Numéro 1 - Janvier 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2022

SEPARATION DES POUVOIRS

Soc., 5 janvier 2022, n° 20-12.471, (B), FRH

Cassation partielle sans renvoi

Contrat de travail – Licenciement – Salarié protégé – Autorisation administrative – Saisine de l'inspecteur du travail – Décision d'incompétence – Légalité – Appréciation – Compétence judiciaire – Domaine d'application – Illégalité manifeste – Notion – Exclusion – Cas – Portée

Si, en cas de contestation sérieuse portant sur la légalité d'un acte administratif, les tribunaux de l'ordre judiciaire statuant en matière civile doivent surseoir à statuer jusqu'à ce que la question préjudicielle de la légalité de cet acte soit tranchée par la juridiction administrative, il en va autrement lorsqu'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal.

Tel n'est pas le cas d'une décision d'incompétence qui indique seulement que « le salarié n'exerce plus ses fonctions depuis plus d'un an, que de ce fait, les conditions requises à l'article L. 2411-3 du code du travail pour prétendre à la protection post-mandat ne sont pas remplies, le salarié n'est donc plus protégé », ce qui rendait nécessaire, pour dire la décision erronée, une interprétation de la décision administrative et une analyse de la situation de fait du salarié, incompatible avec la notion d'illégalité manifeste.

Acte administratif – Appréciation de la légalité, de la régularité ou de la validité – Incompétence judiciaire – Contrat de travail – Licenciement – Salarié protégé – Autorisation administrative – Saisine de l'inspecteur du travail – Décision d'incompétence – Légalité – Appréciation – Compétence judiciaire – Domaine d'application – Illégalité manifeste – Notion – Exclusion – Cas – Portée

Contrat de travail – Licenciement – Salarié protégé – Autorisation administrative – Compétence judiciaire – Question préjudicielle au juge administratif sur la légalité de la décision administrative dont dépend la solution du litige – Nécessité – Condition

Faits et procédure

1. Selon les arrêts attaqués (Douai, 27 septembre 2019 et 29 novembre 2019), M. [I], salarié de la Caisse d'assurance retraite et de la santé au travail Nord Picardie (la CARSAT) depuis 1981, a été convoqué à un entretien préalable au licenciement le 22 octobre 2014 en raison d'une situation d'inaptitude.

Par lettre du 17 novembre 2014, l'employeur a saisi l'inspecteur du travail afin d'obtenir l'autorisation de licencier le salarié.

Le 11 décembre 2014, l'inspecteur du travail s'est déclaré incompétent au motif que le salarié n'était plus protégé au moment de sa décision.

La CARSAT a procédé au licenciement du salarié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 19 janvier 2015.

2. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 8 juin 2015 pour contester son licenciement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La CARSAT fait grief à l'arrêt du 29 novembre 2019 de dire que la décision d'incompétence de l'inspection du travail du 11 décembre 2014 est entachée d'une illégalité manifeste, et d'annuler en conséquence le licenciement du salarié et de la condamner au paiement de diverses sommes à ce titre, alors « que si en cas de contestation sérieuse portant sur la légalité d'un acte administratif, les tribunaux de l'ordre judiciaire statuant en matière civile doivent surseoir à statuer jusqu'à ce que la question préjudicielle de la légalité de cet acte soit tranchée par la juridiction administrative, il en va autrement lorsqu'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a cru pouvoir affirmer qu'il résulte d'une jurisprudence bien établie que ni la maladie, ni l'inaptitude du salarié, ni son classement en invalidité 2e catégorie n'ont pour effet de faire cesser son mandat au délégué syndical et qu'il résulte d'une jurisprudence tout aussi établie que le délégué syndical bénéficie de sa protection indépendamment du fait qu'il l'exerce effectivement ou non, pour en déduire que la décision du 11 décembre 2014 par laquelle l'inspection du travail s'était déclarée incompétente pour statuer sur la demande d'autorisation de licenciement de M. [I] était manifestement illégale ; qu'en statuant ainsi sans indiquer la jurisprudence administrative à laquelle elle se référait, la cour d'appel qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article L. 2411-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de séparation des pouvoirs et la loi des 16 et 24 août 1790 :

4. Si, en cas de contestation sérieuse portant sur la légalité d'un acte administratif, les tribunaux de l'ordre judiciaire statuant en matière civile doivent surseoir à statuer jusqu'à ce que la question préjudicielle de la légalité de cet acte soit tranchée par la juridiction administrative, il en va autrement lorsqu'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal.

5. Pour dire la décision d'incompétence rendue par l'inspecteur du travail le 11 décembre 2014 manifestement illégale et annuler en conséquence le licenciement du salarié faute d'autorisation administrative de licenciement, l'arrêt retient que, si l'inspecteur du travail a jugé que le salarié ne bénéficiait plus de son statut protecteur, c'est parce qu'il a considéré qu'il avait été reconnu en invalidité 2ème catégorie par la CPAM le 1er décembre 2013 et qu'il avait donc cessé d'exercer toute activité professionnelle à cette date et qu'en conséquence, il n'était plus dans la période de protection post-mandat un an plus tard, à savoir depuis le 30 novembre 2014, que toutefois l'arrêt maladie et l'invalidité du salarié sont une cause de suspension du contrat, mais pas une cause de suspension et encore moins de cessation du mandat et qu'il résulte des éléments précités que la période de protection post-mandat du salarié devait s'achever un an après les élections professionnelles au terme desquelles le syndicat qui l'a désigné a perdu sa représentativité, soit en février 2015, de sorte que l'autorisation administrative de licenciement était requise.

6. En statuant ainsi, alors que la décision d'incompétence contestée indiquait seulement que « le salarié n'exerce plus ses fonctions depuis plus d'un an, que de ce fait, les conditions requises à l'article L. 2411-3 du code du travail pour prétendre à la protection post-mandat ne sont pas remplies, le salarié n'est donc plus protégé », ce qui rendait nécessaire une interprétation de la décision administrative et une analyse de la situation de fait du salarié, incompatible avec la notion d'illégalité manifeste, la cour d'appel a violé le principe et le texte susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

7. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2 du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

8. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

9. Selon une jurisprudence constante de la Cour (Soc., 26 septembre 2007, pourvoi n° 05-45.665, Bull. 2007, V, n° 137), lorsqu'une autorisation de licenciement, sur renvoi préjudiciel, est déclarée illégale par le juge administratif, il appartient au juge judiciaire, après avoir statué sur la cause réelle et sérieuse du licenciement, de réparer le préjudice subi par le salarié, si l'illégalité de la décision d'autorisation est la conséquence d'une faute de l'employeur.

10. Il résulte de l'arrêt et des conclusions des parties que la cause de l'illégalité de la décision administrative d'incompétence alléguée par le salarié et retenue par la cour d'appel est étrangère à toute faute de l'employeur.

11. Dès lors, les prétentions qui visent à voir reconnaître par voie d'exception l'illégalité de la décision administrative sont sans objet.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit la décision d'incompétence de l'inspection du travail du 11 décembre 2014 entachée d'une illégalité manifeste, annule le licenciement de M. [I], et condamne la CARSAT à lui payer diverses sommes à ce titre, l'arrêt rendu le 29 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

REJETTE les demandes de M. [I] tant principales que subsidiaires au titre de l'illégalité de la décision administrative d'incompétence, de la nullité de son licenciement et des indemnités sollicitées par voie de conséquence de cette nullité.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Pécaut-Rivolier - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Principe de la séparation des pouvoirs ; loi des 16 et 24 août 1790.

Rapprochement(s) :

Sur la possibilité pour le juge judiciaire de refuser de saisir le juge administratif par voie de question préjudicielle en cas de contestation de la légalité d'un acte administratif : Tribunal des conflits,, 17 octobre 2011, n° 11-03.828, Bull. 2011, T. conflits, n° 24. Sur la portée de l'obligation de surseoir à statuer en cas de contestation de la légalité d'une décision d'incompétence d'un inspecteur du travail saisi pour autoriser un licenciement : Soc., 19 mai 2016, pourvoi n° 14-26.662, Bull. 2016, V, n° 107 (cassation partielle). Sur la réparation du préjudice subi par le salarié en cas d'une faute de l'employeur à l'origine de l'illégalité de la décision d'autorisation de licenciement, à rapprocher : Soc., 26 septembre 2007, pourvoi n° 05-45.665, Bull. 2007, V, n° 137 (2) (cassation partielle).

Soc., 19 janvier 2022, n° 19-18.898, (B), FS

Cassation partielle sans renvoi

Contrat de travail – Non-renouvellement d'un contrat à durée déterminée – Salarié protégé – Autorisation administrative – Compétence judiciaire – Exclusion – Cas – Demande de requalification en un contrat à durée indéterminée

Le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, en l'état d'une autorisation administrative de rupture d'un contrat à durée déterminée arrivé à son terme, en application des articles L. 2412-1 et L. 2421-8 du code du travail, devenue définitive, statuer sur une demande de requalification du contrat de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée.

Il en résulte que dès lors que, par décision du ministre du travail dont la légalité n'était pas contestée par voie d'exception par le salarié, la rupture du contrat de travail avait été autorisée, la cour d'appel n'était pas compétente pour se prononcer sur la demande de requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 7 mai 2019), M. [I] a été engagé, à compter du 28 octobre 2016, par la société [Adresse 3], dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée saisonnier durant les vendanges tardives pour une durée minimale d'un jour, en qualité de coupeur.

2. Par lettre du 31 octobre 2016, la société [Adresse 3], informée par M. [I] de sa qualité de conseiller du salarié, a sollicité de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), l'autorisation de mettre un terme au contrat à l'issue des vendanges.

3. Par décision du 4 novembre 2016, le directeur adjoint du travail s'est déclaré incompétent au motif que le salarié ne bénéficiait d'aucun statut protecteur. A réception de cette lettre, le 8 novembre suivant, l'employeur a mis fin au contrat de travail.

4. Après le rejet de son recours gracieux, le salarié a ensuite formé un recours hiérarchique devant le ministre du travail lequel, par décision du 28 juillet 2017, a annulé la décision du directeur adjoint du 4 novembre 2016 et a autorisé la rupture du contrat de travail à durée déterminée conclu le 28 octobre 2016 au terme des vendanges, soit le 3 novembre 2016, aux motifs, d'une part, que le contrat établi et transmis conformément à la législation applicable n'avait pas à être regardé comme un contrat à durée indéterminée, d'autre part, que la rupture sollicitée résultait de l'arrivée du terme du contrat et ne procédait d'aucune mesure discriminatoire à l'encontre du salarié.

5. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir la requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et la condamnation de son employeur à lui verser diverses sommes à titre d'indemnité de requalification, de dommages-intérêts pour la violation du statut protecteur, d'indemnité pour licenciement nul, d'indemnité compensatrice de congés payés et de rappel de salaire.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

6. L'employeur fait grief à l'arrêt de requalifier le contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée et de le condamner à payer au salarié une somme à titre d'indemnité de requalification, alors « que le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, en l'état d'une autorisation administrative de rupture d'un contrat à durée déterminée devenue définitive, statuer sur une demande de requalification du contrat de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée, la demande de requalification présentée devant le juge judiciaire étant ainsi irrecevable ; qu'en constatant que, sur recours hiérarchique à l'encontre de la décision de la Direccte du 4 novembre 2016, le Ministre du travail avait, par décision du 28 juillet 2017, devenue définitive, annulé la décision du 4 novembre 2016 et autorisé la rupture du contrat à durée déterminée de M. [I] conclu le 28 octobre 2016 et se prononçant néanmoins sur la demande de requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et le principe de séparation des pouvoirs, ensemble les articles L. 2412-1 et L. 2421-8 du code du travail dans leur rédaction alors applicable. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

7. Le salarié conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que le moyen, tiré d'une violation de la loi des 16-24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III et du principe de la séparation des pouvoirs qui ne peut être invoqué pour la première fois devant la Cour de cassation, est nouveau et partant, irrecevable, l'employeur ne s'en étant jamais prévalu devant les juges du fond.

8. Cependant, ce moyen qui est de pur droit est recevable, même présenté pour la première fois devant la Cour de cassation.

Bien-fondé du moyen

Réponse de la Cour

Vu la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III, le principe de séparation des pouvoirs et les articles L. 2412-1 et L. 2421-8 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 :

9. Le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, en l'état d'une autorisation administrative de rupture d'un contrat à durée déterminée arrivé à son terme, en application des articles L. 2412-1 et L. 2421-8 du code du travail, devenue définitive, statuer sur une demande de requalification du contrat de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée.

10. Pour requalifier le contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée et condamner l'employeur à payer au salarié une somme à titre d'indemnité de requalification, l'arrêt énonce que le contrat de travail s'est poursuivi au-delà du terme prévu, à savoir la fin des vendanges, le 3 novembre 2016 et que la relation contractuelle de travail s'étant poursuivie au-delà du terme du contrat à durée déterminée, après réalisation de l'objet pour lequel il avait été conclu, celui-ci est devenu à durée indéterminée par application de l'article L. 1243-11 du code du travail.

11. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que, par décision du ministre du travail du 28 juillet 2017, dont la légalité n'était pas contestée par voie d'exception par le salarié, la rupture du contrat de travail avait été autorisée, ce dont il résultait qu'elle n'était pas compétente pour se prononcer sur la demande de requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le principe et les textes susvisés.

Et sur le second moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

12. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que la rupture du contrat de travail s'analysait en un licenciement nul, intervenu en violation du statut protecteur de conseiller du salarié et de le condamner à payer au salarié des sommes à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur, de dommages-intérêts pour licenciement nul, d'indemnité compensatrice de préavis, congés payés inclus, alors « que le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, en l'état d'une autorisation administrative de rupture d'un contrat à durée déterminée devenue définitive, statuer sur la rupture des relations contractuelles et indemniser le salarié au titre de la violation de son statut protecteur ou de la nullité de son licenciement ; qu'en constatant que, sur recours hiérarchique à l'encontre de la décision de la Direccte du 4 novembre 2016, le Ministre du travail avait, par décision du 28 juillet 2017, devenue définitive en l'absence de recours, autorisé la rupture du contrat à durée déterminée de M. [I] conclu le 28 octobre 2016, aux motifs que la rupture sollicitée du contrat vendanges résultait de l'arrivée de son terme et ne procédait d'aucune mesure discriminatoire, et en se prononçant néanmoins sur la rupture du contrat pour dire que celle-ci s'analysait en un licenciement intervenu en violation du statut protecteur de conseiller du salarié et condamner l'EARL [Adresse 3] à payer au salarié diverses sommes à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur, de dommages et intérêts pour licenciement nul et d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés inclus, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et le principe de séparation des pouvoirs, ensemble les articles L. 1232-14, L. 2411-21, L. 2411-1 et L. 2422-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III, le principe de séparation des pouvoirs et l'article L. 2412-1 du code du travail :

13. En l'état d'une décision d'incompétence de l'inspecteur du travail, intervenant après la demande d'autorisation de ne pas renouveler un contrat de travail à durée déterminée dont est bénéficiaire un salarié protégé, au motif que celui-ci n'était pas protégé, et d'une autorisation administrative de non-renouvellement d'un contrat à durée déterminée en application des articles L. 2412-13 et L. 2421-8 du code du travail devenue définitive, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, analyser la rupture de la relation de travail du fait de la survenue du terme du contrat à durée déterminée en un licenciement nul intervenu en violation du statut protecteur.

14. Pour dire que la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement nul, intervenu en violation du statut protecteur de conseiller du salarié, l'arrêt retient que la décision d'incompétence de la DIRECCTE du 4 novembre 2016 ne pouvait s'analyser en une autorisation de rupture et était susceptible de recours à la date à laquelle le contrat a pris fin, que le salarié a régularisé un recours gracieux à l'encontre de cette décision, qu'à l'issue de la procédure administrative qui s'en est suivie, le ministre du travail a, par décision du 28 juillet 2017, dit notamment que « la décision du directeur adjoint du travail en date du 4 novembre 2016 est annulée » et que « la rupture du contrat de travail à durée déterminée conclu le 28 octobre 2016 avec le salarié est autorisée », que pour autant la décision du ministre se substituant à celle de l'inspecteur du travail n'a valu autorisation de licencier qu'à compter de sa notification le 28 juillet 2017.

15. En statuant ainsi alors qu'elle avait constaté que, par décision du ministre du travail du 28 juillet 2017, statuant sur la demande de l'employeur d'autorisation de ne pas renouveler le contrat de travail à durée déterminée dont était bénéficiaire le salarié, décision dont la légalité n'était pas contestée par voie d'exception, la rupture du contrat de travail à l'arrivée du terme avait été autorisée, la cour d'appel a violé le principe et les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

16. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

17. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il requalifie le contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée, dit que la rupture s'analyse en un licenciement nul intervenu en violation du statut protecteur de conseiller du salarié et condamne la société [Adresse 3] à payer à M. [I] des sommes à titre d'indemnité de requalification, d'indemnité pour violation du statut protecteur, de dommages-intérêts pour licenciement nul, d'indemnité compensatrice de préavis, congés payés inclus et en application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 7 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déboute M. [I] de ses demandes au titre de la requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée, de la nullité de la rupture du contrat de travail et de ses demandes subséquentes en paiement de diverses sommes, en ce compris celle fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Pécaut-Rivolier - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano ; SCP Gadiou et Chevallier -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; principe de séparation des pouvoirs ; articles L. 2412-1 et L. 2421-8 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018.

Rapprochement(s) :

Sur l'irrecevabilité de la demande en requalification du contrat de travail à durée déterminée devant le juge judiciaire, en présence d'une autorisation administrative de non-renouvellement de ce contrat, à rapprocher : Soc., 9 mai 2018, pourvoi n° 16-20.423, Bull. 2018, V, n° 82 (rejet).

1re Civ., 19 janvier 2022, n° 17-19.489, (B), FS

Cassation

Question préjudicielle – Question préjudicielle portant sur la légalité d'une décision administrative individuelle – Caractère sérieux de la contestation de la légalité de la décision – Appréciation par le juge judiciaire – Nécessité – Recours pour excès de pouvoir rejeté antérieurement par la juridiction administrative – Absence d'influence

Il résulte de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III que le rejet d'un recours en excès de pouvoir, qui n'a qu'une autorité relative à l'égard du juge judiciaire, ne fait pas obstacle à ce que soit contestée devant lui la légalité de la décision administrative individuelle à l'occasion de l'application qui en est faite.

Aux termes de l'article 49, alinéa 2, du code de procédure civile, lorsque la solution d'un litige dépend d'une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction administrative, la juridiction judiciaire initialement saisie la transmet à la juridiction administrative compétente en application du titre Ier du livre III du code de justice administrative et elle sursoit à statuer jusqu'à la décision sur la question préjudicielle.

Dès lors viole ces textes, la cour d'appel, qui, pour rejeter une demande de question préjudicielle relative à la légalité d'une décision administrative individuelle, ayant fait l'objet d'un précédent recours pour excès de pouvoir rejeté par la juridiction administrative, retient qu'une telle demande se heurte à l'autorité de chose jugée des décisions rendues par la juridiction administrative et qu'elle s'analyse en un recours en révision qui devrait être présenté devant le Conseil d'Etat, alors qu'il lui appartenait d'apprécier le caractère sérieux de la contestation de légalité de la décision soulevée.

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Litige relatif au remboursement de l'aide au retour à l'emploi indûment perçue – Contestation de la légalité de la décision administrative individuelle ayant supprimé cette aide – Question préjudicielle – Possibilité – Recours pour excès de pouvoir rejeté antérieurement par la juridiction administrative – Absence d'influence

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 7 mars 2017) et les productions, M. [Y] a bénéficié du revenu de remplacement dénommé aide au retour à l'emploi, du 11 janvier 2005 au 28 février 2006 puis du 10 février 2007 au 31 août 2008, lequel a été versé par l'ASSEDIC des Alpes, aux droits de laquelle se trouve Pôle emploi Rhône-Alpes (Pôle emploi).

2. Considérant que M. [Y] avait omis de déclarer une activité de gérant d'une société de droit suisse et la réalisation de prestations pour le compte de cette société, le préfet de la Haute-Savoie a, le 24 novembre 2008, prononcé la suppression définitive de ses allocations à compter du 11 janvier 2005.

3. Par jugement du 20 mai 2011, le tribunal administratif a rejeté le recours pour excès de pouvoir formé par M. [Y] contre cette décision.

Par ordonnance du 15 décembre 2011, devenue irrévocable, la cour administrative d'appel a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement.

4. Le 18 mars 2013, Pôle emploi a assigné M. [Y] en remboursement des allocations indûment perçues, lequel a opposé en appel l'illégalité de la décision du préfet de la Haute-Savoie et demandé que la question préjudicielle de la légalité de cette décision soit soumise à la juridiction administrative.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. M. [Y] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à Pôle emploi la somme de 167 927,41 euros avec intérêts au taux légal à compter du 8 avril 2009 et capitalisation par années entières à compter du 18 mars 2013, alors « qu'à la différence du jugement d'annulation qui est revêtu d'une autorité absolue de la chose jugée, le jugement rejetant au fond un recours pour excès de pouvoir n'est investi que d'une autorité relative, de sorte que son prononcé ne fait pas obstacle à ce que le requérant excipe de l'illégalité de l'acte administratif devant le juge judiciaire, à l'occasion de l'application qui en est faite par le juge judiciaire ; qu'en considérant que M. [Y] ne pouvait plus exciper de l'illégalité de la décision préfectorale l'excluant du bénéfice de remplacement depuis que le juge administratif avait écarté son recours en annulation par une décision irrévocable sans mettre en cause son autorité de chose jugée, ni l'autorité attachée aux décisions administratives, quand Pôle emploi n'était pas partie à l'instance administrative, la cour d'appel a violé l'article 1351 du code civil, ensemble le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires et la loi des 16 et 24 août 1790. »

Réponse de la Cour

Vu la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et l'article 49, alinéa 2, du code de procédure civile :

6. Il résulte des deux premiers de ces textes que le rejet d'un recours en excès de pouvoir, qui n'a qu'une autorité relative à l'égard du juge judiciaire, ne fait pas obstacle à ce que soit contestée devant lui la légalité de la décision administrative individuelle à l'occasion de l'application qui en est faite.

7. Aux termes du dernier, lorsque la solution d'un litige dépend d'une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction administrative, la juridiction judiciaire initialement saisie la transmet à la juridiction administrative compétente en application du titre Ier du livre III du code de justice administrative et elle sursoit à statuer jusqu'à la décision sur la question préjudicielle.

8. Pour rejeter la demande de question préjudicielle et accueillir la demande en paiement de Pôle emploi, l'arrêt retient que la demande de M. [Y] se heurte à l'autorité de chose jugée des décisions rendues par la juridiction administrative et qu'elle s'analyse en un recours en révision qui devrait être présenté devant le Conseil d'Etat selon les dispositions des articles R. 834-1 à R. 834-4 du code de justice administrative.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel, à laquelle il appartenait d'apprécier le caractère sérieux de la contestation de légalité de la décision du 24 novembre 2008 soulevée par M. [Y], a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 mars 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Serrier - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Le Bret-Desaché ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; article 49, alinéa 2, du code de procédure civile.

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