Numéro 1 - Janvier 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2023

CASSATION

2e Civ., 26 janvier 2023, n° 21-15.483, (B), FRH

Cassation partielle

Effets – Etendue de la cassation – Cassation partielle – Dispositions non atteintes par la cassation – Juridiction de renvoi – Pouvoirs – Limites

Se trouve légalement justifié l'arrêt d'une cour d'appel qui, statuant sur renvoi d'un arrêt cassé en ce qu'il avait rejeté la demande d'indemnisation d'une victime au titre de la perte de gains professionnels futurs et condamné solidairement la société d'assurance et le responsable à payer à la victime la somme lui revenant au titre de l'indemnisation de son préjudice global, retient que le poste de préjudice d'incidence professionnelle n'était pas affecté par la cassation.

Juridiction de renvoi – Pouvoirs – Dispositions non atteintes par la cassation

Effets – Etendue de la cassation – Cassation partielle – Dispositions non atteintes par la cassation – Autorité chose jugée (non) – Juridiction de renvoi – Pouvoirs – Limite – Moyen d'ordre public – Moyen de pur droit – Modalités d'imputation du recours des tiers payeurs

Encourt la cassation, au regard des articles 29 et 31 de la loi du n° 85-677 du 5 juillet 1985, L. 434-1, L. 434-2 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale, l'arrêt d'une cour d'appel, statuant sur renvoi, qui retient que l'évaluation du préjudice global de la victime, en ses dispositions non affectées par la cassation, est revêtue de l'autorité de la chose jugée de sorte que la demande relative aux modalités d'imputation de la créance de l'organisme social est irrecevable alors que les règles concernant les modalités d'imputation du recours des tiers payeurs sont d'ordre public et que la cour d'appel était saisie d'un moyen de pur droit tiré de l'obligation d'imputer la rente accident du travail sur les postes de préjudice de perte de gains professionnels futurs et d'incidence professionnelle.

Effets – Etendue de la cassation – Cassation partielle – Dispositions explicitement atteintes par la cassation – Juridiction de renvoi – Pouvoirs – Limites

Il résulte des articles 624, 625 et 638 du code de procédure civile que la cassation qui atteint un chef de dispositif n'en laisse rien subsister, quel que soit le moyen qui a déterminé la cassation. Dès lors, viole ces dispositions la cour d'appel qui, statuant sur renvoi, déclare irrecevable la demande de nouvelle fixation de la période de doublement des intérêts de retard, alors que le dispositif de l'arrêt de cassation incluait explicitement, parmi les chefs de l'arrêt annulé, la condamnation de la société d'assurance au paiement d'intérêts au double du taux légal sur une certaine somme et pour une période définie.

Juridiction de renvoi – Pouvoirs – Dispositions non atteintes par la cassation (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 10 novembre 2020), le 11 novembre 2011, alors qu'il circulait sur une moto à Anglet, M. [J] a été percuté par le véhicule conduit par Mme [G], assurée auprès de la société MAAF assurances (la MAAF).

2. Le 21 septembre 2012, M. [J] a assigné Mme [G] et la MAAF aux fins d'indemnisation de son préjudice et de paiement d'une provision.

3. Par arrêt du 20 octobre 2015, une cour d'appel, infirmant le jugement rendu en première instance, a reconnu la responsabilité entière de Mme [G] dans le préjudice subi par M. [J].

Le 29 novembre 2017, cette même cour d'appel a condamné solidairement la MAAF et Mme [G] à payer à M. [J] la somme totale de 134 222,15 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice, déduction faite de la provision déjà versée à hauteur de 15 000 euros, ainsi que le montant des frais d'expertise judiciaire exposés par lui à titre d'avance à hauteur de 1 000 euros, et a condamné la MAAF à payer à M. [J], à titre de pénalité, des intérêts équivalents au double du taux légal sur la somme de 134 222,15 euros à compter du 11 juillet 2012 et jusqu'au jour de l'arrêt devenu définitif.

4. Mme [G] et la MAAF ont formé un pourvoi à l'encontre cette décision et M. [J] a formé un pourvoi incident.

Par arrêt du 16 janvier 2020, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (2e Civ., 16 janvier 2020, pourvoi n° 18-23.924) a cassé l'arrêt rendu par la cour d'appel « mais seulement en ce qu'il rejette la demande d'indemnisation de M. [J] au titre de la perte de gains professionnels futurs, en conséquence, condamn[é] solidairement la MAAF et Mme [G] à payer à M. [J] la somme totale de 134 222,15 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice, déduction faite de la provision déjà versée à hauteur de 15 000 euros, et condamne en outre la MAAF à payer à M. [J], à titre de pénalité, des intérêts équivalents au double du taux légal sur la somme de 134 222,15 euros à compter du 11 juillet 2012 et jusqu'au jour de l'arrêt devenu définitif. »

5. Le 12 mars 2020, M. [J] a saisi la cour d'appel de renvoi.

6. Devant la cour d'appel de renvoi, Mme [G] et la MAAF ont sollicité la confirmation du jugement en ce qu'il avait débouté M. [J] de sa demande présentée au titre de la perte de gains professionnels actuels et la réformation de ce même jugement en ce qui concerne l'indemnisation de l'incidence professionnelle. Ils ont fait valoir que la créance de la caisse devait s'imputer sur le déficit fonctionnel permanent et sollicité que le doublement du taux des intérêts ne soit appliqué que sur la période du 11 juillet 2012 au 7 juillet 2017.

Examen des moyens

Sur le second moyen, pris en sa troisième branche en ce qu'il porte sur le poste de l'incidence professionnelle

Enoncé du moyen

7. Mme [G] et la MAAF font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables les demandes formées au titre de l'incidence professionnelle, alors « quel que soit le moyen qui a déterminé la cassation, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce et s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; que dans son arrêt du 16 janvier 2020, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, saisie du pourvoi n° B 18-23.924 formé par Mme [G] et la MAAF à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de Pau du 29 novembre 2017 a, sur le pourvoi incident de M. [J], cassé et annulé cet arrêt en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation de M. [J] au titre de la perte de gains professionnels futurs et en conséquence, en ce qu'il a condamné solidairement la MAAF et Mme [G] à payer à M. [J] la somme totale de 134 222,15 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice ; qu'en déclarant qu'en raison du rejet des demandes de M. [J] au titre de son préjudice de perte de gains professionnels futurs, l'évaluation de son préjudice global tel qu'arbitré par la cour d'appel de Pau en ses dispositions non affectées par la cassation demeurait inchangée, de sorte que les demandes de modification des autres chefs de préjudice et d'imputation de la créance de la CPAM se heurtaient à l'autorité de la chose jugée et devenaient irrecevables, cependant que la cassation de l'arrêt portait sur le montant total du préjudice, ce qui englobait tous les postes du préjudice de M. [J], y compris l'incidence professionnelle, la cour d'appel a violé l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. Le poste de préjudice au titre de l'incidence professionnelle n'étant pas affecté par la cassation prononcée, c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé que la demande formée à ce titre était irrecevable.

9. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le second moyen, pris en sa seconde branche en ce qu'il porte sur l'imputation de la créance de la caisse

Enoncé du moyen

10. Mme [G] et la MAAF font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables les demandes formées au titre de l'imputation de la créance de la caisse, alors « que la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent, s'il existe, ces règles d'imputation du recours des tiers payeurs étant d'ordre public ; que la cour d'appel a déclaré qu'en raison du rejet des demandes de M. [J] au titre de son préjudice de perte de gains professionnels futurs, l'évaluation de son préjudice global tel qu'arbitré par la cour d'appel de Pau en ses dispositions non affectées par la cassation demeurait inchangée, de sorte que les demandes de modification des autres chefs de préjudice et d'imputation de la créance de la CPAM se heurtaient à l'autorité de la chose jugée et devenaient irrecevables ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'elle était saisie par Mme [G] et la MAAF d'un moyen de pur droit tiré de l'obligation d'imputer la rente accident du travail versée par la CPAM à M. [J] sur les postes de préjudice concernés, la cour d'appel a violé les articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985 et L. 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985, L. 434-1, L. 434-2 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale :

11. Il résulte des deux derniers textes que le capital ou la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle indemnise les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité.

12. L'arrêt retient que l'évaluation du préjudice global de M. [J], telle qu'arbitrée par la cour d'appel de Pau en ses dispositions non affectées par la cassation, est couverte par l'autorité de chose jugée de sorte que la demande relative aux modalités d'imputation de la créance de la caisse est irrecevable.

13. En statuant ainsi, alors que les règles concernant les modalités d'imputation du recours des tiers payeurs sont d'ordre public, la cour d'appel, qui était saisie par la MAAF et Mme [G] d'un moyen de pur droit tiré de l'obligation d'imputer la rente accident du travail sur les postes de préjudice de perte de gains professionnels futurs et d'incidence professionnelle, a violé les textes susvisés.

Et sur le premier moyen

Enoncé du moyen

14. Mme [G] et la MAAF font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables leurs demandes formées au titre de la période de doublement des intérêts de retard, alors « que la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce et s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; que dans son arrêt du 16 janvier 2020, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, saisie du pourvoi n° B 18-23.924 formé par Mme [G] et la MAAF à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de Pau du 29 novembre 2017, a cassé et annulé cet arrêt notamment en ce qu'il a « condamn(é) en outre la société MAAF assurances à payer à M. [J] à titre de pénalité, des intérêts équivalents au double du taux légal sur la somme de 134 222,15 euros à compter du 11 juillet 2012 et jusqu'au jour de l'arrêt devenu définitif » ; que statuant sur renvoi après cassation, la cour d'appel a déclaré que la demande de nouvelle fixation de la période de doublement des intérêts de retard n'était pas recevable pour ne pas présenter de lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire avec les dispositions de l'arrêt de la cour d'appel de Pau susvisé puisque l'éventuelle modification de l'assiette globale du calcul de ces intérêts n'était pas de nature à entraîner la remise en cause de la période retenue pour le doublement des intérêts ; qu'en statuant ainsi cependant que le dispositif de l'arrêt de cassation incluait explicitement, parmi les chefs de l'arrêt annulé, la condamnation de la MAAF à titre de pénalité au paiement d'intérêts au double du taux légal sur la somme de 134 222,15 euros et sur la période du 11 juillet 2012 et jusqu'au jour de l'arrêt devenu définitif, la cour d'appel a violé les articles 623, 624, 625 et 638 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 623, 624, 625 et 638 du code de procédure civile :

15. Il résulte de ces textes que la cassation qui atteint un chef de dispositif n'en laisse rien subsister, quel que soit le moyen qui a déterminé la cassation.

16. Pour déclarer irrecevable la demande de nouvelle fixation de la période de doublement des intérêts de retard, l'arrêt retient qu'une telle demande ne peut être considérée comme ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire avec la dispositions de l'arrêt de la cour d'appel de Pau atteinte par la cassation, puisque l'éventuelle modification de l'assiette globale du calcul de ces intérêts n'est pas de nature à entraîner la remise en cause de la période retenue pour le doublement des intérêts.

17. En statuant ainsi, alors que le dispositif de l'arrêt de cassation incluait explicitement, parmi les chefs de l'arrêt annulés, la condamnation de la MAAF à titre de pénalité au paiement d'intérêts au double du taux légal sur la somme de 134 222,15 euros et sur la période du 11 juillet 2012 jusqu'au jour de l'arrêt devenu définitif, de sorte que la juridiction de renvoi était investie de la connaissance du chef du litige tranché par cette disposition, dans tous ses éléments de fait et de droit, y incluse la période durant laquelle la pénalité devait être appliquée, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevable la demande indemnitaire formée par Mme [G] et la société MAAF au titre de l'incidence professionnelle, l'arrêt rendu le 10 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Pradel - Avocat général : Mme Nicolétis - Avocat(s) : SARL Le Prado - Gilbert ; SARL Cabinet Rousseau et Tapie -

Textes visés :

Articles 29 et 31 de la loi du n° 85-677 du 5 juillet 1985 ; articles L. 434-1, L. 434-2 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale ; articles 624, 625 et 638 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 16 janvier 2020, pourvoi n° 18-23.924 (cassation partielle).

2e Civ., 12 janvier 2023, n° 21-18.762, (B), FRH

Cassation

Juridiction de renvoi – Pouvoirs – Connaissance de l'affaire dans l'état où elle se trouvait à la date de la décision cassée – Conclusions prises devant la juridiction dont émanait la décision cassée – Application du principe de concentration des moyens

Il résulte des articles 910-4 et 954, alinéa 3, du code de procédure civile qu'à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond et que la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Il résulte de l'article 1037-1 du même code que, lorsque la connaissance d'une affaire est renvoyée à une cour d'appel par la Cour de cassation, ce renvoi n'introduit pas une nouvelle instance, la cour d'appel de renvoi étant investie, dans les limites de la cassation intervenue, de l'entier litige, tel que dévolu à la juridiction dont la décision a été cassée, l'instruction étant reprise en l'état de la procédure non atteinte par la cassation.

Ainsi, la cassation de l'arrêt n'anéantit pas les actes et formalités de la procédure antérieure et la cour d'appel demeure saisie des conclusions remises à la cour d'appel initialement saisie.

Il s'ensuit que le principe de concentration des prétentions résultant de l'article 910-4 s'applique devant la cour d'appel de renvoi, non pas au regard des premières conclusions remises devant elle par l'appelant, mais en considération des premières conclusions de celui-ci devant la cour d'appel dont l'arrêt a été cassé.

Juridiction de renvoi – Saisine – Etendue – Disposition non atteinte par la cassation

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 23 avril 2021), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 8 janvier 2020, pourvoi n° 18-20.438) et les productions, M. [F], engagé par la société Daw France (la société) à compter du 2 janvier 2001 en qualité de directeur technique international grand public et de directeur technique de Caparol France au statut de cadre dirigeant, est parti à la retraite à effet au 1er janvier 2015.

2. Le 19 juin 2016, il a saisi la juridiction prud'homale aux fins de dire que son départ à la retraite, imputable à l'employeur, s'analysait en un licenciement nul et a réclamé le paiement de diverses sommes au titre de cette rupture du contrat de travail ainsi qu'au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence.

3. Par jugement du 6 décembre 2016, un conseil de prud'hommes a condamné la société à lui payer une certaine somme au titre de l'indemnité de départ à la retraite ainsi qu'à lui remettre les documents y afférents et l'a débouté de ses autres demandes.

4. Sur l'appel de M. [F], une cour d'appel a, par arrêt du 6 juin 2018, infirmé le jugement en toute ses dispositions et a condamné la société à lui payer diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité contractuelle, de dommages-intérêts pour licenciement nul ainsi qu'au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et des congés payés y afférents.

5. Par arrêt du 8 janvier 2020 (Soc., 8 janvier 2020, pourvoi n° 18-20.438), la Cour de cassation a cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il condamne la société Daw France à payer à M. [F] la somme de 244 810 euros au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et la somme de 24 481 euros au titre des congés payés afférents, l'arrêt rendu le 6 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens.

6. La cour d'appel saisie sur renvoi a déclaré la saisine recevable et, dans les limites de la cassation, a confirmé le jugement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

7. M. [F] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement rendu en formation de départage par le conseil des prud'hommes d'Amiens le 6 décembre 2016 section encadrement qui avait rejeté la demande relative à la condamnation de la société Daw France au paiement de la somme de 161 953,75 euros à titre de contrepartie financière de la clause de non-concurrence due au 31 mars 2016, et chaque mois à compter de cette date à la somme de 11 047,75 euros, outre les congés payés afférents soit la somme de 1 104,75 euros, alors que :

« 1°/ la cour d'appel de renvoi doit statuer sur les dernières conclusions déposées par les parties ; que si dans ses premières conclusions en date du 5 juin 2020, M. [F] avait sollicité voir : « Réformer le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [F] de sa demande de contrepartie financière à la clause de non-concurrence,

- Donner acte à Monsieur [F] de ce qu'il accepte que les appointements mensuels à prendre en compte correspondent à son salaire de base, soit, la somme mensuelle brute de 10 165 euros - En conséquence, dire que la contrepartie financière de la clause de non-concurrence qui lui est due, est d'un montant brut de 162 639,99 euros, outre les congés payés y afférents, soit 16 263,99 euros », il avait complété celles-ci par des conclusions n° 2, sur renvoi après cassation, notifiées par RPVA du 27 novembre 2020, et avait demandé à la cour de renvoi de : « Réformer le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [F] de sa demande de contrepartie financière à la clause de non-concurrence,

- Donner acte à Monsieur [F] de ce qu'il accepte que les appointements mensuels à prendre en compte correspondent à son salaire de base, soit, la somme mensuelle brute de 10 165 euros.

- En conséquence, dire que la contrepartie financière de la clause de non-concurrence qui lui est due, est d'un montant brut de 162 639,99 euros, outre les congés payés y afférents, soit 16 263,99 euros.

- Condamner par voie de conséquences la société DAW France à payer à Monsieur [F] la somme de 162 639,99 euros, outre les congés payés y afférents, soit la somme de 16 263,99 euros » ; qu'en refusant de statuer au vu des dernières conclusions du 27 novembre 2020 sollicitant la condamnation de la société Daw France à payer M. [F] une somme au titre de la contrepartie financière à la clause de non-concurrence, aux motifs que le salarié s'était borné dans le dispositif de ses premières conclusions à conclure à la réformation de la décision sans formuler de prétentions sur les demandes tranchées dans le jugement rendu le 6 décembre 2016 par le conseil des prud'hommes d'Amiens, de sorte que la cour n'était pas saisie de prétentions relatives à ces demandes, la cour d'appel a violé l'article 954 du code de procédure civile ;

2°/ l'article 910-4 du code de procédure civile, qui dispose qu'« à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond », ne renvoie pas aux conclusions visées par l'article 1037-1 du même code concernant la procédure de renvoi après cassation ; qu'en conséquence, le demandeur peut, devant la cour d'appel de renvoi, compléter ses premières conclusions et formuler de nouvelles demandes ou prétentions dans des conclusions postérieures ; qu'en affirmant que « l'article 954 du code de procédure civile fait désormais obligation aux parties de récapituler leurs prétentions sous forme de dispositif dans les conclusions, la cour ne statuant que sur les prétentions visées dans le dispositif, lesquelles auront par ailleurs été toutes présentées, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, dès le premier jeu de conclusions notifiées devant la cour » et en décidant que l'obligation de concentration des prétentions dès les premières conclusions d'appel était applicable aux conclusions déposées devant la cour d'appel de renvoi, de sorte que les conclusions initiales de M. [F] ne formulant pas de prétentions sur les demandes tranchées dans le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Amiens le 6 décembre 2016, il n'y avait pas lieu de tenir compte des demandes formulées à l'encontre de la société Daw France dans des conclusions ultérieures, la cour d'appel a violé les articles 910-4, 954 et 1037-1 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 910-4 et 954, alinéa 3 et 1037-1 du code de procédure civile :

8. Il résulte du premier de ces textes qu'à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond, et du second, que la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

9. Il résulte du dernier de ces textes que, lorsque la connaissance d'une affaire est renvoyée à une cour d'appel par la Cour de cassation, ce renvoi n'introduit pas une nouvelle instance, la cour d'appel de renvoi étant investie, dans les limites de la cassation intervenue, de l'entier litige tel que dévolu à la juridiction dont la décision a été cassée, l'instruction étant reprise en l'état de la procédure non atteinte par la cassation.

10. Ainsi, la cassation de l'arrêt n'anéantit pas les actes et formalités de la procédure antérieure, et la cour d'appel demeure saisie des conclusions remises à la cour d'appel initialement saisie.

11. Il s'ensuit que le principe de concentration des prétentions résultant de l'article 910-4 s'applique devant la cour d'appel de renvoi, non pas au regard des premières conclusions remises devant elle par l'appelant, mais en considération des premières conclusions de celui-ci devant la cour d'appel dont l'arrêt a été cassé.

12. Pour confirmer le jugement, l'arrêt retient que le dispositif des premières conclusions remises devant elle par l'appelant ne comporte aucune demande à l'encontre de la société et que c'est dans les conclusions déposées dans un second temps qu'une demande en ce sens a été formulée. Il ajoute que M. [F] se borne, dans le dispositif de ses conclusions, à conclure à la réformation de la décision sans formuler de prétentions sur les demandes tranchées dans le jugement rendu le 6 décembre 2016 par le conseil des prud'hommes d'Amiens.

13. En statuant ainsi, en prenant en compte, non le dispositif des premières conclusions de l'appelant remises à la cour d'appel dont la décision a été cassée, mais celui des premières conclusions de l'appelant devant elle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Delbano - Avocat général : M. Adida-Canac - Avocat(s) : SARL Ortscheidt ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles 905-2, 908, 909, 910, 910-4, 954 alinéa 3 et 1037-1 du code de procédure civile.

Soc., 18 janvier 2023, n° 21-23.796, (B), FRH

Cassation partielle

Motifs – Motifs insuffisants – Décision fondée sur la non-comparution de l'intimé – Pertinence des motifs adoptés par le premier juge – Défaut d'analyse en appel – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 juin 2021), Mme [F] a été engagée par la société Global ambulances (la société) le 14 novembre 2013 en qualité d'ambulancière. Elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 7 janvier 2016. Elle a saisi la juridiction prud'homale le 6 avril 2017 en nullité de son licenciement et en paiement de diverses sommes à titre de dommages-intérêts en faisant valoir que son inaptitude était la conséquence de faits de harcèlement sexuel de la part de l'un de ses collègues et de manquements de l'employeur à son obligation de sécurité.

2. Par jugement du 26 novembre 2018, le conseil de prud'hommes a débouté la salariée de sa demande de dommages-intérêts au titre de la violation par la société de son obligation de sécurité, dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la société à payer à la salariée une somme à titre de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement.

3. La société, intimée, n'a pas constitué avocat devant la cour d'appel.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à verser à la salariée une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, de déclarer nul le licenciement de la salariée, de la condamner à verser à la salariée certaines sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre congés payés afférents, de lui faire injonction de produire un bulletin de salaire récapitulatif, un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformément à l'arrêt, alors « que le juge d'appel ne peut, en l'absence de la partie intimée, infirmer le jugement sans réfuter la motivation des premiers juges ; qu'en jugeant que « l'employeur n'apporte aucun élément pour justifier qu'il a pris une quelconque mesure nécessaire pour mettre un terme à la situation de harcèlement avérée subie par Mme [F]" sans réfuter les motifs du jugement qui avaient conduit le conseil de prud'hommes à juger que « les débats et les pièces versées démontrent que la SARL Global ambulances a cessé de faire rouler dans la même voiture Mme [F] et M. [V] dès qu'elle a été mise au courant de cette situation ; qu'elle a informé l'inspection du travail ; qu'elle a donc effectué tout ce qui était en son pouvoir pour respecter son obligation de sécurité », la cour d'appel a violé les articles 455, 542 et 472 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 472 et 954, dernier alinéa, du code de procédure civile :

5. Il résulte du premier de ces textes qu'en appel, si l'intimé ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond, mais le juge ne fait droit aux prétentions et moyens de l'appelant que dans la mesure où il les estime réguliers, recevables et bien fondés.

Aux termes du second, la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs.

6. Ainsi, s'il appartient à l'employeur de justifier du respect de son obligation de prévention du harcèlement sexuel, son absence de comparution devant la cour d'appel ne dispense pas cette juridiction d'examiner la pertinence des motifs par lesquels le premier juge s'est déterminé pour juger que l'employeur avait satisfait à son obligation de prévention.

7. Pour faire droit aux demandes de la salariée en paiement de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, l'arrêt retient que l'employeur n'apporte aucun élément pour justifier qu'il a pris une quelconque mesure nécessaire pour mettre un terme à la situation de harcèlement avérée subie par la salariée, alors qu'il en avait connaissance et que cette situation est à l'origine de la dégradation de l'état de santé de la salariée.

8. En statuant ainsi, sans examiner les motifs du jugement qui avait retenu que les débats et les pièces versées démontrent que la société a cessé de faire circuler dans la même voiture la salariée et son collègue dès qu'elle a été mise au courant de la situation de harcèlement sexuel alléguée, qu'elle a informé l'inspection du travail et qu'elle a donc effectué tout ce qui était en son pouvoir pour respecter son obligation de sécurité, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne la société Global ambulances à verser à Mme [F] la somme de 1 668 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement et confirme la condamnation de la société en première instance au paiement de la somme de 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, l'arrêt rendu le 30 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Lanoue - Avocat(s) : SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles 472 et 954, dernier alinéa, du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Sur l'office du juge en cas d'absence de constitution par l'intimé ou en cas d'irrecevabilité des conclusions de l'intimé, à rapprocher : 2e Civ., 30 avril 2003, pourvoi n° 01-12.289, Bull. 2003, II, n° 122 (Cassation), et les arrêts cités ; 2e Civ., 10 janvier 2019, pourvoi n° 17-20.018, Bull., (rejet), et les arrêts cités ; 2e Civ., 25 novembre 2021, pourvoi n° 20-13.780 (cassation partielle).

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