Numéro 1 - Janvier 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2023

PRET

Com., 4 janvier 2023, n° 15-20.117, (B), FRH

Rejet

Prêt d'argent – Prêteur – Etablissement de crédit – Obligations – Obligation de mise en garde – Domaine d'application – Personne morale – Caractère averti – Appréciation en la personne de son représentant moral

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 23 avril 2015), par un acte du 1er février 2008, quatre salariés de la société Royale normande, dont M. [M] et Mme [E], ont constitué une société holding dénommée Alliance et gourmandise, afin d'acquérir la totalité des parts sociales de la société Royale normande. Cette acquisition a été notamment financée au moyen d'un prêt consenti le 6 février 2008 par la société Banque Scalbert-Dupont, devenue la société CIC Nord-Ouest (la banque), et garanti par le cautionnement de M. [M]. Après la mise en redressement puis liquidation judiciaires de la société Alliance et gourmandise, la banque a assigné M. [M] en paiement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et le second moyen, ci-après annexés

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches

Enoncé du moyen

3. M. [M] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la banque une certaine somme au titre du cautionnement souscrit le 6 février 2008 et de rejeter sa demande de dommages et intérêts pour manquement de la banque à son obligation de le mettre en garde, en sa qualité de gérant et de caution de la société Alliance et gourmandise, contre le caractère disproportionné du prêt consenti à cette dernière, alors :

« 2°/ qu'une société, prise en la personne de son gérant, n'a la qualité d'emprunteur averti que si ce dernier dispose d'une expérience suffisante, soit dans ses fonctions de gérant, soit dans l'activité exercée par la société ; qu'en l'espèce, le prêt avait été contracté par une société holding dénommée Alliance et gourmandise dont M. [M], ancien responsable des ventes d'une entreprise de confiserie, venait d'être nommé gérant ; qu'en retenant que la société Alliance et gourmandise, prise en la personne de son gérant, avait la qualité d'emprunteur averti pour cette seule raison que M. [M] avait participé au développement de l'entreprise contrôlée par la société holding, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de l'article 1147 code civil ;

3°/ que la capacité de remboursement de l'emprunteur doit s'apprécier au regard de sa propre situation comptable ; qu'en ayant exclusivement égard, pour apprécier le caractère disproportionné du prêt souscrit par la société Alliance et gourmandise, aux résultats de la société Royale normande, les juges du fond ont également privé leur décision de base légale au regard de l'article 1147 code civil ;

4°/ qu'en toute hypothèse, M. [M] soulignait que la charge de remboursement annuel du prêt souscrit au nom de la société Alliance et gourmandise supposait, du fait du taux d'imposition sur les sociétés, que la société Royale normande génère un résultat net d'au moins 220 000 euros par an ; qu'en se bornant à observer que le prêt n'était pas disproportionné pour cette raison que, au jour du prêt, le résultat de la société Royale normande était en constante progression et qu'il avait atteint le chiffre de 93 238,45 euros, les juges du fond ont une nouvelle fois privé leur décision de base légale au regard de l'article 1147 code civil. »

Réponse de la Cour

4. L'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que M. [M], salarié de la société Royale normande, avait une expérience de cinq ans au sein de cette entreprise, qu'il y exerçait les fonctions de responsable commercial et en avait doublé le chiffre d'affaires par la mise en place d'une réelle stratégie commerciale et en lui insufflant un nouvel élan. Il ajoute que la société Royale normande était la société cible de l'opération, un montage juridique ayant été effectué pour concrétiser le financement de son rachat par l'endettement.

5. Dès lors que le caractère averti de l'emprunteur, personne morale, s'apprécie en la personne de son représentant légal, la cour d'appel, qui a fait ressortir, par ces appréciations et constatations, que, bien que M. [M] n'ait pas auparavant exercé ses compétences dans une société holding, il était toutefois à même de mesurer, par les compétences acquises dans la société Royale normande, le risque d'endettement né de l'octroi du prêt souscrit par la société Alliance et gourmandise, dont il était le gérant, et qui dépendait des résultats de l'entreprise cible, ce dont il résulte que la société Alliance et gourmandise avait la qualité d'emprunteur averti et que la banque n'était pas tenue d'un devoir de mise en garde à son égard, a, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les troisième et quatrième branches, légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : M. Guerlot - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Article 1147 du code civil.

Rapprochement(s) :

Dans le même sens : Com., 11 avril 2018, pourvoi n° n° 15-27.133, Bull. 2018, IV, n° 40 (rejet).

Com., 25 janvier 2023, n° 20-12.811, (B), FS

Cassation partielle

Prêt d'argent – Prêteur – Etablissement de crédit – Responsabilité – Action en justice – Prescription – Délai – Point de départ – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 27 mars 2019), par un acte notarié du 13 novembre 2008, la société Caisse de crédit mutuel [Localité 4] Saint-Antoine (la banque) a consenti à M. [G] et d'autres emprunteurs solidaires, un prêt personnel « dirigeants » d'un montant de 200 000 euros, remboursable in fine le 31 octobre 2010, destiné à être apporté en compte courant d'associé à la société Provid, dont les principaux associés étaient la société Eaux vives, détenue à concurrence de 99 % par M. [G], la société Majodan, représentée par Mme [S], et la société Anim'mode production.

Par un avenant du 19 décembre 2008, le prêt a été garanti par une hypothèque conventionnelle sur un bien immobilier appartenant à M. [G].

2. La société Provid a été mise en redressement puis liquidation judiciaires.

3. Le 29 juin 2011, la banque a notifié la déchéance du terme du prêt puis a poursuivi l'exécution forcée sur le bien immobilier de M. [G].

4. Les 12 et 14 février 2014, soutenant que la responsabilité de la banque et celle de Mme [S] étaient engagées à son égard, la première sur un fondement contractuel, la seconde sur un fondement délictuel, M. [G] les a assignées en paiement de dommages et intérêts.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. M. [G] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable et, subsidiairement, mal fondée son action formée à l'encontre de la banque, alors « qu'une cour d'appel qui décide que les demandes dont elle est saisie sont irrecevables, excède ses pouvoirs en statuant ensuite au fond. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 122 du code de procédure civile :

7. Il résulte de ce texte que le juge qui décide que la demande dont il est saisi est irrecevable, excède ses pouvoirs en statuant au fond.

8. La cour d'appel a confirmé le jugement en ce qu'il déclarait irrecevable, subsidiairement mal fondée, la demande de M. [G] à l'encontre de la banque.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs.

Et sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

10. M. [G] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son action formée à l'encontre de la banque, alors « que la prescription de l'action en responsabilité contre la banque pour manquement à son devoir de mise en garde court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il s'est révélé à la victime ; que M. [G] faisait valoir que, même en faisant abstraction de la prise en charge du prêt litigieux par la société Prodiv, la prescription ne pouvait pas commencer à courir avant la survenance du dommage lié au manquement au devoir de mise en garde, soit au plus tôt au moment où le capital du prêt in fine est devenu exigible, en octobre 2010, qu'en refusant de décaler le point de départ de la prescription, par une motivation inopérante selon laquelle l'établissement bancaire n'aurait pas été informé de la prise en charge du remboursement du prêt litigieux par la société Prodiv, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2224 du code civil et l'article L. 110-4 du code de commerce :

11. Il résulte de la combinaison de ces textes que les obligations entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

12. Le manquement d'une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d'endettement excessif né de l'octroi d'un prêt prive cet emprunteur d'une chance d'éviter le risque qui s'est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l'emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt. Il en résulte que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d'exigibilité des sommes au paiement desquelles l'emprunteur n'est pas en mesure de faire face.

13. Pour déclarer prescrite la demande de M. [G] formée contre la banque, l'arrêt retient qu'il n'est pas établi que la banque aurait été informée de la prise en charge du prêt par la société Provid et qu'il s'agit d'un événement postérieur à la conclusion de la convention de prêt qui n'a pas fait partie de l'économie du contrat. Il en déduit qu'un tel événement ne peut être opposé à la banque pour reporter le point de départ du délai de prescription à des dates postérieures à la conclusion du prêt.

14. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a fait courir la prescription de la conclusion du contrat, a violé les textes susvisés.

Demande de mise hors de cause

15. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause Mme [S], dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable et, subsidiairement, mal fondée la demande M. [G] à l'encontre de la société Caisse de crédit mutuel [Localité 4] Saint-Antoine et condamne M. [G] aux dépens, l'arrêt rendu le 27 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;

Met hors de cause Mme [S].

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Fevre - Avocat général : Mme Gueguen (premier avocat général) - Avocat(s) : Me Carbonnier ; SCP Leduc et Vigand ; SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Article 2224 du code civil ; article L. 110-4 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur la détermination du point de départ de la prescription en matière de responsabilité du banquier : 1re Civ., 5 janvier 2022, pourvoi n° 20-18.893, Bull., (cassation partielle).

1re Civ., 11 janvier 2023, n° 21-21.590, (B), FS

Rejet

Prêt d'argent – Terme – Retard de paiement – Clause d'exigibilité immédiate – Mise en demeure préalable de l'emprunteur – Dispense (non)

Une clause d'un contrat de prêt immobilier, stipulant que les sommes dues seront de plein droit et immédiatement exigibles en cas de retard de paiement d'un terme du prêt de plus de trente jours et que le prêteur en avertira l'emprunteur par simple courrier, ne dispense pas de manière expresse et non équivoque le prêteur d'adresser à l'emprunteur une mise en demeure.

La demande subsidiaire du prêteur tendant à obtenir le paiement des échéances échues du prêt demeurées impayées en cas de rejet, compte tenu du défaut d'exigibilité de la créance faute d'une mise en demeure préalable, de la demande principale en paiement du capital restant dû, n'en constitue ni l'accessoire ni la conséquence ni le complément nécessaire au sens de l'article 566 du code de procédure civile, de sorte que, formée pour la première fois en appel, elle est irrecevable.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 24 juin 2021), suivant acte notarié du 18 août 2009, la société Banque CIC Est (la banque) a consenti à la SCI LMD (l'emprunteur) un prêt destiné au financement de l'acquisition d'un immeuble à usage locatif pour lequel M. [E] et Mme [R] (les cautions), associés de la SCI, se sont portés cautions solidaires.

2. Des échéances étant demeurées impayées, la banque a prononcé la déchéance du terme du prêt le 11 septembre 2011 et assigné les cautions en paiement les 26 et 30 janvier 2018.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

4. La banque fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes formées à l'encontre de Mme [R], alors « qu'en présence d'une disposition expresse et non équivoque du contrat de prêt d'une somme d'argent excluant la nécessité de la délivrance d'une mise en demeure, en cas de défaillance de l'emprunteur, préalablement à la déchéance du terme, celle-ci intervient du seul fait d'une telle défaillance ; qu'en l'espèce, ainsi que l'a relevé la cour d'appel, l'article 16 du prêt immobilier du 18 août 2009 indiquait sous l'intitulé « exigibilité immédiate » que « les sommes dues seront de plein droit et immédiatement exigibles dans l'un quelconque des cas suivants. Pour s'en prévaloir, le prêteur en avertira l'emprunteur par simple courrier : si l'emprunteur est en retard de plus de trente jours avec le paiement d'un terme en principal, intérêts ou accessoires du présent prêt » ; qu'en retenant qu'une telle stipulation ne dispensait pas le CIC Est de l'obligation de délivrer à la SCI LMD une mise en demeure préalable au prononcé de la déchéance du terme, la cour d'appel a violé les articles 1134, 1147 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

5. Ayant constaté que le contrat de prêt stipulait une clause d'exigibilité anticipée des sommes dues, ainsi rédigée : « Les sommes dues seront de plein droit et immédiatement exigibles dans l'un quelconque des cas suivants. Pour s'en prévaloir, le prêteur en avertira l'emprunteur par simple courrier [...] - Si l'emprunteur est en retard de plus de trente jours avec le paiement d'un terme en principal, intérêts et accessoire du présent prêt [...] », la cour d'appel en a exactement déduit qu'une telle clause ne comportait aucune dispense expresse et non équivoque d'envoi d'une mise en demeure à l'emprunteur, de sorte que la créance de celle-ci au titre du capital du prêt n'était pas exigible.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. La banque fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme nouvelle la demande formulée à titre subsidiaire, pour la première fois en appel, tendant à la condamnation de Mme [R] au paiement des échéances impayées du prêt immobilier consenti le 18 août 2009, alors « que sont recevables les demandes présentées pour la première fois en cause d'appel qui sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des prétentions soumises au premier juge ; que la demande tendant au paiement des mensualités échues d'un prêt, en ce qu'elle est virtuellement comprise dans la demande tendant au paiement du capital de ce prêt, en constitue le complément nécessaire ; qu'en l'espèce, en énonçant, pour déclarer irrecevable la demande du CIC Est formée à titre subsidiaire, pour la première fois en cause d'appel, tendant au paiement des échéances impayées du prêt immobilier, qu'elle n'était ni l'accessoire, ni la conséquence, ni le complément de sa demande de remboursement du capital restant dû au titre de ce prêt par suite de sa résiliation, formulée en première instance, la cour d'appel a violé l'article 566 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. Il résulte de l'article 566 du code de procédure civile qu'une prétention n'est pas nouvelle lorsqu'elle est l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire de celle formée en première instance.

9. La cour d'appel a constaté qu'en cas de rejet, en raison du défaut d'exigibilité de la créance faute d'une mise en demeure préalable, de la demande en paiement du capital restant dû, formée à titre principal par la banque, celle-ci demandait la condamnation de Mme [R] à lui payer les échéances échues du prêt demeurées impayées.

10. Elle a retenu, à bon droit, qu'une telle demande subsidiaire ne constituait ni l'accessoire ni la conséquence ni le complément nécessaire de la demande principale et en a exactement déduit que, formée pour la première fois en appel, elle était irrecevable.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Robin-Raschel - Avocat général : Mme Cazaux-Charles - Avocat(s) : SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Article 566 du code de procédure civile.

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