Numéro 1 - Janvier 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2023

CONVENTIONS INTERNATIONALES

Com., 11 janvier 2023, n° 21-18.683, (B), FS

Rejet

Accords et conventions divers – Convention de La Haye du 14 mars 1978 – Loi applicable aux contrats d'intermédiaires et à la représentation – Droit acquis à une jurisprudence figée (non)

La sécurité juridique ne consacre pas un droit acquis à une jurisprudence figée, l'évolution de la jurisprudence relevant de l'office du juge dans l'application du droit. Il en découle que lorsque les parties choisissent la loi française comme loi applicable à leur contrat en application de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux contrats d'intermédiaires et à la représentation, elles ne peuvent se prévaloir, en cas de litige postérieur, de la loi telle qu'interprétée à la date de conclusion du contrat.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 mai 2021), à partir de 2008, la société CLS Rémy Cointreau (la société Rémy Cointreau), qui a pour activité le commerce de vins et spiritueux, a conclu avec la société Select Wine Merchants (la société SWM), société de droit canadien ayant pour activité le référencement et la promotion de vins et spiritueux au Canada, des contrats intitulés « exclusive agency agreement », la désignant comme « agent » exclusif en vue de la commercialisation et de la promotion de ses produits au Canada.

Le dernier contrat a été conclu le 19 avril 2013, pour une durée de deux ans à compter du 1er juin 2013, renouvelable automatiquement pour des périodes de deux ans, sauf dénonciation adressée par lettre six mois avant l'échéance.

2. Le 26 novembre 2014, la société Rémy Cointreau a informé la société SWM qu'elle mettait un terme au contrat à son échéance, tout en l'informant de son souhait de négocier un nouvel accord.

3. Par lettre du 1er avril 2015, la société Rémy Cointreau a informé la société SWM qu'elle mettait fin à leurs relations le 1er juin 2015.

4. Prenant acte de cette rupture, la société SWM a sollicité le paiement de l'intégralité des commissions dues, d'une indemnité de rupture du contrat d'agent commercial ainsi que d'une indemnité compensatrice de son préjudice financier et moral.

5. La société Rémy Cointreau s'y étant opposée, déniant à la société SWM la qualité d'agent commercial, cette dernière l'a assignée en paiement de l'indemnité de résiliation, des commissions relatives aux ventes réalisées du 1er juin au 31 août 2015 et de dommages et intérêts.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses troisième, quatrième, cinquième, sixième, septième et huitième branches, le deuxième moyen, le troisième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, et le quatrième moyen, ci-après annexés

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

7. La société Rémy Cointreau fait grief à l'arrêt de dire que le contrat la liant à la société SWM, à l'exclusion des provinces de l'Alberta et de la Colombie Britannique, doit être qualifié d'agence commerciale pour la totalité de la durée des relations et, en conséquence, de la condamner à payer à la société SWM la somme de 2 851 955 euros à titre d'indemnité de rupture du contrat d'agence commerciale, avec intérêts, ainsi que la somme de 356 494 euros au titre des commissions résultant des ventes conclues dans les trois mois de la cessation du contrat d'agence commerciale, avec intérêts, alors :

« 1°/ que ne relève pas du champ d'application de la directive 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants, l'activité d'un représentant exercée sur un territoire situé en dehors de l'Union européenne ; qu'en retenant, pour dire que le contrat liant la société Rémy Cointreau et la société SWM, à l'exclusion des provinces de l'Alberta et de la Colombie Britannique, doit être qualifié d'agence commerciale, que l'article premier de la directive 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986 « dispose que l'agent commercial est celui qui, en tant qu'intermédiaire indépendant, est chargé de façon permanente, soit de négocier la vente ou l'achat de marchandises pour une autre personne, ci-après dénommée « commettant », soit de négocier et de conclure ces opérations au nom et pour le compte du commettant » et que « par un arrêt du 4 juin 2020 (CJUE, arrêt du 4 juin 2020, Trendsetteuse, C-828/18), la CJUE a dit pour droit que l'article 1, § 2, de la directive 86/653 doit être interprété en ce sens qu'une personne ne doit pas nécessairement disposer de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant pour être qualifiée d'agent commercial, au sens de cette disposition », de sorte qu'« il est indifférent à la qualification du contrat liant les sociétés CLS Rémy Cointreau et SWM que cette dernière n'ait pas eu de pouvoir de négociation des prix ou encore que les contrats de vente aient été conclus directement entre la société CLS Rémy Cointreau et chacune des commissions provinciales au Canada », quand les dispositions de la directive, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, n'étaient pas applicables à l'agent établi et exerçant son activité au Canada, la cour d'appel a violé, par fausse application, les dispositions de l'article 1 de la directive précitée ;

2°/ que le contrat est la loi des parties ; que la désignation par les parties, conformément aux dispositions de l'article 5 de la Convention de La Haye du 14 mars 1978, sur la loi applicable aux contrats d'intermédiaires et à la représentation, de la loi française pour régir le contrat de représentation qu'elles concluent, s'entend nécessairement de la loi telle qu'elle est appliquée et interprétée à la date de conclusion du contrat ; qu'en retenant, pour dire que le contrat liant la société Rémy Cointreau et la société SWM, à l'exclusion des provinces de l'Alberta et de la Colombie britannique, doit être qualifié d'agence commerciale, qu' « il est indifférent à la qualification du contrat liant les sociétés CLS Rémy Cointreau et SWM que cette dernière n'ait pas eu de pouvoir de négociation des prix ou encore que les contrats de vente aient été conclus directement entre la société CLS Rémy Cointreau et chacune des commissions provinciales au Canada », quand, à la date de conclusion du contrat et, en conséquence, du choix par les parties de la loi applicable au contrat, l'article L. 134-1 du code de commerce, tel qu'il était appliqué et interprété, subordonnait la qualification de contrat d'agence commerciale au pouvoir, confié à l'agent, de négocier les prix et les conditions du contrat, la cour d'appel a violé l'article L. 134-1 du code de commerce, ensemble et par refus d'application, l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable au litige. »

Réponse de la Cour

8. D'une part, l'arrêt relève que les différents contrats conclus entre la société Rémy Cointreau et la société SWM stipulent qu'ils sont soumis au droit français. Il énonce que, selon l'article L. 134-1 du code de commerce, l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux, que ce texte résulte de la loi n° 91-593 du 25 juin 1991 relative aux rapports entre les agents commerciaux et leurs mandants ayant transposé en droit français la directive 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants et que, par un arrêt du 4 juin 2020 (CJUE, arrêt du 4 juin 2020, Trendsetteuse, C-828/18), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 1, § 2, de cette directive « doit être interprété en ce sens qu'une personne ne doit pas nécessairement disposer de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant pour être qualifiée d'agent commercial, au sens de cette disposition ».

9. L'arrêt en déduit que doit être qualifié d'agent commercial, au sens de l'article L. 134-1 du code de commerce, le mandataire, personne physique ou morale qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux, quoiqu'il ne dispose pas du pouvoir de modifier les prix de ces produits ou services.

10. En l'état de ces constatations, énonciations et appréciations, la cour d'appel a exactement retenu que, pour qualifier les contrats conclus entre la société Rémy Cointreau et la société SWM, qui avaient entendu soumettre ceux-ci à la loi française en application de l'article 5 de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux contrats d'intermédiaires et à la représentation, il devait être fait application de l'article L. 134-1 du code de commerce, ainsi interprété, quand bien même l'agent commercial était établi et exerçait son activité en dehors du territoire de l'Union européenne.

11. Le moyen, pris en sa première branche, n'est donc pas fondé.

12. D'autre part, la sécurité juridique ne consacre pas un droit acquis à une jurisprudence figée, l'évolution de la jurisprudence relevant de l'office du juge dans l'application du droit. Il en découle que lorsque les parties choisissent la loi française comme loi applicable à leur contrat en application de la Convention précitée, elles ne peuvent se prévaloir, en cas de litige postérieur, de la loi telle qu'interprétée à la date de conclusion du contrat.

13. Le moyen qui, en sa deuxième branche, postule le contraire, n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

14. La société Rémy Cointreau fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société SWM la somme de 2 851 955 euros à titre d'indemnité de rupture du contrat d'agence commerciale, avec intérêts, alors « que la cour d'appel a retenu le droit du représentant à une indemnité de rupture sur le fondement de l'article L. 134-12 du code de commerce, à raison de sa qualité d'agent commercial ; que la cassation à intervenir sur le chef du dispositif de l'arrêt ayant dit que le contrat liant la société Rémy Cointreau et la société SWM, à l'exclusion des provinces de l'Alberta et de la Colombie britannique, doit être qualifié d'agence commerciale entraînera, par voie de conséquence, la censure de l'arrêt en ce qu'il a condamné la société Rémy Cointreau à payer à la société SWM la somme, en principal, de 2 851 955 euros à titre d'indemnité de rupture du contrat d'agence commerciale. »

Réponse de la Cour

15. Le premier moyen du pourvoi étant rejeté, le troisième moyen, pris en sa première branche, qui invoque une cassation par voie de conséquence, est devenu sans portée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Bellino - Avocat général : M. Debacq - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article L. 134-1 du code de commerce ; article 5 de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux contrats d'intermédiaires et à la représentation.

Rapprochement(s) :

Sur la qualification d'agent commercial, dans le même sens : Com., 2 décembre 2020, pourvoi n° 18-20.231, Bull., (cassation partielle). Sur l'absence de droit acquis à une jurispudence figée, à rapprocher : 1re Civ., 9 octobre 2001, pourvoi n° 00-14.564, Bull. 2001, I, n° 249 (cassation).

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