Numéro 1 - Janvier 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2023

Partie I - Arrêts des chambres et ordonnances du Premier Président

ACCIDENT DE LA CIRCULATION

2e Civ., 26 janvier 2023, n° 21-15.483, (B), FRH

Cassation partielle

Indemnisation – Victime – Evaluation du préjudice – Modalités d'imputation du recours des tiers payeurs – Moyen d'ordre public – Moyen de pur droit – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 10 novembre 2020), le 11 novembre 2011, alors qu'il circulait sur une moto à Anglet, M. [J] a été percuté par le véhicule conduit par Mme [G], assurée auprès de la société MAAF assurances (la MAAF).

2. Le 21 septembre 2012, M. [J] a assigné Mme [G] et la MAAF aux fins d'indemnisation de son préjudice et de paiement d'une provision.

3. Par arrêt du 20 octobre 2015, une cour d'appel, infirmant le jugement rendu en première instance, a reconnu la responsabilité entière de Mme [G] dans le préjudice subi par M. [J].

Le 29 novembre 2017, cette même cour d'appel a condamné solidairement la MAAF et Mme [G] à payer à M. [J] la somme totale de 134 222,15 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice, déduction faite de la provision déjà versée à hauteur de 15 000 euros, ainsi que le montant des frais d'expertise judiciaire exposés par lui à titre d'avance à hauteur de 1 000 euros, et a condamné la MAAF à payer à M. [J], à titre de pénalité, des intérêts équivalents au double du taux légal sur la somme de 134 222,15 euros à compter du 11 juillet 2012 et jusqu'au jour de l'arrêt devenu définitif.

4. Mme [G] et la MAAF ont formé un pourvoi à l'encontre cette décision et M. [J] a formé un pourvoi incident.

Par arrêt du 16 janvier 2020, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (2e Civ., 16 janvier 2020, pourvoi n° 18-23.924) a cassé l'arrêt rendu par la cour d'appel « mais seulement en ce qu'il rejette la demande d'indemnisation de M. [J] au titre de la perte de gains professionnels futurs, en conséquence, condamn[é] solidairement la MAAF et Mme [G] à payer à M. [J] la somme totale de 134 222,15 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice, déduction faite de la provision déjà versée à hauteur de 15 000 euros, et condamne en outre la MAAF à payer à M. [J], à titre de pénalité, des intérêts équivalents au double du taux légal sur la somme de 134 222,15 euros à compter du 11 juillet 2012 et jusqu'au jour de l'arrêt devenu définitif. »

5. Le 12 mars 2020, M. [J] a saisi la cour d'appel de renvoi.

6. Devant la cour d'appel de renvoi, Mme [G] et la MAAF ont sollicité la confirmation du jugement en ce qu'il avait débouté M. [J] de sa demande présentée au titre de la perte de gains professionnels actuels et la réformation de ce même jugement en ce qui concerne l'indemnisation de l'incidence professionnelle. Ils ont fait valoir que la créance de la caisse devait s'imputer sur le déficit fonctionnel permanent et sollicité que le doublement du taux des intérêts ne soit appliqué que sur la période du 11 juillet 2012 au 7 juillet 2017.

Examen des moyens

Sur le second moyen, pris en sa troisième branche en ce qu'il porte sur le poste de l'incidence professionnelle

Enoncé du moyen

7. Mme [G] et la MAAF font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables les demandes formées au titre de l'incidence professionnelle, alors « quel que soit le moyen qui a déterminé la cassation, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce et s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; que dans son arrêt du 16 janvier 2020, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, saisie du pourvoi n° B 18-23.924 formé par Mme [G] et la MAAF à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de Pau du 29 novembre 2017 a, sur le pourvoi incident de M. [J], cassé et annulé cet arrêt en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation de M. [J] au titre de la perte de gains professionnels futurs et en conséquence, en ce qu'il a condamné solidairement la MAAF et Mme [G] à payer à M. [J] la somme totale de 134 222,15 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice ; qu'en déclarant qu'en raison du rejet des demandes de M. [J] au titre de son préjudice de perte de gains professionnels futurs, l'évaluation de son préjudice global tel qu'arbitré par la cour d'appel de Pau en ses dispositions non affectées par la cassation demeurait inchangée, de sorte que les demandes de modification des autres chefs de préjudice et d'imputation de la créance de la CPAM se heurtaient à l'autorité de la chose jugée et devenaient irrecevables, cependant que la cassation de l'arrêt portait sur le montant total du préjudice, ce qui englobait tous les postes du préjudice de M. [J], y compris l'incidence professionnelle, la cour d'appel a violé l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. Le poste de préjudice au titre de l'incidence professionnelle n'étant pas affecté par la cassation prononcée, c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé que la demande formée à ce titre était irrecevable.

9. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le second moyen, pris en sa seconde branche en ce qu'il porte sur l'imputation de la créance de la caisse

Enoncé du moyen

10. Mme [G] et la MAAF font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables les demandes formées au titre de l'imputation de la créance de la caisse, alors « que la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent, s'il existe, ces règles d'imputation du recours des tiers payeurs étant d'ordre public ; que la cour d'appel a déclaré qu'en raison du rejet des demandes de M. [J] au titre de son préjudice de perte de gains professionnels futurs, l'évaluation de son préjudice global tel qu'arbitré par la cour d'appel de Pau en ses dispositions non affectées par la cassation demeurait inchangée, de sorte que les demandes de modification des autres chefs de préjudice et d'imputation de la créance de la CPAM se heurtaient à l'autorité de la chose jugée et devenaient irrecevables ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'elle était saisie par Mme [G] et la MAAF d'un moyen de pur droit tiré de l'obligation d'imputer la rente accident du travail versée par la CPAM à M. [J] sur les postes de préjudice concernés, la cour d'appel a violé les articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985 et L. 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985, L. 434-1, L. 434-2 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale :

11. Il résulte des deux derniers textes que le capital ou la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle indemnise les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité.

12. L'arrêt retient que l'évaluation du préjudice global de M. [J], telle qu'arbitrée par la cour d'appel de Pau en ses dispositions non affectées par la cassation, est couverte par l'autorité de chose jugée de sorte que la demande relative aux modalités d'imputation de la créance de la caisse est irrecevable.

13. En statuant ainsi, alors que les règles concernant les modalités d'imputation du recours des tiers payeurs sont d'ordre public, la cour d'appel, qui était saisie par la MAAF et Mme [G] d'un moyen de pur droit tiré de l'obligation d'imputer la rente accident du travail sur les postes de préjudice de perte de gains professionnels futurs et d'incidence professionnelle, a violé les textes susvisés.

Et sur le premier moyen

Enoncé du moyen

14. Mme [G] et la MAAF font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables leurs demandes formées au titre de la période de doublement des intérêts de retard, alors « que la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce et s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; que dans son arrêt du 16 janvier 2020, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, saisie du pourvoi n° B 18-23.924 formé par Mme [G] et la MAAF à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de Pau du 29 novembre 2017, a cassé et annulé cet arrêt notamment en ce qu'il a « condamn(é) en outre la société MAAF assurances à payer à M. [J] à titre de pénalité, des intérêts équivalents au double du taux légal sur la somme de 134 222,15 euros à compter du 11 juillet 2012 et jusqu'au jour de l'arrêt devenu définitif » ; que statuant sur renvoi après cassation, la cour d'appel a déclaré que la demande de nouvelle fixation de la période de doublement des intérêts de retard n'était pas recevable pour ne pas présenter de lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire avec les dispositions de l'arrêt de la cour d'appel de Pau susvisé puisque l'éventuelle modification de l'assiette globale du calcul de ces intérêts n'était pas de nature à entraîner la remise en cause de la période retenue pour le doublement des intérêts ; qu'en statuant ainsi cependant que le dispositif de l'arrêt de cassation incluait explicitement, parmi les chefs de l'arrêt annulé, la condamnation de la MAAF à titre de pénalité au paiement d'intérêts au double du taux légal sur la somme de 134 222,15 euros et sur la période du 11 juillet 2012 et jusqu'au jour de l'arrêt devenu définitif, la cour d'appel a violé les articles 623, 624, 625 et 638 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 623, 624, 625 et 638 du code de procédure civile :

15. Il résulte de ces textes que la cassation qui atteint un chef de dispositif n'en laisse rien subsister, quel que soit le moyen qui a déterminé la cassation.

16. Pour déclarer irrecevable la demande de nouvelle fixation de la période de doublement des intérêts de retard, l'arrêt retient qu'une telle demande ne peut être considérée comme ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire avec la dispositions de l'arrêt de la cour d'appel de Pau atteinte par la cassation, puisque l'éventuelle modification de l'assiette globale du calcul de ces intérêts n'est pas de nature à entraîner la remise en cause de la période retenue pour le doublement des intérêts.

17. En statuant ainsi, alors que le dispositif de l'arrêt de cassation incluait explicitement, parmi les chefs de l'arrêt annulés, la condamnation de la MAAF à titre de pénalité au paiement d'intérêts au double du taux légal sur la somme de 134 222,15 euros et sur la période du 11 juillet 2012 jusqu'au jour de l'arrêt devenu définitif, de sorte que la juridiction de renvoi était investie de la connaissance du chef du litige tranché par cette disposition, dans tous ses éléments de fait et de droit, y incluse la période durant laquelle la pénalité devait être appliquée, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevable la demande indemnitaire formée par Mme [G] et la société MAAF au titre de l'incidence professionnelle, l'arrêt rendu le 10 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Pradel - Avocat général : Mme Nicolétis - Avocat(s) : SARL Le Prado - Gilbert ; SARL Cabinet Rousseau et Tapie -

Textes visés :

Articles 29 et 31 de la loi du n° 85-677 du 5 juillet 1985 ; articles L. 434-1, L. 434-2 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale ; articles 624, 625 et 638 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 16 janvier 2020, pourvoi n° 18-23.924 (cassation partielle).

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