Numéro 1 - Janvier 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2022

CONTRAT DE TRAVAIL, DUREE DETERMINEE

Soc., 19 janvier 2022, n° 19-18.898, (B), FS

Cassation partielle sans renvoi

Expiration – Salarié protégé – Mesures spéciales – Saisine de l'autorité administrative – Autorisation de rompre le contrat – Effets – Compétence judiciaire – Requalification par le juge en contrat à durée indéterminée – Exclusion – Fondement – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 7 mai 2019), M. [I] a été engagé, à compter du 28 octobre 2016, par la société [Adresse 3], dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée saisonnier durant les vendanges tardives pour une durée minimale d'un jour, en qualité de coupeur.

2. Par lettre du 31 octobre 2016, la société [Adresse 3], informée par M. [I] de sa qualité de conseiller du salarié, a sollicité de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), l'autorisation de mettre un terme au contrat à l'issue des vendanges.

3. Par décision du 4 novembre 2016, le directeur adjoint du travail s'est déclaré incompétent au motif que le salarié ne bénéficiait d'aucun statut protecteur. A réception de cette lettre, le 8 novembre suivant, l'employeur a mis fin au contrat de travail.

4. Après le rejet de son recours gracieux, le salarié a ensuite formé un recours hiérarchique devant le ministre du travail lequel, par décision du 28 juillet 2017, a annulé la décision du directeur adjoint du 4 novembre 2016 et a autorisé la rupture du contrat de travail à durée déterminée conclu le 28 octobre 2016 au terme des vendanges, soit le 3 novembre 2016, aux motifs, d'une part, que le contrat établi et transmis conformément à la législation applicable n'avait pas à être regardé comme un contrat à durée indéterminée, d'autre part, que la rupture sollicitée résultait de l'arrivée du terme du contrat et ne procédait d'aucune mesure discriminatoire à l'encontre du salarié.

5. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir la requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et la condamnation de son employeur à lui verser diverses sommes à titre d'indemnité de requalification, de dommages-intérêts pour la violation du statut protecteur, d'indemnité pour licenciement nul, d'indemnité compensatrice de congés payés et de rappel de salaire.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

6. L'employeur fait grief à l'arrêt de requalifier le contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée et de le condamner à payer au salarié une somme à titre d'indemnité de requalification, alors « que le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, en l'état d'une autorisation administrative de rupture d'un contrat à durée déterminée devenue définitive, statuer sur une demande de requalification du contrat de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée, la demande de requalification présentée devant le juge judiciaire étant ainsi irrecevable ; qu'en constatant que, sur recours hiérarchique à l'encontre de la décision de la Direccte du 4 novembre 2016, le Ministre du travail avait, par décision du 28 juillet 2017, devenue définitive, annulé la décision du 4 novembre 2016 et autorisé la rupture du contrat à durée déterminée de M. [I] conclu le 28 octobre 2016 et se prononçant néanmoins sur la demande de requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et le principe de séparation des pouvoirs, ensemble les articles L. 2412-1 et L. 2421-8 du code du travail dans leur rédaction alors applicable. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

7. Le salarié conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que le moyen, tiré d'une violation de la loi des 16-24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III et du principe de la séparation des pouvoirs qui ne peut être invoqué pour la première fois devant la Cour de cassation, est nouveau et partant, irrecevable, l'employeur ne s'en étant jamais prévalu devant les juges du fond.

8. Cependant, ce moyen qui est de pur droit est recevable, même présenté pour la première fois devant la Cour de cassation.

Bien-fondé du moyen

Réponse de la Cour

Vu la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III, le principe de séparation des pouvoirs et les articles L. 2412-1 et L. 2421-8 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 :

9. Le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, en l'état d'une autorisation administrative de rupture d'un contrat à durée déterminée arrivé à son terme, en application des articles L. 2412-1 et L. 2421-8 du code du travail, devenue définitive, statuer sur une demande de requalification du contrat de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée.

10. Pour requalifier le contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée et condamner l'employeur à payer au salarié une somme à titre d'indemnité de requalification, l'arrêt énonce que le contrat de travail s'est poursuivi au-delà du terme prévu, à savoir la fin des vendanges, le 3 novembre 2016 et que la relation contractuelle de travail s'étant poursuivie au-delà du terme du contrat à durée déterminée, après réalisation de l'objet pour lequel il avait été conclu, celui-ci est devenu à durée indéterminée par application de l'article L. 1243-11 du code du travail.

11. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que, par décision du ministre du travail du 28 juillet 2017, dont la légalité n'était pas contestée par voie d'exception par le salarié, la rupture du contrat de travail avait été autorisée, ce dont il résultait qu'elle n'était pas compétente pour se prononcer sur la demande de requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le principe et les textes susvisés.

Et sur le second moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

12. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que la rupture du contrat de travail s'analysait en un licenciement nul, intervenu en violation du statut protecteur de conseiller du salarié et de le condamner à payer au salarié des sommes à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur, de dommages-intérêts pour licenciement nul, d'indemnité compensatrice de préavis, congés payés inclus, alors « que le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, en l'état d'une autorisation administrative de rupture d'un contrat à durée déterminée devenue définitive, statuer sur la rupture des relations contractuelles et indemniser le salarié au titre de la violation de son statut protecteur ou de la nullité de son licenciement ; qu'en constatant que, sur recours hiérarchique à l'encontre de la décision de la Direccte du 4 novembre 2016, le Ministre du travail avait, par décision du 28 juillet 2017, devenue définitive en l'absence de recours, autorisé la rupture du contrat à durée déterminée de M. [I] conclu le 28 octobre 2016, aux motifs que la rupture sollicitée du contrat vendanges résultait de l'arrivée de son terme et ne procédait d'aucune mesure discriminatoire, et en se prononçant néanmoins sur la rupture du contrat pour dire que celle-ci s'analysait en un licenciement intervenu en violation du statut protecteur de conseiller du salarié et condamner l'EARL [Adresse 3] à payer au salarié diverses sommes à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur, de dommages et intérêts pour licenciement nul et d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés inclus, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et le principe de séparation des pouvoirs, ensemble les articles L. 1232-14, L. 2411-21, L. 2411-1 et L. 2422-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III, le principe de séparation des pouvoirs et l'article L. 2412-1 du code du travail :

13. En l'état d'une décision d'incompétence de l'inspecteur du travail, intervenant après la demande d'autorisation de ne pas renouveler un contrat de travail à durée déterminée dont est bénéficiaire un salarié protégé, au motif que celui-ci n'était pas protégé, et d'une autorisation administrative de non-renouvellement d'un contrat à durée déterminée en application des articles L. 2412-13 et L. 2421-8 du code du travail devenue définitive, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, analyser la rupture de la relation de travail du fait de la survenue du terme du contrat à durée déterminée en un licenciement nul intervenu en violation du statut protecteur.

14. Pour dire que la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement nul, intervenu en violation du statut protecteur de conseiller du salarié, l'arrêt retient que la décision d'incompétence de la DIRECCTE du 4 novembre 2016 ne pouvait s'analyser en une autorisation de rupture et était susceptible de recours à la date à laquelle le contrat a pris fin, que le salarié a régularisé un recours gracieux à l'encontre de cette décision, qu'à l'issue de la procédure administrative qui s'en est suivie, le ministre du travail a, par décision du 28 juillet 2017, dit notamment que « la décision du directeur adjoint du travail en date du 4 novembre 2016 est annulée » et que « la rupture du contrat de travail à durée déterminée conclu le 28 octobre 2016 avec le salarié est autorisée », que pour autant la décision du ministre se substituant à celle de l'inspecteur du travail n'a valu autorisation de licencier qu'à compter de sa notification le 28 juillet 2017.

15. En statuant ainsi alors qu'elle avait constaté que, par décision du ministre du travail du 28 juillet 2017, statuant sur la demande de l'employeur d'autorisation de ne pas renouveler le contrat de travail à durée déterminée dont était bénéficiaire le salarié, décision dont la légalité n'était pas contestée par voie d'exception, la rupture du contrat de travail à l'arrivée du terme avait été autorisée, la cour d'appel a violé le principe et les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

16. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

17. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il requalifie le contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée, dit que la rupture s'analyse en un licenciement nul intervenu en violation du statut protecteur de conseiller du salarié et condamne la société [Adresse 3] à payer à M. [I] des sommes à titre d'indemnité de requalification, d'indemnité pour violation du statut protecteur, de dommages-intérêts pour licenciement nul, d'indemnité compensatrice de préavis, congés payés inclus et en application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 7 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déboute M. [I] de ses demandes au titre de la requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée, de la nullité de la rupture du contrat de travail et de ses demandes subséquentes en paiement de diverses sommes, en ce compris celle fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Pécaut-Rivolier - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano ; SCP Gadiou et Chevallier -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; principe de séparation des pouvoirs ; articles L. 2412-1 et L. 2421-8 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018.

Rapprochement(s) :

Sur l'irrecevabilité de la demande en requalification du contrat de travail à durée déterminée devant le juge judiciaire, en présence d'une autorisation administrative de non-renouvellement de ce contrat, à rapprocher : Soc., 9 mai 2018, pourvoi n° 16-20.423, Bull. 2018, V, n° 82 (rejet).

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