Numéro 1 - Janvier 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2023

ASSURANCE (règles générales)

2e Civ., 19 janvier 2023, n° 21-21.516, n° 21-23.189, (B) (R), FS

Cassation partielle

Garantie – Exclusion – Exclusion formelle et limitée – Définition – Cas – Pertes d'exploitation COVID-19

Une clause d'exclusion n'est pas formelle au sens de l'article L. 113-1 du code des assurances lorsqu'elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation.

S'agissant d'un contrat prévoyant la garantie des pertes d'exploitation en cas de fermeture administrative consécutive à certaines causes qu'il énumère, dont l'épidémie, est formelle la clause qui exclut ces pertes d'exploitation de la garantie, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelles que soient sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique.

Une clause d'exclusion n'est pas limitée au sens de l'article L. 113-1 du code des assurances lorsqu'elle vide la garantie de sa substance en ce qu'après son application elle ne laisse subsister qu'une garantie dérisoire.

N'a pas pour effet de vider la garantie de sa substance la clause qui exclut de la garantie des pertes d'exploitation consécutives à la fermeture administrative de l'établissement assuré, pour plusieurs causes qu'il énumère, dont l'épidémie, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelles que soient sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique à l'une de celles énumérées.

Jonction

1. En raison de leur connexité, le pourvoi n° 21-21.516, formé par la société AXA France IARD, et le pourvoi n° 21-23.189, formé par la société Zen Prado, sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 29 juin 2021), la société Zen Prado, exploitant un fonds de commerce de restauration, a souscrit auprès de la société AXA France IARD (l'assureur) un contrat d'assurance « multirisque professionnelle » à effet du 1er février 2020 incluant une garantie « protection financière ».

3. A la suite d'un arrêté publié au Journal officiel le 15 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19, édictant notamment l'interdiction pour les restaurants et débits de boissons d'accueillir du public du 15 mars 2020 au 15 avril 2020, prorogée jusqu'au 2 juin 2020 par décret n° 2020-423 du 14 avril 2020, la société Zen Prado a effectué une déclaration de sinistre auprès de l'assureur afin d'être indemnisée de ses pertes d'exploitation en application d'une clause du contrat stipulant que « La garantie est étendue aux pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l'établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies : 1 La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous-même. 2 La décision de fermeture est la conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication ».

4. L'assureur a refusé de garantir le sinistre en faisant valoir que l'extension de garantie ne pouvait pas être mise en oeuvre, en raison de la clause excluant «...les pertes d'exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique ».

5. La société Zen Prado a effectué deux autres déclarations de sinistre à la suite de nouvelles fermetures administratives, ordonnées du 28 septembre au 5 octobre 2020, par arrêté préfectoral du 27 septembre 2020, et à compter du 30 octobre 2020, par décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020.

6. Elle a assigné l'assureur devant un tribunal de commerce à fin de garantie.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deux premières branches, du pourvoi n° 21-21.516 formé par la société AXA France IARD

Enoncé du moyen

7. L'assureur fait grief à l'arrêt de réputer non écrite la clause d'exclusion de garantie dont il se prévaut et de le condamner à payer à la société Zen Prado une provision à valoir sur l'indemnisation des pertes d'exploitation subies par celle-ci lors des fermetures de son établissement, alors :

« 1°/ que l'absence de définition contractuelle des termes « épidémie » et « maladie contagieuse » ne rend pas la clause d'exclusion imprécise dès lors que ces termes ne figurent pas dans cette clause et que ladite clause s'applique en cas de fermeture administrative d'au moins un autre établissement sur le même territoire départemental pour une « cause identique », de sorte qu'il suffit de rapprocher la cause de fermeture des établissements, ce qui est suffisamment clair et précis, chacun étant à même de connaître la cause ayant justifié, selon l'autorité administrative tenue de motiver ses décisions en fait et en droit, ces fermetures et leur nombre ; qu'ainsi, à supposer même – ce qui est contesté – que les contours de la cause de fermeture (l'épidémie) soient flous du fait que le terme « épidémie » ne soit pas défini dans le contrat, cela n'affecte aucunement la précision de la clause d'exclusion, dont l'application dépend uniquement de savoir si les fermetures administratives ont une « cause identique », soit en l'occurrence si elles sont fondées sur la même épidémie, quelle que soit la nature, l'origine ou l'étendue de cette épidémie ; qu'en jugeant que la clause d'exclusion n'était pas formelle du fait de l'absence de définition contractuelle du terme « épidémie » et de la prétendue nécessité d'interpréter ce terme, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances ;

2°/ que si une clause d'exclusion n'est valable qu'à la condition d'être formelle et limitée, en revanche, le degré de précision dans les termes employés pour définir le risque couvert n'est pas encadré par la loi et relève de la liberté contractuelle ; qu'en énonçant que « la rédaction de la clause d'exclusion de garantie, notamment dans sa locution finale « pour une cause identique », renvoie nécessairement à la cause de la fermeture administrative garantie, soit « une maladie contagieuse, un meurtre, un suicide, une épidémie ou une intoxication », de sorte que, même si elles ne figurent pas dans la clause d'exclusion, les notions d'épidémie et de maladies contagieuses constituent des conditions de la mise en oeuvre de la garantie », pour en déduire que l'imprécision de la notion d'« épidémie » rendait la clause d'exclusion litigieuse non formelle, quand cette notion relève de la clause relative à l'objet de la garantie, et non pas de la clause d'exclusion litigieuse, dont le critère d'application repose sur l'identité de cause à la fermeture des établissements, ce qui est précis, quel que soit le sens retenu pour telle ou telle cause, notamment pour l'épidémie, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

8. La société Zen Prado conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que les développements des conclusions de l'assureur ne distinguant pas entre arguments principaux et subsidiaires, ils étaient difficilement conciliables entre eux puisqu'il était soutenu simultanément que la validité de la clause d'exclusion était indépendante de la signification du mot « épidémie », que ce dernier comportait plusieurs sens qu'il fallait nécessairement prendre ensemble, que les stipulations contractuelles ne nécessitaient aucune interprétation et que les mots y figurant devaient être compris en fonction de la commune intention des parties. Elle en déduit que ces affirmations étant contradictoires entre elles, les cinq premières branches du moyen entrent nécessairement en contradiction avec l'un ou l'autre des passages des conclusions d'appel de l'assureur et qu'elles sont, dès lors, irrecevables comme étant contraires à la thèse soutenue par ce dernier en appel.

9. Cependant, il résulte sans équivoque de la lecture des conclusions de l'assureur que ce dernier a soutenu principalement devant la cour d'appel que le terme « épidémie » ne figurant pas dans la clause d'exclusion, il ne pouvait en affecter la validité, et que la définition de l'épidémie ne présentait pas d'ambiguïté, et, à titre subsidiaire, que si le juge estimait devoir interpréter le contrat, il lui appartenait de rechercher la commune intention des parties lors de sa conclusion, en application de l'article 1188 du code civil.

10. Le moyen, qui n'est pas contraire à l'argumentation soutenue en appel est, dès lors, recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 113-1 du code des assurances :

11. Il résulte de ce texte que les clauses d'exclusion de garantie qui privent l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque doivent être formelles et limitées.

12. Une clause d'exclusion n'est pas formelle lorsqu'elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation.

13. Pour réputer non écrite la clause d'exclusion de garantie dont l'assureur se prévaut, l'arrêt, après avoir rappelé les termes de l'extension de garantie et ceux de la clause d'exclusion, retient, d'abord, que la rédaction de la clause d'exclusion de garantie, notamment dans sa locution finale « pour une cause identique », renvoie nécessairement à la cause de la fermeture administrative garantie, soit « une maladie contagieuse, un meurtre, un suicide, une épidémie ou une intoxication », de sorte que, même si elles ne figurent pas dans la clause d'exclusion, les notions d'épidémie et de maladies contagieuses constituent des conditions de la mise en oeuvre de la garantie.

14. Il énonce, ensuite, que le contrat ne contient aucune définition des termes « maladie contagieuse » ou « épidémie » et qu'il résulte des écritures des parties que, contrairement à ce qui est soutenu, la définition du terme « épidémie » n'est ni évidente, ni commune puisque l'assureur considère qu'une épidémie peut toucher un nombre limité de personnes et être la cause de la fermeture administrative d'un unique établissement, tandis que pour l'assurée « une maladie contagieuse transformée en épidémie car s'étant propagée » a forcément des conséquences qui touchent un nombre important de personnes « obligeant la fermeture d'autres établissements, au moins un autre ».

15. Il en déduit que la clause d'exclusion de garantie nécessite une interprétation du terme « épidémie » mentionné dans la clause en tant que « cause identique », de sorte qu'elle n'est pas formelle.

16. En statuant ainsi, alors que la circonstance particulière de réalisation du risque privant l'assuré du bénéfice de la garantie n'était pas l'épidémie mais la situation dans laquelle, à la date de la fermeture, un autre établissement faisait l'objet d'une mesure de fermeture administrative pour une cause identique à l'une de celles énumérées par la clause d'extension de garantie, de sorte que l'ambiguïté alléguée du terme « épidémie » était sans incidence sur la compréhension, par l'assuré, des cas dans lesquels l'exclusion s'appliquait, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le moyen, pris en sa neuvième branche, du pourvoi n° 21-21.516 formé par la société AXA France IARD

Enoncé du moyen

17. L'assureur fait les mêmes griefs à l'arrêt, alors « que la clause d'exclusion litigieuse est limitée dès lors que seules sont exclues de la garantie les pertes d'exploitation subies par l'assuré du fait de la fermeture administrative de son établissement ordonnée pour une « cause identique » – soit la même épidémie, la même maladie contagieuse, le même meurtre, le même suicide ou la même intoxication – que celle qui a motivé la fermeture administrative – mesure qui demeure une décision exceptionnelle ne pouvant être prise que lorsqu'elle est strictement indispensable à la préservation de l'ordre public – d'au moins un autre établissement dans « le même territoire départemental », ce qui est un champ géographique suffisamment limité puisque la superficie du plus vaste des départements métropolitains (la Gironde) est inférieure à 10 000 kilomètres carrés, soit moins de 2 % de la superficie du territoire métropolitain ; que le seul fait que la clause d'exclusion se réfère à un autre établissement, « quelle que soit sa nature et son activité », ne suffit pas à la rendre illimitée et à justifier que son application soit écartée ; qu'en jugeant au contraire que l'exclusion ainsi définie n'était pas limitée, la cour d'appel a violé les articles L. 113-1 du code des assurances, 1170 et 1171 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 113-1 du code des assurances :

18. Il résulte de ce texte que les clauses d'exclusion de garantie, qui privent l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque, doivent être formelles et limitées.

19. Une clause d'exclusion n'est pas limitée lorsqu'elle vide la garantie de sa substance, en ce qu'après son application elle ne laisse subsister qu'une garantie dérisoire.

20. Pour statuer comme il le fait, l'arrêt retient que la clause d'exclusion en cause n'est nullement limitée puisqu'elle mentionne, d'une part, tout autre établissement, quelles que soient sa nature et son activité, la notion « d'autre établissement » étant particulièrement large, d'autre part, le département, soit un territoire géographiquement étendu au sein duquel demeure un nombre important de personnes, même si ce nombre varie en fonction de la densité de la population de chaque département, de sorte que l'hypothèse de l'assureur selon laquelle cette clause s'appliquerait en cas d'épidémie pour un nombre limité de personnes à l'intérieur d'un seul et unique établissement au sein d'un département rend illusoire la garantie des pertes d'exploitation en cas d'épidémie d'une maladie contagieuse, et aboutit à la vider de sa substance.

21. Il ajoute que, contrairement à ce que prétend l'assureur, il n'est nullement démontré que c'est par application des clauses litigieuses qu'il a indemnisé en 2018 un assuré, l'arrêté préfectoral déclarant les bâtiments de cette exploitation de volailles comme étant infectée d'influenza aviaire n'ayant pas ordonné une fermeture de cet établissement mais diverses mesures contraignantes.

22. Il en déduit que la clause ne satisfait pas aux conditions de l'article L. 113-1 du code des assurances.

23. En statuant ainsi, alors que la garantie couvrait le risque de pertes d'exploitation consécutives, non à une épidémie, mais à une fermeture administrative ordonnée à la suite d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication, de sorte que l'exclusion considérée, qui laissait dans le champ de la garantie les pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative liée à ces autres causes ou survenue dans d'autres circonstances que celles prévues par la clause d'exclusion, n'avait pas pour effet de vider la garantie de sa substance, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

24. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation intervenue du chef du dispositif déclarant non écrite la clause d'exclusion et condamnant l'assureur à garantie entraîne la cassation du chef du dispositif ordonnant une expertise portant sur le montant des pertes d'exploitation, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

25. Pour le même motif, elle rend sans objet l'examen du pourvoi n° 21-23.189 formé par la société Zen Prado, qui attaque le chef de dispositif rejetant sa demande de condamnation de l'assureur pour résistance abusive.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare valables l'avenant soumis à la signature de la société Zen Prado et la résiliation intervenue par lettre du 22 octobre 2020, à effet du 1er janvier 2021 et déboute, en conséquence, la société Zen Prado de sa demande de condamnation de la société AXA France IARD à poursuivre l'exécution du contrat aux clauses et conditions stipulées à sa souscription, le 20 février 2020, et de sa demande en paiement de la somme de 225 000 euros correspondant à trois mois de chiffre d'affaires moyen qu'elle ne pourra plus assurer à compter du 1er janvier 2021, l'arrêt rendu le 29 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Isola - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SARL Cabinet Briard -

Textes visés :

Article L. 113-1 du code des assurances.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 1er décembre 2022, pourvoi n° 21-19.341, Bull. (cassation partielle) ; 2e Civ., 1er décembre 2022, pourvoi n° 21-19.343, Bull. (cassation) ; 2e Civ., 1er décembre 2022, pourvoi n° 21-15.392, Bull. (cassation partielle) ; 2e Civ., 1er décembre 2022, pourvoi n° 21-19.342, Bull. (cassation).

2e Civ., 19 janvier 2023, n° 21-17.221, (B), FRH

Rejet

Risque – Risques couverts – Connaissance par l'assuré de la réalisation du risque avant la conclusion du contrat – Cas – Assignation – Garantie – Exclusion

Ayant souverainement estimé que l'assureur établissait que l'assuré avait eu connaissance du fait dommageable dès son assignation, par la société en charge du site exploité par l'usine AZF, tendant à ce qu'il soit déclaré responsable, à l'égard de son cocontractant, des conséquences dommageables de la cessation d'activité de production de phosgène subie par ce dernier, soit antérieurement à la date de souscription du contrat garantissant sa responsabilité civile, la cour d'appel en a exactement déduit que l'assureur ne devait pas sa garantie, déclenchée par la réclamation, sur le fondement de l'article L. 124-5, alinéa 4, du code des assurances.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 4 mars 2021), une explosion survenue le 21 septembre 2001 sur le site toulousain de la société Grande Paroisse, filiale de la société Total, a occasionné des dégâts très importants sur celui-ci, ainsi que sur le site industriel voisin regroupant plusieurs usines chimiques mitoyennes, dont celle de la Société nationale des poudres et explosifs (la société Snpe).

2. L'une des activités principales de la société Snpe était la production chimique de phosgène, produit reconnu dangereux dont des quantités importantes étaient produites et stockées sur place et dont la société Bayer était l'une des principales utilisatrices.

Par arrêté préfectoral d'urgence du 21 septembre 2001, la production de phosgène a été suspendue avant d'être définitivement interrompue, le 1er juillet 2002.

3. En mai 2004, la société Snpe et la société Bayer ont assigné les sociétés Grande Paroisse et Total en réparation des préjudices résultant de l'explosion du 21 septembre 2001, notamment du fait de l'impossibilité de reprendre l'activité de production de phosgène.

4. La société Grande Paroisse a assigné, le 10 février 2005, la société Snpe afin qu'elle soit déclarée entièrement responsable des conséquences dommageables de cet arrêt d'activité pour la société Bayer.

5. Le 13 septembre 2005, la société Snpe a souscrit auprès de la société Agf devenue Allianz global corporate & specialty SE (l'assureur) un contrat d'assurance de responsabilité civile à effet au 1er janvier 2005.

6. Les sociétés Snpe et Bayer, ainsi que l'assureur, par un arrêt du 9 septembre 2008, ont été partiellement déboutés de leurs actions en responsabilité et indemnisation formées contre les sociétés Grande Paroisse et Total.

Par un arrêt du 17 juin 2010 (2e Civ., 17 juin 2010, pourvoi n° 09-13.583, Bull. 2010, II, n° 116), la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la société Bayer.

7. Le 26 décembre 2011, la société Bayer a assigné la société Snpe devant un tribunal de commerce en responsabilité et aux fins d'indemnisation de son préjudice consécutif à l'arrêt définitif de la production de phosgène sur le site toulousain.

8. A la suite du refus de garantie opposé par l'assureur à la société Snpe, cette dernière l'a assigné devant un tribunal de commerce aux fins de règlement d'une indemnité d'assurance.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

9. La société Snpe fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant à ce que l'assureur soit condamné à lui verser une indemnité d'assurance d'un montant de 17 220 226,63 euros, au titre, d'une part, de la somme transactionnelle de 17 000 000 d'euros versée par la société Snpe à lal société Bayer et, d'autre part, de la somme de 220 226,63 euros HT qu'elle a réglée au titre de ses frais de défense, alors :

« 1°/ que l'assureur dont la garantie est déclenchée par la réclamation de l'assuré ne couvre pas l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres s'il établit que ce dernier avait connaissance du fait dommageable à la date de la souscription de la garantie ; qu'un fait dommageable n'est connu de l'assuré que lorsqu'il est certain que la victime se retournera contre l'assuré pour demander réparation de son dommage ; que, pour relever que le fait dommageable subi par la société Bayer aurait été connu de la société Snpe antérieurement à la souscription de la garantie le 13 septembre 2005, la cour d'appel a énoncé que « contrairement à ce que soutient la société Snpe, il n'est donc pas nécessaire, pour caractériser le passé connu, que, outre la connaissance par l'assuré du fait dommageable, la réclamation de la victime soit inéluctable [; qu'] il suffit que l'assuré ait eu connaissance, avant la souscription du contrat, d'un fait dommageable ou d'un fait susceptible d'engager sa responsabilité, peu important que la réclamation soit encore incertaine à ce stade » ; qu'en statuant ainsi sans relever qu'il était certain que la société Bayer demande à la société Snpe qu'elle l'indemnise de son préjudice résultant de la cessation de l'activité de phosgène en 2002, la cour d'appel a violé l'article L. 124-5 du code des assurances ;

2°/ que subsidiairement, l'assureur dont la garantie est déclenchée par la réclamation de l'assuré ne couvre pas l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres s'il établit que ce dernier avait connaissance du fait dommageable à la date de la souscription de la garantie ; qu'un fait connu n'est qualifié de dommageable que lorsque l'assuré peut raisonnablement considérer être à l'origine du dommage invoqué par la victime ; que pour juger que la société Snpe avait connaissance du fait dommageable à compter du 10 février 2005, la cour d'appel a relevé qu'elle avait été faite assigner en intervention forcée par la société Grande Paroisse qui sollicitait sa mise hors de cause quant aux conséquences préjudiciables de la cessation de l'activité de phosgène par la société Snpe ; qu'une telle assignation en intervention forcée ne donnait pourtant aucune indication quant à une action éventuelle de la société Bayer à l'encontre de la société Snpe, une telle action n'ayant été initiée que le 26 décembre 2011, après que la Cour de cassation a rejeté, le 17 juin 2010, le pourvoi de la société Bayer à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse du 9 septembre 2008 l'ayant déboutée de sa demande à l'encontre de la société Grande Paroisse au titre de préjudice résultant de la cessation de l'activité de phosgène par la société Snpe ; que la cour d'appel s'est dès lors prononcée par des motifs inopérants à établir que la société Snpe avait connaissance du fait dommageable le 10 février 2005 et n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 124-5 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

10. Selon l'article L. 124-5, alinéa 4, du code des assurances, lorsque la garantie est déclenchée par la réclamation, l'assureur ne couvre pas l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres s'il établit que l'assuré avait connaissance du fait dommageable à la date de la souscription de la garantie.

11. Pour rejeter la demande de la société Snpe en paiement d'une indemnité d'assurance, l'arrêt énonce que cette société avait connaissance, à compter du 10 février 2005 au moins, du caractère dommageable, pour la société Bayer, de l'arrêt de la production de phosgène et du fait que sa responsabilité pouvait être engagée à ce titre, ce dont elle a pris connaissance par l'assignation délivrée par la société Grande Paroisse en février 2005, soit antérieurement à la souscription du contrat d'assurance, en septembre 2005, et qu'il n'est pas nécessaire, pour caractériser le passé connu, qu'outre la connaissance par l'assuré du fait dommageable, la réclamation de la victime soit inéluctable et qu'il suffit que l'assuré ait eu connaissance, avant la souscription du contrat, d'un fait dommageable ou d'un fait susceptible d'engager sa responsabilité, peu important que la réclamation fût encore incertaine.

12. Ayant ainsi souverainement estimé que l'assureur établissait que la société SNPE avait eu connaissance du fait dommageable dès son assignation, le 10 février 2005, par la société Grande Paroisse, tendant à ce qu'elle soit déclarée responsable, à l'égard de la société Bayer, des conséquences dommageables de sa cessation d'activité de production de phosgène, soit antérieurement à la date de souscription du contrat garantissant sa responsabilité civile, la cour d'appel en a exactement déduit que l'assureur ne devait pas sa garantie.

13. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Ittah - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre -

Textes visés :

Article L. 124-5, alinéa 4, du code des assurances.

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