Numéro 1 - Janvier 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2022

SOCIETE PAR ACTIONS SIMPLIFIEE

Com., 19 janvier 2022, n° 19-12.696, (B), FS

Cassation partielle

Associés – Participation et vote aux décisions collectives – Dérogations statutaires – Résolutions adoptées à la majorité simple – Nécessité

La liberté laissée par l'article L. 227-9, alinéa 2, du code de commerce dans la rédaction des statuts d'une société par actions simplifiée (SAS) trouve sa limite dans la nécessité d'instituer une règle d'adoption des résolutions soumises à l'examen collectif des associés qui permette de départager ses partisans et ses adversaires.

Tel n'est pas le cas d'une clause statutaire stipulant qu'une résolution est adoptée dès lors qu'une proportion d'associés représentant moins de la moitié des droits de votes présents ou représentés s'est exprimée en sa faveur, puisque les partisans et les adversaires de cette résolution peuvent simultanément remplir cette condition de seuil.

Par conséquent, les résolutions d'une SAS ne peuvent être adoptées par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des votes exprimés.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué ([Localité 9], 20 décembre 2018), la société par actions simplifiée La Vierge, dont le capital est détenu par la société Audacia, MM. [W] et [A] [H], M. [U], M. [E] et Mme [S], est présidée par la société [Adresse 8]. Lors de l'assemblée générale extraordinaire de la société La Vierge, le 22 octobre 2015, les associés ont décidé, notamment, d'augmenter son capital social par l'émission de nouvelles actions, de supprimer le droit préférentiel de souscription des associés et de réserver l'émission des nouvelles actions à la société [Adresse 8]. Ces délibérations ont été adoptées par 229 313 voix contre 269 185, en application de l'article 17 des statuts stipulant que « Les décisions collectives des associés sont adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré. »

2. M. [U] a assigné la société La Vierge et ses associés, ainsi que la société [Adresse 8], en annulation de la délibération du 22 octobre 2015 relative à la décision d'augmenter le capital de la société La Vierge. MM. [H] se sont associés à cette demande et M. [W] [H] a, en outre, demandé au tribunal, « à titre reconventionnel », de prononcer la nullité de l'article 17 des statuts de la société.

3. Ayant cédé à la société [Adresse 8] l'ensemble des actions qu'il détenait dans le capital de la société La Vierge, M. [U] s'est désisté de son appel, MM. [H] maintenant quant à eux leur demande.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

4. La deuxième chambre civile a délibéré sur ce moyen, sur l'avis de M. Aparisi, avocat général, après débats à l'audience publique du 7 juillet 2021 où étaient présents : M. Pireyre, président, Mme Martinel, conseiller doyen, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, Mme Thomas, greffier de chambre.

Enoncé du moyen

5. MM. [H] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable la demande d'annulation de l'article 17 des statuts, de juger cette même demande irrecevable au visa des articles 71 et 564 du code de procédure civile et, en conséquence, de rejeter la demande de nullité de la décision d'assemblée générale extraordinaire de la société La Vierge en date du 22 octobre 2015 relative à la décision d'augmenter le capital social de 586 206,82 euros par émission d'actions nouvelles et ayant supprimé le droit préférentiel de souscription des actionnaires, alors :

« 1°/ que constitue une demande reconventionnelle la demande par laquelle le défendeur originaire prétend obtenir un avantage autre que le simple rejet de la prétention de son adversaire ; que la demande reconventionnelle est recevable alors même qu'elle ne serait pas précédée ou accompagnée d'une défense au fond ; qu'en se fondant, pour juger que la demande de M. [H] tendant à l'annulation de l'article 17 des statuts tels que modifiés par la décision du président prise le 24 mai 2013 ne constituait pas une demande reconventionnelle, et pour retenir en conséquence qu'elle n'était recevable ni en première instance, ni en appel, sur le fait qu'il n'avait pas opposé à la demande initiale des moyens de défense grâce auxquels il aurait discuté la recevabilité, la régularité ou le bien-fondé de cette demande, cependant que cette circonstance ne permettait pas de remettre en cause la qualification de demande reconventionnelle, la cour d'appel a violé l'article 64 du code de procédure civile ;

2°/ que constitue une demande reconventionnelle la demande par laquelle le défendeur originaire prétend obtenir un avantage autre que le simple rejet de la prétention de son adversaire, alors même que la prétention émise par l'auteur de la demande reconventionnelle ne serait pas dirigée contre le demandeur originaire ; qu'en se fondant, pour juger que la demande de M. [H] tendant à l'annulation de l'article 17 des statuts tels que modifiés par la décision du président prise le 24 mai 2013 ne constituait pas une demande reconventionnelle, et pour retenir en conséquence qu'elle n'était recevable ni en première instance, ni en appel, sur le fait qu'il n'avait émis aucune prétention propre contre le demandeur originaire, M. [U], cependant que cette circonstance était inopérante, la cour d'appel a derechef violé l'article 64 du code de procédure civile ;

3°/ que les demandes reconventionnelles sont recevables en première instance si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant ; qu'en jugeant que la demande d'annulation de l'article 17 des statuts tels que modifiés par la décision du président prise le 24 mai 2013 était irrecevable en application de l'article 70 du code de procédure civile sans rechercher si cette demande se rattachait par un lien suffisant aux prétentions originaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 70 du code de procédure civile ;

4°/ que la cour d'appel pour le cas où elle serait considérée comme ayant recherché si la demande d'annulation de l'article 17 des statuts tels que modifiés par la décision du président prise le 24 mai 2013 se rattachait par un lien suffisant aux demandes originaires, devrait être considérée comme ayant violé l'article 70 du code de procédure civile dès lors que cette demande d'annulation, qui tendait comme la demande originaire à remettre en cause l'augmentation de capital décidée le 22 octobre 2015, se rattachait par un lien suffisant à la demande originaire. »

Réponse de la Cour

6. En premier lieu, selon l'article 64 du code de procédure civile, constitue une demande reconventionnelle la demande par laquelle le défendeur originaire prétend obtenir un avantage autre que le simple rejet de la prétention de son adversaire.

7. Ayant constaté que M. [W] [H], attrait comme défendeur devant le tribunal de commerce, et qui s'est joint à la demande de M. [U], n'avait ni opposé à la demande initiale des moyens de défense grâce auxquels il aurait discuté la recevabilité, la régularité ou le bien-fondé de cette demande, ni émis, à son tour, une prétention propre à l'encontre du demandeur originaire, M. [U], c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que la demande de nullité de l'article 17 des statuts formée par M. [W] [H] ne constituait pas une demande reconventionnelle et que le jugement déféré, déclarant cette demande de M. [H] irrecevable, devait être confirmé.

8. En second lieu, la demande formée par M. [W] [H] en première instance et tendant à l'annulation de l'article 17 des statuts n'étant pas une demande reconventionnelle, la cour d'appel n'était pas tenue de rechercher si elle se rattachait aux prétentions originaires par un lien suffisant.

9. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

10. MM. [H] font grief à l'arrêt de rejeter la demande de nullité de la décision d'assemblée générale extraordinaire du 22 octobre 2015 ayant, notamment, supprimé le droit préférentiel de souscription des associés, alors « que les attributions dévolues aux assemblées générales extraordinaires dans les sociétés anonymes, et notamment les décisions d'augmentation de capital et de suppression d'un droit préférentiel de souscription, doivent, dans les sociétés par actions simplifiées, être exercées collectivement par les associés ; que, nonobstant les dispositions de l'article L. 227-9 du code de commerce et les éventuelles stipulations des statuts, les délibérations décidant de l'augmentation du capital d'une société par actions simplifiée et de la suppression du droit préférentiel de souscription de tout ou partie des actionnaires ne peuvent dès lors être adoptées par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des présents et représentés ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'assemblée générale extraordinaire du 22 octobre 2015, dont l'annulation était demandée, avait adopté par 229 313 voix pour et 269 185 voix contre les résolutions 1, 2, 3, 4 et 6 décidant d'une augmentation de capital et de la suppression du droit préférentiel de souscription des actionnaires, au profit de la société La [Adresse 8] ; qu'en jugeant que ces délibérations avaient été valablement adoptées, cependant qu'il résultait de ses propres constatations qu'elles avaient été adoptées par un nombre de voix inférieur à la moitié des votes exprimés, la cour d'appel a violé l'article L. 227-9 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 227-9, alinéa 2, du code de commerce :

11. Selon ce texte, dans les sociétés par actions simplifiées, les attributions dévolues aux assemblées générales extraordinaires et ordinaires des sociétés anonymes, en matière d'augmentation, d'amortissement ou de réduction de capital, de fusion, de scission, de dissolution, de transformation en une société d'une autre forme, de nomination de commissaires aux comptes, de comptes annuels et de bénéfices sont, dans les conditions prévues par les statuts, exercées collectivement par les associés.

12. Ce texte, créé par la loi n° 94-1 du 3 janvier 1994 instituant la société par actions simplifiée, laisse une grande liberté aux associés pour déterminer, dans les statuts d'une telle société, la majorité exigée pour adopter des résolutions dans les matières qu'il énumère.

13. Toutefois, cette liberté dans la rédaction des statuts trouve sa limite dans la nécessité d'instituer une règle d'adoption des résolutions soumises à l'examen collectif des associés qui permette de départager ses partisans et ses adversaires.

14. Tel n'est pas le cas d'une clause statutaire stipulant qu'une résolution est adoptée lorsqu'une proportion d'associés représentant moins de la moitié des droits de votes présents ou représentés s'est exprimée en sa faveur, puisque les partisans et les adversaires de cette résolution peuvent simultanément remplir cette condition de seuil.

15. Par conséquent, les résolutions d'une SAS ne peuvent être adoptées par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des votes exprimés.

16. Pour rejeter la demande d'annulation des délibérations litigieuses, l'arrêt retient qu'elles ont été adoptées par 229 313 voix contre 269 185, aucune abstention n'étant constatée et qu'elles ont donc recueilli le tiers des droits de vote des associés présents ou représentés, conformément à ce que prévoit l'article 17 des statuts qui, de façon claire et précise, stipule que « les décisions collectives des associés sont adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré ».

17. En statuant ainsi, alors que, nonobstant les stipulations contraires des statuts, les résolutions ne peuvent être adoptées par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des votes exprimés, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute MM. [W] et [A] [H] de leur demande d'annulation de la délibération de l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la société La Vierge relative à la décision d'augmenter le capital social de 586 206,92 euros par émission d'actions nouvelles en date du 22 octobre 2015 et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile sauf en ce qui concerne M. [U], l'arrêt rendu le 20 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme de Cabarrus - Avocat général : M. Douvreleur - Avocat(s) : SAS Cabinet Colin - Stoclet ; SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre -

Textes visés :

Article L. 227-9, alinéa 2, du code de commerce.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.