Numéro 1 - Janvier 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2022

ASTREINTE (loi du 9 juillet 1991)

2e Civ., 20 janvier 2022, n° 19-23.721, (B) (R), FS

Cassation partielle

Liquidation – Montant – Fixation – Critères – Proportionnalité

Selon l'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution, l'astreinte provisoire est liquidée en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter. Elle est supprimée en tout ou partie s'il est établi que l'inexécution ou le retard dans l'exécution de l'injonction du juge provient, en tout ou partie, d'une cause étrangère. Selon l'article 1er du Protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes.

L'astreinte, en ce qu'elle impose, au stade de sa liquidation, une condamnation pécuniaire au débiteur de l'obligation, est de nature à porter atteinte à un intérêt substantiel de celui-ci, de sorte qu'elle entre dans le champ d'application de la protection des biens garantie par ce Protocole.

Dès lors, si l'astreinte ne constitue pas, en elle-même, une mesure contraire aux exigences du Protocole en ce que, prévue par la loi, elle tend, dans l'objectif d'une bonne administration de la justice, à assurer l'exécution effective des décisions de justice dans un délai raisonnable, tout en imposant au juge appelé à liquider l'astreinte, en cas d'inexécution totale ou partielle de l'obligation, de tenir compte des difficultés rencontrées par le débiteur pour l'exécuter et de sa volonté de se conformer à l'injonction, il n'en appartient pas moins au juge saisi d'apprécier encore le caractère proportionné de l'atteinte qu'elle porte au droit de propriété du débiteur au regard du but légitime qu'elle poursuit.

Encourt la cassation, l'arrêt qui, pour liquider l'astreinte à un montant de 516 000 euros, retient que l'assureur ne démontre pas en quoi il a rencontré la moindre difficulté pour exécuter l'obligation qui lui avait été faite sous astreinte sans répondre aux conclusions de l'assureur qui invoquait une disproportion manifeste entre la liquidation sollicitée et le bénéfice attendu d'une communication des éléments sollicités.

Liquidation – Juge en charge de la liquidation – Office – Etendue – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 24 septembre 2019), M. [B] et Mme [C] ont acquis le 11 décembre 2008 de M. et Mme [T] une maison d'habitation. Se plaignant de désordres dans l'immeuble acquis, M. [B] et Mme [C] ont assigné leurs vendeurs ainsi que l'agence immobilière devant un tribunal de grande instance.

2. Les acquéreurs de l'immeuble soupçonnant l'existence de vices cachés, liés, notamment, à un incendie qui se serait produit en 2002, ont saisi en cours de procédure le juge de la mise en état afin qu'il enjoigne à la société Axa assurance, alors assureur du bien, tiers à la procédure, de produire les éléments utiles à la solution du litige.

3. Par une première ordonnance du 24 juin 2014, le juge de la mise en état a enjoint à la société Axa assurance de communiquer au tribunal, dans un délai de 30 jours suivant la signification de l'ordonnance, un ensemble de documents en sa possession relatifs au sinistre survenu dans cet immeuble par incendie en 2002 et à son indemnisation éventuelle.

4. Par une seconde ordonnance du 7 avril 2015, signifiée le 9 septembre 2015, le juge de la mise en état a renouvelé son injonction à la société Axa assurance en précisant que, faute de communiquer les documents visés dans les 15 jours, elle serait redevable d'une astreinte de 1 000 euros par jour de retard.

5. Le tribunal de grande instance a statué sur le fond du litige par un jugement, devenu irrévocable, du 19 mai 2017.

6. Le 25 mai 2018, M. [B] et Mme [C] ont assigné la société Axa France IARD (l'assureur) devant un juge de l'exécution en liquidation de l'astreinte.

7. Cette société a, notamment, invoqué l'irrégularité de la signification de l'ordonnance du juge de la mise en état du 7 avril 2015.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, et sur le second moyen, pris en ses première, deuxième, troisième et quatrième branches, ci-après annexés

8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

9. L'assureur fait grief à l'arrêt de déclarer recevable l'action de M. [B] et Mme [C], de liquider l'astreinte fixée par ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand en date du 7 avril 2015 à la somme de 516 000 euros pour la période ayant couru du 25 septembre 2015 au 21 février 2017 et de le condamner en tant que de besoin à payer cette somme à M. [B] et Mme [C], alors « que ne constitue une exception de procédure que le moyen qui tend à faire déclarer irrégulière la procédure suivie devant la juridiction saisie de cette exception ; qu'en revanche, ne constitue pas une telle exception le moyen destiné à faire échec à une demande adverse tiré de l'irrégularité d'une procédure distincte ; qu'en jugeant irrecevable le moyen soulevé par la société Axa France IARD tiré de l'irrégularité de la signification de l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance ayant prononcé l'astreinte litigieuse pour n'avoir pas été soulevé in limine litis cependant que cette irrégularité n'affectait pas la procédure en cours devant la cour d'appel de Riom saisie du recours formé contre le jugement du juge de l'exécution du tribunal d'instance, la cour d'appel a violé les articles 73 et 74 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

10. En premier lieu, selon l'article R. 131-1 du code des procédures civiles d'exécution, l'astreinte prend effet à la date fixée par le juge, laquelle ne peut être antérieure au jour où la décision portant obligation est devenue exécutoire.

11. Il en résulte que, dans l'instance en liquidation d'astreinte, l'allégation d'une irrégularité affectant la signification de la décision ayant prononcé l'obligation sous astreinte ne constitue pas une exception de procédure, au sens de l'article 73 du code de procédure civile, mais un moyen de défense au fond opposé à la demande de liquidation, recevable en tout état de cause, par application de l'article 72 du même code.

12. C'est, dès lors, à tort que la cour d'appel a considéré que le moyen pris de la nullité de la signification de la décision assortie d'astreinte constituait une exception de procédure, irrecevable pour ne pas avoir été présentée in limine litis.

13. En second lieu, si l'absence de mention, dans l'acte de signification d'une décision, de la voie de recours ouverte, de son délai ou de ses modalités a pour effet de ne pas faire courir le délai de recours, la signification ne peut être considérée comme nulle à défaut de preuve de l'existence d'un grief.

14. Par ailleurs, selon l'article 140 du code de procédure civile, sur le fondement duquel a été prononcée l'ordonnance du 7 avril 2015, l'ordonnance faisant injonction à un tiers de produire une pièce est exécutoire à titre provisoire.

15. Par suite, quand bien même l'acte de signification de cette ordonnance aurait été affecté d'erreurs portant sur l'indication de la voie de recours ouverte, comme l'alléguait l'assureur dans ses conclusions d'appel, cette circonstance ne serait pas de nature à empêcher l'astreinte de courir.

16. Par ce motif de pur droit, substitué d'office à ceux justement critiqués par le moyen, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt liquidant l'astreinte se trouve légalement justifié de ce chef.

Mais sur le second moyen, pris en sa sixième branche

Enoncé du moyen

17. L'assureur fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en toute hypothèse, la société Axa France IARD faisait valoir dans ses conclusions d'appel que la liquidation de l'astreinte et sa condamnation subséquente étaient manifestement disproportionnées au regard du bénéfice prétendu ; qu'en statuant comme elle l'a fait sans répondre aux conclusions de la compagnie Axa sur ce point, la cour d'appel méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution, tel qu'interprété à la lumière de l'article 1er du Protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et l'article 455 du code de procédure civile :

18. Aux termes du premier de ces textes, le montant de l'astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter. Elle est supprimée en tout ou partie s'il est établi que l'inexécution ou le retard dans l'exécution de l'injonction du juge provient, en tout ou partie, d'une cause étrangère.

19. Selon le second, tout jugement doit être motivé.

Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.

20. Suivant une jurisprudence constante, le juge saisi d'une demande de liquidation ne peut se déterminer qu'au regard des seuls critères prévus à l'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'éxecution. Dès lors, il ne peut limiter le montant de l'astreinte liquidée au motif que le montant sollicité par le créancier de l'astreinte serait excessif (2e Civ., 25 juin 2015, pourvoi n° 14-20.073) ou qu'il serait trop élevé au regard des circonstances de la cause (2e Civ., 7 juin 2012, pourvoi n° 10-24.967) ou de la nature du litige (2e Civ., 30 janvier 2014, pourvoi n° 13-10.255).

L'arrêt d'une cour d'appel qui se référait au caractère « manifestement disproportionné » du montant a ainsi été cassé (2e Civ., 26 septembre 2013, pourvoi n° 12-23.900), de même que celui ayant réduit le montant de l'astreinte liquidée en se fondant sur « l'application du principe de proportionnalité » (2e Civ., 19 mars 2015, pourvoi n° 14-14.941). Dans aucune de ces affaires n'était invoquée l'application de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de son Protocole n° 1.

21. Cependant, selon ce dernier texte invoqué par le moyen, « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

22. L'astreinte, en ce qu'elle impose, au stade de sa liquidation, une condamnation pécuniaire au débiteur de l'obligation, est de nature à porter atteinte à un intérêt substantiel de celui-ci. Elle entre ainsi dans le champ d'application de la protection des biens garantie par ce Protocole.

23. Il en résulte que le juge qui statue sur la liquidation d'une astreinte provisoire doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte qu'elle porte au droit de propriété du débiteur au regard du but légitime qu'elle poursuit.

24. Dès lors, si l'astreinte ne constitue pas, en elle-même, une mesure contraire aux exigences du Protocole en ce que, prévue par la loi, elle tend, dans l'objectif d'une bonne administration de la justice, à assurer l'exécution effective des décisions de justice dans un délai raisonnable, tout en imposant au juge appelé à liquider l'astreinte, en cas d'inexécution totale ou partielle de l'obligation, de tenir compte des difficultés rencontrées par le débiteur pour l'exécuter et de sa volonté de se conformer à l'injonction, il n'en appartient pas moins au juge saisi d'apprécier encore, de manière concrète, s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant auquel il liquide l'astreinte et l'enjeu du litige.

25. Pour liquider l'astreinte à un montant de 516 000 euros, l'arrêt énonce que l'assureur ne démontre pas en quoi il a rencontré la moindre difficulté, à tout le moins pour adresser au juge de la mise en état une réponse à la demande qui lui était faite, et qu'il ne se prévaut pas de l'existence d'une cause étrangère qui l'aurait empêché d'exécuter l'obligation dans le délai fixé.

26. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de l'assureur qui invoquait une disproportion manifeste entre la liquidation sollicitée et le bénéfice attendu d'une communication des éléments sollicités, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il liquide à la somme de 516 000 euros l'astreinte fixée par ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand du 7 avril 2015 pour la période ayant couru du 25 septembre 2015 au 21 février 2017 et en ce qu'il condamne en tant que de besoin la société Axa France IARD à payer cette somme à M. [B] et Mme [C], l'arrêt rendu le 24 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Pradel - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution ; article 1er du Protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Dans le même sens que : 2e Civ., 20 janvier 2022, pourvoi n° 19-22.435, Bull., (rejet) ; 2e Civ., 20 janvier 2022, pourvoi n° 20-15.261, Bull., (cassation).

2e Civ., 20 janvier 2022, n° 20-15.261, (B) (R), FS

Cassation

Liquidation – Montant – Fixation – Critères – Proportionnalité

Selon l'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution, l'astreinte provisoire est liquidée en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter. Elle est supprimée en tout ou partie s'il est établi que l'inexécution ou le retard dans l'exécution de l'injonction du juge provient, en tout ou partie, d'une cause étrangère.

Selon l'article 1er du Protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes.

L'astreinte, en ce qu'elle impose, au stade de sa liquidation, une condamnation pécuniaire au débiteur de l'obligation, est de nature à porter atteinte à un intérêt substantiel de celui-ci, de sorte qu'elle entre dans le champ d'application de la protection des biens garantie par ce protocole.

Dès lors, si l'astreinte ne constitue pas, en elle-même, une mesure contraire aux exigences du protocole en ce que, prévue par la loi, elle tend, dans l'objectif d'une bonne administration de la justice, à assurer l'exécution effective des décisions de justice dans un délai raisonnable, tout en imposant au juge appelé à liquider l'astreinte, en cas d'inexécution totale ou partielle de l'obligation, de tenir compte des difficultés rencontrées par le débiteur pour l'exécuter et de sa volonté de se conformer à l'injonction, il n'en appartient pas moins au juge saisi d'apprécier encore le caractère proportionné de l'atteinte qu'elle porte au droit de propriété du débiteur au regard du but légitime qu'elle poursuit.

Encourt la cassation l'arrêt qui, pour liquider l'astreinte provisoire à une certaine somme, retient que la disproportion flagrante entre la somme réclamée au titre de l'astreinte et l'enjeu du litige ne peut être admise comme cause de minoration, sans examiner de façon concrète s'il existait un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant auquel il liquidait l'astreinte et l'enjeu du litige.

Liquidation – Juge en charge de la liquidation – Office – Etendue – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 6 février 2020), un jugement assorti de l'exécution provisoire, signifié le 20 février 2015, confirmé par l'arrêt irrévocable d'une cour d'appel, a, dans un litige opposant le Syndicat des travailleurs du rail, solidaires unitaires et démocratiques (Sud rail) (le syndicat) à la SNCF, ordonné à celle-ci de mettre en oeuvre les classements en position de rémunération supérieure d'un certain nombre d'agents au titre des années 2011 à 2013.

2. Cette décision était assortie d'une astreinte provisoire de 1 000 euros par agent et par jour de retard, à compter d'un délai de deux mois suivant la signification du jugement et pendant deux mois.

3.Le 23 juillet 2018, le syndicat a saisi un juge de l'exécution aux fins de liquidation de l'astreinte.

Examen des moyens

Sur le moyen, pris en ses six premières branches, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen, pris en sa première branche, qui est irrecevable, et sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième branches, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa septième branche

Enoncé du moyen

5. La société Fret SNCF, venant aux droits de l'Epic SNCF Mobilités lui-même aux droits de la SNCF, fait grief à l'arrêt de liquider l'astreinte provisoire prononcée par le jugement du tribunal de grande instance de Lille en date du 5 février 2015 à la somme de 1 020 000 euros et de condamner l'Epic SNCF Mobilités, à verser au syndicat cette somme au titre de l'astreinte provisoire liquidée alors « que si elle ne constitue au moment de son prononcé qu'une menace destinée à dissuader le débiteur de ne pas exécuter l'injonction qui lui est faite, de sorte que son montant peut alors être fixé à un niveau élevé au regard de la capacité de résistance du débiteur, l'astreinte provisoire poursuit, au moment de sa liquidation et lorsque l'injonction a été complètement exécutée, une finalité exclusivement punitive et constitue une peine privée dont le montant doit donc être proportionné au regard de la gravité du manquement commis par le débiteur, de sa situation personnelle, des enjeux du litige et du comportement du créancier ; qu'au cas présent, la SNCF faisait valoir qu'elle avait accepté d'attribuer 17 positions de rémunération supplémentaires dès le 8 août 2015, que l'écart moyen pour un agent entre deux positions de rémunération était d'environ cinquante euros par mois pour un salarié et que le syndicat avait attendu près de trois ans après l'exécution complète du jugement pour saisir le juge de l'exécution d'une demande de liquidation de l'astreinte, le 23 juillet 2018 ; qu'elle faisait donc valoir que la fixation du montant de l'astreinte, en fonction des modalités initialement fixées par le jugement du 5 janvier 2015, était manifestement excessif au regard de la gravité des manquements reprochés, des enjeux du litige et de la date de la demande de liquidation ; que, pour refuser de procéder à un quelconque contrôle de proportionnalité du montant de l'astreinte liquidée et pour liquider l'astreinte à hauteur de 1 000 euros par salarié et par jour de retard, soit un montant total de 1 020 000 euros alloué, non pas aux salariés concernés, mais au syndicat, la cour d'appel a notamment énoncé que « la disproportion flagrante entre la somme réclamée au titre de l'astreinte et l'enjeu du litige ne peut être retenue comme cause de minoration » et que « le moyen tiré de la tardiveté de la demande de liquidation du syndicat est inopérant » ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé l'article 1 du Protocole n° 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution, tel qu'interprété à la lumière de l'article 1er du Protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

6. Selon ce texte, l'astreinte provisoire est liquidée en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter. Elle est supprimée en tout ou partie s'il est établi que l'inexécution ou le retard dans l'exécution de l'injonction du juge provient, en tout ou partie, d'une cause étrangère.

7. Suivant une jurisprudence constante, le juge saisi d'une demande de liquidation ne peut se déterminer qu'au regard de ces seuls critères. Dès lors, il ne peut limiter le montant de l'astreinte liquidée au motif que le montant sollicité par le créancier de l'astreinte serait excessif (2e Civ., 25 juin 2015, pourvoi n° 14-20.073) ou qu'il serait trop élevé au regard des circonstances de la cause (2e Civ., 7 juin 2012, pourvoi n° 10-24.967) ou de la nature du litige (2e Civ., 30 janvier 2014, pourvoi n° 13-10.255).

L'arrêt d'une cour d'appel qui se référait au caractère « manifestement disproportionné » du montant a ainsi été cassé (2e Civ., 26 septembre 2013, pourvoi n° 12-23.900), de même que celui ayant réduit le montant de l'astreinte liquidée en se fondant sur « l'application du principe de proportionnalité » (2e Civ., 19 mars 2015, pourvoi n° 14-14.941). Dans aucune de ces affaires n'était invoquée l'application de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de son Protocole n° 1.

8. Cependant, selon ce dernier texte, invoqué par le moyen, « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

9. L'astreinte, en ce qu'elle impose, au stade de sa liquidation, une condamnation pécuniaire au débiteur de l'obligation, est de nature à porter atteinte à un intérêt substantiel de celui-ci. Elle entre ainsi dans le champ d'application de la protection des biens garantie par ce Protocole.

10. Il en résulte que le juge qui statue sur la liquidation d'une astreinte provisoire doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte qu'elle porte au droit de propriété du débiteur au regard du but légitime qu'elle poursuit.

11. Dès lors, si l'astreinte ne constitue pas, en elle-même, une mesure contraire aux exigences du Protocole en ce que, prévue par la loi, elle tend, dans l'objectif d'une bonne administration de la justice, à assurer l'exécution effective des décisions de justice dans un délai raisonnable, tout en imposant au juge appelé à liquider l'astreinte, en cas d'inexécution totale ou partielle de l'obligation, de tenir compte des difficultés rencontrées par le débiteur pour l'exécuter et de sa volonté de se conformer à l'injonction, il n'en appartient pas moins au juge saisi d'apprécier encore, de manière concrète, s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant auquel il liquide l'astreinte et l'enjeu du litige.

12. Pour liquider l'astreinte provisoire à la somme de 1 020 000 euros, l'arrêt retient que la disproportion flagrante entre la somme réclamée au titre de l'astreinte et l'enjeu du litige ne peut être admise comme cause de minoration.

13. En se déterminant ainsi, sans examiner de façon concrète s'il existait un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant auquel elle liquidait l'astreinte et l'enjeu du litige, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Martin - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution ; article 1er du Protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Dans le même sens que : 2e Civ., 20 janvier 2022, pourvoi n° 19-22.435, Bull., (rejet) ; 2e Civ., 20 janvier 2022, pourvoi n° 19-23.721, Bull., (cassation partielle).

2e Civ., 20 janvier 2022, n° 19-22.435, (B) (R), FS

Rejet

Liquidation – Montant – Fixation – Critères – Proportionnalité

Se trouve légalement justifié l'arrêt d'une cour d'appel qui, pour liquider l'astreinte à un certain montant, a pris en compte tant le comportement des débiteurs de l'obligation que les difficultés auxquelles ils s'étaient heurtés pour l'exécuter et s'est assurée, sans avoir à se référer aux facultés financières des débiteurs, que le montant de l'astreinte était raisonnablement proportionné à l'enjeu du litige.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 6 juin 2019), par jugement du 3 mai 2007, un tribunal de grande instance a condamné la société La Logne, propriétaire, au sein d'une copropriété, du lot voisin de celui de Mme [K], à détruire un cellier et à cesser l'activité de toilettage pour chiens qui était exercée sur place, et ce, pour chaque obligation, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé un délai de trois mois à compter de la signification du jugement.

2. Par un arrêt du 14 décembre 2011, signifié le 5 janvier 2012, une cour d'appel a confirmé en toutes ses dispositions ce jugement.

3. Mme [K] a assigné la société La Logne aux fins d'obtenir la liquidation et le paiement de l'astreinte.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société La Logne fait grief à l'arrêt de liquider les astreintes aux sommes de 7 200 euros et 35 805 euros et de la condamner en conséquence à payer ces sommes à Mme [K], alors « que l'action en liquidation d'une astreinte est soumise au délai de prescription des actions personnelles et mobilières prévu à l'article 2224 du code civil ; qu'en statuant ainsi au regard des « dates auxquelles il est prétendu que la mise en conformité a été effectuée », la cour, qui s'est prononcée par des motifs impropres à caractériser la recevabilité, au regard de la prescription, de l'action en liquidation de l'astreinte, a privé sa décision de base légale au regard de ce texte. »

Réponse de la Cour

5. C'est sans encourir le grief du moyen que la cour d'appel a décidé, abstraction faite du motif surabondant critiqué par le moyen, que c'est à partir de la date de la signification de l'arrêt confirmatif de la décision du 14 décembre 2011 que les astreintes avaient commencé à courir et que la prescription de l'action aux fins de liquidation n'était pas acquise.

6. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

7. La société La Logne fait le même grief à l'arrêt, alors « que le montant de l'astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter, mais aussi de ses facultés ; qu'en statuant par de tels motifs impropres à permettre à la Cour de cassation de s'assurer de ce que le montant de l'astreinte n'était pas disproportionné au regard des facultés de la société condamnée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 134-1 du code des procédures civiles d'exécution, ensemble le principe de proportionnalité et l'article 1er du Protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantissant le droit de propriété contre les atteintes injustifiées. »

Réponse de la Cour

8. Pour liquider l'astreinte, l'arrêt retient que la démolition du cellier est encore imparfaite, et que l'incidence des périodes estivales n'est pas une cause déterminante de l'inexécution, de sorte qu'en l'absence de toute bonne foi de la part des débiteurs de l'obligation, le principe d'une suppression de la pénalité n'est pas envisageable. Il relève cependant que des points positifs peuvent être relevés dans le comportement des intéressés puisque l'activité de toilettage a été interrompue et le cellier partiellement démonté.

9. Il ajoute qu'en raison de l'absence de limitation de l'astreinte dans le temps, la durée à prendre en compte au titre de la liquidation, certes liée aux mauvais choix stratégiques et procéduraux des débiteurs des obligations, rend nécessaire d'opérer un contrôle de proportionnalité afin d'éviter, par le prononcé d'une condamnation quasi confiscatoire, une atteinte injustifiée au droit de propriété.

10. En l'état de ces constatations et énonciations, dont il résulte qu'elle a pris en compte tant le comportement des débiteurs de l'obligation que les difficultés auxquelles ils s'étaient heurtés pour l'exécuter, et qu'elle s'est assurée que le montant de l'astreinte liquidée était raisonnablement proportionné à l'enjeu du litige, la cour d'appel, qui n'avait pas à prendre en considération les facultés financières des débiteurs, a, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, liquidé l'astreinte au montant qu'elle a retenu.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Pradel - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin ; SCP Spinosi -

Rapprochement(s) :

Dans le même sens que : 2e Civ., 20 janvier 2022, pourvoi n° 19-23.721, Bull., (cassation partielle) ; 2e Civ., 20 janvier 2022, pourvoi n° 20-15.261, Bull., (cassation).

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