Numéro 1 - Janvier 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2022

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE

3e Civ., 26 janvier 2022, n° 20-23.614, (B), FS

Cassation partielle

Choses dont on a la garde (article 1384, alinéa 1, du code civil) – Domaine d'application – Copropriété – Syndicat des copropriétaires – Dommage causé aux tiers

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 4 novembre 2020), Mme [H], propriétaire d'un appartement dans un immeuble soumis au statut de la copropriété, se plaignant d'infiltrations d'eau en provenance de terrasses adjacentes à l'appartement situé au dessus du sien appartenant à M. [Y], sur lesquelles il bénéficie d'un droit de jouissance exclusif, l'a assigné en réparation des préjudices subis.

2. Le syndicat des copropriétaires de l'immeuble Fior Di Linu (le syndicat), la société Axa France IARD (la société Axa) et M. [E], architecte, ont été appelés en garantie.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Mme [H] fait grief à l'arrêt de déclarer sa demande dirigée à l'encontre de M. [Y] irrecevable, alors « que l'arrêt constate expressément que les aménagements réalisés par M. [Y], copropriétaire, sur des terrasses de l'immeuble en copropriété, parties communes dont il a la jouissance exclusive, sont à l'origine de l'ensemble des désordres subis tant par lesdites parties communes par son appartement situé en-dessous ; qu'il déclare néanmoins son action en réparation de ses préjudices dirigée contre M. [Y] irrecevable au motif que l'action aurait dû être dirigée contre le syndicat en se fondant sur le régime de la copropriété, garanti par le copropriétaire indélicat et que dès lors, M. [Y] n'aurait pas qualité pour répondre des désordres provenant des parties communes, même en qualité de gardien, quand bien même elles seraient à son usage exclusif ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 14 et 15 de la loi n° du 10 juillet 1965, dans sa version applicable à la cause, et l'article 31 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 14 et 15 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019, et l'article 31 du code de procédure civile :

4. Aux termes du dernier de ces textes, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

5. Selon le deuxième, le syndicat des copropriétaires a qualité pour agir, tant en demandant qu'en défendant, même contre certains des copropriétaires, il peut notamment agir, conjointement ou non avec un ou plusieurs de ces derniers, en vue de la sauvegarde des droits afférents à l'immeuble ; tout copropriétaire peut néanmoins exercer seul les actions concernant la propriété ou la jouissance de son lot, à charge d'en informer le syndic.

6. Selon le premier, le syndicat des copropriétaires est responsable des dommages causés aux copropriétaires ou aux tiers par le vice de construction ou le défaut d'entretien des parties communes, sans préjudice de toutes actions récursoires.

7. Pour déclarer irrecevable la demande de Mme [H], l'arrêt retient que les aménagements réalisés par M. [Y] sont à l'origine des désordres subis par l'appartement du dessous et que, s'agissant des terrasses, parties communes à usage privatif, l'action doit être dirigée sur le fondement du régime de la copropriété contre le syndicat.

8. Il relève, également, que Mme [H] n'a pas formé ses demandes contre la copropriété, mais seulement contre M. [Y] qui n'a aucune qualité, même en celle de gardien, pour répondre de ces désordres.

9. En statuant ainsi, alors que la responsabilité du syndicat au titre de l'article 14 précité n'est pas exclusive de la responsabilité délictuelle encourue par un copropriétaire, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Mise hors de cause

10. La société Axa et M. [E], dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi, doivent être mis hors de cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande de Mme [H] à l'encontre de M. [Y], en ce qu'il l'a condamnée aux dépens de première instance hors les appels en garantie et en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 4 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

MET hors de cause la société Axa France IARD et M. [E].

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Jobert - Avocat général : Mme Morel-Coujard - Avocat(s) : SCP Boulloche ; SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SAS Cabinet Colin-Stoclet ; SCP Boutet et Hourdeaux ; SCP Poulet-Odent -

Textes visés :

Article 14 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 27 janvier 1977, pourvoi n° 75-13.156, Bull. 1977, III, n° 50 (cassation).

Soc., 26 janvier 2022, n° 20-10.610, (B), FS

Rejet

Commettant-préposé – Lien de subordination – Mission – Préposé ayant agi dans le cadre de la mission impartie par le commettant – Effet

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. [F] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [Z], en sa qualité de liquidateur de l'établissement public Charbonnages de France.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 16 novembre 2017), M. [F] a été engagé en 1976 par les Houillères du bassin de Lorraine aux droits desquelles est venu l'établissement public Charbonnages de France.

3. Placé en arrêt maladie à compter du 22 janvier 2002, il a été reconnu invalide le 11 janvier 2005 à compter du 1er janvier et mis à la retraite à l'âge de soixante ans le 28 février 2010.

4. Il a saisi le tribunal de grande instance d'une demande d'indemnisation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de Mme [D], médecin du travail salarié et de M. [Z], ès qualités.

Examen des moyens

Sur les deuxième et troisième moyens, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables les demandes d'indemnisation formées contre le médecin du travail pour des faits autres que ceux de harcèlement moral et d'atteinte au secret professionnel, alors :

« 1°/ que le médecin du travail, qui, même salarié au sein de l'entreprise, assure les missions qui lui sont dévolues aux termes de l'article L. 4623-8 du code du travail dans les conditions d'indépendance professionnelle définies et garanties par la loi, doit répondre personnellement de ses fautes, sans pouvoir invoquer l'immunité qui bénéficie au préposé pour faire échec à l'action en responsabilité délictuelle exercée à son encontre par le salarié de la même entreprise ; qu'en retenant, pour dire irrecevables les demandes, autres que celles fondées sur des faits relevant d'une qualification pénale, formées par M. [F], salarié des Charbonnages de France, à l'encontre de Mme [D], médecin du travail également salarié de l'entreprise, que les médecins du travail sont astreints à une subordination juridique et bénéficient à ce titre de l'immunité de l'article 1242, alinéa 5 (anciennement, article 1384, alinéa 5) du code civil, la cour d'appel a violé ce texte, ensemble les articles L. 1142-1 du code de la santé publique et L. 4623-8 du code du travail ;

2°/ qu'en toute hypothèse, le préposé ne peut invoquer d'immunité à l'égard de la victime lorsqu'il a commis une faute intentionnelle à l'origine du dommage, peu important qu'elle ne soit pas pénalement sanctionnée ; qu'en limitant la recevabilité des demandes formées par M. [F] à l'encontre de Mme [D] à celles d'entre elles fondées sur des faits susceptibles de revêtir une qualification pénale, sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée par les conclusions d'appel de M. [F], si les fautes qu'il invoquait à l'encontre de Mme [D], résidant, outre dans la complicité de harcèlement moral et la violation du secret médical revêtant une qualification pénale, dans le refus délibéré d'appliquer la procédure prévue par le code du travail relative au constat de l'inaptitude, dans le compérage et l'aliénation de son indépendance professionnelle ainsi que dans le défaut de soins, ne revêtaient pas la qualification de fautes intentionnelles justifiant la mise à l'écart de l'immunité du préposé qu'invoquait Mme [D], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1384, alinéa 5, devenu 1242, alinéa 5, du code civil. »

Réponse de la Cour

7. En premier lieu, il résulte d'un arrêt du 25 février 2000 (Ass. plén., 25 février 2000, pourvoi n° 97-17.378, 97-20.152), publié au Rapport annuel, que n'engage pas sa responsabilité à l'égard des tiers, le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui est impartie par son commettant.

8. Par un arrêt du 9 novembre 2004 (1re Civ., 9 novembre 2004, pourvoi n° 01-17.908, Bull., 2004, I, n° 262), la Cour de cassation a appliqué cette règle aux médecins salariés, en affirmant que le médecin salarié qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui est impartie par l'établissement de santé privé, n'engage pas sa responsabilité à l'égard du patient.

9. La Cour de cassation juge également que le comportement du médecin du travail dans l'exercice de ses fonctions n'est pas susceptible de constituer un harcèlement moral de la part de l'employeur. (Soc., 30 juin 2015, pourvoi n° 13-28.201, Bull. 2015, V, n° 134).

10. Si l'indépendance du médecin du travail exclut que les actes qu'il accomplit dans l'exercice de ses fonctions puissent constituer un harcèlement moral imputable à l'employeur, elle ne fait pas obstacle à l'application de la règle selon laquelle le commettant est civilement responsable du dommage causé par un de ses préposés en application de l'article 1384, alinéa 5, devenu 1242, alinéa 5, du code civil.

11. En conséquence, la cour d'appel a exactement retenu que le médecin du travail, salarié de l'employeur, qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui est impartie, n'engage pas sa responsabilité civile personnelle.

12. En second lieu, la cour d'appel a, après avoir rappelé que l'immunité du préposé ne peut s'étendre aux fautes susceptibles de revêtir une qualification pénale ou procéder de l'intention de nuire, estimé que le médecin du travail devait bénéficier d'une immunité sauf en ce qui concerne le grief de harcèlement moral et celui de violation du secret professionnel, écartant ainsi, sans être tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties, l'existence de toute faute intentionnelle pour les autres faits allégués par le salarié.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Pecqueur - Avocat général : M. Desplan - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 1384, alinéa 5, devenu 1242, alinéa 5, du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur la responsabilité du médecin salarié, à rapprocher : 1re Civ., 9 novembre 2004, pourvoi n° 01-17.908, Bull. 2004, I, n° 262 (cassation partielle).

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