Numéro 1 - Janvier 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2023

PREUVE

Com., 4 janvier 2023, n° 19-21.884, (B), FS

Cassation partielle

Règles générales – Moyen de preuve – Admissibilité – Système de vidéosurveillance – Condition

Il résulte des articles 9 du code de procédure civile et L. 238 du livre des procédures fiscales qu'afin d'apporter la preuve contraire de faits constatés dans un procès-verbal dressé par des agents de l'administration des douanes, un redevable de contributions indirectes est fondé à produire la captation de l'image d'un agent de cette administration réalisée à partir d'un système de vidéosurveillance destiné à assurer la sécurité de ses locaux, même si l'agent n'était pas informé de cette captation, sauf s'il est en est résulté une atteinte aux droits de la personnalité de ce dernier disproportionnée au but recherché.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 mai 2019), la société Massis import-export Europe (la société Massis), qui importe d'un pays tiers à l'Union européenne des tabacs manufacturés, bénéficie du statut d'entrepositaire agréé l'autorisant à stocker du tabac en suspension du droit de consommation sur les tabacs manufacturés.

2. A la suite d'un contrôle de ses entrepôts, l'administration des douanes lui a notifié plusieurs infractions à la réglementation en matière de contributions indirectes le 1er octobre 2015 et a émis à son encontre un avis de mise en recouvrement (AMR) le 19 octobre 2015.

3. Après le rejet de sa contestation, la société Massis a assigné l'administration des douanes en annulation de l'AMR et de la décision de rejet.

4. Un jugement du 16 novembre 2017 a mis la société Massis en procédure de sauvegarde, cette procédure ayant abouti à l'arrêté d'un plan de sauvegarde. M. [A], en sa qualité de mandataire judiciaire et commissaire à l'exécution du plan de la société, et la Selarl 2M et associés, prise en la personne de Mme [L], en sa qualité d'administrateur judiciaire, sont intervenus à l'instance d'appel.

Sur le troisième moyen, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, qui est préalable

Enoncé du moyen

6. La société Massis fait grief à l'arrêt de déclarer l'AMR du 19 octobre 2015 régulier, tant sur la forme que sur le fond, de confirmer la décision de rejet du 28 avril 2016 et de rejeter l'intégralité de ses demandes, alors « que selon l'article L. 34 du livre des procédures fiscales, chez les entrepositaires agréés, les agents de l'administration peuvent intervenir dans les magasins, caves et celliers, en vue d'effectuer les vérifications nécessaires à la constatation des quantités de boissons restant en magasin ou de s'assurer de la régularité des opérations ; que ce type de contrôle ne vise que les entrepositaires agréés de boissons, et non ceux de tabacs ; qu'en l'espèce, il était constant que la société Massis était entrepositaire agréé de tabacs ; qu'il résulte du procès-verbal d'intervention du 11 juin 2015 que le contrôle a été effectué dans le cadre de l'article L. 34 du livre des procédures fiscales ; qu'en refusant d'invalider les opérations de contrôle, pourtant réalisées dans un cadre non conforme à l'activité de la personne contrôlée, la cour d'appel a violé l'article L. 34 du livre des procédures fiscales. »

Réponse de la Cour

7. Il résulte des articles L. 26 et L. 27 du livre des procédures fiscales que les agents de l'administration des douanes peuvent intervenir dans tous les lieux d'exercice d'activités soumises à contributions indirectes sans formalité préalable et sans que leur contrôle puisse être retardé, pour y procéder à des inventaires, aux opérations nécessaires à la constatation et à la garantie de l'impôt et, généralement, aux contrôles qualitatifs et quantitatifs prévus par la loi, pendant des intervalles de temps fixés par le second de ces textes, sauf disposition particulière.

8. Le moyen, qui postule que de telles opérations ne pourraient être effectuées qu'en application de l'article L. 34 du livre des procédures fiscales, est inopérant.

Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

9. La société Massis fait grief à l'arrêt d'écarter des débats ses pièces numérotées 17, 20, 21, 22, 27 et 32, de déclarer l'AMR du 19 octobre 2015 régulier, tant sur la forme que sur le fond, de confirmer la décision de rejet du 28 avril 2016 et de rejeter l'intégralité de ses demandes, alors « que la production en justice par une partie d'images et enregistrements issus de la vidéosurveillance de ses locaux, filmant la partie adverse ou ses représentants sans que ceux-ci en ait été informés, ne constitue pas en soi une atteinte au principe de loyauté de la preuve ; que ce mode de preuve ne peut être déloyal que s'il porte atteinte à un droit essentiel ou une liberté fondamentale de la partie à qui la preuve est opposée en justice, ou de la personne filmée ; qu'en décidant d'écarter les pièces n° 17, 20, 21, 22, 27 et 32 de la société Massis, comme ayant été obtenues par un procédé déloyal, au seul prétexte que les agents des douanes n'avaient pas été informés de ce que le déroulement de leurs opérations était filmé, sans relever aucune atteinte aux droits ou libertés de l'administration des douanes ou de ses agents, la cour d'appel a violé les articles 9 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 9 du code de procédure civile et L. 238 du livre des procédures fiscales :

10. Il résulte de ces textes qu'afin d'apporter la preuve contraire de faits constatés dans un procès-verbal dressé par des agents de l'administration des douanes, un redevable de contributions indirectes est fondé à produire la captation de l'image d'un agent de cette administration réalisée à partir d'un système de vidéosurveillance destiné à assurer la sécurité de ses locaux, même si l'agent n'était pas informé de cette captation, sauf s'il est en est résulté une atteinte aux droits de la personnalité de ce dernier disproportionnée au but recherché.

11. Pour écarter des débats les pièces numérotées 17, 20, 21, 22, 27 et 32 correspondant à des images des agents des douanes extraites d'une vidéosurveillance réalisée dans les locaux de la société Massis pendant les opérations de contrôle, l'arrêt retient que la production de ces images enregistrées sans preuve du consentement tacite, certain et non équivoque de ces agents est irrecevable comme contraire aux dispositions des articles 9 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi qu'au principe de loyauté dans l'administration de la preuve.

12. En statuant ainsi, alors qu'aucune atteinte aux droits de la personnalité des agents de l'administration des douanes pouvant résulter de l'utilisation de ces images à titre de preuves n'était alléguée, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il donne acte à M. [A] et à Mme [L] - Selarl 2M et associés, en leurs qualités respectives de mandataire judiciaire et d'administrateur judiciaire de la société Massis import expert Europe, de leur intervention volontaire et en ce qu'il met hors de cause Mme [L] en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société, l'arrêt rendu le 27 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Lion - Avocat général : M. Lecaroz - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Articles L. 26, L. 27 et L. 34 du livre des procédures fiscales ; article 9 du code de procédure civile ; article L. 238 du livre des procédures fiscales.

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