Numéro 1 - Janvier 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2023

EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITE PUBLIQUE

3e Civ., 11 janvier 2023, n° 22-10.027, (B), FS

Rejet

Cession amiable – Cession postérieure à la déclaration d'utilité publique – Cession et concession temporaire d'immeubles expropriés – Régime – Application

Les dispositions des articles L. 21-1 et suivants du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, dans leur version applicable à la cause, relatives à la cession et à la concession temporaire des immeubles expropriés, s'appliquent aux cessions amiables consenties après une déclaration d'utilité publique.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 avril 2021), l'Etablissement public d'aménagement de [Localité 6] (l'EPAMARNE), s'est porté acquéreur en 1975 et 1976 de nombreuses parcelles situées dans la zone d'aménagement concerté Paris Est (la ZAC).

2. Par acte authentique du 25 juin 2014, l'EPAMARNE a vendu à M. et Mme [T] un terrain issu de la réunion de plusieurs de ces parcelles, sur lequel ils avaient édifié et exploité un restaurant, sans autorisation.

3. L'acte de vente comportait un cahier des charges, correspondant aux clauses-types prévus par le décret n° 55-216 du 3 février 1955 pour l'application des articles L. 21-1 et suivants du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, prévoyant notamment que la vente était consentie en vue de la démolition du bâtiment existant et de la construction d'un restaurant conforme à un permis de construire délivré aux acquéreurs le 18 octobre 2013, ces derniers ayant l'obligation de commencer les travaux au plus tard le 1er octobre 2014 et de les achever au plus tard le 1er octobre 2015.

4. Invoquant l'absence de réalisation des travaux prévus, l'EPAMARNE a assigné M. et Mme [T] en résolution de la vente.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches, et sur le second moyen, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. M. et Mme [T] font grief à l'arrêt de prononcer la résolution de la vente, alors « que le cahier des charges mentionné à l'article L. 21-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, dans sa version applicable à la cause, ne régit que les ventes faisant suite à une ordonnance d'expropriation et non les cessions amiables consenties après déclaration d'utilité publique ; qu'en énonçant pourtant, pour juger que l'insertion à l'acte de vente du 25 juin 2014 des clauses-types du décret de 1955 était valable, que les cessions amiables consenties après déclaration d'utilité publique avaient les mêmes effets qu'une ordonnance d'expropriation, la cour d'appel a violé les articles L. 12-2, L. 21-1 et L. 21-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, dans leur version applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

7. Selon les articles L. 21-1 et L. 21-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, dans leur version applicable à la cause, les immeubles expropriés en vue de la réalisation d'opérations dans les zones d'aménagement concerté (ZAC) peuvent être cédés de gré à gré ou concédés temporairement à des personnes de droit privé ou de droit public, sous condition que ces personnes les utilisent aux fins prescrites par le cahier des charges annexé à l'acte de cession ou de concession temporaire, un décret en Conseil d'Etat devant approuver les cahiers des charges types précisant les conditions selon lesquelles ces cessions et ces concessions temporaires seront consenties et résolues en cas d'inexécution des charges.

8. Ayant jugé, à bon droit, que ces dispositions étaient applicables aux immeubles ayant fait l'objet d'une cession amiable après déclaration d'utilité publique, la cour d'appel, après avoir relevé que la parcelle vendue à M. et Mme [T] était issue des parcelles originairement cadastrées B n°[Cadastre 2] et [Cadastre 3], situées dans le périmètre de la ZAC et acquises amiablement par l'EPAMARNE à la suite d'une déclaration d'utilité publique, en a exactement déduit qu'avait valablement été inséré dans l'acte de vente un cahier des charges comportant les clauses types prévues par le décret n° 55-216 du 3 février 1955.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Djikpa - Avocat général : M. Brun - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Articles L. 21-1 et suivants du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, dans leur version applicable à la cause.

3e Civ., 11 janvier 2023, n° 21-23.792, (B), FS

Cassation partielle sans renvoi

Indemnité – Préjudice – Réparation – Exclusion – Cas – Manquement à l'obligation de délivrance d'un logement décent

Lorsque l'expropriation porte sur une habitation principale ne répondant pas aux critères du logement décent que le bailleur est tenu de délivrer à son preneur, le propriétaire exproprié ne peut se prévaloir d'un droit juridiquement protégé à l'indemnisation de la perte de revenus locatifs.

Faits et procédure

1. L'arrêt attaqué (Paris, 2 septembre 2021) fixe les indemnités revenant à la société civile immobilière EDBE (la SCI) au titre de l'expropriation, au profit de la Société de Requalification des quartiers anciens (SOREQA), d'un lot de copropriété lui appartenant, divisé en deux chambres de service mises en location.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. La SOREQA fait grief à l'arrêt de fixer une indemnité pour perte de revenus locatifs au profit de la SCI, alors « que, seule donne lieu à une indemnisation par l'autorité expropriante la perte d'un intérêt ou d'un droit juridiquement protégé ; qu'à cet égard, le bailleur d'un logement non conforme aux règles de décences et de dignité ne peut prétendre au paiement d'un loyer de la part du preneur qui y fixe sa résidence principale ; qu'en l'espèce, il résulte de propres constatations des juges que le lot exproprié, scindé en deux surfaces de moins de 9 m², constituait des logements non conformes aux règles de l'habitat décent ; qu'en décidant néanmoins que la SCI EDBE pouvait prétendre à une indemnité pour perte de revenus locatifs, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article L. 321-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, ensemble l'article 1719 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 321-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique et 1719, 1°, du code civil :

3. Aux termes du premier de ces textes, les indemnités allouées couvrent l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation.

4. Le second dispose que le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent.

5. Pour allouer une indemnité pour perte de revenus locatifs à la SCI l'arrêt retient que, si seul donne lieu à réparation le préjudice reposant sur un droit juridiquement protégé au jour de l'expropriation, la SCI justifie du droit de propriété et de la conclusion de baux, même s'ils concernent des logements indécents au regard de la superficie inférieure à 9 m².

6. En statuant ainsi, après avoir constaté que les deux logements loués ne répondaient pas, au regard de leur superficie, aux critères du logement décent que le bailleur est tenu de délivrer à son preneur, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il s'évince que l'expropriée ne pouvait se prévaloir d'un droit juridiquement protégé dont la perte ouvrirait droit à indemnisation, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

7. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

8. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

9. La SCI ne pouvant prétendre à l'existence d'un droit juridiquement protégé au paiement des loyers, dont la perte serait susceptible d'être indemnisée, la demande formée à ce titre doit être rejetée.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il fixe au profit de la société civile immobilière EDBE une indemnité pour perte de revenus locatifs de 6 270 euros, portant l'indemnité totale due par la SOREQA à 106 446 euros, l'arrêt rendu le 2 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Rejette la demande de la société civile immobilière EDBE au titre de l'indemnité pour perte de revenus locatifs ;

Dit n'y avoir lieu de modifier les dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles prononcées par les juges du fond.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Djikpa - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article L. 321-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ; article 1719, 1°, du code civil.

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