Numéro 1 - Janvier 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2023

DONATION

1re Civ., 5 janvier 2023, n° 21-13.151, (B), FS

Cassation partielle

Rapport à la succession – Donation – Objet – Bien commun – Action en réduction – Prescription – Délai

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 19 janvier 2021), [E] [X] et [C] [Z], époux communs en biens, sont décédés respectivement les 6 octobre 2001 et 23 décembre 2013, en laissant pour leur succéder leurs enfants, [L], [G] et [I].

2. Des difficultés sont survenues lors du règlement des successions.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

3. MM. [L] et [G] [Z] font grief à l'arrêt de fixer à 273 094,10 euros le montant total des liquidités ou sommes d'argent perçues du vivant des défunts que Mme [I] [Z] doit rapporter aux successions confondues de ses parents, alors « que le rapport d'une somme d'argent qui a servi à acquérir un bien est dû de la valeur de ce bien, dans les conditions prévues à l'article 860 du code civil ; qu'en condamnant Mme [I] [Z] à rapporter aux successions confondues de ses parents la somme de 273 094,10 euros, celle-ci comprenant notamment la somme de 105 000 euros reçue en 2005/2006 pour « l'achat de son appartement [Adresse 3] », sans ordonner que le rapport soit calculé en fonction de la valeur du bien ainsi acquis, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 860-1 du code civil. »

Réponse de la Cour

4. Sous le couvert d'un grief non fondé de violation de la loi, le moyen dénonce, en réalité, une omission de statuer qui, pouvant être réparée par la procédure prévue à l'article 463 du code de procédure civile, ne donne pas ouverture à cassation.

5. Il est dès lors irrecevable.

Mais sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

6. Mme [I] [Z] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables son action en déclaration de simulation ainsi que l'intégralité de ses demandes subséquentes et de rejeter sa demande d'expertise aux fins de chiffrer ces gratifications ou avantages, alors « que la donation d'un bien commun, si elle porte atteinte à la réserve, est réductible à la quotité disponible, pour la moitié de sa valeur, lors de l'ouverture de la succession de chacun des époux codonateurs ; que l'action par laquelle un héritier réservataire fait valoir la simulation en vue de la réduction d'une telle donation se prescrit par trente ans ou cinq ans (en fonction de la date du décès) à compter de l'ouverture de chacune des deux successions ; que Mme [I] [Z] faisait valoir que le délai de prescription de son action en déclaration de simulation en vue de la réduction des donations déguisées consenties par ses parents à ses frères avait respectivement commencé à courir, s'agissant de sa mère, à la date du décès de celle-ci en 2001 et, en ce qui concernait son père, à la date du décès de celui-ci en 2013 ; qu'en considérant, pour déclarer irrecevable l'action de Mme [Z], que le délai de prescription avait commencé à courir à la date du décès de sa mère, premier donateur, le 6 octobre 2001, la cour d'appel a violé les articles 920, 921 et 1202 du code civil et l'article 2262 ancien du même code. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 920, 921, alinéa 2, 1438 et 1439 du code civil :

7. Selon le premier de ces textes, les libéralités, directes ou indirectes, qui portent atteinte à la réserve d'un ou plusieurs héritiers, sont réductibles à la quotité disponible lors de l'ouverture de la succession.

8. Il résulte des deux derniers que, sauf clause contraire, la donation de biens communs est réputée consentie à concurrence de moitié par chacun des époux, de sorte que sa réduction ne peut être demandée par leurs enfants communs qu'à due proportion, à l'ouverture de chacune des successions des co-donateurs.

9. Pour déclarer irrecevable l'action « en déclaration de simulation » intentée par Mme [I] [Z], l'arrêt retient que, les donations qu'elle a pour but de révéler portant sur des biens communs, sa prescription court du jour du décès du premier donateur, soit le 6 octobre 2001, date du décès de [E] [X], et après avoir relevé que le délai de trente ans applicable antérieurement était toujours en cours à la date d'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, soit le 19 juin de la même année, il en déduit, sur le fondement des dispositions transitoires de cette loi, que cette action, engagée par assignations des 25 avril et 2 mai 2016, soit plus de cinq ans après le 19 juin 2008, est prescrite.

10. En statuant ainsi, alors que, à concurrence de la moitié de la donation, Mme [Z] disposait d'un délai de cinq ans à compter du décès de son père, soit le 23 décembre 2013, pour engager une action en réduction relative à la succession de celui-ci, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables l'action en déclaration de simulation engagée par Mme [I] [Z] ainsi que l'intégralité de ses demandes subséquentes tendant notamment à la réunion à la masse successorale des gratifications ou avantages prétendument obtenus de leurs parents par M. [G] [Z] et M. [L] [Z], à l'occasion de la constitution de la SCI Berlioz et des opérations de toute nature (achats de parts sociales, augmentations de capital, fourniture de travail, de marchandises, de garanties hypothécaires, fonctionnement de comptes courants...) concernant la SARL Salsis et les sociétés venant aux droits de celle-ci, et rejette sa demande d'expertise aux fins de chiffrer les avantages et gratifications concernant les parts sociales de la société Salsis emballages et de la SCI Berlioz données à MM. [G] et [L] [Z], dans leur état au jour de la donation et leur valeur au jour du partage, l'arrêt rendu le 19 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Dard - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés ; SCP Bénabent -

Textes visés :

Articles 920, 921, alinéa 2, 1438 et 1439 du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 24 novembre 1987, pourvoi n° 86-10.635, Bull. 1987, I, n° 309 (rejet) ; 1re Civ., 17 avril 2019, pourvoi n° 18-16.577, Bull., (cassation partielle).

1re Civ., 5 janvier 2023, n° 21-13.966, (B), FS

Cassation partielle

Usufruit – Usufruit constitué à titre viager – Extinction – Décès du donateur – Applications diverses

Il résulte de la combinaison des articles 595, alinéa 1, et 617 du code civil qu'en cas de donation d'un usufruit déjà constitué à titre viager, l'usufruit s'éteint à la mort du donateur et non du donataire.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 7 janvier 2021), [F] [W] a consenti, le 19 octobre 1983, à Mmes [I], [L] et M. [E] [S], ses trois enfants, une donation portant sur la nue-propriété de ses droits sur deux immeubles dépendant de la communauté ayant existé avec [E] [S], son époux prédécédé, et, le 5 juillet 2013, à son fils [E], une donation portant sur l'usufruit de ces immeubles dont elle était titulaire, pour moitié, pour se l'être réservé à la suite de la première donation, et à concurrence de l'autre moitié, en qualité de donataire de la totalité de l'usufruit des biens dépendant de la succession de son époux.

2. [F] [W] est décédée le 13 juillet 2014, en laissant pour lui succéder ses trois enfants.

3. Des difficultés étant survenues au cours des opérations de partage des successions, Mmes [I] et [L] [S] ont assigné leur frère en partage de l'indivision successorale et en paiement d'une indemnité au titre de l'occupation des immeubles.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Mme [I] [S] fait grief à l'arrêt de dire que M. [E] [S], en sa qualité d'usufruitier des deux immeubles successoraux, n'est débiteur d'aucune indemnité d'occupation envers les successions de [E] [S] et [F] [W], et de rejeter en conséquence sa demande de fixation d'une indemnité d'occupation desdits immeubles, alors « que l'usufruit s'éteint par la mort de l'usufruitier ; qu'en cas de donation par l'usufruitier de son droit, l'usufruit s'éteint à la mort du donateur et non du donataire ; qu'il ressort de l'arrêt attaqué que [F] [W] était usufruitière de deux immeubles dépendant de la communauté conjugale formée avec feu [E] [S], d'une part, pour avoir opté au décès de ce dernier pour l'usufruit de l'universalité des biens de sa succession, d'autre part, pour avoir donné, par acte du 19 octobre 1983, la nue-propriété de ses droits sur ces deux immeubles à ses trois enfants ; que par acte du 5 juillet 2013, [F] [W] a ensuite fait donation de l'usufruit sur ces deux immeubles à son fils M. [E] [S] ; qu'il devait s'en déduire que [F] [W], qui n'avait pas pu transmettre plus de droits qu'elle n'en avait, avait fait donation de l'usufruit qui était constitué sur sa tête et qui avait vocation à s'éteindre à son décès et non à celui de M. [E] [S] ; qu'en jugeant au contraire que le décès de [F] [W] n'avait pas mis fin à l'usufruit qu'elle avait donné de son vivant à M. [E] [S], la cour d'appel a violé les articles 595 et 617 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 595, alinéa 1, et 617 du code civil :

5. Aux termes du premier de ces textes, l'usufruitier peut céder son droit à titre gratuit.

6. Selon le second, l'usufruit s'éteint notamment par la mort de l'usufruitier.

7. Il résulte de la combinaison de ces textes qu'en cas de donation d'un usufruit déjà constitué à titre viager, l'usufruit s'éteint à la mort du donateur et non du donataire.

8. Pour rejeter la demande d'indemnité d'occupation formée par Mmes [I] et [L] [S] à l'encontre de M. [E] [S], l'arrêt retient que l'usufruit donné le 5 juillet 2013 se serait éteint à la mort de [F] [W] si celle-ci n'en avait pas fait donation à son fils de son vivant et que, si les trois enfants étaient nus-propriétaires des immeubles, M. [E] [S] disposait de la totalité de l'usufruit.

9. En statuant ainsi, alors que l'usufruit viager donné, qui avait été constitué au bénéfice de [F] [W], s'était éteint à son décès, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que M. [E] [S], en sa qualité d'usufruitier des deux immeubles successoraux sis à [Localité 4] (34) cadastrés [Cadastre 1] et [Cadastre 2], n'est débiteur envers les successions de [E] [S] et [F] [W] d'aucune indemnité d'occupation et, en conséquence, déboute Mmes [I] et [L] [S] de leur demande de fixation d'une indemnité au titre de l'occupation desdits immeubles, l'arrêt rendu le 7 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Buat-Ménard - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP Marlange et de La Burgade ; Me Balat -

Textes visés :

Articles 595, alinéa 1, et 617 du code civil.

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