Numéro 1 - Janvier 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2023

PRESCRIPTION CIVILE

Com., 25 janvier 2023, n° 21-16.275, (B), FRH

Cassation partielle

Interruption – Causes – Interpellation faite au débiteur principal – Applications diverses – Avaliste

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 9 mars 2021), la société Banque CIC Ouest (la banque) a accordé des crédits de trésorerie à la société Jean [T], laquelle a émis, au bénéfice de la banque, trois billets à ordre, le premier, le 31 octobre 2013, d'un montant de 50 000 euros à échéance du 30 novembre 2013, les deux derniers, le 30 avril 2014, d'un montant de, respectivement, 25 000 euros et 75 000 euros à échéance du 31 mai 2014. Ces billets ont été avalisés par M. [T].

2. La société Jean [T] ayant été placée en liquidation judiciaire, la banque a déclaré sa créance le 18 juin 2014 et a assigné M. [T] en exécution de ses engagements de donneur d'aval le 16 mars 2017.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident, qui est préalable

Enoncé du moyen

3. M. [T] reproche à l'arrêt de déclarer recevable l'action de la banque en paiement du billet à ordre du 31 octobre 2013 et de le condamner, en sa qualité d'avaliste de ce billet, à lui payer la somme de 20 000 euros, avec intérêts légaux à compter de l'assignation, alors « qu'en vertu de l'article L. 511-78, alinéa 1, du code de commerce applicable au billet à ordre, toute action résultant de la lettre de change contre l'accepteur se prescrit par trois ans à compter de la date de son échéance ; que l'interruption de la prescription n'ayant, selon l'alinéa 5 du même article, d'effet que contre celui à l'égard duquel l'acte interruptif a été fait, l'admission de la déclaration de créance du porteur d'un billet à ordre au passif du souscripteur ne peut avoir pour effet d'interrompre le délai de prescription triennale vis-à-vis de l'avaliste ; qu'en relevant, pour dire recevable l'action en paiement de la banque concernant le billet à ordre en date du 31 octobre 2013 à échéance du 30 novembre 2013 à l'encontre de M. [T] en sa qualité d'avaliste, que l'admission de la déclaration de créance de la banque, le 18 juin 2014, au passif de la société Jean [T], souscripteur du billet, avait eu pour effet d'interrompre le délai de prescription vis-à-vis de M. [T], valablement assigné le 16 mars 2017, la cour d'appel a violé les articles L. 511-78 et L. 512-3 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

4. Selon l'article 2246 du code civil, applicable au donneur d'aval, l'interpellation faite au débiteur principal interrompt le délai de prescription contre la caution.

5. Aux termes de l'article 130, devenu L. 511-21, du code de commerce, auquel renvoie l‘article 187, devenu L. 512-4, du même code, le donneur d'aval d'un billet à ordre est tenu de la même manière que celui dont il s'est porté garant.

6. Il en résulte que la déclaration de la créance née d'un billet à ordre au passif de la procédure collective de son souscripteur interrompt la prescription à l'égard du donneur d'aval.

7. Ayant relevé que la banque avait, le 18 juin 2014, déclaré auprès du mandataire liquidateur de la société Jean [T] sa créance née du billet à ordre, la cour d'appel en a exactement déduit que l'action engagée à l'encontre du donneur d'aval le 16 mars 2017 n'était pas prescrite pour avoir été introduite dans le délai de trois ans.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

9. La banque fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité des avals apposés par M. [T] sur les billets à ordre de 75 000 euros et 25 000 euros souscrits le 30 avril 2014 par la société Jean [T] et de rejeter les présentations de la banque contre M. [T] au titre de ces deux billets à ordre, alors « que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, M. [T] n'a pas demandé que soit prononcée la nullité des avals qu'il avait donnés sur les billets à ordre souscrits le 30 avril 2014 ; que, dans le dispositif de ses conclusions d'appel, il a seulement demandé à la cour de constater la mauvaise foi de la banque dans l'obtention des deux billets à ordre avalisés le 30 avril 2014 et, en conséquence, de débouter la banque de sa demande en paiement de la somme de 78 777,91 euros au titre des deux billets à ordre avalisés le 30 avril 2014, avec intérêts au taux légal à compter du 16 mars 2017 ; que, dès lors, en prononçant la nullité des avals apposés par M. [T] sur les billets à ordre de 75 000 euros et 25 000 euros souscrits le 30 avril 2014 par la société Jean [T], la cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 4 et 5 du code de procédure civile :

10. Aux termes du premier de ces textes, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

Aux termes du second, le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé.

11. L'arrêt prononce la nullité des avals apposés par M. [T] sur les deux billets à ordre du 30 avril 2014 et rejette en conséquence la demande en paiement de la banque.

12. En statuant ainsi, alors que M. [T] demandait seulement le rejet de la demande en paiement de la banque au titre des deux billets à ordre, sans en solliciter la nullité, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il prononce la nullité des avals apposés par M. [T] sur les billets à ordre de 75 000 et 25 000 euros souscrits le 30 avril 2014 par la société Jean [T] et rejette les prétentions de la société Banque CIC Ouest contre M. [T] au titre de ces deux billets à ordre, l'arrêt rendu le 9 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : M. Boutié - Avocat(s) : SCP Doumic-Seiller ; SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh -

Textes visés :

Article 2246 du code civil ; articles 130, devenu L. 511-21, et 187, devenu L. 512-4, du code de commerce.

Com., 25 janvier 2023, n° 20-12.811, (B), FS

Cassation partielle

Prescription quinquennale – Délai – Point de départ – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 27 mars 2019), par un acte notarié du 13 novembre 2008, la société Caisse de crédit mutuel [Localité 4] Saint-Antoine (la banque) a consenti à M. [G] et d'autres emprunteurs solidaires, un prêt personnel « dirigeants » d'un montant de 200 000 euros, remboursable in fine le 31 octobre 2010, destiné à être apporté en compte courant d'associé à la société Provid, dont les principaux associés étaient la société Eaux vives, détenue à concurrence de 99 % par M. [G], la société Majodan, représentée par Mme [S], et la société Anim'mode production.

Par un avenant du 19 décembre 2008, le prêt a été garanti par une hypothèque conventionnelle sur un bien immobilier appartenant à M. [G].

2. La société Provid a été mise en redressement puis liquidation judiciaires.

3. Le 29 juin 2011, la banque a notifié la déchéance du terme du prêt puis a poursuivi l'exécution forcée sur le bien immobilier de M. [G].

4. Les 12 et 14 février 2014, soutenant que la responsabilité de la banque et celle de Mme [S] étaient engagées à son égard, la première sur un fondement contractuel, la seconde sur un fondement délictuel, M. [G] les a assignées en paiement de dommages et intérêts.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. M. [G] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable et, subsidiairement, mal fondée son action formée à l'encontre de la banque, alors « qu'une cour d'appel qui décide que les demandes dont elle est saisie sont irrecevables, excède ses pouvoirs en statuant ensuite au fond. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 122 du code de procédure civile :

7. Il résulte de ce texte que le juge qui décide que la demande dont il est saisi est irrecevable, excède ses pouvoirs en statuant au fond.

8. La cour d'appel a confirmé le jugement en ce qu'il déclarait irrecevable, subsidiairement mal fondée, la demande de M. [G] à l'encontre de la banque.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs.

Et sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

10. M. [G] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son action formée à l'encontre de la banque, alors « que la prescription de l'action en responsabilité contre la banque pour manquement à son devoir de mise en garde court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il s'est révélé à la victime ; que M. [G] faisait valoir que, même en faisant abstraction de la prise en charge du prêt litigieux par la société Prodiv, la prescription ne pouvait pas commencer à courir avant la survenance du dommage lié au manquement au devoir de mise en garde, soit au plus tôt au moment où le capital du prêt in fine est devenu exigible, en octobre 2010, qu'en refusant de décaler le point de départ de la prescription, par une motivation inopérante selon laquelle l'établissement bancaire n'aurait pas été informé de la prise en charge du remboursement du prêt litigieux par la société Prodiv, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2224 du code civil et l'article L. 110-4 du code de commerce :

11. Il résulte de la combinaison de ces textes que les obligations entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

12. Le manquement d'une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d'endettement excessif né de l'octroi d'un prêt prive cet emprunteur d'une chance d'éviter le risque qui s'est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l'emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt. Il en résulte que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d'exigibilité des sommes au paiement desquelles l'emprunteur n'est pas en mesure de faire face.

13. Pour déclarer prescrite la demande de M. [G] formée contre la banque, l'arrêt retient qu'il n'est pas établi que la banque aurait été informée de la prise en charge du prêt par la société Provid et qu'il s'agit d'un événement postérieur à la conclusion de la convention de prêt qui n'a pas fait partie de l'économie du contrat. Il en déduit qu'un tel événement ne peut être opposé à la banque pour reporter le point de départ du délai de prescription à des dates postérieures à la conclusion du prêt.

14. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a fait courir la prescription de la conclusion du contrat, a violé les textes susvisés.

Demande de mise hors de cause

15. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause Mme [S], dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable et, subsidiairement, mal fondée la demande M. [G] à l'encontre de la société Caisse de crédit mutuel [Localité 4] Saint-Antoine et condamne M. [G] aux dépens, l'arrêt rendu le 27 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;

Met hors de cause Mme [S].

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Fevre - Avocat général : Mme Gueguen (premier avocat général) - Avocat(s) : Me Carbonnier ; SCP Leduc et Vigand ; SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Article 2224 du code civil ; article L. 110-4 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur la détermination du point de départ de la prescription en matière de responsabilité du banquier : 1re Civ., 5 janvier 2022, pourvoi n° 20-18.893, Bull., (cassation partielle).

1re Civ., 5 janvier 2023, n° 21-13.151, (B), FS

Cassation partielle

Prescription quinquennale – Réserve – Réduction – Action en réduction – Point de départ

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 19 janvier 2021), [E] [X] et [C] [Z], époux communs en biens, sont décédés respectivement les 6 octobre 2001 et 23 décembre 2013, en laissant pour leur succéder leurs enfants, [L], [G] et [I].

2. Des difficultés sont survenues lors du règlement des successions.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

3. MM. [L] et [G] [Z] font grief à l'arrêt de fixer à 273 094,10 euros le montant total des liquidités ou sommes d'argent perçues du vivant des défunts que Mme [I] [Z] doit rapporter aux successions confondues de ses parents, alors « que le rapport d'une somme d'argent qui a servi à acquérir un bien est dû de la valeur de ce bien, dans les conditions prévues à l'article 860 du code civil ; qu'en condamnant Mme [I] [Z] à rapporter aux successions confondues de ses parents la somme de 273 094,10 euros, celle-ci comprenant notamment la somme de 105 000 euros reçue en 2005/2006 pour « l'achat de son appartement [Adresse 3] », sans ordonner que le rapport soit calculé en fonction de la valeur du bien ainsi acquis, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 860-1 du code civil. »

Réponse de la Cour

4. Sous le couvert d'un grief non fondé de violation de la loi, le moyen dénonce, en réalité, une omission de statuer qui, pouvant être réparée par la procédure prévue à l'article 463 du code de procédure civile, ne donne pas ouverture à cassation.

5. Il est dès lors irrecevable.

Mais sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

6. Mme [I] [Z] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables son action en déclaration de simulation ainsi que l'intégralité de ses demandes subséquentes et de rejeter sa demande d'expertise aux fins de chiffrer ces gratifications ou avantages, alors « que la donation d'un bien commun, si elle porte atteinte à la réserve, est réductible à la quotité disponible, pour la moitié de sa valeur, lors de l'ouverture de la succession de chacun des époux codonateurs ; que l'action par laquelle un héritier réservataire fait valoir la simulation en vue de la réduction d'une telle donation se prescrit par trente ans ou cinq ans (en fonction de la date du décès) à compter de l'ouverture de chacune des deux successions ; que Mme [I] [Z] faisait valoir que le délai de prescription de son action en déclaration de simulation en vue de la réduction des donations déguisées consenties par ses parents à ses frères avait respectivement commencé à courir, s'agissant de sa mère, à la date du décès de celle-ci en 2001 et, en ce qui concernait son père, à la date du décès de celui-ci en 2013 ; qu'en considérant, pour déclarer irrecevable l'action de Mme [Z], que le délai de prescription avait commencé à courir à la date du décès de sa mère, premier donateur, le 6 octobre 2001, la cour d'appel a violé les articles 920, 921 et 1202 du code civil et l'article 2262 ancien du même code. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 920, 921, alinéa 2, 1438 et 1439 du code civil :

7. Selon le premier de ces textes, les libéralités, directes ou indirectes, qui portent atteinte à la réserve d'un ou plusieurs héritiers, sont réductibles à la quotité disponible lors de l'ouverture de la succession.

8. Il résulte des deux derniers que, sauf clause contraire, la donation de biens communs est réputée consentie à concurrence de moitié par chacun des époux, de sorte que sa réduction ne peut être demandée par leurs enfants communs qu'à due proportion, à l'ouverture de chacune des successions des co-donateurs.

9. Pour déclarer irrecevable l'action « en déclaration de simulation » intentée par Mme [I] [Z], l'arrêt retient que, les donations qu'elle a pour but de révéler portant sur des biens communs, sa prescription court du jour du décès du premier donateur, soit le 6 octobre 2001, date du décès de [E] [X], et après avoir relevé que le délai de trente ans applicable antérieurement était toujours en cours à la date d'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, soit le 19 juin de la même année, il en déduit, sur le fondement des dispositions transitoires de cette loi, que cette action, engagée par assignations des 25 avril et 2 mai 2016, soit plus de cinq ans après le 19 juin 2008, est prescrite.

10. En statuant ainsi, alors que, à concurrence de la moitié de la donation, Mme [Z] disposait d'un délai de cinq ans à compter du décès de son père, soit le 23 décembre 2013, pour engager une action en réduction relative à la succession de celui-ci, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables l'action en déclaration de simulation engagée par Mme [I] [Z] ainsi que l'intégralité de ses demandes subséquentes tendant notamment à la réunion à la masse successorale des gratifications ou avantages prétendument obtenus de leurs parents par M. [G] [Z] et M. [L] [Z], à l'occasion de la constitution de la SCI Berlioz et des opérations de toute nature (achats de parts sociales, augmentations de capital, fourniture de travail, de marchandises, de garanties hypothécaires, fonctionnement de comptes courants...) concernant la SARL Salsis et les sociétés venant aux droits de celle-ci, et rejette sa demande d'expertise aux fins de chiffrer les avantages et gratifications concernant les parts sociales de la société Salsis emballages et de la SCI Berlioz données à MM. [G] et [L] [Z], dans leur état au jour de la donation et leur valeur au jour du partage, l'arrêt rendu le 19 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Dard - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés ; SCP Bénabent -

Textes visés :

Articles 920, 921, alinéa 2, 1438 et 1439 du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 24 novembre 1987, pourvoi n° 86-10.635, Bull. 1987, I, n° 309 (rejet) ; 1re Civ., 17 avril 2019, pourvoi n° 18-16.577, Bull., (cassation partielle).

3e Civ., 11 janvier 2023, n° 21-20.388, (B), FS

Rejet

Prescription trentenaire – Article 2227 du code civil – Domaine d'application – Cas

L'action d'une association syndicale libre (ASL) tendant à voir dire que la voirie et les réseaux d'un lotissement sont la propriété de la commune, après que leur cession forcée eut été réalisée par une délibération de cette commune, est une action réelle immobilière, soumise à la prescription trentenaire de l'article 2227 du code civil.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 8 juin 2021), l'association syndicale libre du [Adresse 4] (l'ASL), constituée en 1990, réunit les propriétaires de ce lotissement situé sur le territoire de la commune de [Localité 2] (la commune).

2. Par délibération du 14 septembre 2004, le conseil municipal, après enquête publique autorisée par délibération du 20 mai 2003, s'est prononcé sur la demande tendant à « autoriser le maire à transférer la voie et les réseaux au sein du domaine public communal » et a autorisé à l'unanimité ce transfert.

3. Cette décision n'ayant pas été suivie d'effet, le 23 février 2016, l'ASL a assigné la commune afin de faire dire que la voirie et les réseaux du lotissement étaient devenus la propriété de celle-ci depuis la délibération du 14 septembre 2004 et d'ordonner la publication du transfert de propriété au fichier immobilier.

Examen des moyens

Sur les premier et quatrième moyens, réunis

Enoncé des moyens

4. Par son premier moyen, la commune fait grief à l'arrêt de constater le transfert de propriété de la voirie et des réseaux du lotissement suivant les désignations et références cadastrales contenues à l'enquête publique, alors :

« 1°/ que la juridiction administrative est seule compétente pour se prononcer sur l'existence, l'étendue et les limites du domaine public ; qu'en retenant sa compétence, après avoir relevé que l'objet du litige consistait à déterminer si la délibération du conseil municipal de la commune de [Localité 2] en date du 14 septembre 2004 avait emporté transfert de propriété de la voirie et des réseaux au profit de la commune, ce dont il résultait que le litige soulevait la question de l'appartenance au domaine public des voies et réseaux concernés, qu'il appartenait au seul juge administratif de trancher, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des dispositions des lois des 16-24 août 1790, 28 pluviôse an VIII et 24 mai 1872, ainsi que du décret du 16 fructidor an III ;

2°/ que, lorsque la solution d'un litige dépend d'une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction administrative, la juridiction judiciaire initialement saisie la transmet à la juridiction administrative compétente et sursoit à statuer jusqu'à la décision sur la question préjudicielle ; qu'en jugeant que la propriété des voies et réseaux du [Adresse 4] avait été transférée à la commune de [Localité 2], et en s'abstenant de transmettre au juge administratif la question de leur appartenance au domaine public de la commune, qui présentait une difficulté sérieuse, la cour d'appel a violé les dispositions du second alinéa de l'article 49 du code de procédure civile, ensemble celles des lois des 16-24 août 1790, 28 pluviôse an VIII et 24 mai 1872, et du décret du 16 fructidor an III. »

5. Par son quatrième moyen, la commune fait grief à l'arrêt d'ordonner la publication du transfert de propriété au fichier immobilier, alors « qu'en matière de propriété, seules les décisions ayant pour effet l'extinction d'un droit de propriété privée sont réservées par nature à la compétence de l'autorité judiciaire et, qu'en l'absence de voie de fait, il n'appartient pas au juge judiciaire d'adresser des injonctions à l'administration ; qu'en estimant néanmoins que le seul fait que le litige concernait la propriété l'autorisait à enjoindre à la commune de [Localité 2] de publier la décision à intervenir au fichier immobilier, la cour d'appel a violé les dispositions des lois des 16-24 août 1790, 28 pluviôse an VIII et 24 mai 1872, ainsi que du décret du 16 fructidor an III. »

Réponse de la Cour

6. L'article 74 du code de procédure civile dispose que les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir et qu'il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l'exception sont d'ordre public.

7. Le moyen tiré de l'incompétence de la juridiction judiciaire pour se prononcer sur l'existence, l'étendue et les limites du domaine public est présenté pour la première fois devant la Cour de cassation.

8. Il est, dès lors, irrecevable.

9. En outre, si la commune a fait valoir dans ses conclusions d'appel que l'injonction tendant à la publication du transfert de propriété au fichier immobilier n'était pas au nombre de celles que le juge judiciaire pouvait ordonner à une personne morale de droit public, elle a soulevé la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action avant cette exception d'incompétence.

10. Le moyen tiré de l'incompétence de la juridiction judiciaire pour enjoindre à la commune de publier le transfert de propriété au service de la publicité foncière est, dès lors, irrecevable.

11. Par ce motif de pur droit, substitué à celui critiqué, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

12. La commune fait grief à l'arrêt de déclarer recevable comme non prescrite l'action de l'ASL, alors « que seule l'action ayant pour objet la reconnaissance d'un droit réel immobilier est susceptible d'être regardée comme une action réelle immobilière au sens de l'article 2227 du code civil ; que pour faire application de la prescription trentenaire prévue à cet article, la cour d'appel s'est fondée sur la seule circonstance selon laquelle l'action de l'ASL du [Adresse 4] portait sur un transfert de propriété, sans rechercher si l'exercice par l'ASL de son droit de propriété était en cause ; qu'en s'appuyant ainsi sur une circonstance inopérante, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 2224 et 2227 du code civil. »

Réponse de la Cour

13. Ayant retenu, à bon droit, que l'action de l'ASL tendant à voir dire que la voirie et les réseaux du [Adresse 4] étaient la propriété de la commune après que leur cession forcée eut été réalisée par la délibération du 14 septembre 2004 était une action réelle immobilière, la cour d'appel en a exactement déduit qu'elle était soumise à la prescription trentenaire de l'article 2227 du code civil.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

15. La commune fait grief à l'arrêt de constater le transfert de propriété de la voirie et des réseaux du lotissement suivant les désignations et références cadastrales contenues à l'enquête publique, alors :

« 1°/ que, dans sa rédaction applicable au litige, l'article L. 141-3 du code de la voirie routière prévoyait que le classement et le déclassement des voies communales prononcées par délibération du conseil municipal intervenait après enquête publique, sauf dans les cas mentionnés aux articles L. 123-2 et L. 123-3 du code de la voirie routière, à l'article 6 du code rural et à l'article L. 318-1 du code de l'urbanisme ; qu'en statuant au regard des dispositions postérieures dispensant la réalisation d'une enquête publique, la cour d'appel a violé l'article L. 141-3 du code de la voirie routière par méconnaissance de son champ d'application ;

2°/ que, dans sa version applicable aux faits de l'espèce, l'article R. 318-10 du code de l'urbanisme disposait que l'enquête prévue à l'article L. 318-3 en vue du transfert dans le domaine public communal de voies privées ouvertes à la circulation publique dans un ensemble d'habitation a lieu conformément aux dispositions des articles R. 11-4, R. 11-5, R. 11-8, R. 11-9, R. 11-10 et R. 11-13 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ; qu'en s'appuyant sur une version postérieure de l'article R. 318-10 du code de l'urbanisme renvoyant aux dispositions du code de la voirie routière, pour en déduire qu'à la suite d'une enquête diligentée en application de ce code, le transfert de propriété de l'assiette de la voirie et des réseaux pouvait bien faire l'objet d'un transfert sur le fondement de l'article L. 318-3 du code de l'urbanisme, la cour d'appel, qui s'est fondée sur des dispositions inapplicables au litige, a violé les dispositions des articles L. 318-3 et R. 318-10 du code de l'urbanisme ;

3°/ que la cour d'appel a relevé que l'objet du litige consistait à déterminer si la délibération du conseil municipal de la commune de [Localité 2] en date du 14 septembre 2004 avait emporté transfert de propriété de la voirie et des réseaux du [Adresse 4] au profit de la commune ; qu'en partant du postulat qu'un transfert de propriété avait eu lieu pour en déduire que la base légale de la délibération ne pouvait qu'être l'article L. 318-3 du code de l'urbanisme, dispositions seules susceptibles d'opérer un transfert de propriété, la cour d'appel de Pau a méconnu les termes du litige en violation des articles 4 et 5 du code de procédure civile ;

4°/ que le transfert de voies privées dans le domaine public communal peut résulter d'une cession amiable ou d'une expropriation accompagnée d'une décision de classement sur le fondement de l'article L. 141-3 du code de la voirie routière ; qu'en déduisant de la propriété privée des voies en cause l'inapplicabilité de l'article L. 141-3 du code de la voirie routière, la cour d'appel de Pau en a violé les dispositions ;

5°/ que la décision de classement d'une voie dans le domaine public communal sur le fondement de l'article L. 141-3 du code de la voirie routière, n'a en elle-même aucun effet translatif de propriété ; que la commune de [Localité 2] faisait valoir à cet égard que l'ASL du [Adresse 4] avait mandaté un notaire en vue de la cession gratuite de la voirie du lotissement à la commune et de la signature d'un acte authentique procédant au transfert de propriété, qui n'a finalement jamais eu lieu ; qu'en l'absence d'un tel acte, la propriété des voies ne pouvait être regardée comme ayant été transférée ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

6°/ que la décision de classement d'une voie dans le domaine public communal sur le fondement de l'article L. 141-3 du code de la voirie routière, n'a en elle-même aucun effet translatif de propriété ; que l'absence de signature d'un acte authentique procédant au transfert préalablement ou parallèlement à la décision de classement a pour seule conséquence de priver de portée cette dernière ; qu'en se fondant sur l'absence de transfert préalable de propriété pour considérer que la délibération du 14 septembre 2004 avait nécessairement pour fondement légal l'article L. 318-3 du code de l'urbanisme, en dépit de tout visa de ce texte, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à écarter l'application de l'article L. 141-3 du code de la voirie routière, en violation des dispositions de cet article. »

Réponse de la Cour

16. Selon l'article L. 318-3 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable au litige :

« La propriété des voies privées ouvertes à la circulation publique dans des ensembles d'habitations peut, après enquête publique, être transférée d'office sans indemnité dans le domaine public de la commune sur le territoire de laquelle ces voies sont situées.

La décision de l'autorité administrative portant transfert vaut classement dans le domaine public et éteint, par elle-même et à sa date, tous droits réels et personnels existant sur les biens transférés.

Cette décision est prise par délibération du conseil municipal. Si un propriétaire intéressé a fait connaître son opposition, cette décision est prise par arrêté du représentant de l'Etat dans le département, à la demande de la commune (...) ».

17. L'article L. 141-3 du code de la voirie routière, dans sa rédaction applicable au litige, prévoit que le classement et le déclassement des voies communales sont prononcés par le conseil municipal dont les délibérations interviennent après enquête publique, sauf dans les cas qu'il énonce.

18. La cour d'appel a exactement retenu que l'application des dispositions de l'article L. 318-3 du code de l'urbanisme, qui prévoient un transfert de propriété entre les particuliers et la commune, suppose que les voies en cause appartenaient préalablement à des personnes privées, alors que l'application des dispositions de l'article L. 141-3 du code de la voirie routière, qui emporte classement ou déclassement des voies communales dans le domaine public, suppose l'existence d'une voie appartenant d'ores et déjà à la commune, une voie propriété privée ne pouvant pas être classée dans le domaine public sans un transfert préalable de la propriété, de sorte que seules les dispositions du premier de ces textes sont susceptibles d'opérer un transfert de propriété.

19. Elle a constaté qu'avant la délibération du 14 septembre 2004, il était constant que la voirie et le réseau du lotissement appartenaient à l'ASL et ne constituaient pas une voie communale, à classer ou déclasser.

20. Ayant relevé que la délibération du 20 mai 2003 autorisant l'enquête publique mentionnait « le transfert » de la voirie et des réseaux dans le domaine public, sans que le visa des dispositions des articles L. 41-3 et R. 41-4 du code de la voirie routière ne modifiât la nature de l'opération projetée, et que les termes de la délibération votée le 14 septembre 2004 consistaient à « transférer la voie et les réseaux au sein du domaine public communal », la cour d'appel a pu en déduire, sans modifier l'objet du litige et abstraction faite des motifs erronés mais surabondants critiqués par les deux premières branches, que la délibération avait pour objet le transfert de propriété des voies et réseaux du lotissement entre l'ASL, personne morale de droit privé, et la commune.

21. Ayant ainsi constaté que le transfert de propriété avait été voté, après enquête publique et sans opposition de l'ASL ou des propriétaires intéressés, par une délibération du conseil municipal qui présentait un caractère exécutoire, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, en a exactement déduit que ce transfert était acquis en application de l'article L. 318-3 du code de l'urbanisme.

22. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Jacques - Avocat général : M. Brun - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article 2227 du code civil.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 12 novembre 2020, pourvoi n° 19-23.160, Bull., (rejet).

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