Numéro 1 - Janvier 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2023

FONCTIONNAIRES ET AGENTS PUBLICS

1re Civ., 18 janvier 2023, n° 21-13.369, (B), FRH

Cassation partielle sans renvoi

Responsabilité – Faute – Faute détachable des fonctions – Définition – Faute personnelle – Caractérisation

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 13 janvier 2021), en octobre et novembre 2015, Mme [L] a consulté M. [Y], stomatologue, exerçant son activité en secteur public du centre hospitalier [3] (le centre hospitalier), pour un abcès dentaire, qui avait été antérieurement pris en charge par M. [G], chirurgien-dentiste exerçant son activité à titre libéral. Elle a présenté une cellulite diffusée qui a nécessité en urgence le 7 novembre 2015 un drainage de l'abcès avec une trachéotomie et un séjour en service de réanimation jusqu'au 12 novembre 2015.

2. Le 30 avril 2019, après avoir obtenu en référé la désignation d'un expert médical, Mme [L] a assigné en responsabilité et indemnisation devant la juridiction judiciaire MM. [Y] et [G], ainsi que le centre hospitalier en soutenant que les complications subies étaient liées à des fautes dans sa prise en charge.

3. M. [Y] et le centre hospitalier ont soulevé une exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative.

4. Par ordonnance du 10 septembre 2020, un juge de la mise en état s'est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes dirigées contre le centre hospitalier et a rejeté l'exception d'incompétence s'agissant des demandes dirigées contre M. [Y].

5. Ce dernier et le centre hospitalier ont formé appel. Mme [L] a, par voie de conclusions, sollicité l'infirmation partielle de l'ordonnance en ce qu'elle avait rejeté l'exception d'incompétence s'agissant des demandes dirigées contre le centre hospitalier. Celui-ci, ainsi que M. [Y], ont opposé l'irrecevabilité de cet appel incident.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a délibéré sur ce moyen, sur l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats à l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme [G], greffier de chambre.

Enoncé du moyen

6. M. [Y] et le centre hospitalier font grief à l'arrêt de déclarer Mme [L] recevable en son appel incident, alors « que le recours contre un jugement qui s'est prononcé sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, peut seulement s'exercer par un appel formé par voie de déclaration dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement ; qu'en l'espèce, en déclarant recevable l'appel incident formé par Mme [I] [L], par voie de conclusions, au-delà du délai de quinze jours ayant couru à compter de la notification de l'ordonnance du 10 septembre 2020 par laquelle le juge de la mise en état s'était déclaré incompétent pour statuer sur la responsabilité du centre hospitalier de [3] et avait rejeté l'exception d'incompétence invoquée relativement à la mise en cause de la responsabilité de M. [Y], sans statuer sur le fond du litige, en ce que l'article 550 du code de procédure civile dispose que, sous réserve des articles 905-2, 909 et 910, l'appel incident peut être formé en tout état de cause alors même que celui qui l'interjetterait serait forclos pour agir à titre principal, la cour d'appel a violé les articles 83, 84 et 85 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. Selon l'article 84 du code de procédure civile, le délai d'appel est de quinze jours à compter de la notification du jugement.

Le greffe procède à cette notification adressée aux parties par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Il notifie également le jugement à leur avocat, dans le cas d'une procédure avec représentation obligatoire.

En cas d'appel, l'appelant doit, à peine de caducité de la déclaration d'appel, saisir, dans le délai d'appel, le premier président en vue, selon le cas, d'être autorisé à assigner à jour fixe ou de bénéficier d'une fixation prioritaire de l'affaire.

8. Il résulte de l'article 85 du même code qu'outre les mentions prescrites selon le cas par les articles 901 ou 933, la déclaration d'appel précise qu'elle est dirigée contre un jugement statuant sur la compétence et doit, à peine d'irrecevabilité, être motivée, soit dans la déclaration elle-même, soit dans des conclusions jointes à cette déclaration. Nonobstant toute disposition contraire, l'appel est instruit et jugé comme en matière de procédure à jour fixe si les règles applicables à l'appel des décisions rendues par la juridiction dont émane le jugement frappé d'appel imposent la constitution d'avocat, ou, dans le cas contraire, comme il est dit à l'article 948.

9. L'article 550, alinéa 1, du code précité énonce que, sous réserve des articles 905-2, 909 et 910, l'appel incident ou l'appel provoqué peut être formé, en tout état de cause, alors même que celui qui l'interjetterait serait forclos pour agir à titre principal. Dans ce dernier cas, il ne sera toutefois pas reçu si l'appel principal n'est pas lui-même recevable ou s'il est caduc.

10. L'article 551 du même code prévoit que l'appel incident ou l'appel provoqué est formé de la même manière que le sont les demandes incidentes.

Selon l'article 68, alinéa 1, les demandes incidentes sont formées à l'encontre des parties à l'instance de la même manière que sont présentés les moyens de défense.

11. Il résulte des dispositions combinées des articles 550, 551 et 68, alinéa 1, qu'une partie peut faire appel incident en intimant l'appelant principal d'un jugement qui a statué exclusivement sur la compétence, par conclusions notifiées aux parties à l'instance contre lesquelles il est dirigé, sans être tenu au délai et aux formes prévus par les articles 84 et 85 du code précité propres à l'appelant principal.

12. Ayant relevé que Mme [L] avait formé appel incident par conclusions à l'encontre de M. [Y] et du centre hospitalier, c'est à bon droit que l'arrêt retient que M. [Y] et le centre hospitalier ne peuvent opposer à Mme [L] le fait qu'elle n'a pas formé son appel incident dans le délai de quinze jours prévu par l'article 84 du code de procédure civile.

13. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

14. M. [Y] et le centre hospitalier font grief à l'arrêt de rejeter l'exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative s'agissant des demandes dirigées contre M. [Y], alors « que la responsabilité personnelle d'un agent du service public n'est susceptible d'être engagée devant le juge judiciaire qu'en présence d'une faute détachable de ses fonctions ; que seul le manquement volontaire, c'est-à-dire commis avec une intention incompatible avec la finalité du service, et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel et déontologique, est constitutif d'une faute détachable des fonctions de l'agent public ; qu'en l'espèce, en énonçant, pour retenir la compétence du juge judiciaire, que les fautes relevées à l'encontre de M. [Y], dans le rapport d'expertise, étaient suffisamment graves pour caractériser une faute personnelle dépourvue de tout lien avec le service public, la cour d'appel a statué par un motif impropre à caractériser un manquement volontaire et inexcusable de sa part à des obligations d'ordre professionnel ou déontologiques et a violé la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III. »

Réponse de la Cour

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III :

15. Il résulte de ces textes qu'un agent public n'engage sa responsabilité personnelle devant la juridiction judiciaire que dans le cas d'une faute personnelle détachable du service, caractérisée par un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel et déontologique.

16. Pour écarter l'exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative, l'arrêt retient, en se fondant sur le rapport d'expertise, que M. [Y] n'a pas pris en charge Mme [L] conformément aux bonnes pratiques, qu'en dépit de l'examen pratiqué et des douleurs et malaises rapportés, il n'a ni proposé d'hospitalisation ni fait procéder à un scanner en urgence, que le traitement prescrit était inadapté et insuffisant au vu du tableau clinique et qu'il a ainsi laissé une cellulite évoluer vers une forme diffusée qui aurait pu engager le pronostic vital de Mme [L] et que ces manquements, ne constituant pas de simples retard, négligence ou désinvolture, caractérisent en raison de leur gravité une faute personnelle dépourvue de tout lien avec le service public.

17. En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser un manquement volontaire et inexcusable de M. [Y] à ses obligations professionnelles et déontologiques, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

18. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

19. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

20. Les manquements invoqués à l'encontre de M. [Y], dont le caractère volontaire n'est pas établi, ne caractérisent pas une faute personnelle détachable du service public.

21. Il y a donc lieu de renvoyer les parties à mieux se pourvoir.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du second moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette l'exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative pour statuer sur la responsabilité de M. [Y], l'arrêt rendu le 13 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi sur ce point ;

Déclare la juridiction judiciaire incompétente pour connaître des demandes dirigées contre M. [Y] ;

Renvoie, sur ce point, les parties à mieux se pourvoir.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Duval-Arnould (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Serrier - Avocat(s) : SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Articles 68, alinéa 1, 84, 85, 550 et 551 du code de procédure civile ; loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 6 janvier 2004, pourvoi n° 01-15.357, Bull. 2004, I, n° 7 (cassation), et l'arrêt cité.

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