Numéro 1 - Janvier 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2023

BANQUE

Com., 4 janvier 2023, n° 15-20.117, (B), FRH

Rejet

Faute – Manquement à l'obligation de mise en garde – Obligation de mise en garde – Domaine d'application – Personne morale – Caractère averti – Appréciation en la personne de son représentant moral

Le caractère averti de l'emprunteur, personne morale, s'apprécie en la personne de son représentant légal.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 23 avril 2015), par un acte du 1er février 2008, quatre salariés de la société Royale normande, dont M. [M] et Mme [E], ont constitué une société holding dénommée Alliance et gourmandise, afin d'acquérir la totalité des parts sociales de la société Royale normande. Cette acquisition a été notamment financée au moyen d'un prêt consenti le 6 février 2008 par la société Banque Scalbert-Dupont, devenue la société CIC Nord-Ouest (la banque), et garanti par le cautionnement de M. [M]. Après la mise en redressement puis liquidation judiciaires de la société Alliance et gourmandise, la banque a assigné M. [M] en paiement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et le second moyen, ci-après annexés

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches

Enoncé du moyen

3. M. [M] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la banque une certaine somme au titre du cautionnement souscrit le 6 février 2008 et de rejeter sa demande de dommages et intérêts pour manquement de la banque à son obligation de le mettre en garde, en sa qualité de gérant et de caution de la société Alliance et gourmandise, contre le caractère disproportionné du prêt consenti à cette dernière, alors :

« 2°/ qu'une société, prise en la personne de son gérant, n'a la qualité d'emprunteur averti que si ce dernier dispose d'une expérience suffisante, soit dans ses fonctions de gérant, soit dans l'activité exercée par la société ; qu'en l'espèce, le prêt avait été contracté par une société holding dénommée Alliance et gourmandise dont M. [M], ancien responsable des ventes d'une entreprise de confiserie, venait d'être nommé gérant ; qu'en retenant que la société Alliance et gourmandise, prise en la personne de son gérant, avait la qualité d'emprunteur averti pour cette seule raison que M. [M] avait participé au développement de l'entreprise contrôlée par la société holding, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de l'article 1147 code civil ;

3°/ que la capacité de remboursement de l'emprunteur doit s'apprécier au regard de sa propre situation comptable ; qu'en ayant exclusivement égard, pour apprécier le caractère disproportionné du prêt souscrit par la société Alliance et gourmandise, aux résultats de la société Royale normande, les juges du fond ont également privé leur décision de base légale au regard de l'article 1147 code civil ;

4°/ qu'en toute hypothèse, M. [M] soulignait que la charge de remboursement annuel du prêt souscrit au nom de la société Alliance et gourmandise supposait, du fait du taux d'imposition sur les sociétés, que la société Royale normande génère un résultat net d'au moins 220 000 euros par an ; qu'en se bornant à observer que le prêt n'était pas disproportionné pour cette raison que, au jour du prêt, le résultat de la société Royale normande était en constante progression et qu'il avait atteint le chiffre de 93 238,45 euros, les juges du fond ont une nouvelle fois privé leur décision de base légale au regard de l'article 1147 code civil. »

Réponse de la Cour

4. L'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que M. [M], salarié de la société Royale normande, avait une expérience de cinq ans au sein de cette entreprise, qu'il y exerçait les fonctions de responsable commercial et en avait doublé le chiffre d'affaires par la mise en place d'une réelle stratégie commerciale et en lui insufflant un nouvel élan. Il ajoute que la société Royale normande était la société cible de l'opération, un montage juridique ayant été effectué pour concrétiser le financement de son rachat par l'endettement.

5. Dès lors que le caractère averti de l'emprunteur, personne morale, s'apprécie en la personne de son représentant légal, la cour d'appel, qui a fait ressortir, par ces appréciations et constatations, que, bien que M. [M] n'ait pas auparavant exercé ses compétences dans une société holding, il était toutefois à même de mesurer, par les compétences acquises dans la société Royale normande, le risque d'endettement né de l'octroi du prêt souscrit par la société Alliance et gourmandise, dont il était le gérant, et qui dépendait des résultats de l'entreprise cible, ce dont il résulte que la société Alliance et gourmandise avait la qualité d'emprunteur averti et que la banque n'était pas tenue d'un devoir de mise en garde à son égard, a, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les troisième et quatrième branches, légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : M. Guerlot - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Article 1147 du code civil.

Rapprochement(s) :

Dans le même sens : Com., 11 avril 2018, pourvoi n° n° 15-27.133, Bull. 2018, IV, n° 40 (rejet).

Com., 25 janvier 2023, n° 21-14.164, (B), FRH

Rejet

Intermédiaire en opérations de banque – Exercice illégal de l'activité – Sanction – Nullité des actes conclus (non)

Le seul fait qu'un contrat portant sur la recherche d'un financement ait été conclu en méconnaissance des dispositions du chapitre IX du titre I du livre V du code monétaire et financier, relatives aux intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement, n'est pas de nature à en entraîner l'annulation.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 26 novembre 2020), par une lettre de mission du 12 novembre 2013, la Société anonyme monégasque de promotion immobilière (SAMPI) a confié à la société [E] conseil finance (la société [E]) la recherche d'un financement pour l'acquisition de parts de copropriété d'un immeuble et l'exécution de travaux de rénovation de celui-ci.

2. Cette lettre de mission stipulait que la société [E] percevrait une rémunération correspondant à 1 % du montant des financements obtenus par la SAMPI, à la signature effective des contrats de prêt.

3. Soutenant avoir appris, au mois d'octobre 2014, que la SAMPI avait conclu un contrat de financement sans l'en informer, la société [E] l'a assignée en paiement de ses honoraires.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La SAMPI fait grief à l'arrêt de dire que la lettre de mission du 12 novembre 2013 est valable, de rejeter les demandes d'annulation de cette lettre et, en conséquence, de dire que la créance d'honoraires de la société [E] à son encontre, en application de l'article 7 de la lettre de mission, est fondée en son principe, alors :

« 1°/ qu'aux termes de l'article L. 519-1, I, du code monétaire et financier, l'intermédiation en opérations de banque et en services de paiement est l'activité qui consiste à présenter, proposer ou aider à la conclusion des opérations de banque ou des services de paiement ou à effectuer tous travaux et conseils préparatoires à leur réalisation et qu'est intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement toute personne qui exerce, à titre habituel, contre une rémunération ou toute autre forme d'avantage économique, l'intermédiation en opérations de banque et en services de paiement, sans se porter ducroire, ou qui fournit un service de conseil au sens de l'article L. 519-1-1 ; qu'aux termes de l'article R. 519-2, 4°, du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable au litige, ne sont pas intermédiaires en opérations de banque, les personnes dont l'activité d'intermédiation en opérations de banque et en services de paiement est liée aux opérations connexes définies au 5° de l'article L. 311-2 du même code, ou aux services connexes définis au 3° de l'article L. 321-2 du même code ; qu'aux termes de l'article L. 311-2, 5°, du code monétaire et financier les opérations connexes sont le conseil et l'assistance en matière de gestion financière, l'ingénierie financière et d'une manière générale tous les services destinés à faciliter la création et le développement des entreprises, sous réserve des dispositions législatives relatives à l'exercice illégal de certaines professions ; qu'aux termes de l'article L. 321-2, 3°, du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable au litige, les services connexes comprennent la fourniture de conseil aux entreprises en matière de structure de capital, de stratégie industrielle et de questions connexes ainsi que la fourniture de conseil et de services en matière de fusions et de rachat d'entreprises ; qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt que la SAMPI avait « sollicité l'assistance de la société [E] pour la recherche du financement nécessaire à l'acquisition des parts de copropriété et à l'exécution des travaux de rénovation » et que le contrat litigieux comportait deux phases, la première intitulée : « analyse des documents reçus par [E] de la part du client, étude approfondie du projet et préparation du business plan », étant précisé que "[E] préparera le business plan et conseillera le client sur les options de structuration financière du projet », la seconde intitulé « préparation de l'infomémo, approche des prêteurs et assistance au client jusqu'au closing », étant précisé : « une fois l'option retenue par le client, [E] préparera le matériel de présentation du projet destiné aux prêteurs potentiels, qu'il soumettra au client pour validation préalable. [E] contactera les prêteurs potentiels sélectionnés conjointement, et en cas d'intérêt d'un ou plusieurs prêteurs potentiels, [E] analysera leurs offres indicatives respectives et les soumettra au client (...)" ; qu'il résulte de ces constatations que la société [E] avait assumé directement une obligation d'intermédiation bancaire, consistant, d'une part, à « présenter, proposer ou aider » la SAMPI à obtenir un financement auprès d'établissements bancaires, au sens L. 519-1, I, du code monétaire et financier (phase 2) et, d'autre part, à « effectuer tous travaux et conseils préparatoires à sa réalisation », au sens du même texte (phase 1), de sorte que le contrat litigieux, ayant pour finalité l'obtention d'un financement bancaire, contrevenait au monopole de l'intermédiation bancaire, et était entaché de nullité ; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées, ensemble l'article 6 du code civil ;

2°/ que, en toute hypothèse, aux termes de l'article L. 519-1, I, du code monétaire et financier, l'intermédiation en opérations de banque et en services de paiement est l'activité qui consiste à présenter, proposer ou aider à la conclusion des opérations de banque ou des services de paiement ou à effectuer tous travaux et conseils préparatoires à leur réalisation et qu'est intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement toute personne qui exerce, à titre habituel, contre une rémunération ou toute autre forme d'avantage économique, l'intermédiation en opérations de banque et en services de paiement, sans se porter ducroire, ou qui fournit un service de conseil au sens de l'article L. 519-1-1 ; qu'aux termes de l'article R. 519-2, 4°, du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable au litige, ne sont pas intermédiaires en opérations de banque, les personnes dont l'activité d'intermédiation en opérations de banque et en services de paiement est liée aux opérations connexes définies au 5° de l'article L. 311-2 du même code, ou aux services connexes définis au 3° de l'article L. 321-2 du même code ; qu'aux termes de l'article L. 321-2, 3°, du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable au litige, les services connexes comprennent la fourniture de conseil aux entreprises en matière de structure de capital, de stratégie industrielle et de questions connexes ainsi que la fourniture de conseil et de services en matière de fusions et de rachat d'entreprises ; que les services connexes ainsi décrits ont pour objet les opérations ou activités dites de « haut de bilan », exclusives de l'obtention du financement de l'acquisition et de la rénovation d'un immeuble, fût-ce au moyen d'une augmentation de capital, qui n'en modifie pas la structure ; que la cour d'appel a énoncé que « les éléments du dossier font apparaître que la société [E] a successivement envisagé différentes hypothèses de financement, et notamment un financement mixte constitué d'un endettement bancaire et d'une augmentation de capital, puis un financement par une opération de « sale and lease-back », avec différents scenarii possibles, tel que cela est détaillé dans le rapport remis au titre de la phase 1, permettant ainsi à la société Sampi de faire un choix parmi les différentes « options de structuration financière du projet »", et que « la mission de la société [E], telle que décrite supra, et incluant notamment les « options de structuration financière » correspond bien à la définition des services connexes visés aux articles précités, s'agissant notamment de la « fourniture de conseil en matière de structure de capital »", pour en déduire qu'elle avait exercé « une activité d'assistance et de conseil liée à la recherche de financement, lui permettant ainsi d'échapper au statut des intermédiaires en opération de banque » et qu'il n'y avait « pas lieu à nullité du contrat de ce chef » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs d'où il ne résulte pas que les prestations de la phase 1 avaient pour objet le conseil ou l'assistance de la SAMPI relativement à une opération de « haut de bilan », la cour d'appel a violé les dispositions susvisées, ensemble l'article 6 du code civil ;

3°/ que, en toute hypothèse, aux termes de l'article L. 519-1, I, du code monétaire et financier, l'intermédiation en opérations de banque et en services de paiement est l'activité qui consiste à présenter, proposer ou aider à la conclusion des opérations de banque ou des services de paiement ou à effectuer tous travaux et conseils préparatoires à leur réalisation et qu'est intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement toute personne qui exerce, à titre habituel, contre une rémunération ou toute autre forme d'avantage économique, l'intermédiation en opérations de banque et en services de paiement, sans se porter ducroire ou qui fournit un service de conseil au sens de l'article L. 519-1-1 ; qu'aux termes de l'article R. 519-2, 4°, du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable au litige, ne sont pas intermédiaires en opérations de banque, les personnes dont l'activité d'intermédiation en opérations de banque et en services de paiement est liée aux opérations connexes définies au 5° de l'article L. 311-2 du même code, ou aux services connexes définis au 3° de l'article L. 321-2 du même code ; qu'aux termes de l'article L. 311-2, 5°, du code monétaire et financier les opérations connexes sont le conseil et l'assistance en matière de gestion financière, l'ingénierie financière et d'une manière générale tous les services destinés à faciliter la création et le développement des entreprises ; que les opérations connexes ainsi décrites ont pour objet les opérations ou activités dites de « haut de bilan », exclusives de l'obtention du financement de l'acquisition d'un immeuble ; que la cour d'appel a énoncé que « les éléments du dossier font apparaître que la société [E] a successivement envisagé différentes hypothèses de financement, et notamment un financement mixte constitué d'un endettement bancaire et d'une augmentation de capital, puis un financement par une opération de « sale and lease-back », avec différents scenarii possibles, tel que cela est détaillé dans le rapport remis au titre de la phase 1, permettant ainsi à la société Sampi de faire un choix parmi les différentes « options de structuration financière du projet », et que « la mission de la société [E], telle que décrite supra, et incluant notamment les « options de structuration financière » correspond bien à la définition des services connexes visés aux articles précités, s'agissant [...] de « conseil et assistance en matière d'ingénierie financière et de services destinés à faciliter le développement des entreprises », étant ici observé que le projet de rénovation et d'acquisition de parts supplémentaires de l'immeuble situé à [Localité 3] visait bien en l'espèce au développement de la société SAMPI, dont l'activité déclarée sur l'extrait du registre du commerce est celle de construction, vente, location, et exploitation de l'immeuble dénommé Aigue Marine à [Localité 3]", pour en déduire qu'elle avait exercé « une activité d'assistance et de conseil liée à la recherche de financement, lui permettant ainsi d'échapper au statut des intermédiaires en opération de banque » et qu'il n'y avait « pas lieu à nullité du contrat de ce chef » ; qu'en statuant ainsi, cependant que le financement de l'acquisition et de la rénovation d'un immeuble ne pouvait se rattacher à l'ingénierie financière, ni à des services destinés au développement des entreprises, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées, ensemble l'article 6 du code civil. »

Réponse de la Cour

6. Le seul fait qu'un contrat portant sur la recherche d'un financement ait été conclu en méconnaissance des dispositions du chapitre IX du titre Ier du livre V du code monétaire et financier, relatives aux intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement, n'est pas de nature à en entraîner l'annulation.

7. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : M. Blanc - Avocat(s) : SARL Le Prado - Gilbert ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Chapitre IX du titre Ier du livre V du code monétaire et financier.

Rapprochement(s) :

Sur la sanction de l'exercice illégal de l'activité d'intermédiation en opérations de banque, à rapprocher : Com., 15 octobre 1996, pourvoi n° 94-14.938, Bull. 1996, IV, n° 232 (cassation partielle).

Com., 25 janvier 2023, n° 20-12.811, (B), FS

Cassation partielle

Responsabilité – Action en justice – Prescription – Délai – Point de départ – Détermination – Date d'exigibilité des sommes

Le manquement d'une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d'endettement excessif né de l'octroi d'un prêt prive cet emprunteur d'une chance d'éviter le risque qui s'est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l'emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt.

Il résulte de la combinaison des articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d'exigibilité des sommes au paiement desquelles l'emprunteur n'est pas en mesure de faire face.

Responsabilité – Faute – Manquement à l'obligation de mise en garde – Préjudice – Perte d'une chance – Réalisation du risque – Impossibilité de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 27 mars 2019), par un acte notarié du 13 novembre 2008, la société Caisse de crédit mutuel [Localité 4] Saint-Antoine (la banque) a consenti à M. [G] et d'autres emprunteurs solidaires, un prêt personnel « dirigeants » d'un montant de 200 000 euros, remboursable in fine le 31 octobre 2010, destiné à être apporté en compte courant d'associé à la société Provid, dont les principaux associés étaient la société Eaux vives, détenue à concurrence de 99 % par M. [G], la société Majodan, représentée par Mme [S], et la société Anim'mode production.

Par un avenant du 19 décembre 2008, le prêt a été garanti par une hypothèque conventionnelle sur un bien immobilier appartenant à M. [G].

2. La société Provid a été mise en redressement puis liquidation judiciaires.

3. Le 29 juin 2011, la banque a notifié la déchéance du terme du prêt puis a poursuivi l'exécution forcée sur le bien immobilier de M. [G].

4. Les 12 et 14 février 2014, soutenant que la responsabilité de la banque et celle de Mme [S] étaient engagées à son égard, la première sur un fondement contractuel, la seconde sur un fondement délictuel, M. [G] les a assignées en paiement de dommages et intérêts.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. M. [G] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable et, subsidiairement, mal fondée son action formée à l'encontre de la banque, alors « qu'une cour d'appel qui décide que les demandes dont elle est saisie sont irrecevables, excède ses pouvoirs en statuant ensuite au fond. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 122 du code de procédure civile :

7. Il résulte de ce texte que le juge qui décide que la demande dont il est saisi est irrecevable, excède ses pouvoirs en statuant au fond.

8. La cour d'appel a confirmé le jugement en ce qu'il déclarait irrecevable, subsidiairement mal fondée, la demande de M. [G] à l'encontre de la banque.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs.

Et sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

10. M. [G] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son action formée à l'encontre de la banque, alors « que la prescription de l'action en responsabilité contre la banque pour manquement à son devoir de mise en garde court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il s'est révélé à la victime ; que M. [G] faisait valoir que, même en faisant abstraction de la prise en charge du prêt litigieux par la société Prodiv, la prescription ne pouvait pas commencer à courir avant la survenance du dommage lié au manquement au devoir de mise en garde, soit au plus tôt au moment où le capital du prêt in fine est devenu exigible, en octobre 2010, qu'en refusant de décaler le point de départ de la prescription, par une motivation inopérante selon laquelle l'établissement bancaire n'aurait pas été informé de la prise en charge du remboursement du prêt litigieux par la société Prodiv, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2224 du code civil et l'article L. 110-4 du code de commerce :

11. Il résulte de la combinaison de ces textes que les obligations entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

12. Le manquement d'une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d'endettement excessif né de l'octroi d'un prêt prive cet emprunteur d'une chance d'éviter le risque qui s'est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l'emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt. Il en résulte que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d'exigibilité des sommes au paiement desquelles l'emprunteur n'est pas en mesure de faire face.

13. Pour déclarer prescrite la demande de M. [G] formée contre la banque, l'arrêt retient qu'il n'est pas établi que la banque aurait été informée de la prise en charge du prêt par la société Provid et qu'il s'agit d'un événement postérieur à la conclusion de la convention de prêt qui n'a pas fait partie de l'économie du contrat. Il en déduit qu'un tel événement ne peut être opposé à la banque pour reporter le point de départ du délai de prescription à des dates postérieures à la conclusion du prêt.

14. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a fait courir la prescription de la conclusion du contrat, a violé les textes susvisés.

Demande de mise hors de cause

15. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause Mme [S], dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable et, subsidiairement, mal fondée la demande M. [G] à l'encontre de la société Caisse de crédit mutuel [Localité 4] Saint-Antoine et condamne M. [G] aux dépens, l'arrêt rendu le 27 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;

Met hors de cause Mme [S].

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Fevre - Avocat général : Mme Gueguen (premier avocat général) - Avocat(s) : Me Carbonnier ; SCP Leduc et Vigand ; SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Article 2224 du code civil ; article L. 110-4 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur la détermination du point de départ de la prescription en matière de responsabilité du banquier : 1re Civ., 5 janvier 2022, pourvoi n° 20-18.893, Bull., (cassation partielle).

1re Civ., 11 janvier 2023, n° 21-23.957, (B), FRH

Cassation

Responsabilité – Cautionnement – Caractère disproportionné de l'engagement – Action en justice – Prescription – Délai – Point de départ – Mise en demeure – Défaut de réception effective – Indifférence

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 7 septembre 2021) et les productions, la caisse de Crédit mutuel [Localité 3] (la banque) a consenti à la SCI FDM (l'emprunteur) deux prêts immobiliers, garantis par Mme [B] (la caution), qui s'est portée caution solidaire.

2. Après avoir prononcé la déchéance du terme et obtenu la vente forcée de l'immeuble de l'emprunteur par un jugement d'adjudication du 17 décembre 2010, la banque a signifié à la caution un commandement de saisie-vente le 15 juin 2015.

3. Le 2 décembre 2016, la caution a assigné la banque en caducité de ses engagements et en paiement de dommages-intérêts.

La banque a sollicité le paiement des sommes restant dues.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

4. La banque fait grief à l'arrêt de rejeter le surplus des moyens de procédure soulevés et notamment le moyen tiré de la prescription des demandes formées à son encontre par la caution sur le fondement des articles L. 110-4 du code de commerce et 2224 du code civil, alors « que le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité pour défaut de mise en garde ou défaut d'information exercée par la caution contre la banque est fixé au jour où la caution a su, par la mise en demeure qui lui était adressée, que les obligations résultant de son engagement allaient être mises à exécution du fait de la défaillance du débiteur principal ; que la carence de la caution à réclamer le courrier recommandé contenant la mise en demeure n'a pas pour effet de différer le point de départ de la prescription à une date postérieure, ce d'autant plus lorsque ce courrier a été doublé d'une lettre simple ; qu'en énonçant que la banque, dès lors qu'elle n'était pas en mesure de communiquer l'accusé de réception de la mise en demeure du 9 décembre 2009 signé par la caution, mais seulement le retour du document muni de la mention « Non réclamé - retour à l'envoyeur », échouait à établir que le délai de prescription des demandes au titre d'un manquement au devoir de mise en garde et à l'obligation d'information, ainsi qu'au titre d'un cautionnement manifestement disproportionné, avait pu valablement courir à compter de cette date, la réception du courrier simple par la caution n'étant pas davantage établi, la cour d'appel a violé les articles L. 110-4 du code de commerce et 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1139 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et l'article 2224 du même code :

5. Aux termes du premier de ces textes, le débiteur est constitué en demeure, soit par une sommation ou par autre acte équivalent, telle une lettre missive lorsqu'il ressort de ses termes une interpellation suffisante, soit par l'effet de la convention, lorsqu'elle porte que, sans qu'il soit besoin d'acte et par la seule échéance du terme, le débiteur sera en demeure.

6. Il ressort du second que l'action en responsabilité de la caution contre la banque se prescrit par cinq ans à compter du jour où la mise en demeure de payer les sommes dues par l'emprunteur défaillant a permis à la caution d'appréhender l'existence éventuelle d'une disproportion de ses engagements ou de manquements de la banque à ses obligations d'information et de mise en garde.

7. Il résulte de la combinaison de ces textes que le défaut de réception effective par la caution de la mise en demeure, adressée par lettre recommandée, n'affecte pas sa validité et que le point de départ de son action en responsabilité à l'encontre de la banque est fixé, au jour où elle a su que les obligations résultant de son engagement allaient être mises à exécution du fait de la défaillance du débiteur principal, soit à compter de la mise en demeure qui lui a été adressée.

8. Pour déclarer l'action en responsabilité initiée par la caution recevable, l'arrêt relève que la banque n'est pas en mesure de communiquer l'accusé de réception de la mise en demeure du 9 décembre 2009 signé par la caution, mais seulement le retour du document muni de la mention « Non réclamé - retour à l'envoyeur » et qu'elle succombe à établir que le délai de prescription des demandes a pu valablement courir à compter de cette date.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

10. La banque fait grief à l'arrêt de dire prescrites ses créances au titre des cautionnements consentis et de la déclarer irrecevable en ses demandes formées à l'encontre de la caution, alors « que l'interpellation faite au débiteur principal interrompt le délai de prescription contre la caution ; qu'en l'espèce, la caisse de Crédit mutuel d'[Localité 3] faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que la procédure d'exécution forcée diligentée à l'égard de la SCI FDM, en sa qualité de débiteur principal, avait eu pour effet d'interrompre la prescription de son action en paiement à l'égard de Mme [O] [B], en sa qualité de caution ; qu'en énonçant qu'aucune interruption utile de la prescription n'était démontrée à l'égard de Mme [O] [B], en ce que les paiements opérés par cette dernière étaient postérieurs à l'expiration du délai de cinq ans ayant couru à compter du 9 décembre 2009, date de la déchéance du terme, sans rechercher si un tel effet interruptif de la prescription n'était pas acquis au regard de la procédure d'exécution forcée qui avait été diligentée antérieurement par la caisse de Crédit mutuel [Localité 3] à l'encontre de la SCI FDM, ou du commandement de payer valant saisie-immobilière délivré antérieurement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2246, anciennement 2250, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2241 et 2246 du code civil :

11. Selon l'alinéa 1 du premier de ces textes, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.

12. Selon le second, l'interpellation faite au débiteur principal ou sa reconnaissance interrompt le délai de prescription contre la caution.

13. Pour déclarer la banque irrecevable en sa demande en paiement à l'égard de la caution, l'arrêt relève qu'il est établi que, si la caution a procédé à plusieurs règlements au titre des deux engagements litigieux, aucun n'est antérieur au 10 décembre 2014, date à laquelle la prescription des créances de la banque était acquise, et qu'aucune interruption utile de cette prescription n'est démontrée.

14. En se déterminant ainsi, sans rechercher si la procédure d'exécution forcée diligentée antérieurement par la banque à l'encontre de l'emprunteur n'avait pas eu un effet interruptif de la prescription, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Champ - Avocat(s) : SARL Le Prado - Gilbert ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Articles 1139, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 2224 du code civil.

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