Numéro 1 - Janvier 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2022

ARCHITECTE ENTREPRENEUR

3e Civ., 19 janvier 2022, n° 20-15.376, (B) (R), FS

Cassation partielle

Responsabilité – Responsabilité à l'égard du maître de l'ouvrage – Exonération – Clause du contrat d'architecte excluant la solidarité – Effets – Obstacle au prononcé d'une condamnation in solidum entre l'architecte et d'autres constructeurs (non)

La clause prévoyant que l'architecte ne pourra être tenu responsable ni solidairement ni in solidum des fautes commises par d'autres intervenants à l'opération ne limite pas la responsabilité de l'architecte, tenu de réparer les conséquences de sa propre faute, le cas échéant in solidum avec d'autres constructeurs. Elle ne saurait avoir pour effet de réduire le droit à réparation du maître d'ouvrage contre l'architecte, quand sa faute a concouru à la réalisation de l'entier dommage.

Viole l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la cour d'appel qui, pour limiter l'obligation à réparation de l'architecte et de son assureur à une fraction des dommages, retient que la clause d'exclusion de solidarité n'est privée d'effet qu'en cas de faute lourde et que l'architecte n'est tenu qu'à hauteur de la part contributive de sa faute dans la survenance des dommages, alors qu'il résulte de ses constatations que la faute de l'architecte est à l'origine de l'entier dommage.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. et Mme [B] du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre MM. [I], [A], [W], [R], en sa qualité de liquidateur de la société Maison du Gard, et [P], et les sociétés Caro Pro, Axa France IARD, SMA, BRMJ, en sa qualité de liquidateur de la société ARA services et aménagements, et Maza menuiseries.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 6 février 2020), par acte du 18 mars 2009, Mme [O] a vendu un appartement à M. et Mme [B].

3. Ceux-ci ont confié à M. [E] (l'architecte), assuré auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF), la maîtrise d'oeuvre de la rénovation de ce bien.

4. Se plaignant de malfaçons et d'imprévisions ayant, notamment, entraîné un dépassement du budget, M. et Mme [B] ont assigné l'architecte et la MAF en indemnisation de leurs préjudices.

5. Mme [O], se plaignant, quant à elle, de dommages provenant de l'appartement vendu et causés aux biens dont elle était restée propriétaire, a assigné M. et Mme [B], qui ont appelé l'architecte en garantie.

Les instances ont été jointes.

6. L'architecte a été placé en liquidation judiciaire.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, et sur le troisième moyen, ci-après annexés

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

8. M. et Mme [B] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande en paiement formée au titre de leur préjudice lié au dépassement du budget global du chantier, alors « que, selon l'article 1231-2 du code civil, les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé ; qu'en l'espèce, sans la faute de M. [E], les époux [B] n'auraient pas été confrontés à la nécessité de souscrire un emprunt pour faire face à des travaux imprévus ; qu'ils auraient pu, dès l'origine, décider en connaissance de cause d'entreprendre ce chantier, de recourir ou non aux entreprises et intervenants qui leur étaient proposés, et pour un coût qu'ils auraient pu accepter ou refuser en connaissance de cause, autant de données dont ils ont été frustrés en raison de la faute de l'architecte ; qu'en exonérant celui-ci de toute responsabilité aux motifs que le surcoût qu'il lui était demandé de prendre en charge aurait dû « nécessairement être payé » par les exposants, affirmation portant sur un fait par hypothèse incertain et donc insusceptible d'affecter le lien de causalité direct qui existait entre le dommage résultant du dépassement de budget et la faute de l'architecte, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »

Réponse de la Cour

9. La cour d'appel a retenu que, si le projet de l'architecte avait été correctement réalisé, M. et Mme [B] auraient dû nécessairement payer le surcoût correspondant aux prestations complémentaires omises de son évaluation.

10. Elle a pu en déduire qu'il n'y avait pas de lien de causalité entre le préjudice lié à ce surcoût et les fautes de l'architecte, en dehors des déconvenues éprouvées par les maîtres d'ouvrage du fait des plus-values en cours de chantier, dont elle a souverainement fixé la réparation.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

12. M. et Mme [B] font grief à l'arrêt de fixer leur créance au passif de l'architecte à la somme de 67 777,06 euros seulement avec intérêts au taux légal à compter du 29 juillet 2013 et de condamner la MAF à payer cette somme, alors « que l'architecte qui manque à son devoir de conseil en omettant d'exiger les plans d'exécution de leur lot par les entreprises et de définir l'objet du marché revenant à chacune d'elles, ne peut se décharger des conséquences de sa carence en invoquant des fautes d'exécution de ces mêmes entreprises, fautes dont l'exécution de sa mission avait précisément pour objet d'empêcher la survenance ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, pour chacun des lots affectés de malfaçons, a retenu que « les désordres sont imputables pour moitié à une faute de l'entreprise qui n'a pas exécuté un ouvrage conforme aux règles de l'art (et) à l'architecte qui en s'abstenant dans le cadre de sa mission AMT de préparer un projet complet définissant précisément les prestations de l'entreprise, et en n'exigeant pas de l'entreprise un plan d'exécution, n'a pas mis en place un cadre permettant le bon accomplissement de l'ouvrage » ; qu'en jugeant que l'architecte ayant commis un tel manquement était fondé, dans ses relations avec les maîtres d'ouvrage, à se prévaloir de la faute d'exécution commise par les entreprises, et en décidant en conséquence que les fautes respectives des parties ayant contribué aux désordres seront fixées dans la proportion de 70 % pour l'entreprise en raison du défaut d'exécution, et de 30 % pour l'architecte en raison de l'impréparation du projet, la cour d'appel a violé les articles 1231-1 et 1793 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

13. Selon ce texte, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

14. Chacun des coauteurs d'un même dommage, conséquence de leurs fautes respectives, doit être condamné in solidum à la réparation de l'entier dommage, chacune de ces fautes ayant concouru à le causer tout entier, sans qu'il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilités entre les coauteurs, lequel n'affecte que les rapports réciproques de ces derniers, mais non le caractère et l'étendue de leur obligation à l'égard de la victime du dommage.

15. L'arrêt relève que le contrat de maîtrise d'oeuvre contient une clause prévoyant que l'architecte ne pourra être tenu responsable ni solidairement ni in solidum des fautes commises par d'autres intervenants à l'opération.

16. Une telle clause ne limite pas la responsabilité de l'architecte, tenu de réparer les conséquences de sa propre faute, le cas échéant in solidum avec d'autres constructeurs. Elle ne saurait avoir pour effet de réduire le droit à réparation du maître d'ouvrage contre l'architecte, quand sa faute a concouru à la réalisation de l'entier dommage.

17. Pour limiter l'obligation à réparation de l'architecte et de son assureur à une fraction des dommages, l'arrêt retient que la clause d'exclusion de solidarité n'est privée d'effet qu'en cas de faute lourde et que l'architecte n'est tenu qu'à hauteur de la part contributive de sa faute dans la survenance des dommages.

18. En statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que les dommages avaient été causés par la faute de l'architecte, qui s'était abstenu de préparer un projet complet définissant précisément les prestations des locateurs d'ouvrage et d'exiger d'eux des plans d'exécution, ce dont il résultait que la faute de l'architecte était à l'origine de l'entier dommage, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Mise hors de cause

19. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause Mme [O], dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite la fixation de créance au passif de M. [E] et la condamnation de la Mutuelle des architectes français prononcées au titre de la reprise des malfaçons du gros oeuvre imputables à M. [H], des malfaçons du placoplâtre, des malfaçons des évacuations des eaux usées, des malfaçons des gouttières, des malfaçons des enduits, des malfaçons de l'électricité, de la mise en conformité du chauffage, du lot terrasse de 18 m² et de la visite du consuel demandée par l'expert, l'arrêt rendu le 6 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Met hors de cause Mme [O].

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Zedda - Avocat général : M. Burgaud - Avocat(s) : Me Soltner ; SCP Boulloche ; SCP Buk Lament-Robillot -

Textes visés :

Article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

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