Numéro 1 - Janvier 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2022

SECURITE SOCIALE, REGIMES COMPLEMENTAIRES

2e Civ., 20 janvier 2022, n° 20-16.953, (B), FRH

Cassation partielle

Institution de prévoyance – Prestations – Caractère indemnitaire – Conséquences – Subrogation légale contre le tiers responsable – Office du juge

Aux termes de l'article L.931-11 du code de la sécurité sociale, pour le paiement des prestations à caractère indemnitaire, les institutions de prévoyance sont subrogées jusqu'à concurrence de ces prestations dans les droits et actions du participant, du bénéficiaire ou de leurs ayants droit contre les tiers responsables.

Prive dès lors de base légale sa décision la cour d'appel qui ne recherche pas quel est le mode de détermination du capital-décès et des rentes éducation versés par une institution de prévoyance, alors que cette dernière soutenait que ces prestations, fixées en fonction des revenus de la défunte, et qui n'étaient pas indépendantes, dans leurs modalités de calcul et d'attribution, de celles de la réparation du préjudice selon le droit commun, présentaient un caractère indemnitaire.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 19 mai 2020), [F] [K], alors qu'elle pilotait son scooter, a été victime d'un accident de la circulation impliquant le véhicule conduit par M. [J], assuré auprès de la société GMF (l'assureur).

2. [F] [K] est décédée des suites de cet accident.

3. M. [J] a été condamné pénalement pour homicide involontaire avec la circonstance qu'il conduisait en état alcoolique.

4. Les ayants droit de la victime, MM. [S] et [H] [Z], Mme [T] [Z], Mmes [M] et [G] [K] et M. [P] [K] (les consorts [K] et [Z]) ont assigné l'assureur devant un tribunal de grande instance aux fins d'indemnisation de leurs préjudices, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône et d'Humanis Prévoyance, institution de prévoyance régie par le code de la sécurité sociale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches et sur le second moyen, pris en sa première branche, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. L'assureur fait grief à l'arrêt de dire que le droit à indemnisation est entier et de le condamner à payer les sommes suivantes : à M. [S] [Z] : 192 275,52 euros, à M. [H] [Z], représenté par son père : 3 438,93 euros [en réalité 34 438,93 euros], à Mme [T] [Z] : 30 474,22 euros, à Mme [M] [K] : 10 300 euros, à M. [P] [K] : 12 826,80 euros et à Mme [G] [K] : 10 000 euros alors « que lorsque plusieurs véhicules terrestres à moteur sont impliqués dans un accident de la circulation, chaque conducteur a droit à l'indemnisation des dommages qu'il a subis, sauf s'il a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice ; que la faute de la victime conductrice de nature à exclure ou limiter l'indemnisation de son préjudice doit être appréciée sans prendre en considération le comportement de l'autre conducteur impliqué ; qu'en retenant, pour dire que le droit à indemnisation était entier, que la circonstance que [F] [K] ne se tenait pas complètement à droite dans le virage, conformément aux prescriptions de l'article R. 412-9 du code de la route, ne constituait pas une faute de nature à limiter son droit à indemnisation dès lors que la voiture de M. [J] empiétait largement sur la voie opposée, qu'il n'avait rencontré aucun obstacle, que le point d'impact se situait sur la voie empruntée par la victime, à un mètre de l'axe médian et que Mme [K] qui, si elle ne tenait pas complètement sa droite, ne s'en trouvait pas moins très largement dans sa voie large de 3,30 mètres, l'écart par rapport au bord droit de sa voie s'expliquant par le fait qu'elle venait de tourner, pour en déduire que « le droit à indemnisation de la victime et dès lors de ses ayants droits est par conséquent intégral, les fautes de M. [J] (conduite en état alcoolique, vitesse excessive, déportement sur la voie de gauche en l'absence d'obstacle sur sa voie) étant à l'origine exclusive de l'accident », la cour d'appel, qui a pris en compte le comportement de M. [J] pour apprécier la faute de la victime ayant contribué à son préjudice, a méconnu les articles 4 et 6 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985. »

Réponse de la Cour

7. Pour dire que le droit à indemnisation des victimes par ricochet est entier, après avoir relevé que l'assureur reproche à la victime de ne pas avoir circulé le plus à droite possible, l'arrêt relève, par motifs propres, qu'il résulte de deux témoignages et du rapport d'un expert que le point d'impact se situe sur la voie empruntée par la victime, à un mètre de l'axe médian. Il énonce, par motifs adoptés, que si la victime ne tenait pas complètement sa droite, elle ne s'en trouvait pas moins très largement dans sa voie.

8. L'arrêt ajoute que l'écart par rapport au bord droit de la chaussée, qui s'explique par le fait que la victime venait de tourner, ne peut pas être considéré comme une faute.

9. En l'état de ces énonciations procédant de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait, d'où il résulte que le conducteur victime n'a commis aucune faute ayant contribué à la réalisation de son dommage, et abstraction faite du motif erroné mais surabondant relatif au comportement fautif de l'autre conducteur, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.

Mais sur le second moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

10. L'assureur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer les sommes suivantes : à M. [S] [Z] : 192 275,52 euros, à M. [H] [Z], représenté par son père : 3 438,93 euros [en réalité 34 438,93 euros], à Mme [T] [Z] : 30 474,22 euros alors « que selon l'article L. 931-11 du code de la sécurité sociale, pour le paiement des prestations à caractère indemnitaire, les institutions de prévoyance sont subrogées jusqu'à concurrence desdites prestations dans les droits et actions du participant, du bénéficiaire ou de leurs ayants droit contre le tiers responsable ; qu'ont un caractère indemnitaire le capital-décès et de la rente Education lorsque ces prestations versées en cas de décès par l'organisme de prévoyance grâce aux cotisations prises en charge par l'employeur sont déterminées au prorata de la rémunération de l'assuré décédé ; qu'en l'espèce, ainsi que le faisait valoir la GMF dans ses conclusions d'appel, il résultait de la notice d'information du contrat collective de prévoyance à adhésion obligatoire d'Humanis prévoyance, versée aux débats, que le capital-décès et la rente Education versée aux ayants-droits de [F] [K] étaient calculées en pourcentage du salaire de référence ; qu'en retenant qu'il n'était pas démontré que ces prestations auraient un caractère indemnitaire, aux motifs inopérants que le fait que la rente éducation versée aux enfants de la victime était d'un montant identique nonobstant leur différence d'âge, la cour d'appel a violé l'article L. 931-11 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

11. Les consorts [K] et [Z] contestent la recevabilité du moyen. Il soutiennent qu'il est nouveau dès lors que l'assureur se serait exclusivement prévalu, devant la cour d'appel, du moyen tiré du caractère réputé indemnitaire, par détermination de la loi, des prestations servies aux ayants droit, sur le fondement de l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985.

12. Cependant, dans ses conclusions d'appel, l'assureur avait, d'une part, soutenu que l'institution de prévoyance en cause devait être assimilée à un organisme gérant un régime de sécurité sociale obligatoire, sur le fondement de l'article 29,1°, de la loi du 5 juillet 1985, d'autre part, argumenté sur le caractère indemnitaire des prestations versées aux ayants droit, dès lors qu'elles avaient été « calculées en pourcentage du salaire » de la victime décédée.

13. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L.931-11 du code de la sécurité sociale :

14. Aux termes de ce texte, pour le paiement des prestations à caractère indemnitaire, les institutions de prévoyance sont subrogées jusqu'à concurrence de ces prestations dans les droits et actions du participant, du bénéficiaire ou de leurs ayants droit contre les tiers responsables.

15. Pour rejeter la demande d'imputation du capital-décès et des rentes éducation sur le préjudice économique des ayants droit, l'arrêt énonce, par motifs adoptés, qu'il n'est pas démontré que ces prestations auraient un caractère indemnitaire, et ajoute que le fait que la rente éducation versée aux enfants de la victime soit d'un montant identique, nonobstant leur différence d'âge, « plaide », au contraire, pour un caractère forfaitaire.

16. En se déterminant ainsi, en considération du seul montant des rentes éducation, alors que l'assureur soutenait, dans ses conclusions d'appel, que l'ensemble des prestations versées revêtaient un caractère indemnitaire, dès lors qu'elles avaient été fixées en fonction des revenus de la défunte, et qu'elles n'étaient, de ce fait, pas indépendantes, dans leurs modalités de calcul et d'attribution, de celles de la réparation du préjudice selon le droit commun, la cour d'appel, qui n'a pas recherché quel était le mode de détermination des prestations en cause, n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Garantie mutuelle des fonctionnaires à payer les sommes suivantes : 192 275,52 euros à M. [S] [Z], 34 438,93 euros à M. [H] [Z], représenté par son père et 30 474, 22 euros à Mme [T] [Z], l'arrêt rendu le 19 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Ittah - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Rousseau et Tapie ; Me Le Prado -

Textes visés :

Article L. 931-11 du code de la sécurité sociale.

2e Civ., 6 janvier 2022, n° 19-24.501, (B) (R), FS

Cassation

Vieillesse – Pension – Arrêté du 30 décembre 1970 – Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'Etat et des collectivités publiques (IRCANTEC)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 17 septembre 2019) et les productions, M. [L] (l'assuré) a sollicité la liquidation de sa pension de retraite complémentaire auprès de l'Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'Etat et des collectivités publiques (l'IRCANTEC) le 11 octobre 2011, à effet du 1er janvier 2012.

2. L'IRCANTEC ayant fait application, pour déterminer le nombre de points de retraite attribués à l'assuré au titre des périodes de chômage indemnisé effectuées entre le 15 septembre 2005 et le 31 décembre 2011, des dispositions issues de l'article 8 de l'arrêté du 23 septembre 2008 modifiant l'arrêté du 30 décembre 1970 relatif aux modalités de fonctionnement du régime de retraite complémentaire des assurances sociales institué par le décret n° 70-1277 du 23 décembre 1970, l'assuré a saisi d'un recours un tribunal de grande instance.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

3. L'assuré fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de voir juger qu'il avait définitivement acquis des points de retraite complémentaire auprès de l'IRCANTEC au cours de la période de chômage du 15 septembre 2005 au 31 décembre 2011, que sa pension de retraite complémentaire devait être réévaluée en tenant compte de 15 936 points acquis au cours de ladite période de chômage, et de voir condamner l'IRCANTEC à lui verser un montant de pension de retraite complémentaire réévalué à compter du 1er avril 2015 en intégrant dans ses calculs les 15 936 points acquis au cours de la période de chômage, alors « que les points de retraite attribués, à titre onéreux ou gratuit, au titre de périodes de carrière ou de chômage écoulées sont définitivement acquis ; qu'ils ne peuvent être remis en cause au titre de ces périodes par l'intervention d'une nouvelle réglementation, eu égard aux principes de non-rétroactivité, de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime, de respect des biens et de non-discrimination ; qu'en retenant, pour dire que M. [L] n'avait pas acquis de points auprès de l'IRCANTEC au cours de sa période de chômage, et le débouter de sa demande de réévaluation de sa pension, que jusqu'au jour de la demande de retraite, les droits de l'assuré ne sont que potentiels, et que l'intéressé ne pouvait se prévaloir de droits acquis qu'après la liquidation de sa retraite, la cour d'appel a violé l'ensemble des principes susvisés. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1er et 2 du code civil, 11 ter de l'arrêté du 30 décembre 1970 relatif aux modalités de fonctionnement du régime de retraite complémentaire des assurances sociales institué par le décret n° 70-1277 du 23 décembre 1970, dans sa rédaction issue de l'arrêté du 13 juillet 1977, et 8 de l'arrêté du 23 septembre 2008 modifiant l'arrêté du 30 décembre 1970 :

4. Selon le troisième de ces textes, les périodes de chômage d'une durée d'un mois au moins donnent lieu à attribution de points gratuits, dans les conditions qu'il précise.

Les points de retraite sont attribués pour chaque jour de chômage indemnisé.

5. Selon le quatrième, modifiant le troisième et applicable aux demandes de retraite reçues à compter du 1er janvier 2009 et pour les périodes de chômage postérieures au 1er août 1977 ou en cours à cette date, les périodes de chômage indemnisées en application des dispositions du titre II du livre IV de la cinquième partie du code du travail et donnant lieu à prélèvement de cotisations au titre de la retraite complémentaire ouvrent droit, pour chaque jour indemnisé, à l'attribution de points dans les conditions qu'il précise.

Les périodes de chômage indemnisées en application des mêmes dispositions du code du travail et ne donnant pas lieu à prélèvement de cotisations au titre de la retraite complémentaire ouvrent droit à l'attribution de points gratuits sous certaines conditions, la validation de la période de chômage ne pouvant excéder un an.

6. Il résulte de ces dispositions que les points de retraite sont acquis au fur et à mesure des périodes de chômage qui en constituent le fait générateur.

7. Dès lors, l'article 8 de l'arrêté du 23 septembre 2008 précité, en ce qu'il remet en cause l'acquisition, à titre gratuit, par les assurés ayant sollicité la liquidation de leur pension de retraite complémentaire postérieurement au 1er janvier 2009, de points de retraite au titre des périodes de chômage effectuées entre le 1er août 1977 et le 1er janvier 2009, présente un caractère rétroactif et comme tel méconnaît le principe de non-rétroactivité des actes réglementaires.

8. En revanche, la modification, à compter de l'entrée en vigueur de la réforme, des règles d'attribution des points de retraite au titre des périodes de chômage, ne présente pas de caractère rétroactif. Elle ne méconnaît pas davantage les principes de sécurité juridique et de confiance légitime, ni le principe de non-discrimination garanti par l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni le droit au respect des biens garanti par l'article 1er du Premier protocole additionnel à cette convention.

9. Pour débouter l'assuré de l'ensemble de ses demandes, l'arrêt énonce que les modalités de liquidation d'une pension de retraite, conditionnées par la nécessité de maintenir l'équilibre des différents régimes gérés par les caisses, s'apprécient au jour de la demande présentée par l'assuré d'après les textes en vigueur à cette date. Il ajoute que jusqu'à cette dernière, les droits de l'assuré en période de constitution ne sont que de simples droits potentiels.

10. En statuant ainsi, alors que l'assuré était fondé à se prévaloir, pour la liquidation de sa pension de retraite complémentaire, des points de retraite acquis au titre des périodes de chômage antérieures au 1er janvier 2009, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

11. L'assuré fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de condamnation de l'[3] à lui verser un montant de 39 586 euros, avec intérêt au taux légal à compter du prononcé du jugement, à titre de réparation du préjudice subi au regard de ses droits à retraite complémentaire depuis le 1er janvier 2012, évalué jusqu'au 1er juin 2018, alors « que par application de l'article 624 du code de procédure civile, la censure qui s'attachera au chef de l'arrêt ayant débouté M. [L] de ses demandes tendant à voir juger qu'il avait définitivement acquis 15 936 points au cours de sa période de chômage courant du 15 septembre 2005 au 31 décembre 2011 entraînera, par voie de conséquence, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt attaqué ayant débouté M. [L] de sa demande de paiement de 39 586 euros, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, à titre de réparation du préjudice subi au regard de ses droits à retraite complémentaire depuis le 1er janvier 2012, évalué jusqu'au 1er juin 2018. »

Réponse de la Cour

12. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt relatives à l'attribution de points de retraite complémentaire entraîne la cassation du chef de dispositif relatif à la demande de dommages-intérêts, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Vigneras - Avocat général : M. Gaillardot - Avocat(s) : SCP Didier et Pinet ; SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin -

Textes visés :

Article 11 ter de l'arrêté du 30 décembre 1970 institué par le décret n° 70-1277 du 23 décembre 1970, dans sa rédaction issue de l'arrêté du 13 juillet 1977 ; article 8 de l'arrêté du 23 septembre 2008 modifiant l'arrêté du 30 décembre 1970.

Soc., 19 janvier 2022, n° 19-23.272, (B), FS

Cassation partielle

Vieillesse – Régime supplémentaire – Engagement unilatéral de l'employeur – Modification – Modification par voie d'accord collectif – Modification d'un régime surcomplémentaire de retraite à prestations définies et garanties – Opposabilité aux anciens salariés – Conditions – Détermination – Portée

Il résulte des articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2006-344 du 23 mars 2006, L. 2141-2 du code du travail et 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que seul un accord collectif conclu entre l'employeur et une ou plusieurs organisations syndicales représentatives dans l'entreprise qui ont vocation à négocier pour l'ensemble des salariés et anciens salariés peut apporter, de façon opposable aux anciens salariés, des modifications au régime de retraite surcomplémentaire à prestations définies et garanties.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 août 2019), la Société générale (la société), selon un engagement unilatéral de l'employeur, a fait bénéficier, à compter du 1er janvier 1986, ses cadres « hors classification », à savoir ceux exerçant des fonctions de direction d'agences bancaires ou d'entités plus importantes dont l'emploi ne figure pas dans la classification conventionnelle de branche, d'un régime de retraite surcomplémentaire formalisé dans un règlement du 28 octobre 1988. Ce régime de retraite surcomplémentaire, différentiel, à prestations définies sans condition d'achèvement de la carrière dans l'entreprise, garantit aux cadres retraités, à compter de la liquidation de leurs droits à pension, une pension globale de retraite de n/60èmes de leur « rémunération annuelle garantie » au moment de la liquidation de leurs droits, « n » correspondant au nombre d'annuités déterminé selon le règlement, la pension à la charge de l'employeur étant égale à la différence entre la pension globale ainsi déterminée, avec un mécanisme de revalorisation, et les différentes pensions des régimes légaux et complémentaires. Il est prévu une contribution supportée par les cadres bénéficiaires, fixée à un pourcentage de la « rémunération annuelle garantie » supérieure à un certain plafond.

2. A la suite de la fermeture du régime de retraite des banques et de son entrée dans le champ des régimes ARRCO et AGIRC, ce régime a été modifié le 1er janvier 1994, puis de nouvelles modifications sont intervenues les 31 décembre 2004 et 1er mars 2011 (dégradation des coefficients d'ajournement) à la suite des lois n° 2003-775 du 21 août 2003 modifiant les conditions de liquidation des retraites de base et n° 2010-1330 du 9 novembre 2010. Enfin, en juillet 2014, il a été décidé une adaptation des modalités de revalorisation des pensions et des futures réversions des rentes.

3. L'association Réseau Valmy (l'association) a été créée le 25 juin 2015. Ses membres sont des anciens cadres salariés du groupe Société générale ayant appartenu à la catégorie des cadres « hors classification ».

Selon ses statuts, cette association a « pour but de maintenir et développer des liens entre les anciens cadres supérieurs salariés du groupe Société générale, afin de perpétuer l'esprit d'équipe qui les animait lorsqu'ils étaient en activité. Ces liens doivent leur permettre de partager, et le cas échéant de défendre, les intérêts spirituels, moraux et matériels qui peuvent être communs à tout ou partie d'entre eux. »

4. Contestant les modifications intervenues jusqu'à celle, comprise, de 2014 du régime initial et arguant d'une situation de « lésions » et de fortes réductions de l'engagement de retraite surcomplémentaire de 1986, l'association a fait assigner, le 29 décembre 2015, la société aux fins principalement de déclarer inopposables à ses membres les différentes modifications apportées à ce régime de retraite surcomplémentaire d'entreprise.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable en ses deux premières branches et n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation en ses deux autres branches.

Mais sur le moyen relevé d'office

6. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2006-344 du 23 mars 2006, l'article L. 2141-2 du code du travail et l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

7. Aux termes de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, lorsque l'instauration d'un régime de retraite surcomplémentaire résulte d'un engagement unilatéral de l'employeur, les seules modifications opposables au salarié sont celles régulièrement intervenues avant son départ de l'entreprise, les autres dispositions demeurant inchangées à son égard, faute d'une dénonciation régulière (Soc., 3 juin 1997, pourvoi n° 94-40.347, Bull. 1997, V, n° 203 ; Soc., 6 juin 2007, pourvoi n° 06-40.521, Bull. 2007, V, n° 93).

8. La possibilité pour un employeur d'apporter, avant liquidation des droits à retraite des intéressés, une modification à un règlement unilatéral de retraite d'entreprise à la condition d'une dénonciation régulière supposant une information des instances représentatives du personnel, un délai de préavis suffisant pour permettre les négociations et une information individuelle des salariés concernés, n'a été reconnue qu'à l'égard de régimes de retraite à prestations définies et non garanties, dits à droits aléatoires, lorsque le bénéfice de la prestation de retraite est subordonné pour un salarié à la condition de sa présence dans l'entreprise au jour de son départ à la retraite. (Soc., 13 février 1996, pourvoi n° 93-42.309, Bull. 1996, V, n° 53 ; Soc., 13 octobre 2010, pourvoi n° 09-13.110, Bull. 2010, V, n° 234).

9. L'arrêt constate que le régime de retraite surcomplémentaire, mis en place unilatéralement par l'employeur à compter de 1986, est un régime de retraite surcomplémentaire à prestations définies et garanties, dit à droits certains, en ce que le bénéfice de la pension de retraite due par l'employeur n'est pas subordonné à une condition de présence du salarié dans l'entreprise au jour de son départ à la retraite.

10. Il s'ensuit que les modifications apportées unilatéralement par l'employeur à un tel régime sont susceptibles d'affecter d'anciens salariés n'ayant plus aucun lien de droit avec l'employeur, qu'il s'agisse de retraités ou de salariés qui, ayant quitté l'entreprise, sont désormais employés par d'autres employeurs.

11. L'arrêt relève que, selon les statuts, l'association regroupe des anciens cadres salariés du groupe Société générale ayant appartenu à la catégorie dite hors classification.

12. Par ailleurs, selon l'article L. 2141-2 du code du travail, les personnes qui ont cessé d'exercer leur activité professionnelle peuvent adhérer ou continuer à adhérer à un syndicat professionnel de leur choix.

13. La Cour de cassation a déduit de cette disposition, alors transcrite dans l'article L. 411-7 du code du travail, que les syndicats professionnels, qui ont qualité pour représenter les retraités, ont, dans la limite des pouvoirs qu'ils tiennent des textes du code du travail, valablement conclu des accords collectifs relatifs à la modification d'un régime complémentaire de retraite ou de prévoyance créé et modifié par voie d'accord collectif interprofessionnel, professionnel ou d'entreprise (Soc., 23 novembre 1999, pourvois n° 97-18.980, 97-19.055, 97-20.248, 97-21.053, 97-21.393, Bulletin civil 1999, V, n° 453 ; Soc., 31 mai 2001, pourvoi n° 98-22.510, Bull. 2001, V, n° 200).

14. Elle en a encore déduit que lorsqu'un accord collectif ayant le même objet qu'un usage d'entreprise est conclu entre l'employeur et une ou plusieurs organisations représentatives de l'entreprise qui ont vocation à négocier pour l'ensemble des salariés et anciens salariés, cet accord a pour effet de mettre fin à cet usage (Soc., 20 mai 2014, pourvoi n° 12-26.322, Bull. 2014, V, n° 124).

15. Pour déclarer opposable aux adhérents de l'association la modification unilatérale de juillet 2014, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la société a consulté le comité d'entreprise sur la réforme de juillet 2014 et ses intentions de modification et d'évolution par la rédaction d'un nouveau règlement reprenant notamment les précédentes modifications intervenues et précisant une nouvelle rédaction des modalités d'attribution à compter du 1er janvier 2015, qu'il est justifié que le règlement modifié a fait l'objet de l'information légale due, que l'adoption du nouveau règlement a fait l'objet, avec un délai de prévenance de six mois, ce délai étant suffisant et ayant pu permettre une négociation, d'une information individuelle portant sur les modalités de l'indexation des pensions servies sur le point AGIRC et la pension de réversion auprès des bénéficiaires du régime accompagnée d'une copie du nouveau règlement, que ceux-ci sont, eu égard aux positions hiérarchiques qu'ils ont occupées dans l'entreprise et des connaissances et capacité qu'elles supposent, en mesure d'analyser la portée notamment, de l'abandon de la revalorisation antérieure que l'employeur qualifie d'abandon du calcul différentiel après liquidation, et de son impact sur la pension de réversion.

L'arrêt ajoute, par motifs adoptés, pour déclarer opposable aux adhérents de l'association la modification de décembre 2011, que la régularité de la procédure de consultation et d'information effectuée en 2014 rend sans objet les allégations d'irrégularités de la précédente réforme de 2011.

16. En statuant ainsi, alors que seul un accord collectif conclu entre l'employeur et une ou plusieurs organisations syndicales représentatives dans l'entreprise qui ont vocation à négocier pour l'ensemble des salariés et anciens salariés pouvait apporter, de façon opposable aux anciens cadres salariés adhérents de l'association, des modifications au régime de retraite surcomplémentaire à prestations définies et garanties, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deuxième, troisième et quatrième moyens du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare opposables aux adhérents de l'association Réseau Valmy les modifications du régime de retraite surcomplémentaire de 1986 décidées unilatéralement par l'employeur en décembre 2011 et juillet 2014 et en ce qu'il déboute l'association Réseau Valmy de ses demandes subséquentes, l'arrêt rendu le 29 août 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Ott - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Spinosi -

Textes visés :

Articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2006-344 du 23 mars 2006 ; article L. 2141-2 du code du travail ; article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

Sur la possibilité pour un accord de substitution de remettre en cause la situation des salariés retraités, s'agissant d'un avantage collectif, à rapprocher : Soc., 17 mai 2005, pourvoi n° 02-47.223, Bull. 2005, V, n° 170 (rejet). Sur la remise en cause d'un usage ou engagement unilatéral de l'employeur par un accord de substitution, à rapprocher : Soc., 20 mai 2014, pourvoi n° 12-26.322, Bull. 2014, V, n° 124 (rejet), et l'arrêt cité.

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