Numéro 1 - Janvier 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2022

ASSURANCE (règles générales)

2e Civ., 20 janvier 2022, n° 20-10.529, (B), FS

Cassation

Garantie – Exclusion – Exclusion formelle et limitée – Définition – Clause nécessitant une interprétation (non)

Une clause d'exclusion ne peut être tenue pour formelle et limitée, au sens de l'article L. 113-1, alinéa 1, du code des assurances, dès lors qu'elle doit être interprétée.

Viole ce texte la cour d'appel qui, pour faire application d'une clause excluant de la garantie « les dommages intentionnellement causés ou provoqués par toute personne assurée ou avec sa complicité », retient que les dommages résultant d'un incendie intentionnellement déclenché par l'assuré sont, dans les termes clairs et précis d'une clause formelle et limitée, exclus de la garantie de l'assureur, qu'ils aient été voulus et donc causés par leur auteur, ou qu'ils soient une conséquence involontaire de l'incendie déclenché par ce dernier qui les a ainsi provoqués, alors qu'elle procède à l'interprétation d'une clause ambiguë.

Garantie – Exclusion – Faute intentionnelle ou dolosive – Caractère intentionnel – Applications diverses

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 17 septembre 2019), M. [B] et son épouse, Mme [E], étaient propriétaires d'une maison à usage d'habitation assurée auprès de la société Gan assurances (l'assureur), selon un contrat multirisque habitation.

2. Tentant de mettre fin à ses jours en s'immolant par le feu, Mme [E] a incendié des couvertures et répandu de l'essence sur le sol, à l'intérieur de ce domicile.

3. L'assureur a décliné sa garantie pour les dommages occasionnés à l'habitation, compte tenu de l'origine volontaire de l'incendie.

4. M. [B] et Mme [E] ont assigné l'assureur devant un tribunal de grande instance afin d'obtenir, notamment, le paiement d'une provision en application du contrat d'assurance.

L'assureur a invoqué une clause d'exclusion de garantie stipulée au contrat, relative au caractère intentionnel du dommage, et l'exclusion légale de garantie prévue à l'article L. 113-1 du code des assurances.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

6. Mme [E] fait grief à l'arrêt de dire que la clause d'exclusion de garantie figurant à l'article 18 des conditions générales du contrat Multirisque habitation Gan habitat confort, police n° 991407814, est valable, de dire qu'elle a commis une faute intentionnelle de nature à exclure la garantie de l'assureur, de la débouter ainsi que M. [B], de leurs demandes de reprise des opérations amiables d'évaluation des dommages et de paiement d'une provision et de les condamner à verser à l'assureur une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors « que les exclusions conventionnelles de garantie doivent être formelles et limitées, ce qui implique qu'elles ne soient sujettes à aucune interprétation ; qu'en l'espèce, en retenant que la clause, stipulée à l'article 18 des conditions générales de la police d'assurance souscrite par les époux [B] auprès de la compagnie Gan assurances, selon laquelle ne sont pas garantis « les dommages intentionnellement causés ou provoqués par toute personne assurée ou avec sa complicité » était formelle et limitée et que ses termes étaient clairs et précis, quand bien même elle avait dû l'interpréter en précisant que les dommages étaient exclus de la garantie qu'ils aient été voulu ou qu'ils soient une conséquence involontaire de l'incendie déclenché par l'auteur, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1, alinéa 1er, du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 113-1, alinéa 1er, du code des assurances :

7. Aux termes de ce texte, les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police.

Au sens de ce texte, une telle clause d'exclusion ne peut être tenue pour formelle et limitée dès lors qu'elle doit être interprétée.

8. L'arrêt constate que les conditions générales de la police souscrite auprès de l'assureur stipulent, en leur article 18, que sont exclus de la garantie « les dommages intentionnellement causés ou provoqués par toute personne assurée ou avec sa complicité » et retient qu'il s'en induit que les dommages résultant d'un incendie intentionnellement déclenché par l'assuré, comme c'est en l'espèce le cas de Mme [E], sont, dans les termes clairs et précis d'une clause formelle et limitée, exclus de la garantie de l'assureur, qu'ils aient été voulus, et donc causés par leur auteur, ou qu'ils soient une conséquence involontaire de l'incendie déclenché par l'auteur, qui les a ainsi provoqués.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a procédé à l'interprétation d'une clause d'exclusion ambigüe, ce dont il résulte qu'elle n'était ni formelle ni limitée, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Ittah - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Lévis -

Textes visés :

Article L. 113-1, alinéa 1, du code des assurances.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 22 mai 2001, pourvoi n° 99-10.849, Bull. 2001, I, n° 140 (cassation) ; 2e Civ., 26 novembre 2020, pourvoi n° 19-16.435, Bull., (cassation partielle).

2e Civ., 20 janvier 2022, n° 20-13.245, (B), FS

Cassation

Garantie – Exclusion – Faute intentionnelle ou dolosive – Faute dolosive – Défaut – Cas

Selon l'article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances, l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré. La faute dolosive s'entend d'un acte délibéré de l'assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables.

Prive sa décision de base légale la cour d'appel qui, pour débouter la SNCF de ses demandes d'indemnisation formées contre l'assureur du tiers responsable, retient que ses dommages ont été provoqués par la décision de l'assuré de mettre fin à ses jours en se jetant sur les voies de chemin de fer et que ce choix délibéré a eu pour effet de rendre inéluctable la réalisation du dommage et de faire disparaître l'aléa attaché à la couverture du risque assuré, sans caractériser la conscience que l'assuré avait du caractère inéluctable des conséquences dommageables de son geste.

Garantie – Exclusion – Faute intentionnelle ou dolosive – Faute dolosive – Définition

Garantie – Exclusion – Faute intentionnelle ou dolosive – Caractérisation par l'assureur – Défaut – Portée

Garantie – Exclusion – Exclusion formelle et limitée – Définition – Clause nécessitant une interprétation (non)

Une clause d'exclusion ne peut être tenue pour formelle et limitée, au sens de l'article L. 113-1, alinéa 1, du code des assurances, dès lors qu'elle doit être interprétée. Viole ce texte la cour d'appel qui, pour juger formelle et limitée une clause excluant de la garantie « les dommages intentionnellement causés ou provoqués directement, ou avec complicité » par l'assuré, retient que l'absence de définition contractuelle de la cause ou de la provocation n'exclut pas la bonne compréhension d'une volonté de l'assureur d'exclure les dommages résultant d'un fait volontaire de l'assuré, qu'ils aient été voulus par ce dernier qui les a ainsi causés intentionnellement ou qu'ils en soient la conséquence involontaire pour l'intéressé qui les a ainsi provoqués directement, alors qu'elle procède ainsi à l'interprétation d'une clause ambiguë.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 7 novembre 2019), le 10 septembre 2009, [Z] [E], assurée auprès de la société Assurances du crédit mutuel du Nord IARD (l'assureur), a mis fin à ses jours en se positionnant sur une voie de chemin de fer à un passage à niveau.

2. Le 9 septembre 2014, l'établissement public industriel et commercial SNCF, devenu l'Epic SNCF mobilités (la SNCF), arguant d'un préjudice, a assigné l'assureur en indemnisation.

3. L'assureur s'est opposé à la demande en invoquant, d'une part, l'article L. 113-1 du code des assurances et la commission par l'assurée d'une faute dolosive, d'autre part, l'application d'une clause d'exclusion de garantie stipulée au contrat d'assurance.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La SNCF fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes, alors « que constitue une faute dolosive celle qui a eu pour effet de rendre inéluctable la réalisation du dommage et de faire disparaître l'aléa attaché à la couverture du risque par l'assureur ; qu'en l'espèce, les Epic SNCF Réseau et SNCF Mobilités demandaient l'indemnisation des dommages matériels et immatériels consécutifs à l'accident survenu le 10 septembre 2009, causé par Mme [B] [E] qui avait mis fin à ses jours en se jetant sous un train à hauteur d'un passage à niveau ; que pour rejeter la demande de garantie dirigée contre la société ACM Iard, venant aux droits de la société ACMN Iard, assureur de Mme [E], la cour d'appel a retenu que le choix délibéré de Mme [E] d'attenter en ses jours en se faisant heurter par un train au passage à niveau avait eu pour effet de rendre inéluctable la réalisation du dommage pour l'Epic SNCF Mobilités et l'Epic SNCF Réseau et de faire disparaître l'aléa attaché à la couverture du risque par la police, cette faute dolosive de l'assurée constituant une cause d'exclusion légale de garantie ; qu'en statuant de la sorte, par des motifs impropres à établir que Mme [E] aurait eu par son acte d'autre intention que celle de mettre fin à ses jours, et qu'elle aurait eu conscience des conséquences dommageables de celui-ci pour la SCNF, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances :

5. Selon ce texte, l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré.

6. La faute dolosive s'entend d'un acte délibéré de l'assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables.

7. Pour débouter la SNCF de ses demandes, l'arrêt énonce que les dommages dont celle-ci réclame réparation ont été provoqués par la décision de [Z] [E] de mettre fin à ses jours en se jetant sur les voies de chemin de fer et que ce choix délibéré a eu pour effet de rendre inéluctable la réalisation du dommage et de faire disparaître l'aléa attaché à la couverture du risque assuré.

8. En se déterminant ainsi, sans caractériser la conscience que l'assurée avait du caractère inéluctable des conséquences dommageables de son geste, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Et sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

9. La SNCF fait le même grief à l'arrêt, alors « que les clauses excluant la garantie de l'assureur doivent être formelles et limitées comme se référant à critères suffisamment précis permettant à l'assuré de connaître l'étendue exacte de la garantie ; qu'en l'espèce, pour opposer un refus de garantie aux Epic SNCF Mobilités et SNCF Réseau au titre du sinistre litigieux, la société ACM Iard se prévalait de la clause stipulée à l'article 3 du contrat souscrit par Mme [E], aux termes de laquelle étaient exclus de la garantie « sauf application de l'article L. 121-2 du code, les dommages intentionnellement causés ou provoqués directement, ou avec complicité, par [l'assuré (?)] » ; que pour faire application de cette clause et rejeter la demande de mise en jeu de la garantie de la société ACM Iard, la cour d'appel a retenu que l'absence de définition contractuelle de la cause ou de la provocation n'excluait pas la bonne compréhension de la volonté de l'assureur d'exclure les dommages résultant d'un fait volontaire de l'assuré, qu'ils aient été voulus par leur auteur qui les a causés intentionnellement, ou qu'ils en soient la conséquence involontaire pour leur auteur, qui les a provoqués directement ; qu'en statuant ainsi, quand la clause litigieuse ne définissait pas la notion de dommages « provoqués directement » par l'assuré, de sorte qu'elle était sujette à interprétation sur la caractérisation du lien de causalité entre le fait volontaire de l'assuré et le préjudice garanti, et n'était en conséquence pas formelle et limitée, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances, ensemble l'article 1134 (devenu 1103) du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 113-1, alinéa 1, du code des assurances :

10. Aux termes de ce texte, les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police.

Au sens de ce texte, une telle clause d'exclusion ne peut être tenue pour formelle et limitée dès lors qu'elle doit être interprétée.

11. Pour débouter la SNCF de ses demandes, l'arrêt énonce qu'il résulte du texte susvisé que les parties au contrat d'assurance sont libres de convenir du champ d'application du contrat et de déterminer la nature et l'étendue de la garantie ainsi que, ne s'agissant pas d'une assurance obligatoire, d'exclure certains risques. Il ajoute que l'absence de définition contractuelle de la cause ou de la provocation n'exclut pas la bonne compréhension d'une volonté de l'assureur d'exclure les dommages résultant d'un fait volontaire de l'assuré, qu'ils aient été voulus par leur auteur qui les a ainsi causés intentionnellement ou qu'ils en soient la conséquence involontaire pour leur auteur, qui les a ainsi provoqués directement.

12. L'arrêt retient que c'est en conséquence dans des termes clairs, précis et non équivoques d'une clause formelle et limitée que sont exclus de la garantie de l'assureur, dont l'étendue a été librement arrêtée par les parties dans le respect des dispositions légales, le dommage causé intentionnellement par l'assuré impliquant sa volonté de le commettre tel qu'il est survenu et le dommage provoqué directement par l'assuré n'impliquant pas sa volonté de le créer tel qu'il est advenu.

13. L'arrêt en déduit que, même si [Z] [E] n'a pas voulu les conséquences dommageables de son acte à l'égard de la SNCF, les dommages allégués par cette dernière, ainsi provoqués directement par le fait volontaire de l'assurée, sont expressément exclus de la garantie de l'assureur.

14. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a procédé à l'interprétation d'une clause d'exclusion ambigüe, ce dont il résulte qu'elle n'était ni formelle ni limitée, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Guého - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SARL Cabinet Rousseau et Tapie ; SCP Gaschignard -

Textes visés :

Article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances ; article L. 113-1, alinéa 1, du code des assurances.

Rapprochement(s) :

Sur la validité d'une clause d'exclusion de garantie nécessitant une interprétation : 2e Civ., 8 octobre 2009, pourvoi n° 08-19.646, Bull. 2009, II, n° 237 (cassation), et l'arrêt cité.

1re Civ., 5 janvier 2022, n° 19-24.436, (B), FS

Rejet

Responsabilité de l'assureur – Obligation de conseil – Manquement – Dommage – Réalisation – Moment – Détermination – Portée

Prescription – Article L. 110-4 du code de commerce – Point de départ – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 19 septembre 2019) et les productions, le 27 décembre 2007, la caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Languedoc (la banque) a consenti à M. [Z] (l'emprunteur) un prêt immobilier.

2. Des échéances étant demeurées impayées, la banque a prononcé la déchéance du terme le 23 mai 2014 et assigné l'emprunteur en paiement le 8 septembre 2014.

Par conclusions du 2 septembre 2016, celui-ci a sollicité l'annulation du contrat pour non-respect du délai légal de réflexion et des dommages-intérêts au titre de manquements de la banque, d'une part, à son obligation de mise en garde lors de l'octroi du prêt, d'autre part, à son obligation d'information et de conseil au titre de l'assurance souscrite.

Examen des moyens

Sur les troisième et quatrième moyens, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. L'emprunteur fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes de dommages-intérêts formées à l'encontre de la banque et de le condamner à payer diverses sommes avec intérêts et capitalisation, alors :

« 1°/ que la prescription de l'action en responsabilité du banquier pour manquement au devoir de mise en garde court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; qu'en considérant que le dommage se manifestait envers l'emprunteur dès l'octroi du crédit, de sorte que le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité pour manquement au devoir de mise en garde devait être fixé à la date de souscription du contrat de prêt, quand l'existence d'un devoir de mise en garde pesant sur le banquier suppose, par hypothèse, que l'emprunteur n'est pas apte à prendre seul conscience des risques consécutifs à ce crédit au jour où l'opération est conclue, risques dont il ne peut se convaincre qu'au moment où ils se réalisent, la cour d'appel a violé l'ancien article 1147 du code civil, ensemble l'article 2224 du code civil ;

2°/ que la prescription de l'action en responsabilité du banquier court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci n'en avait pas eu précédemment connaissance ; qu'en l'espèce, l'emprunteur faisait valoir que le dommage s'était révélé à lui lors du premier incident de paiement non régularisé constaté au mois de décembre 2013 ; qu'en se bornant à énoncer, pour déclarer irrecevables les demandes d'indemnisation de l'emprunteur à l'encontre de la banque, que le point de départ de la prescription quinquennale était la date de souscription du contrat de prêt et que la demande formée le 2 septembre 2016 était dès lors atteinte par la prescription, sans rechercher si le dommage ne s'était pas révélé lors des difficultés de l'emprunteur à rembourser les échéances du prêt, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2224 du code civil, ensemble de l'ancien article 1147 du code civil ;

3°/ que le motif que la cour d'appel a tiré de la qualité d'emprunteur prétendument averti de M. [Z], qui a trait à l'appréciation du bien-fondé de l'action en responsabilité et non à sa recevabilité, ne saurait donner une base légale à l'arrêt d'irrecevabilité qui a été prononcé, au regard de l'article 2224 du code civil, ensemble de l'article 122 du code de procédure civile ;

4°/ qu'a seul la qualité d'emprunteur averti, celui qui dispose des compétences nécessaires pour apprécier le risque de l'endettement né de l'octroi du prêt, compte tenu de ses qualités subjectives et de la complexité de l'opération ; qu'en se bornant à relever que l'emprunteur était à l'époque de la conclusion du prêt, en janvier 2008, depuis quelques mois associé majoritaire de la Sarl AB Immobilier dont l'objet était la transaction immobilière, l'achat et la revente de biens et qu'il était par ailleurs gérant d'une SCI dont l'objet était la location de terrains et autres biens immobiliers inscrite au RCS depuis janvier 2000, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à établir que l'emprunteur avait des connaissances en matière financière et une expérience des mécanismes d'endettement et était ainsi averti, a privé sa décision de base légale au regard de l'ancien article 1147 du code civil, ensemble de l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

5. Le prêteur n'est tenu d'un devoir de mise en garde qu'à l'égard d'un emprunteur non averti.

6. Après avoir relevé qu'à la date de la conclusion du prêt, l'emprunteur était associé majoritaire d'une société créée par lui en 2001 et ayant pour objet la transaction immobilière et était gérant d'une société civile immobilière ayant pour objet la location de terrains et autres biens immobiliers inscrite au registre du commerce depuis janvier 2000 et que l'exercice de ces fonctions lui avait permis d'acquérir une expérience professionnelle et une connaissance certaine du monde des affaires, la cour d'appel en a souverainement déduit que l'emprunteur était averti.

7. Dès lors, c'est à bon droit et sans avoir à procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante qu'elle a écarté le point de départ de la prescription invoqué par l'emprunteur et a ainsi légalement justifié sa décision.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

8. L'emprunteur fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; que le dommage résultant d'un manquement du souscripteur d'une assurance de groupe à son devoir de conseil envers l'assuré sur l'adéquation de la garantie souscrite à ses besoins ne se manifeste qu'au moment où l'emprunteur prend conscience de l'inadéquation de la garantie qu'il a souscrite ; qu'en l'espèce, pour déclarer irrecevable comme prescrite l'action indemnitaire de l'emprunteur exercée à l'encontre de la banque, la cour d'appel a considéré que le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité pour manquement à l'obligation d'information et de conseil se situait à la date de souscription du contrat de prêt ; qu'en se prononçant ainsi, quand le point de départ du délai de prescription ne pouvait être fixé avant la prise de conscience par l'emprunteur de l'inadéquation de la garantie souscrite à ses besoins personnels, seul événement de nature à révéler le dommage résultant du manquement du souscripteur de l'assurance de groupe à son devoir d'information et de conseil, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil ;

2°/ que subsidiairement la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; qu'en l'espèce, pour déclarer irrecevable comme prescrite l'action indemnitaire exercée par l'emprunteur à l'encontre de la banque, la cour d'appel a considéré que le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité pour manquement à l'obligation d'information et de conseil se situait à la date de souscription du contrat de prêt dès lors que l'emprunteur avait déjà contracté au moins deux prêts qu'il avait remboursés en totalité et qu'il ne pouvait, après avoir signé l'offre de prêt, l'acte de cautionnement et la garantie CAMCA qui ne prévoyait pas l'assurance perte d'emploi mais seulement l'incapacité et le décès, et après avoir pris connaissance des conditions du contrat d'assurance, se méprendre sur ce à quoi il s'engageait ; qu'en se prononçant ainsi, par des motifs impropres à caractériser en quoi l'emprunteur avait pu, dès la conclusion du contrat de prêt, se rendre compte du caractère inadapté de la garantie proposée à ses propres besoins, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

9. Il résulte de l'article 2224 du code civil que, lorsqu'un emprunteur a adhéré à un contrat d'assurance de groupe souscrit par le prêteur à l'effet de garantir l'exécution de tout ou partie de ses engagements, le délai de prescription de son action en responsabilité au titre d'un manquement du prêteur au devoir d'information et de conseil sur les risques couverts court à compter du jour où il a connaissance du défaut de garantie du risque qui s'est réalisé.

10. La cour d'appel, devant laquelle l'emprunteur soutenait qu'à compter de son licenciement prononcé en mai 2010, les échéances du prêt n'avaient pu être prises en charge par l'assureur, a constaté qu'il avait invoqué pour la première fois, le 2 septembre 2016, un manquement de la banque à son devoir de conseil.

11. Il s'en déduit que la demande en dommages-intérêts, qui a été introduite au-delà du délai de prescription quinquennale, était prescrite.

12. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions des articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Champ - Avocat général : Mme Mallet-Bricout - Avocat(s) : SARL Cabinet Munier-Apaire ; SCP Capron -

Textes visés :

Article 2224 du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 9 juillet 2009, pourvoi n° 08-10.820, Bull. 2009, I, n° 172 (rejet) ; 2e Civ., 18 mai 2017, pourvoi n° 16-17.754, Bull. 2017, II, n° 102 (cassation partielle).

1re Civ., 5 janvier 2022, n° 20-16.031, (B), FS

Cassation partielle

Responsabilité de l'assureur – Obligation de conseil – Manquement – Dommage – Réalisation – Moment – Détermination – Portée

Prescription – Article L. 110-4 du code de commerce – Point de départ – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 19 février 2020), suivant offre acceptée le 5 septembre 2007, la caisse de Crédit mutuel [Localité 3] [Localité 4] (la banque) a consenti à M. et Mme [T] [W] [F] (les emprunteurs) un prêt immobilier.

Le 27 juin 2007, M. [T] [W] [F] a adhéré au contrat d'assurance de groupe proposé par la banque sans souscrire la garantie perte d'emploi. Il a été licencié le 26 mars 2009. A la suite d'impayés, la banque a prononcé la déchéance du terme.

2. Soutenant que divers frais n'avaient pas été pris en compte dans le calcul du taux effectif global et que la banque avait manqué à ses devoirs d'information et de mise en garde quant aux risques couverts par l'assurance, les emprunteurs ont, le 21 novembre 2013, assigné la banque en déchéance de son droit aux intérêts, annulation de la stipulation de l'intérêt conventionnel, responsabilité et indemnisation.

La banque a opposé une fin de non-recevoir tirée de la prescription.

Examen des moyens

Sur les deuxième, troisième et quatrième moyens, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

4. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite leur demande en dommages-intérêts pour manquement de la banque à ses devoirs d'information et de conseil, alors « que le dommage résultant d'un manquement au devoir de conseil dû à l'assuré sur l'adéquation de la garantie souscrite à ses besoins se réalise au moment du refus de garantie opposé par l'assureur ; qu'en fixant le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité pour manquement au devoir d'information et de conseil relatif aux risques couverts par l'assurance emprunteur à une date antérieure à la réalisation du risque non couvert, à savoir le licenciement de M. [T], et donc antérieure à la réalisation du préjudice, la cour d'appel a violé les articles L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction applicable à l'espèce, et 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 110-4 du code de commerce et 2224 du code civil :

5. Il résulte de ces textes que, lorsqu'un emprunteur a adhéré à un contrat d'assurance de groupe souscrit par le prêteur à l'effet de garantir l'exécution de tout ou partie de ses engagements, le délai de prescription de son action en responsabilité au titre d'un manquement du prêteur au devoir d'information et de conseil sur les risques couverts court à compter du jour où il a connaissance du défaut de garantie du risque qui s'est réalisé.

6. Pour déclarer irrecevable l'action en responsabilité des emprunteurs, l'arrêt fixe le point de départ du délai de prescription le 27 juin 2007 et en déduit que la prescription de l'action était acquise le 19 juin 2013, à l'expiration du nouveau délai quinquennal courant à compter du 19 juin 2008.

7. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable la demande de M. et Mme [T] [W] [F] en responsabilité de la caisse de Crédit mutuel [Localité 3] [Localité 4] pour manquement à ses devoirs d'information et de mise en garde, l'arrêt rendu le 19 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Serrier - Avocat général : Mme Mallet-Bricout - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; Me Le Prado -

Textes visés :

Article L 110-4 du code de commerce ; article 2224 du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 9 juillet 2009, pourvoi n° 08-10.820, Bull. 2009, I, n° 172 (rejet) ; 2e Civ., 18 mai 2017, pourvoi n° 16-17.754, Bull. 2017, II, n° 102 (cassation partielle).

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