Numéro 1 - Janvier 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2023

MESURES D'INSTRUCTION

2e Civ., 12 janvier 2023, n° 20-22.103, (B), FS

Rejet

Expertise – Provision – Consignation – Alsace-Moselle – Rémunération

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 24 septembre 2020), M. [N], qui avait été désigné en qualité d'expert judiciaire dans un litige opposant les sociétés Axdis et Aunilec, a formé un recours à l'encontre d'une ordonnance de taxe ayant fixé sa rémunération au montant des sommes consignées, déduction faite des avances qui lui avaient été versées.

2. M. [N] a formé un pourvoi à l'encontre de l'arrêt ayant rejeté son recours.

3. Le président de la compagnie des experts de justice près la cour d'appel de Colmar, le président de la compagnie des experts de justice près la cour d'appel de Metz et le secrétaire général de l'Institut de droit local alsacien-mosellan ont, en application des articles L. 431-3-1 du code de l'organisation judiciaire et 1015-2 du code de procédure civile, déposé chacun une note écrite et été entendus à l'audience publique du 6 octobre 2022.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. M. [N] fait grief à l'arrêt de rejeter son recours formé contre l'ordonnance de taxe rendue le 19 juillet 2018 et de confirmer cette ordonnance lui allouant, au vu notamment du montant total de 31 300 euros consigné et des deux avances pour un montant de 10 000 euros qui lui avaient été versées, un montant forfaitaire de 21 300 euros, alors :

« 1°/ qu'en droit local alsacien-mosellan, la rémunération de l'expert est déterminée au regard de la perte de temps, de la difficulté de l'affaire, de la situation professionnelle de l'expert, outre des frais dépensés en vue de la confection de l'expertise et de la valeur des objets et des outils usés à cette occasion, peu important le montant des sommes consignées ; qu'en allouant à M. [N] un montant forfaitaire de 21 300 euros, compte tenu de la somme totale de 31 300 euros consignée et des deux avances pour un montant de 10 000 euros qui lui avaient été versées, sans déterminer le montant de sa rémunération au regard des diligences accomplies, du temps passé, de la difficulté de l'affaire, de la situation professionnelle de l'expert, et des frais exposés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de la loi n° 1257 du 30 juin 1878 relative aux indemnités accordées aux témoins et experts ;

2°/ qu'en droit local alsacien-mosellan, la rémunération de l'expert qui doit être déterminée au regard de la perte de temps, de la difficulté de l'affaire, de la situation professionnelle de l'expert, et des frais engagés, n'est pas limitée au montant des sommes consignées, le juge taxateur pouvant délivrer à l'expert un titre exécutoire pour recouvrer le solde de sa rémunération non couvert par la consignation ; qu'en jugeant au contraire qu'en droit local, la rémunération de l'expert était limitée à la somme consignée, dès lors qu'elle n'aurait pas le pouvoir de condamner une des parties à la procédure à payer à l'expert judiciaire le solde de sa rémunération non couvert par la consignation, pour réduire la rémunération de M. [N] à la somme consignée de 31 300 euros, la cour d'appel a violé, par fausse application, les dispositions de la loi n° 1257 du 30 juin 1878 relative aux indemnités accordées aux témoins et experts, l'article 32 du décret n° 76-899 du 29 septembre 1976 relatif à l'application du nouveau code de procédure civile dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, les articles 7 et 106 de la loi d'Alsace Lorraine sur les frais de justice du 6 décembre 1899, et les articles 79 et 84 de la loi d'Empire sur les frais de justice du 18 juin 1878. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. La société Aunilec conteste la recevabilité du moyen en invoquant sa nouveauté.

6. Cependant, si, aux termes de ses conclusions d'appel, M. [N] n'invoquait pas les dispositions de l'article 3 de la loi du 30 juin 1878 relative aux indemnités accordées aux témoins et experts et précisant les critères de rémunérations de l'expert, celui-ci faisait néanmoins valoir qu'aucun élément ne semble limiter la rémunération de l'expert au montant des sommes consignées et que si seul le montant des sommes consignées peut naturellement être versé par la régie du tribunal à sa connaissance, la réglementation applicable n'interdit pas au juge en charge de la rémunération du technicien de fixer le montant de sa rémunération à une somme supérieure.

7. Le moyen est, dès lors, recevable.

Bien-fondé du moyen

8. Aux termes de l'article 30 du décret n° 76-899 du 29 septembre 1976 relatif à l'application du nouveau code de procédure civile dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, les indemnités, frais et honoraires alloués aux témoins et aux experts demeurent régis par les dispositions du droit local.

9. En application de l'article 32 du même décret, lorsque le juge ordonne une enquête ou des mesures d'instruction exécutées par un technicien, ou toute autre mesure ayant pour but une opération entraînant des déboursés effectifs, fixe le montant de l'avance à consigner et désigne la ou les parties qui seront tenues de verser cette avance.

10. L'article 79, 4°, de la loi d'Empire sur les frais de justice du 18 juin 1878 énonce, dans ses dispositions maintenues en vigueur par l'article 1er du décret n° 78-63 du 20 janvier 1978, qu'il sera perçu à titre de déboursés effectifs les droits à payer aux témoins et aux experts.

11. L'article 84 de cette loi dispose, dans sa rédaction issue du décret précité du 20 janvier 1978, que le demandeur devra, pour toute demande ayant pour but une opération entraînant des déboursés effectifs, verser une avance suffisante pour couvrir ces déboursés.

12. Selon l'article 4, a, de la loi du 30 juin 1878 relative aux indemnités accordées aux témoins et experts, lorsque dans des instances civiles et commerciales les parties se sont déclarées d'accord devant le tribunal pour payer une somme déterminée pour les travaux de l'expert, cette indemnité sera allouée, à condition qu'une caution suffisante aura été déposée au Trésor public.

13. L'article 17 de cette loi énonce notamment que les indemnités à allouer à un témoin ou à un expert seront fixées par ordonnance du tribunal, si, soit le témoin ou l'expert, soit le Trésor public, en demandent la fixation ou si le tribunal le juge convenable.

La taxe pourra être rectifiée d'office lorsqu'après avoir été payés par le Trésor public, les montants n'auront pas été remboursés.

14. Il résulte de la combinaison de ces textes que la rémunération de l'expert, fixée par le tribunal en application de l'article 17 de la loi du 30 juin 1878, ne peut être supérieure au montant total des sommes consignées par les parties.

15. Ayant retenu que la rémunération de l'expert prévue par les textes applicables en Alsace-Moselle repose sur la consignation préalable des montants dus à celui-ci et qu'il n'existe, en l'absence de disposition spécifique, aucune possibilité pour la juridiction saisie de condamner l'une des parties à verser une quelconque somme à l'expert, celui-ci ne pouvant se faire payer que par les comptables des impôts, en leur qualité de préposés de la Caisse des dépôts et consignations, sur les sommes consignées, la cour d'appel en a exactement déduit que, compte tenu des sommes consignées à hauteur de 31 300 euros, le montant total de la rémunération due à l'expert ne pouvait dépasser ce montant.

16. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Cardini - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Delamarre et Jehannin -

Textes visés :

Articles 30 et 32 du décret n° 76-899 du 29 septembre 1976 ; articles 79, 4°, et 84 de la loi d'Empire sur les frais de justice du 18 juin 1878 ; articles 4, a, et 17 de la loi du 30 juin 1878 relative aux indemnités accordées aux témoins et experts, applicables dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle.

2e Civ., 19 janvier 2023, n° 21-21.265, (B), FS

Cassation partielle

Sauvegarde de la preuve avant tout procès – Motif légitime – Définition – Exclusion – Bien-fondé de l'action

Il résulte de l'article 145 du code de procédure civile que pour apprécier l'existence d'un motif légitime pour une partie de conserver ou d'établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, il n'appartient pas à la juridiction des référés de trancher les conditions de mise en oeuvre de l'action que cette partie pourrait ultérieurement engager.

Encourt dès lors la cassation l'arrêt qui, après avoir constaté qu'avant son décès, résultant d'un acte de terrorisme, la victime pouvait apporter à son épouse une assistance pour pallier sa perte d'autonomie résultant d'un accident du travail antérieur, rejette la demande de sa veuve de désignation d'un expert pour apprécier son besoin d'assistance en aide humaine, au motif inopérant qu'elle ne démontre pas que le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions pourrait être amené à indemniser ses besoins d'assistance, alors que le préjudice résultant de la perte, pour la victime par ricochet, de l'assistance que lui apportait la victime directe d'un acte de terrorisme constitue un préjudice indemnisable selon les règles du droit commun.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 juin 2021) et les productions, [C] [G] est décédé lors de l'attentat terroriste commis le 13 novembre 2015 au Stade de France.

2. Après avoir reçu du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI), à titre provisionnel, une certaine somme, Mme [G], veuve de [C] [G], a contesté l'offre d'indemnisation qu'il lui avait présentée. Un expert psychiatre, désigné par le FGTI, a constaté l'existence chez elle d'un état antérieur de lombalgies et scapulalgies, sans incidence sur le deuil traumatique qu'elle présentait, et a conclu, notamment, qu'elle n'avait pas besoin de l'assistance d'une tierce personne.

3. Mme [G], qui invoquait la perte de l'assistance que lui apportait son mari en raison des pathologies dont elle souffre, a assigné le FGTI devant un juge des référés afin d'obtenir, d'une part, l'instauration d'une mesure d'expertise confiée à un spécialiste en médecine physique et de réadaptation, d'autre part, le versement d'une provision complémentaire.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches, et sur le second moyen, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

5. Mme [G] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'expertise médicale somatique, alors :

« 3°/ que la perte pour une victime par ricochet de l'assistance que lui procurait un proche décédé lors d'un attentat terroriste constitue un préjudice indemnisable distinct du préjudice lié à l'assistance par une tierce personne indemnisant la perte d'autonomie de la victime à la suite de l'attentat ; qu'en retenant, pour rejeter la demande d'expertise somatique de Mme [G] visant à faire établir qu'elle avait subi un préjudice du fait de la perte de l'assistance humaine que lui procurait son mari avant son décès lors de l'attentat, que « le poste de préjudice lié à l'assistance d'une tierce personne indemnise en outre la perte d'autonomie de la personne à la suite du fait dommageable, de sorte qu'une éventuelle indemnisation pour les besoins en tierce personne de Mme [G] par le fonds de garantie ne pourrait être en relation qu'avec un déficit fonctionnel subi du fait du caractère pathologique du deuil, ce que ne pourrait établir l'expertise somatique réclamée », cependant que le préjudice subi par la victime par ricochet constitué par la perte de l'assistance que lui procurait un proche décédé lors d'un attentat terroriste est distinct du poste de préjudice lié à l'assistance par une tierce personne indemnisant la perte d'autonomie de la victime à la suite de l'attentat, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et a violé le principe de réparation intégrale et l'article 145 du code de procédure civile ;

4°/ s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que « la perte d'autonomie de Mme [G] est (...) antérieure au décès de son époux et en lien avec un accident de travail préalable ; que la circonstance que [C] [G] pouvait lui apporter une aide et une assistance peut être en lien avec un préjudice patrimonial personnel de l'appelante ou la perte de chance de bénéficier d'une assistance viagère » ; que dès lors, en jugeant, pour rejeter la demande d'expertise somatique de Mme [G], que celle-ci ne démontre pas que le fonds pourrait être amené à indemniser ses besoins d'assistance et que le motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile d'une expertise somatique n'est pas caractérisé, cependant qu'il ressortait de ses propres constatations que le décès de [C] [G], qui apportait une aide et une assistance quotidienne à son épouse, pouvait lui avoir causé un préjudice patrimonial personnel ou une perte de chance de bénéficier d'une assistance viagère de son conjoint, ce dont il résultait que la réparation de ces préjudices par le FGTI imposait que soient établis par une expertise ses besoins d'assistance et constituait donc un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile justifiant l'expertise somatique demandée, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 145 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 145 du code de procédure civile :

6. Il résulte de ce texte que, pour apprécier l'existence d'un motif légitime, pour une partie, de conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, il n'appartient pas à la juridiction des référés de trancher le débat de fond sur les conditions de mise en oeuvre de l'action que cette partie pourrait ultérieurement engager.

7. Pour rejeter la demande de Mme [G] de désignation d'un nouvel expert afin d'apprécier son besoin d'assistance en aide humaine, avant et après l'attentat, du fait de ses lombalgies et scapulalgies, l'arrêt retient qu'une éventuelle indemnisation par le FGTI de ce besoin ne pourrait être en relation qu'avec un déficit fonctionnel subi du fait du caractère pathologique du deuil éprouvé, ce que ne pourrait établir l'expertise somatique sollicitée.

8. Il constate, ensuite, que la perte d'autonomie de Mme [G] résulte d'un accident du travail antérieur au décès de son époux et énonce que la circonstance que celui-ci pouvait lui apporter une assistance peut s'analyser en un préjudice patrimonial personnel de Mme [G] ou en une perte de chance de bénéficier d'une assistance viagère, mais non en un besoin en aide humaine en lien avec l'acte de terrorisme.

9. Il en conclut que Mme [G], sur laquelle repose la charge de la preuve, ne démontre pas que le FGTI pourrait être amené à indemniser ses besoins d'assistance et en déduit que le motif légitime exigé par l'article 145 du code de procédure civile n'est pas caractérisé.

10. En statuant ainsi, alors que le préjudice résultant de la perte, pour la victime par ricochet de l'assistance que lui apportait la victime directe d'un acte de terrorisme constitue un préjudice indemnisable selon les règles du droit commun, la cour d'appel, dont les constatations mettaient en évidence l'existence d'un litige potentiel entre Mme [G] et le FGTI, a statué par des motifs inopérants et violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande d'expertise médicale somatique présentée par Mme [G], l'arrêt rendu le 17 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Martin - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Marlange et de La Burgade ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 145 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 6 novembre 2008, pourvoi n° 07-17.398, Bull. 2008, II, n° 234 (rejet).

Com., 18 janvier 2023, n° 22-19.539, (B), FRH

Rejet

Sauvegarde de la preuve avant tout procès – Motif légitime – Exclusion – Cas – Action manifestement vouée à l'échec

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 juin 2022), à la suite de négociations engagées entre la société Crédit mutuel Arkea (le CMA) et la société NBB Lease, dirigée par MM. [L] et [V], cette dernière s'est engagée, par une promesse unilatérale d'achat du 6 novembre 2018, à acquérir au prix de 70 millions d'euros l'intégralité des actions de la société Leasecom détenues par le CMA.

Le 21 mars 2019, la société Fintake Group, se substituant à sa filiale, la société NBB Lease, et le CMA ont conclu un contrat de cession au même prix.

2. Soutenant avoir découvert, postérieurement à la cession, que le budget 2018 transmis lors des pourparlers avait été sciemment surestimé par rapport à celui en vigueur en mars 2018, la société Fintake Group a, le 9 mars 2021, déposé une requête aux fins d'obtenir des mesures d'investigation sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.

3. La requête a été accueillie le 15 mars 2021 et les mesures d'instruction ont été diligentées le 26 mars 2021.

4. Le CMA a assigné la société Fintake Group en rétractation.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

6. La société Fintake Group fait grief à l'arrêt de rétracter l'ordonnance du 15 mars 2021, alors :

« 1°/ que le juge de la mesure in futurum ordonne celle-ci dès lors qu'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige ; que le juge de la mesure in futurum, comme le juge de la rétractation, ne peut retenir l'absence de motif légitime, faisant échec à la mesure demandée, qu'en présence d'une demande qui est soit manifestement irrecevable soit vouée à un échec certain au point d'apparaître comme téméraire ; qu'il n'entre en revanche pas dans l'office du juge de l'expertise in futurum d'apprécier le caractère fondé, ou non, du procès envisagé, au point de procéder à une analyse des pièces d'ores et déjà en possession du demandeur et de les confronter à une norme juridique précise mobilisée dans le cadre d'une argumentation d'ores et déjà figée ; qu'au cas présent, tout en affirmant qu'elle devrait se cantonner à l'appréciation de « l'existence d'un procès en germe possible et non manifestement voué à l'échec [...] sans qu'il revienne au juge des référés de se prononcer sur le fond », et en indiquant apprécier la « plausibilité du litige éventuel », la cour d'appel a « recherch[é] si les allégations de manoeuvres dolosives [...] sont ou non vraisemblables », pour finalement retenir, après un examen approfondi des « pièces produites », qu'il « n'apparaît pas » que la société Fintake Group, demanderesse à la mesure in futurum, « a pu être trompée » et que « les documents financiers internes à la société Leasecom ainsi que les échanges intervenus entre son contrôleur de gestion et son directeur commercial et les dirigeants de la société CMA ne constituent pas des indices suffisants pour justifier l'existence d'un dol » ; que la cour retient encore que le rejet de l'action envisagée par la société Fintake Group serait d'ores et déjà assuré dans la mesure où « la société Fintake Group ne démontre pas l'incidence qu'auraient pu avoir les données du budget 2018 sur la valeur de la société Leasecom » ; qu'en déduisant le caractère, selon elle, « manifestement voué à l'échec » de l'action envisagée d'une analyse approfondie d'un litige qui n'était pourtant que potentiel à ce stade, la cour d'appel, qui a méconnu la circonstance que le demandeur d'une mesure in futurum n'a pas à établir d'emblée le bien-fondé de l'action projetée, a violé l'article 145 du code de procédure civile et méconnu l'office du juge de la mesure in futurum ainsi que du juge de la rétractation ;

2° que le juge de la rétractation d'une mesure in futurum ne peut retenir l'absence de motif légitime en présence d'une situation litigieuse établie et d'une demande non manifestement vouée à l'échec ; qu'il n'entre pas dans son office, une fois cette plausibilité de la demande constatée, d'apprécier par avance tous les moyens de défense qui pourraient, in fine, conduire au rejet par le juge du fond de ladite demande ; qu'au cas présent, la cour d'appel a relevé elle-même qu'il n'était « pas contesté » qu'une pièce déterminante pour la fixation du prix de la société cédée (son budget 2018) avait été « découverte » par hasard par la société acquéreur et qu'elle avait été remplacée par un « business plan 2018 » dont la société cédante savait qu'il ne correspondait pas à ce qui serait réalisé en 2018, et pas même à ce qu'il était demandé aux équipes de la société cédée de réaliser en 2018 (autrement dit à son budget) ; que la cour d'appel a néanmoins écarté ce dol apparent, ayant consisté à substituer au budget 2018 demandé aux équipes de Leasecom un business plan 2018 qui ne correspondait à rien, au motif que « au regard de l'accès à une information exhaustive, portant sur l'ensemble des données sociales, fiscales, juridiques, comptables et financières de la société acquise, de l'analyse de celles-ci tant par les dirigeants de la société NBB Lease, particulièrement avertis, que par les experts qu'ils s'étaient adjoints, et de l'exclusion de garantie portant sur les projections financières, l'action que l'appelante pourrait engager à l'encontre de la société Crédit mutuel Arkea au titre d'un prétendu dol apparaît manifestement vouée à l'échec » ; qu'en statuant ainsi, cependant que la cour avait pour seule mission de vérifier si ne préparait pas un procès téméraire l'allégation de l'exposante selon laquelle une recherche des emails internes échangés entre Leasecom et sa société mère, Crédit mutuel Arkea, la cédante, aurait fait apparaître que la substitution du business plan 2018 au budget 2018, dans la data room, caractérisait une manoeuvre dolosive, la cour d'appel, qui a excédé son office, a violé l'article 145 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. L'arrêt relève qu'il n'est pas contesté que le budget 2018 litigieux, découvert le 5 mars 2018 par la société NBB Lease, dont MM. [L] et [V] sont les dirigeants, faisait état de chiffres différents de ceux mentionnés sur la plate-forme électronique mais identiques au plan budgétaire validé au sein de la société Leasecom et que par courriel du même jour, M. [L] a fait part de ses interrogations « susceptibles pour lui et M. [V] de sérieusement compromettre leur intérêt pour la transaction ». Il retient que, cependant, la société Fintake Group n'a pu être trompée par le CMA, au cours de la période précontractuelle qui a duré plus de dix-huit mois pendant lesquels la société NBB Lease, dont elle a repris les engagements, a eu accès à l'ensemble des éléments notamment financiers et comptables de la société Leasecom.

L'arrêt ajoute que, deux mois avant la cession des titres, M. [V] a adressé au CMA un courriel démontrant de façon évidente que, préalablement à la cession de la société Leasecom, la société Fintake Group avait une parfaite connaissance des résultats de l'exercice 2018.

8. En l'état de ces énonciations, constations et appréciations, dont il résulte que les dirigeants particulièrement avertis de la société NBB Lease et leurs experts avaient eu accès à une information exhaustive portant sur l'ensemble des données sociales, fiscales, juridiques, comptables et financières de la société acquise, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel, qui n'a pas fait peser sur la société Fintake Group l'obligation d'établir le bien fondé de son action, a jugé que l'action que cette société pourrait engager à l'encontre du CMA, au titre d'un prétendu dol, apparaissait manifestement vouée à l'échec, caractérisant, par ces seuls motifs, l'absence de motif légitime justifiant la mesure d'instruction demandée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.

9. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Guillou - Avocat(s) : SAS Hannotin Avocats ; SCP Bénabent -

Textes visés :

Article 145 du code de procédure civile.

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