Numéro 1 - Janvier 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2022

CAUTIONNEMENT

1re Civ., 5 janvier 2022, n° 19-17.200, (B), FRH

Rejet

Caution – Condition stipulée dans l'intérêt exclusif de la caution – Non-réalisation de la condition – Personne pouvant s'en prévaloir – Recours contre le débiteur principal – Effet

Lorsqu'un cautionnement est conclu sous une condition stipulée dans l'intérêt exclusif de la caution, seule cette dernière peut invoquer la non-réalisation de la condition.

Dès lors qu'elle a constaté que la caution avait désintéressé la banque sans s'en prévaloir, une cour d'appel en déduit exactement que la caution pouvait agir contre l'emprunteur sur le fondement de l'article 2305 du code civil.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 4 avril 2019), suivant offre acceptée le 18 juin 2007, la société HSBC France (la banque) a consenti à M. [U] (l'emprunteur) un prêt destiné à l'acquisition d'un bien immobilier d'un montant de 850 000 euros, garanti par la société Crédit logement (la caution) à hauteur de ce montant.

Le contrat de cautionnement, conclu le 22 mai 2007, subordonnait l'engagement de la caution à un apport personnel de l'emprunteur à hauteur de 98 000 euros, qui s'est finalement élevé à 42 000 euros.

2. A la suite d'impayés, la banque a prononcé la déchéance du terme, puis a appelé la caution en garantie. Après avoir payé la somme de 767 100,63 euros à la banque au titre du solde du prêt, la caution a assigné l'emprunteur en remboursement sur le fondement de l'article 2305 du code civil.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. L'emprunteur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la caution la somme de 767 100,63 euros en principal, outre intérêts au taux légal à compter du 5 juin 2015, de dire que les intérêts échus depuis une année entière depuis l'assignation, soit le 16 décembre 2016, produiront eux-mêmes intérêts à compter du 16 décembre 2016, de rejeter la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir et l'ensemble de ses demandes, alors :

« 1°/ que l'action personnelle dont dispose la caution à l'encontre du débiteur principal suppose pour prospérer que soit rapportée préalablement la preuve d'un cautionnement valable en vertu duquel le demandeur a payé le créancier principal ; que l'emprunteur contestait le fait que la caution ait payé la banque en exécution d'un cautionnement valablement souscrit, l'engagement de caution pris par la caution le 22 mai 2007 prévoyant que la garantie était fournie « sous réserve d'un apport personnel en fonds propres de 98 000 EUR », lequel n'avait pu être réalisé de sorte que le cautionnement était devenu caduc ; que pour écarter ce moyen et accueillir l'action personnelle engagée par la caution la cour d'appel a retenu que la condition suspensive ne figurait que dans l'accord de cautionnement donné par la caution à la banque ; qu'en statuant de la sorte, quand l'emprunteur était fondé à se prévaloir de l'absence de réalisation de la condition stipulée dans le contrat de cautionnement conclu entre la banque et la caution comme constituant un fait juridique, opposable erga omnes, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1165 (respectivement devenus les articles 1103 et 1199) du code civil, ensemble l'article 2305 du même code ;

2°/ que seul le débiteur qui s'est engagé sous une condition dont la défaillance lui est imputable ne peut se prévaloir de l'absence de réalisation de la condition pour s'opposer à l'exécution du contrat ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que la condition suspensive tenant à la fourniture d'un apport personnel de 98 000 euros de l'emprunter n'était stipulée que dans l'acte de cautionnement donné par la caution à la banque ; qu'en jugeant néanmoins que l'emprunteur ne pouvait se prévaloir de la défaillance de cette condition, dans la mesure où il était « le seul à pouvoir la faire survenir ou empêcher », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, desquelles il résultait que l'emprunteur n'avait pris aucun engagement à l'égard de la caution de réaliser un apport personnel de 98 000 euros, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1165 (respectivement devenus les articles 1103 et 1199) du code civil, ensemble l'article 2305 du même code ;

3°/ que la condition tenant à la fourniture d'un apport personnel de 98 000 euros de l'emprunteur, à laquelle était subordonné l'engagement de caution de la caution, était stipulée tant dans l'intérêt de cette société que dans celui du débiteur M. [U], dans la mesure où cet apport était de nature à influer sur le montant et les modalités de remboursement de sa dette d'emprunt ; qu'en jugeant que seule la caution pouvait se prévaloir de la défaillance de cette condition suspensive, la cour d'appel a violé les articles 1121 et 1134 (devenus 1205 et 1103) et 2305 du code civil, ensemble l'article 1178 (devenu 1304-3) du même code ;

4°/ que n'est pas purement potestative la condition dont la réalisation dépend, non seulement de la volonté du débiteur, mais également de celle d'un tiers, ou de circonstances objectives susceptibles d'un contrôle par le juge ; qu'en énonçant que le fait que la condition suspensive résidant dans un apport personnel en fonds propres par l'emprunteur n'avait été que partiellement remplie n'était pas opposable à la caution par le débiteur de cette somme qui était le seul à pouvoir la faire survenir ou empêcher, quand la réalisation de cette condition ne dépendait pas uniquement de la volonté de l'emprunteur, mais également de celle de la banque prêteuse, ainsi que des facultés contributives de l'emprunteur, la cour d'appel a violé l'article 1174 (devenu 1304-2) du code civil, ensemble les articles 1134 (devenu 1103) et 2305 du même code. »

Réponse de la Cour

4. Après avoir énoncé, à bon droit, que seule la caution pouvait invoquer la non-réalisation de la condition, qui avait été stipulée dans son intérêt exclusif dans l'acte de cautionnement, et constaté qu'elle avait désintéressé la banque sans s'en prévaloir, la cour d'appel en a exactement déduit qu'elle pouvait agir contre l'emprunteur sur le fondement de l'article 2305 du code civil.

5. Le moyen, inopérant en sa deuxième branche, qui s'attaque à des motifs surabondants relatifs au fait que seul l'emprunteur pouvait faire survenir ou empêcher la réalisation de la condition, et en sa quatrième branche, qui invoque le caractère purement potestatif de cette condition, n'est donc pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Serrier - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article 2305 du code civil.

1re Civ., 19 janvier 2022, n° 20-20.467, (B), FS

Cassation

Conditions de validité – Acte de cautionnement – Proportionnalité de l'engagement (article L. 341-4 du code de la consommation) – Critère d'appréciation – Biens et revenus à considérer – Biens et revenus personnels – Caution mariée sous le régime de la séparation des biens

La disproportion éventuelle de l'engagement d'une caution mariée sous le régime de la séparation de biens s'apprécie au regard de ses revenus et biens personnels, comprenant sa quote-part dans les biens indivis.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 22 juin 2020), par actes des 27 mai 2014 et 26 mars 2015, M. [R] (la caution), marié sous le régime de la séparation de biens, s'est porté caution solidaire à concurrence de 139 750 euros d'un prêt de 215 000 euros et à concurrence de 15 600 euros d'un découvert en compte courant de 12 000 euros, qui avaient été consentis par la Société générale (la banque) à la société Pâtisserie [O] [R].

2. Celle-ci ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque a assigné en paiement la caution qui a opposé, en appel, la disproportion de ses engagements.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La banque fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « que la disproportion éventuelle de l'engagement d'une caution mariée sous le régime de la séparation des biens s'apprécie au regard de ses revenus et patrimoine personnels, comprenant sa quote-part dans les biens indivis, s'il en existe ; que, partant, la proportionnalité des engagements de caution de M. [R], marié sous le régime de la séparation des biens, devait s'apprécier en tenant compte de sa quote-part dans la maison indivise achetée avec son épouse, nonobstant la circonstance indifférente que cette dernière n'ait pas donné son accord aux cautionnements ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, ensemble l'article 1538 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 341-4, devenu L. 332-1, du code de la consommation, et 1538 du code civil :

4. La disproportion éventuelle de l'engagement d'une caution mariée sous le régime de la séparation de biens s'apprécie au regard de ses revenus et biens personnels, comprenant sa quote-part dans les biens indivis.

5. Pour dire les engagements de la caution manifestement disproportionnés à ses biens et revenus et rejeter les demandes de la banque, l'arrêt retient que la caution a acquis en indivision avec son épouse une maison, qui constitue un bien « commun » n'entrant pas dans son patrimoine dès lors qu'elle est mariée sous le régime de la séparation de biens et que l'épouse n'a pas donné son accord au cautionnement.

6. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Serrier - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article L. 341-4, devenu L. 332-1, du code de la consommation ; article 1538 du code civil.

Rapprochement(s) :

Com., 24 mai 2018, pourvoi n° 16-23.036, Bull. 2018, IV, n° 59 (cassation) ; 1re Civ., 24 mars 2021, pourvoi n° 19-21.254, Bull., (cassation).

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