (B), FS

Cassation partielle

Règles générales – Titre – Titre exécutoire – Titre ultérieurement modifié – Rétablissement du débiteur dans ses droits – Cas – Renouvellement – Refus comportant offre d'indemnité d'éviction – Indemnité d'éviction – Préjudice distinct – Perte du droit au maintien dans les lieux – Réparation

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 juin 2021), en 2005 et en 2007, deux baux commerciaux portant sur des locaux à usage d'hôtel, bar restaurant et organisation de réception, ont été consentis par la société civile immobilière Span (la bailleresse) à Mme [L] (la locataire).

2. En exécution d'un arrêt, rendu en référé le 1er octobre 2015, confirmant une ordonnance qui constatait la résiliation des baux par acquisition de la clause résolutoire, la locataire a été expulsée des locaux, qui ont été vendus à une société tierce, le 12 mai 2017.

3. Statuant par arrêt du 20 septembre 2018, après cassation de l'arrêt du 1er octobre 2015 (3e Civ., 30 mars 2017, pourvoi n° 16-10.366, Bull. 2017, III, n° 47), la cour d'appel de renvoi a infirmé l'ordonnance.

4. Au cours de la procédure en référé, la locataire avait assigné la bailleresse, en annulation des commandements et du procès-verbal d'expulsion, en réintégration et en indemnisation des préjudices subis en conséquence de son expulsion.

5. Par jugement du 10 juillet 2019, la procédure de redressement judiciaire de la locataire a été convertie en liquidation judiciaire et la société Archibald a été désignée en qualité de mandataire liquidateur.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

7. La locataire représentée par son mandataire liquidateur fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de condamnation de la bailleresse et de l'acquéreur des locaux en réparation de la perte de son chiffre d'affaires depuis la date de l'expulsion, alors : « que le preneur qui n'a pu continuer son activité jusqu'à la date de paiement de l'indemnité d'éviction du fait du manquement du bailleur à ses obligations, est fondé à solliciter la réparation du préjudice qui en résulte ; qu'à supposer que, comme l'a retenu la cour d'appel, la restitution à laquelle avait droit Mme [L] devait être calculée comme l'indemnité d'éviction du preneur à bail commercial, elle devait inclure les pertes d'exploitation subies jusqu'au versement de l'indemnité d'éviction ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 111-11 du code des procédures civiles d'exécution, L. 145-14 du code de commerce et 1147, devenu 1231-1, du code civil.»

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 111-10 du code des procédures civiles d'exécution et les articles L. 145-14 et L. 145-28 du code de commerce :

8. Il résulte, du premier de ces textes, que si la décision de justice, titre en vertu duquel l'exécution est poursuivie aux risques du créancier, est ultérieurement modifiée, le créancier rétablit le débiteur dans ses droits en nature ou par équivalent et, des deux derniers, que le locataire évincé, qui peut prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement du bail commercial, a droit jusqu'au paiement de cette indemnité, au maintien dans les lieux, aux conditions et clauses du contrat de bail expiré.

9. Pour rejeter la demande de condamnation au titre de la perte de chiffre d'affaires, l'arrêt retient que la locataire, indemnisée de la perte de son fonds de commerce, intervenue à la date de son expulsion, ne peut au surplus être indemnisée des gains qu'elle aurait obtenus si elle était restée en possession du fonds.

10. En statuant ainsi, alors que la privation de la possibilité de poursuivre, dans les locaux, une activité commerciale jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, en méconnaissance du droit du locataire au maintien dans les lieux, occasionne à ce dernier un préjudice qu'il appartient au juge d'évaluer, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

11. La portée de la cassation est limitée au rejet de la demande en paiement de la somme de 2 430 000 euros, au titre de la perte de chiffre d'affaires, pour l'hôtel et le restaurant, pour les mois d'avril 2016 à la fin de l'année 2020, en ce qu'elle est dirigée contre la bailleresse.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande en paiement de la somme de 2 430 000 euros, au titre de la perte de chiffre d'affaires, pour l'hôtel et le restaurant, pour les mois d'avril 2016 à la fin de l'année 2020, en ce qu'elle est dirigée contre la société civile immobilière Span, l'arrêt rendu le 16 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Andrich - Avocat(s) : SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Article L. 111-10 du code des procédures civiles d'exécution ; articles L. 145-14 et L. 145-28 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 30 novembre 2017, pourvoi n° 16-17.686, Bull. 2017, III, n° 133 (cassation partielle).

2e Civ., 12 janvier 2023, n° 20-16.800, (B), FRH

Rejet

Saisie-attribution – Effets – Attribution immédiate au saisissant – Limites – Notification de la décision de mainlevée

Aux termes de l'article R. 121-18 du code des procédures civiles d'exécution, la décision de mainlevée des mesures d'exécution forcée ou des mesures conservatoires emporte, dans la limite de son objet, suspension des poursuites dès son prononcé et suppression de tout effet d'indisponibilité dès sa notification. Il en résulte que la saisie-attribution perd son effet attributif dès la notification d'une décision de mainlevée de celle-ci au créancier.

Si, en application de l'article 561 du code de procédure civile l'appel remet en question la chose jugée devant la cour d'appel, le délai d'appel et l'appel lui-même, conformément aux dispositions de l'article R. 121-18 du code des procédures civiles d'exécution, n'ont pas d'effet suspensif et il appartient à la cour d'appel de se prononcer en considération des circonstances de fait qui existent au jour où elle statue, le créancier pouvant, en application de l'article R. 121-22 de ce code, saisir le premier président de la cour d'appel d'une demande de sursis à exécution de la décision de mainlevée.

Ayant exactement retenu qu'en l'absence de décision de sursis à exécution, l'effet d'indisponibilité et d'attribution de la saisie-attribution avait cessé et constaté que, le jugement ayant été notifié, le tiers saisi s'était, en conséquence, dessaisi des fonds, une cour d'appel en a déduit à bon droit que la saisie était privée de son effet attributif.

Mesures d'exécution forcée – Saisie-attribution – Mainlevée – Sursis à exécution

Mesures d'exécution forcée – Saisie-attribution – Effets – Attribution immédiate au saisissant – Limites – Notification de la décision de mainlevée

Reprise d'instance

1. Par arrêt du 19 mai 2022 (2e Civ., 19 mai 2022, pourvoi n° 20-16.800), la Cour de cassation a constaté l'interruption de l'instance résultant du décès de [X] [Y], veuve [I], imparti aux parties un délai de quatre mois à compter de l'arrêt pour reprendre l'instance, dit qu'à défaut de l'accomplissement dans ce délai des diligences nécessaires, la radiation du pourvoi serait prononcée et dit que l'affaire serait à nouveau examinée à l'audience du 4 octobre 2022.

2. Il est justifié, par les productions, de la signification, par acte du 25 août 2022, du mémoire ampliatif à M. [L] [B], en qualité d'héritier de [X] [Y].

3. Il y a lieu de donner acte aux parties de la reprise d'instance.

Faits et procédure

4. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 21 avril 2020), statuant sur renvoi après cassation, Mme [H] a été désignée, par ordonnance du 21 janvier 2010, en qualité de mandataire « successoral » à la succession d'[U] [I].

5. Sur des poursuites de saisie immobilière, un immeuble appartenant en indivision à Mme [Y], veuve d'[U] [I], propriétaire à hauteur d'un quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit, et M. [C] [I], son beau-fils, propriétaire à hauteur des trois quarts en nue-propriété, a été adjugé à la société Strasbourg soixante (la société).

6. Le 24 juin 2016, la société a fait pratiquer, sur le fondement d'une ordonnance de référé ayant condamné Mme [Y] à lui verser des indemnités d'occupation, une saisie-attribution entre les mains du bâtonnier de l'ordre des avocats de [Localité 5], séquestre du prix de vente.

7. Par jugement du 15 novembre 2016, un juge de l'exécution a ordonné la mainlevée de la saisie.

8. Par ordonnance du 18 mai 2017, un juge des référé a ordonné au séquestre de remettre le solde du prix d'adjudication à Mme [H], ès qualités.

9. Le jugement du 15 novembre 2016 a été confirmé par l'arrêt d'une cour d'appel, rendu le 11 janvier 2018, qui a été cassé par un arrêt de la Cour de cassation du 15 mai 2019 (1re Civ., 15 mai 2019, pourvoi n° 18-12.779, publié au bulletin).

Examen du moyen

Enoncé du moyen

10. La société fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de mainlevée de la saisie-attribution pratiquée à sa requête, le 24 juin 2016, entre les mains du bâtonnier de l'ordre des avocats de [Localité 5] à l'encontre de Mme [Y], veuve [I], pour recouvrement de la somme de 16 340,01 euros mais de dire que cette saisie était privée de son effet attributif, alors « que l'appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d'appel, pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit ; que si, en matière de mainlevée des mesures d'exécution forcée, l'appel n'a pas d'effet suspensif et si la décision emporte, dès sa notification suppression de tout effet d'indisponibilité, sauf sursis à exécution ordonné par le premier président de la cour d'appel, l'infirmation de la décision de main-levée fait retrouver à la saisie sa validité et autorise le débiteur à se voir remettre la chose objet de la saisie, le cas échéant, par le tiers saisi s'il l'a conservée, ou par le débiteur à qui elle a été remise si elle se retrouve ; que dès lors, l'infirmation de la décision de main-levée de la saisie pratiquée entre les mains du bâtonnier faisait retrouver à la saisie son effet attributif et autorisait la société Strasbourg soixante à se faire remettre les fonds saisis par le mandataire de la succession à qui le bâtonnier, tiers saisi, les avait remis ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 561 du code de procédure civile, R. 121-18 et R. 121-22 du code des procédures civiles d'exécution. »

Réponse de la Cour

11. Aux termes de l'article R. 121-18 du code des procédures civiles d'exécution, la décision de mainlevée des mesures d'exécution forcée ou des mesures conservatoires emporte, dans la limite de son objet, suspension des poursuites dès son prononcé et suppression de tout effet d'indisponibilité dès sa notification. Il en résulte que la saisie-attribution perd son effet attributif dès la notification d'une décision de mainlevée de celle-ci au créancier.

12. Si, en application de l'article 561 du code de procédure civile, l'appel remet en question la chose jugée devant la cour d'appel, le délai d'appel et l'appel lui-même, conformément aux dispositions de l'article R. 121-18 du code des procédures civiles d'exécution, n'ont pas d'effet suspensif et il appartient à la cour d'appel de se prononcer en considération des circonstances de fait qui existent au jour où elle statue, le créancier pouvant, en application de l'article R. 121-22 de ce code, saisir le premier président de la cour d'appel d'une demande de sursis à exécution de la décision de mainlevée.

13. Ayant exactement retenu qu'en l'absence de décision de sursis à exécution, l'effet d'indisponibilité et d'attribution de la saisie-attribution avait cessé et constaté que, le jugement ayant été notifié, le tiers saisi s'était, en conséquence, dessaisi des fonds, la cour d'appel en a déduit à bon droit que la saisie était privée de son effet attributif.

14. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Cardini - Avocat général : M. Adida-Canac - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Articles R. 121-18 et R. 121-22 du code des procédures civiles d'exécution ; article 561 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 18 décembre 1996, pourvoi n° 95-12.602, Bull. 1996, II, n° 305 (cassation sans renvoi).

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