Numéro 1 - Janvier 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2022

UNION EUROPEENNE

1re Civ., 26 janvier 2022, n° 20-21.542, (B), FS

Cassation partielle

Règlement (UE) n° 1259/2010 du Conseil du 20 décembre 2010 – Compétence judiciaire en matière de divorce et séparation de corps – Article 5 – Convention de choix de la loi applicable au divorce – Loi du for – Validité – Condition – Juge saisi de la demande en divorce

L'article 5 du règlement (UE) n° 1259/2010 du Conseil du 20 décembre 2010 mettant en oeuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, dit Rome III, dispose :

« 1. Les époux peuvent convenir de désigner la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, pour autant qu'il s'agisse de l'une des lois suivantes :

a) la loi de l'Etat de la résidence habituelle des époux au moment de la conclusion de la convention ; ou

b) la loi de l'Etat de la dernière résidence habituelle des époux, pour autant que l'un d'eux y réside encore au moment de la conclusion de la convention ; ou

c) la loi de l'Etat de la nationalité de l'un des époux au moment de la conclusion de la convention ; ou

d) la loi du for. »

Il en résulte que, lorsque des époux, dont la situation présente un élément d'extranéité, désignent, dans une convention de choix de la loi applicable au divorce, la loi d'un Etat déterminé, qui n'est pas l'une de celles qu'énumèrent les points a) à c), ce choix est valide, au titre du point d), lorsqu'elle est celle du juge qui a été ultérieurement saisi de la demande en divorce.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 24 septembre 2020), M. [E], de nationalités russe et mexicaine, et Mme [M], de nationalité russe, se sont mariés à [Localité 3] (Russie) le 19 avril 1996, sans contrat de mariage préalable.

Les époux ont fixé leur première résidence habituelle commune en Russie.

Par acte authentique du 22 février 2016, ils ont adopté le régime français de la séparation de biens à l'égard de leurs biens situés en France et ont fait choix de la loi française en cas de divorce.

2. Le 11 septembre 2017, Mme [M] a déposé une requête en divorce.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

4. M. [E] fait grief à l'arrêt de dire la loi française applicable au divorce, alors :

« 1°/ qu'aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 1259/2010 du Conseil du 20 décembre 2010, le choix de la « loi du for » ne peut s'entendre que de la volonté des époux de soumettre le divorce à la loi de l'Etat du juge compétent pour connaître du divorce, au jour de ce choix, de manière à lier la compétence du juge et la loi applicable au fond ; qu'en l'espèce, aux termes de l'accord du 22 février 2016, les époux avaient choisi, non pas la « loi du for » ainsi entendue, mais la loi française, sachant que le choix de la loi française pouvait entraîner une dissociation entre l'Etat auquel appartient le juge compétent et l'Etat dont relève la loi applicable au divorce ; qu'en refusant d'écarter l'accord comme illicite, les juges du fond ont violé l'article 5 du règlement (UE) n° 1259/2010 du Conseil du 20 décembre 2010 ;

2°/ que le consentement des époux devant être éclairé quant aux règles de fond susceptibles de s'appliquer au divorce, l'article 5 du règlement (UE) n° 1259/2010 du Conseil du 10 décembre 2010 suppose qu'en cas de choix de la « loi du for » les époux soient assurés, au moment où ils s'engagent, du contenu de la loi applicable au divorce ; que rien de tel n'a été constaté en l'espèce ; qu'en se fondant sur l'accord du 22 février 2016, les juges du fond ont violé l'article 5 du règlement (UE) n° 1259/2010 du Conseil du 10 décembre 2010 ;

3°/ que le choix de la loi française pouvait d'autant moins s'entendre comme le choix de la « loi du for », que toutes sortes de circonstances pouvaient affecter la compétence du juge apte à connaître du divorce et qu'en toute hypothèse, en application de l'article 3 du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003, le for pouvait désigner le juge russe ou le juge français, dans la mesure où M. [E] avait toujours été domicilié en Russie ; qu'à cet égard également, il était exclu que le juge puisse considérer qu'il avait été fait choix de la loi du for et l'article 5 du règlement (UE) n° 1259/2010 du Conseil du 20 décembre 2010 a été de nouveau violé. »

Réponse de la Cour

5. L'article 5 du règlement (UE) n° 1259/2010 du Conseil du 20 décembre 2010 mettant en oeuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, dit Rome III, dispose :

« 1.Les époux peuvent convenir de désigner la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, pour autant qu'il s'agisse de l'une des lois suivantes :

a) la loi de l'Etat de la résidence habituelle des époux au moment de la conclusion de la convention ; ou

b) la loi de l'Etat de la dernière résidence habituelle des époux, pour autant que l'un d'eux y réside encore au moment de la conclusion de la convention ; ou

c) la loi de l'Etat de la nationalité de l'un des époux au moment de la conclusion de la convention ; ou

d) la loi du for. »

6. Il en résulte que, lorsque des époux, dont la situation présente un élément d'extranéité, désignent, dans une convention de choix de la loi applicable au divorce, la loi d'un Etat déterminé, qui n'est pas l'une de celles qu'énumèrent les points a) à c), ce choix est valide, au titre du point d), lorsqu'elle est celle du juge qui a été ultérieurement saisi de la demande en divorce.

7. La cour d'appel a relevé que les époux de nationalité russe, dont l'un résidait habituellement en France, ont conclu le 22 février 2016 devant notaire un acte par lequel ils sont convenus, s'ils devaient partir à l'étranger, de désigner la loi française comme loi applicable en cas de séparation de corps ou de divorce.

8. Elle en a déduit à bon droit que la loi française choisie par les époux était applicable en tant que loi de la juridiction saisie de la demande en divorce.

9. Le moyen, qui est nouveau et mélangé de fait comme tel irrecevable en sa deuxième branche, n'est donc pas fondé pour le surplus.

Mais sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

10. M. [E] fait grief à l'arrêt de dire que la loi française est applicable à la détermination et à la liquidation du régime matrimonial, alors « que tout jugement doit être motivé ; que tant la contradiction de motifs que la contradiction entre les motifs et le dispositif, équivalent à un défaut de motif ; qu'au cas d'espèce, l'arrêt dans son dispositif, décide que la loi française est applicable et seule applicable à l'ensemble des biens des époux, sans distinction quand il ressort des motifs de l'arrêt que les biens situés en Russie sont soumis à la loi russe, cependant que les biens meubles et immeubles situés en France sont soumis à la loi française ; que dès lors, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction entre les motifs de sa décision et entre les motifs et le dispositif, en violation de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

11. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé et la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à un défaut de motifs.

12. Pour dire, dans son dispositif, que la loi française est applicable à la détermination et à la liquidation du régime matrimonial, l'arrêt retient qu'il résulte de la convention conclue entre les époux le 22 février 2016, que la loi russe est applicable pour tous les biens et droits immobiliers situés en Russie et la loi française sur la séparation des biens pour tous les biens meubles et immeubles, droits immobiliers et revenus situés en France.

13. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est contredite, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du troisième moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare la loi française applicable à la détermination et à la liquidation du régime matrimonial, l'arrêt rendu le 24 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Guihal - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article 5 du règlement (UE) n° 1259/2010 du Conseil du 20 décembre 2010.

Soc., 19 janvier 2022, n° 20-14.014, (B), FS

Cassation partielle

Travail – Salarié – Principe de non-discrimination – Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 – Application directe – Application directe dans les rapports entre particuliers – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 octobre 2019), M. [S] a été engagé verbalement le 1er septembre 1998 en qualité d'agent de nettoyage par la société France nettoyage. Il a été promu agent très qualifié puis chef d'équipe. Suivant avenant du 1er février 2011, comportant une clause de mobilité, il a été affecté sur le site de l'immeuble Gallieni à [Localité 7] (92), du lundi au vendredi de 13 heures à 16 heures 30, et sur celui de la mutuelle SMI à [Localité 5], du lundi au vendredi de 17 heures à 20 heures 30.

2. A la suite de la perte par la société [Adresse 4], le contrat de travail du salarié a été transféré à la société Derichebourg propreté (la société) à compter du 1er janvier 2012 en application de l'annexe VII à la convention collective nationale des entreprises de propreté, alors applicable.

3. Le 2 janvier 2012, la société a informé le salarié de sa mutation sur le site Ségula à [Localité 8] (78), laquelle a été refusée par l'intéressé.

4. Le 9 février 2012, la société a notifié au salarié sa mutation sur le site du cimetière de [Localité 3] (92), du lundi au vendredi de 13 heures à 17 heures.

Le salarié a refusé cette mutation en invoquant une incompatibilité d'horaire avec ses autres obligations professionnelles. Après modification par l'employeur des horaires de travail, qui ont été fixés de 12 heures 30 à 16 heures 30, le 24 avril 2012 le salarié a refusé à nouveau cette mutation en invoquant ses convictions religieuses hindouistes lui interdisant de travailler dans un cimetière.

5. Après convocation le 23 août 2012 à un entretien préalable à une éventuelle sanction pouvant aller jusqu'au licenciement, fixé au 3 septembre 2012, le salarié s'est vu notifier, par lettre du 21 septembre 2012 à effet du 8 octobre suivant, une mutation disciplinaire sur le site de la société Franfinance à [Localité 6] (92).

Par lettre du 1er octobre 2012, il a refusé cette mutation.

6. Après avoir été mis en demeure de rejoindre son poste par lettres des 12 et 22 novembre 2012, le salarié a été licencié pour cause réelle et sérieuse le 8 janvier 2013.

7. Contestant son licenciement, il a saisi la juridiction prud'homale, le 24 juin 2013, de demandes tendant à la nullité de sa mutation disciplinaire du 21 septembre 2012 et de son licenciement, ainsi qu'au paiement de diverses sommes à titre salarial et indemnitaire.

Examen du moyen

Sur le moyen relevé d'office

8. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles L. 1121-1, L. 1132-1, dans sa rédaction applicable, et L. 1133-1 du code du travail mettant en oeuvre en droit interne les articles 2, § 2, et 4, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail :

9. Il résulte de ces textes que les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché.

10. Il résulte par ailleurs de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 14 mars 2017, Micropole Univers, C-188/15), que la notion d'« exigence professionnelle essentielle et déterminante », au sens de l'article 4, § 1, de la directive 2000/78 du 27 novembre 2000, renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d'exercice de l'activité professionnelle en cause.

11. Pour prononcer l'annulation de la mutation disciplinaire, l'arrêt, après avoir retenu que la clause de mobilité avait été mise en oeuvre dans l'intérêt de l'entreprise, après que l'employeur s'est efforcé de répondre aux contraintes du salarié quant à ses horaires de travail et sans porter atteinte au droit de ce dernier à une vie personnelle et familiale, énonce que les faits laissant supposer une discrimination sont établis, puisque le salarié a été muté disciplinairement pour avoir refusé de rejoindre le poste sur lequel il était affecté alors qu'il justifiait son refus par l'exercice de ses convictions religieuses, qu'en présence du refus d'un salarié de se rendre sur un site d'affectation en raison de ses convictions religieuses, ressortant des libertés et droits fondamentaux de celui-ci, il appartient à l'employeur de rechercher si, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l'entreprise et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, il lui est possible de proposer au salarié un poste de travail compatible avec les exigences de chacune des parties, qu'or l'employeur n'a pas fait cette démarche alors qu'il disposait d'un poste susceptible de recevoir l'affectation du salarié puisqu'il l'y a muté disciplinairement.

L'arrêt en déduit que l'employeur, qui n'est pas juge des pratiques religieuses de ses salariés, échoue à démontrer que la sanction prononcée était étrangère à toute discrimination, en sorte qu'elle doit être annulée.

12. L'arrêt retient encore que la lettre de licenciement reproche au salarié d'avoir refusé de rejoindre le site Franfinance sur lequel il était affecté, que toutefois cette mutation disciplinaire ayant été annulée, l'employeur ne peut valablement reprocher au salarié son refus de rejoindre ce poste et ce, quels que soient les motifs avancés à l'appui de ce nouveau refus.

L'arrêt en déduit que la sanction ayant été annulée en raison de son caractère discriminatoire, le licenciement prononcé en partie pour non-respect par le salarié de cette obligation revêt également un caractère discriminatoire et doit donc être annulé.

13. En statuant ainsi, alors que la mutation disciplinaire prononcée par l'employeur était justifiée par une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de l'article 4, § 1, de la directive 2000/78 du Conseil du 27 novembre 2000 au regard, d'une part de la nature et des conditions d'exercice de l'activité du salarié, chef d'équipe dans le secteur de la propreté, affecté sur un site pour exécuter ses tâches contractuelles en vertu d'une clause de mobilité légitimement mise en oeuvre par l'employeur, d'autre part du caractère proportionné au but recherché de la mesure, laquelle permettait le maintien de la relation de travail par l'affectation du salarié sur un autre site de nettoyage, ce dont elle aurait dû déduire que la mutation disciplinaire ne constituait pas une discrimination directe injustifiée en raison des convictions religieuses et que, dès lors, le licenciement du salarié n'était pas nul, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

14. La cassation à intervenir n'emporte pas cassation du chef de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur au paiement d'une somme à titre d'indemnité de transport, dès lors que cette disposition ne fait l'objet d'aucune critique du moyen et que sa cassation n'est pas la conséquence nécessaire de la cassation prononcée sur le moyen relevé d'office.

15. La cassation des chefs de dispositif condamnant l'employeur à verser diverses sommes n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par une autre condamnation prononcée à l'encontre de celui-ci et non remise en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne la société Derichebourg propreté à payer à M. [S] la somme de 616,20 euros à titre d'indemnité de transport et celle de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, l'arrêt rendu le 17 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Sommé - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Articles L. 1121-1, L. 1132-1, dans sa rédaction applicable, et L. 1133-1 du code du travail ; articles 2, § 2, et 4, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'absence de discrimination directe en raison de la religion dans la décision de l'employeur fondée sur le caractère proportionné au but recherché de la mesure, dans le même sens que : CJUE, arrêt du 14 mars 2017, Micropole Univers, C-188/15 ; Soc., 22 novembre 2017, pourvoi n° 13-19.855, Bull. 2017, V, n° 200 (cassation), et les arrêts cités.

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