Numéro 1 - Janvier 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2022

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE

Soc., 26 janvier 2022, n° 20-15.755, (B), FS

Cassation partielle

Clause de non-concurrence – Renonciation de l'employeur – Délai – Point de départ – Rupture effective du contrat – Date fixée par la convention de rupture – Portée

En matière de rupture conventionnelle, l'employeur, s'il entend renoncer à l'exécution de la clause de non-concurrence, doit le faire au plus tard à la date de rupture fixée par la convention, nonobstant toutes stipulations ou dispositions contraires.

Rupture conventionnelle – Clause de non-concurrence – Renonciation par l'employeur – Délai – Point de départ – Rupture effective du contrat – Date fixée par la convention de rupture – Indifférence des dispositions ou stipulations contraires de la convention – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon,19 février 2020), Mme [W] a été engagée le 11 septembre 1995 par la société S et W, aux droits de laquelle se trouve la société Altares D et B, et occupait en dernier lieu les fonctions de directrice des ventes.

2. La clause de non-concurrence insérée dans le contrat de travail a prévu, d'une part, qu'elle s'appliquerait pour une durée d'une année à compter de la rupture effective du contrat de travail, et d'autre part, que l'employeur aurait la faculté de se libérer de la contrepartie financière de cette clause en renonçant au bénéfice de cette dernière, par décision notifiée au salarié à tout moment durant le préavis ou dans un délai maximum d'un mois à compter de la fin du préavis (ou en l'absence de préavis, de la notification du licenciement).

3. Les parties ont signé une convention de rupture du contrat de travail le 27 mars 2015, avec effet au 5 mai 2015.

4. La salariée a demandé le paiement de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence.

Examen des moyens

Sur le moyen unique du pourvoi incident, qui est préalable

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen relevé d'office

6. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article L. 1237-13 du code du travail et l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

7. La Cour de cassation juge qu'aux termes de l'article L. 1237-13 du code du travail, la convention de rupture conclue entre un employeur et un salarié fixe la date de rupture du contrat de travail, qui ne peut intervenir avant le lendemain du jour de l'homologation par l'autorité administrative. Elle en a déduit que le délai de quinze jours au plus tard suivant la première présentation de la notification de la rupture dont dispose contractuellement l'employeur pour dispenser le salarié de l'exécution de l'obligation de non-concurrence a pour point de départ la date de la rupture fixée par la convention de rupture. (Soc., 29 janvier 2014, pourvoi n° 12-22.116, Bull. 2014, V, n° 35).

8. Elle décide également qu'en cas de rupture du contrat de travail avec dispense d'exécution du préavis par le salarié, la date à partir de laquelle celui-ci est tenu de respecter l'obligation de non-concurrence, la date d'exigibilité de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et la date à compter de laquelle doit être déterminée la période de référence pour le calcul de cette indemnité sont celles du départ effectif de l'entreprise, nonobstant stipulations ou dispositions contraires. (Soc., 13 mars 2013, pourvoi n° 11-21.150, Bull. 2013, V, n° 72). Elle en déduit que l'employeur qui dispense le salarié de l'exécution de son préavis doit, s'il entend renoncer à l'exécution de la clause de non-concurrence, le faire au plus tard à la date du départ effectif de l'intéressé de l'entreprise, nonobstant stipulations ou dispositions contraires (Soc., 21 janvier 2015, pourvoi n° 13-24.471, Bull. 2015, V, n° 3). Elle décide de même qu'en cas de rupture du contrat de travail résultant de l'adhésion du salarié au contrat de sécurisation professionnelle, l'employeur doit, s'il entend renoncer à l'exécution de la clause de non-concurrence, le faire au plus tard à la date du départ effectif de l'intéressé de l'entreprise, nonobstant stipulations ou dispositions contraires (Soc., 2 mars 2017, pourvoi n° 15-15.405).

9. Ces solutions se justifient par le fait que le salarié ne peut être laissé dans l'incertitude quant à l'étendue de sa liberté de travailler.

10. Il en résulte qu'en matière de rupture conventionnelle, l'employeur, s'il entend renoncer à l'exécution de la clause de non-concurrence, doit le faire au plus tard à la date de rupture fixée par la convention, nonobstant toutes stipulations ou dispositions contraires.

11. Pour limiter à une certaine somme la contrepartie financière de la clause de non-concurrence allouée à la salariée, l'arrêt retient que la convention de rupture n'a pas réglé le sort de la clause de non-concurrence, de sorte que celle-ci demeurait applicable pendant une durée d'une année à compter de la rupture du contrat de travail intervenue le 5 mai 2015, que toutefois lorsque la salariée a demandé à l'employeur le versement de la contrepartie financière prévue au contrat de travail, au motif qu'elle ne l'avait pas déliée expressément de la clause, la société lui a répondu le 11 septembre 2015 qu'elle avait été relevée de son obligation de non-concurrence à son égard depuis son départ.

L'arrêt ajoute que dès lors, peu important que les délais stipulés au contrat pour la dénonciation de la clause par l'employeur n'aient pas été respectés, puisqu'il n'y a pas eu en l'occurrence de préavis, ni de licenciement, mais accord sur le principe et la date de la rupture, il est établi qu'à compter du 11 septembre 2015, la salariée a été informée de la volonté de l'employeur de renoncer au bénéfice de cette clause.

L'arrêt en déduit que dans ces conditions, celle-ci n'est fondée à solliciter la contrepartie financière de son obligation de respecter la clause de non-concurrence que pour la période du 5 mai au 11 septembre 2015.

12. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la date de rupture fixée par les parties dans la convention de rupture était le 5 mai 2015, ce dont il résultait que la renonciation par l'employeur au bénéfice de la clause de non-concurrence intervenue le 11 septembre 2015 était tardive, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le second moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

13. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande d'indemnité de congés payés afférente à la contrepartie financière de la clause de non-concurrence, alors « que la contrepartie financière de l'obligation de non-concurrence ayant la nature d'une indemnité compensatrice de salaire, elle ouvre droit à congés payés ; qu'en jugeant le contraire aux motifs que l'indemnité est payable postérieurement à la rupture du contrat de travail, la cour d'appel a violé l'article L. 3141-22 du code du travail dans sa version alors applicable. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 3141-1, L. 3141-22 et L. 3141-26 du code du travail :

14. Il résulte de ces dispositions que la contrepartie financière de l'obligation de non-concurrence ayant la nature d'une indemnité compensatrice de salaires, elle ouvre droit à congés payés.

15. Pour débouter la salariée de sa demande d'indemnité compensatrice de congés payés, l'arrêt retient que la contrepartie financière de la clause de non-concurrence, certes calculée sur la base du salaire, mais payable postérieurement à la rupture du contrat de travail, n'ouvre pas droit à des congés payés.

16. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident formé par la société Altares D et B ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Altares D et B à payer à Mme [W] la somme de 10 434,60 euros à titre de contrepartie financière de la clause de non-concurrence, et en ce qu'il rejette le surplus de la demande de contrepartie financière et la demande d'indemnité de congés payés afférents, l'arrêt rendu le 19 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Valéry - Avocat général : M. Desplan - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article L. 1237-13 du code du travail ; article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

Sur la fixation du point de départ du délai de renonciation de l'employeur pour dispenser le salarié de l'exécution de la clause de non-concurrence, à rapprocher : Soc., 29 janvier 2014, pourvoi n° 12-22.116, Bull. 2014, V, n° 35 (2) (cassation partielle).

Soc., 19 janvier 2022, n° 20-10.057, (B), FS

Rejet

Licenciement – Nullité – Cas – Violation par l'employeur d'une liberté fondamentale – Applications diverses – Dénonciation de faits dont le salarié a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions

En raison de l'atteinte qu'il porte à la liberté d'expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d'un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions et qui, s'ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales ou des manquements à des obligations déontologiques prévues par la loi ou le règlement, est atteint de nullité.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 novembre 2019), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 3 octobre 2018, pourvoi n° 16-23.075), M. [L] a été engagé à compter du 17 juillet 2000 en qualité d'assistant par la société d'expertise comptable et de commissariat aux comptes Diagnostic et investissement. A la suite de l'obtention de son diplôme d'expert-comptable et de commissaire aux comptes, le salarié a conclu un nouveau contrat de travail le 19 mai 2009, avec effet rétroactif au 5 janvier 2009.

2. Par lettre recommandée du 3 février 2011, le salarié a alerté son employeur sur une situation de conflit d'intérêts concernant la société entre ses missions d'expert-comptable et celles de commissaire aux comptes, en soulignant qu'à défaut de pouvoir discuter de cette question avec son employeur, il en saisirait la compagnie régionale des commissaires aux comptes. Il a saisi cet organisme par lettre du 14 mars 2011, veille de l'entretien préalable au licenciement, et il a été licencié pour faute grave le 18 mars 2011.

3. Contestant ce licenciement, il a saisi la juridiction prud'homale pour faire juger que le licenciement était nul ou sans cause réelle et sérieuse et obtenir le paiement d'indemnités liées à la rupture et d'un rappel de salaires sur primes.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal de l'employeur, pris en sa troisième branche et sur le moyen du pourvoi incident du salarié, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen du pourvoi principal de l'employeur, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement est nul pour violation d'une liberté fondamentale et de le condamner en conséquence à payer au salarié des sommes à titre de salaire de mise à pied et congés payés afférents, d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, d'indemnité de licenciement et d'indemnité pour licenciement nul, alors :

« 1°/ que le licenciement d'un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions et qui, s'ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, est frappé de nullité ; qu'en déclarant le licenciement du salarié nul pour cela qu'il pouvait légitimement dénoncer à des tiers, tels que la compagnie des commissaires aux comptes, tout fait répréhensible dont il aurait connaissance dans le cadre de ses fonctions et que son licenciement, prononcé ensuite d'une menace de dénonciation d'un conflit d'intérêts auprès de la compagnie des commissaire aux comptes, constituait en conséquence une mesure de rétorsion illicite et était frappé de nullité, quand la nullité susvisée s'applique aux seuls licenciements prononcés ensuite de la dénonciation d'infractions pénales, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail et l'article 10 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que le juge ne doit pas dénaturer les conclusions des parties ; qu'en affirmant que la mauvaise foi du salarié n'était pas invoquée par l'employeur, quand la société alléguait expressément la mauvaise foi du salarié, qui l'avait menacée de saisir la compagnie régionale des commissaires aux comptes, en réponse aux reproches qu'elle lui avait adressés, afin de faire pression sur elle et faire échec à toute mesure destinée à sanctionner son comportement, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. En raison de l'atteinte qu'il porte à la liberté d'expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d'un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions et qui, s'ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales ou des manquements à des obligations déontologiques prévues par la loi ou le règlement, est frappé de nullité.

7. La cour d'appel a relevé, d'une part, que la lettre de licenciement reprochait expressément au salarié d'avoir menacé son employeur de saisir la compagnie régionale des commissaires aux comptes de l'existence dans la société d'une situation de conflit d'intérêts à la suite de cas d'auto-révision sur plusieurs entreprises, situation prohibée par le code de déontologie de la profession, dont il l'avait préalablement avisé par lettre du 3 février 2011, et, d'autre part, que la procédure de licenciement avait été mise en oeuvre concomitamment à cette alerte et à la saisine par le salarié de cet organisme professionnel après que l'employeur lui eut refusé toute explication sur cette situation. Ayant ainsi fait ressortir que le salarié avait été licencié pour avoir relaté des faits, dont il avait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions, et qui, s'ils étaient établis, seraient de nature à caractériser une violation du code de déontologie de la profession de commissaire aux comptes dans sa version issue du décret n° 2010-131 du 10 février 2010, et ayant estimé, sans dénaturation dès lors que l'employeur ne soutenait pas que le salarié avait connaissance de la fausseté des faits qu'il dénonçait, que la mauvaise foi de ce dernier n'était pas établie, elle en a exactement déduit que le licenciement était nul.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois, tant principal qu'incident.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Marguerite - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Article L. 1121-1 du code du travail ; article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Sur la nullité du licenciement en cas d'atteinte à une liberté fondamentale, et la protection de la liberté d'expression du salarié : Soc., 30 juin 2016, pourvoi n° 15-10.557, Bull. 2016, V, n° 140 (cassation partielle), et les arrêts cités.

Soc., 5 janvier 2022, n° 20-12.471, (B), FRH

Cassation partielle sans renvoi

Licenciement – Salarié protégé – Mesures spéciales – Autorisation administrative – Saisine de l'inspecteur du travail – Décision d'incompétence – Légalité – Appréciation – Compétence judiciaire – Domaine d'application – Illégalité manifeste – Portée

Licenciement – Salarié protégé – Mesures spéciales – Autorisation administrative – Appréciation de la légalité – Déclaration d'illégalité par le juge administratif saisi d'une question préjudicielle – Office du juge – Appréciation de la cause réelle et sérieuse du licenciement

Selon une jurisprudence constante de la Cour (Soc., 26 septembre 2007, pourvoi n° 05-45.665, Bull. 2007, V, n° 137 (cassation partielle)), lorsqu'une autorisation de licenciement, sur renvoi préjudiciel, est déclarée illégale par le juge administratif, il appartient au juge judiciaire, après avoir statué sur la cause réelle et sérieuse du licenciement, de réparer le préjudice subi par le salarié, si l'illégalité de la décision d'autorisation est la conséquence d'une faute de l'employeur. En conséquence, les prétentions qui visent à voir reconnaître par voie d'exception l'illégalité d'une décision administrative d'incompétence sont sans objet dès lors qu'il est établi que la cause de l'illégalité de la décision est étrangère à toute faute de l'employeur.

Faits et procédure

1. Selon les arrêts attaqués (Douai, 27 septembre 2019 et 29 novembre 2019), M. [I], salarié de la Caisse d'assurance retraite et de la santé au travail Nord Picardie (la CARSAT) depuis 1981, a été convoqué à un entretien préalable au licenciement le 22 octobre 2014 en raison d'une situation d'inaptitude.

Par lettre du 17 novembre 2014, l'employeur a saisi l'inspecteur du travail afin d'obtenir l'autorisation de licencier le salarié.

Le 11 décembre 2014, l'inspecteur du travail s'est déclaré incompétent au motif que le salarié n'était plus protégé au moment de sa décision.

La CARSAT a procédé au licenciement du salarié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 19 janvier 2015.

2. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 8 juin 2015 pour contester son licenciement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La CARSAT fait grief à l'arrêt du 29 novembre 2019 de dire que la décision d'incompétence de l'inspection du travail du 11 décembre 2014 est entachée d'une illégalité manifeste, et d'annuler en conséquence le licenciement du salarié et de la condamner au paiement de diverses sommes à ce titre, alors « que si en cas de contestation sérieuse portant sur la légalité d'un acte administratif, les tribunaux de l'ordre judiciaire statuant en matière civile doivent surseoir à statuer jusqu'à ce que la question préjudicielle de la légalité de cet acte soit tranchée par la juridiction administrative, il en va autrement lorsqu'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a cru pouvoir affirmer qu'il résulte d'une jurisprudence bien établie que ni la maladie, ni l'inaptitude du salarié, ni son classement en invalidité 2e catégorie n'ont pour effet de faire cesser son mandat au délégué syndical et qu'il résulte d'une jurisprudence tout aussi établie que le délégué syndical bénéficie de sa protection indépendamment du fait qu'il l'exerce effectivement ou non, pour en déduire que la décision du 11 décembre 2014 par laquelle l'inspection du travail s'était déclarée incompétente pour statuer sur la demande d'autorisation de licenciement de M. [I] était manifestement illégale ; qu'en statuant ainsi sans indiquer la jurisprudence administrative à laquelle elle se référait, la cour d'appel qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article L. 2411-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de séparation des pouvoirs et la loi des 16 et 24 août 1790 :

4. Si, en cas de contestation sérieuse portant sur la légalité d'un acte administratif, les tribunaux de l'ordre judiciaire statuant en matière civile doivent surseoir à statuer jusqu'à ce que la question préjudicielle de la légalité de cet acte soit tranchée par la juridiction administrative, il en va autrement lorsqu'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal.

5. Pour dire la décision d'incompétence rendue par l'inspecteur du travail le 11 décembre 2014 manifestement illégale et annuler en conséquence le licenciement du salarié faute d'autorisation administrative de licenciement, l'arrêt retient que, si l'inspecteur du travail a jugé que le salarié ne bénéficiait plus de son statut protecteur, c'est parce qu'il a considéré qu'il avait été reconnu en invalidité 2ème catégorie par la CPAM le 1er décembre 2013 et qu'il avait donc cessé d'exercer toute activité professionnelle à cette date et qu'en conséquence, il n'était plus dans la période de protection post-mandat un an plus tard, à savoir depuis le 30 novembre 2014, que toutefois l'arrêt maladie et l'invalidité du salarié sont une cause de suspension du contrat, mais pas une cause de suspension et encore moins de cessation du mandat et qu'il résulte des éléments précités que la période de protection post-mandat du salarié devait s'achever un an après les élections professionnelles au terme desquelles le syndicat qui l'a désigné a perdu sa représentativité, soit en février 2015, de sorte que l'autorisation administrative de licenciement était requise.

6. En statuant ainsi, alors que la décision d'incompétence contestée indiquait seulement que « le salarié n'exerce plus ses fonctions depuis plus d'un an, que de ce fait, les conditions requises à l'article L. 2411-3 du code du travail pour prétendre à la protection post-mandat ne sont pas remplies, le salarié n'est donc plus protégé », ce qui rendait nécessaire une interprétation de la décision administrative et une analyse de la situation de fait du salarié, incompatible avec la notion d'illégalité manifeste, la cour d'appel a violé le principe et le texte susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

7. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2 du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

8. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

9. Selon une jurisprudence constante de la Cour (Soc., 26 septembre 2007, pourvoi n° 05-45.665, Bull. 2007, V, n° 137), lorsqu'une autorisation de licenciement, sur renvoi préjudiciel, est déclarée illégale par le juge administratif, il appartient au juge judiciaire, après avoir statué sur la cause réelle et sérieuse du licenciement, de réparer le préjudice subi par le salarié, si l'illégalité de la décision d'autorisation est la conséquence d'une faute de l'employeur.

10. Il résulte de l'arrêt et des conclusions des parties que la cause de l'illégalité de la décision administrative d'incompétence alléguée par le salarié et retenue par la cour d'appel est étrangère à toute faute de l'employeur.

11. Dès lors, les prétentions qui visent à voir reconnaître par voie d'exception l'illégalité de la décision administrative sont sans objet.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit la décision d'incompétence de l'inspection du travail du 11 décembre 2014 entachée d'une illégalité manifeste, annule le licenciement de M. [I], et condamne la CARSAT à lui payer diverses sommes à ce titre, l'arrêt rendu le 29 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

REJETTE les demandes de M. [I] tant principales que subsidiaires au titre de l'illégalité de la décision administrative d'incompétence, de la nullité de son licenciement et des indemnités sollicitées par voie de conséquence de cette nullité.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Pécaut-Rivolier - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Principe de la séparation des pouvoirs ; loi des 16 et 24 août 1790.

Rapprochement(s) :

Sur la possibilité pour le juge judiciaire de refuser de saisir le juge administratif par voie de question préjudicielle en cas de contestation de la légalité d'un acte administratif : Tribunal des conflits,, 17 octobre 2011, n° 11-03.828, Bull. 2011, T. conflits, n° 24. Sur la portée de l'obligation de surseoir à statuer en cas de contestation de la légalité d'une décision d'incompétence d'un inspecteur du travail saisi pour autoriser un licenciement : Soc., 19 mai 2016, pourvoi n° 14-26.662, Bull. 2016, V, n° 107 (cassation partielle). Sur la réparation du préjudice subi par le salarié en cas d'une faute de l'employeur à l'origine de l'illégalité de la décision d'autorisation de licenciement, à rapprocher : Soc., 26 septembre 2007, pourvoi n° 05-45.665, Bull. 2007, V, n° 137 (2) (cassation partielle).

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