Numéro 1 - Janvier 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2022

ALSACE-MOSELLE

3e Civ., 26 janvier 2022, n° 20-17.715, (B), FS

Cassation partielle

Bail en général – Incendie – Responsabilité du preneur – Responsabilité à l'égard du bailleur – Dégradations ou pertes – Article 1732 du code civil – Application – Exclusion – Conditions – Stipulation contractuelle expresse – Défaut – Effets – Faute du preneur – Preuve – Charge – Détermination

Il résulte de l'article 72 de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle que, les articles 1733 et 1734 du code civil n'étant pas applicables dans ces trois départements, en cas d'incendie survenu dans des locaux donnés à bail, le locataire ne peut être présumé responsable sur le fondement de l'article 1732 du même code.

En conséquence, sauf clause contraire expresse du bail relevant du droit local, le locataire ne répond des dégradations ou des pertes consécutives à l'incendie que si le bailleur prouve qu'il a commis une faute à l'origine de celui-ci.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 11 février 2020), le 14 mars 2015, un incendie est survenu dans des locaux commerciaux, situés à Montigny-les-Metz, et loués par la société Estetika à la SCI Immobilière d'intérieur (la SCI).

2. Suite au sinistre, la locataire a donné congé à la bailleresse pour le 14 novembre 2015, date d'expiration de la première période triennale.

3. La SCI a assigné la société Estetika en paiement de loyers impayés et de réparations locatives.

4. La société Estetika a assigné son assureur, la société Assurances du crédit mutuel IARD (la société ACM), et la SCI en indemnisation d'un préjudice de perte d'exploitation subie entre le 14 mars et le 14 novembre 2015.

5. Les deux instances ont fait l'objet d'une jonction.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche, et sur les quatrième et sixième moyens, ci-après annexés

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en ses première et troisième branches, et sur le troisième moyen, réunis

Enoncé des moyens

7. Par le premier moyen, la société Estetika fait grief à l'arrêt de dire irrecevables ses demandes en remboursement du dépôt de garantie et des loyers réglés de mars à juin 2015 dirigées contre la SCI, alors :

« 1°/ que les parties peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions pour faire écarter les prétentions adverses ; qu'en l'espèce, la société Immobilière d'Intérieur avait demandé la condamnation de la société Estetika à lui payer la somme de 3 156,66 euros au titre de l'arriéré de loyers et charges, majorée des intérêts contractuels de 15 % à compter de chaque échéance impayée ; que pour faire écarter cette prétention, la société Estetika invoquait le manquement de la société bailleresse à son obligation de délivrance, et sollicitait en conséquence de ce manquement la condamnation de la société Immobilière d'Intérieur à lui payer les sommes de 2 082,50 euros en remboursement des loyers indûment payés pour les mois de mars à juin 2015, et de 565 euros en remboursement du dépôt de garantie ; qu'en déclarant irrecevables ces demandes qui tendaient à faire écarter les prétentions adverses, la cour d'appel a violé l'article 564 du code de procédure civile ;

2°/ que les demandes reconventionnelles sont recevables en appel pourvu qu'elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant ; qu'en l'espèce, la société Immobilière d'Intérieur avait demandé la condamnation de la société Estetika à lui payer la somme de 3 156,66 euros au titre de l'arriéré de loyers et charges, majorée des intérêts contractuels de 15 % à compter de chaque échéance impayée ; qu'en cause d'appel, pour faire écarter cette prétention, la société Estetika avait invoqué le manquement de la société bailleresse à son obligation de délivrance, et demandé à titre reconventionnel à la voir condamner à lui payer les sommes de 2 082,50 euros en remboursement des loyers indûment payés pour les mois de mars à juin 2015, et de 565 euros en remboursement du dépôt de garantie ; qu'en déclarant irrecevables les demandes reconventionnelles de la société Estetika sans expliquer pour quelle raison elles ne se rattachaient pas par un lien suffisant aux demandes de la société Immobilière d'Intérieur, quand les demandes originaires et reconventionnelles concernaient l'exécution d'un même contrat de bail, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 70 et 567 du code de procédure civile. »

8. Par le deuxième moyen, elle fait grief à l'arrêt de dire irrecevables ses demandes nouvelles en paiement de certaines sommes au titre du trouble de jouissance, de la perte du fonds de commerce et du solde d'un prêt professionnel dirigées contre la SCI, alors :

1°/ que les parties peuvent soumettre à la cour d'appel de nouvelles prétentions pour faire juger les questions nées de la révélation d'un fait ; qu'en l'espèce, il résultait des rapports d'expertise des sociétés Polyexpert et Eurexo, produits pour la première fois en appel, que l'incendie survenu dans les locaux loués était d'origine accidentelle, de sorte que les travaux de remise en état étaient à la charge de la société Immobilière d'Intérieur, conformément à la législation applicable en Alsace-Moselle ; qu'en affirmant que la production en cause d'appel des rapports d'expertise établis postérieurement au sinistre ne constituait pas la révélation d'un fait nouveau rendant recevables les demandes de la société Estetika quand ces rapports d'expertises établissaient que le défaut d'exécution des travaux de remise constituait un manquement du bailleur à ses obligations nées du bail, justifiant ainsi les demandes du preneur en réparation de son préjudice de jouissance, de la perte de son fonds de commerce et du remboursement du solde de son prêt professionnel, la cour d'appel a violé l'article 564 du code de procédure civile ;

3°/ que les parties peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire ; que ne sont pas nouvelles les demandes ayant le même fondement que les demandes initiales et poursuivant la même fin d'indemnisation du préjudice résultant d'un même événement ; qu'en première instance, la société Estetika avait demandé la condamnation de la société Immobilière d'Intérieur à lui payer, solidairement avec la société ACM Iard, la somme de 31 879,73 euros à titre de dommages-intérêts pour la perte d'exploitation subie ; qu'en cause d'appel, elle a demandé la condamnation de la société Immobilière d'Intérieur à lui payer les sommes de 10 000 euros au titre de son trouble de jouissance, de 50 477,37 euros au titre de la perte du fonds de commerce et de 8 698,97 euros en remboursement du solde du prêt professionnel CIC, en « réparation de son préjudice » ; qu'en déclarant irrecevables ces prétentions qui tendaient, comme celle soumise au premier juge, à la réparation des préjudices subis par la société Estetika, résultant de l'incendie survenu dans la nuit du 13 au 14 mars 2015, la cour d'appel a violé les articles 564 et 566 du code de procédure civile. »

9. Par le troisième moyen, elle fait grief à l'arrêt de dire irrecevable sa demande en paiement d'une certaine somme au titre de l'indemnisation de la valeur vénale de son fonds de commerce dirigée contre la société ACM, alors « que les parties peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire ; qu'en première instance, la société Estetika avait demandé la condamnation de la société ACM Iard à lui payer, solidairement avec la société Immobilière d'Intérieur, la somme de 31 879,73 euros à titre de dommages-intérêts pour la perte d'exploitation subie, en application des stipulations du contrat d'assurance en date du 21 novembre 2012 ; qu'aux termes de ce contrat, il était également stipulé une « assurance valeur vénale du fonds de commerce » applicable « lorsque l'assuré se trouve dans l'impossibilité absolue et définitive de continuer l'exploitation dans les locaux désignés aux conditions particulières, et de la transférer dans d'autres locaux sans perdre la totalité de la clientèle » ; qu'aux termes des conditions particulières, la société Estetika bénéficiait de cette garantie, dans la limite d'un plafond de 20 000 euros ; qu'en déclarant irrecevable la demande de la société Estetika formée en cause d'appel à l'encontre de la société ACM Iard, en paiement de la somme de 20 000 au titre de l'indemnité valeur vénale du fonds qui constituait pourtant le complément et l'accessoire de la demande en paiement de l'indemnité perte d'exploitation, la cour d'appel a violé les articles 564 et 566 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

10. En premier lieu, ayant constaté qu'en première instance la société Estetika n'avait, outre le rejet de la demande en paiement de l'arriéré de loyer, sollicité, sur le fondement d'une exception d'inexécution, que la condamnation de la SCI et de la société ACM à l'indemniser de sa perte d'exploitation et retenu que les demandes en remboursement des loyers et du dépôt de garantie ainsi qu'en indemnisation au titre du trouble de jouissance, de la perte du fonds de commerce et du solde d'un prêt professionnel, fondées sur la résiliation de plein droit du bail, avaient un objet distinct, la cour d'appel en a exactement déduit que ces demandes ne tendaient pas aux mêmes fins et que, nouvelles, elles ne visaient pas à faire écarter les prétentions adverses et n'étaient ni l'accessoire, ni la conséquence ni le complément nécessaire des prétentions soumises au premier juge.

11. En deuxième lieu, ayant relevé, motivant ainsi sa décision, que ces demandes étaient fondées sur des droits différents de celui invoqué en première instance, elle en a souverainement déduit qu'elles ne se rattachaient pas aux demandes initiales par un lien suffisant.

12. En troisième lieu, ayant constaté que les rapports d'expertise produits en cause d'appel ne révélaient aucun fait nouveau en rapport avec un trouble de jouissance, la perte alléguée du fonds de commerce et le remboursement du prêt professionnel, elle en a exactement déduit que les demandes formées à ces titres ne visaient pas à faire juger des questions nées de la survenance ou de la révélation d'un fait.

13. De ces constatations et énonciations, elle a déduit, à bon droit, que les demandes nouvelles de la société Estetika étaient irrecevables.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le cinquième moyen

Enoncé du moyen

15. La société Estetika fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la SCI une certaine somme au titre de la remise en état des locaux loués, alors :

« 1°/ que l'article 1733 du code civil, aux termes duquel le preneur répond de l'incendie des locaux loués, à moins qu'il ne prouve qu'il est arrivé par cas fortuit ou force majeure, par vice de construction ou que le feu a été communiqué par une maison voisine, n'est pas applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ; qu'en conséquence, les travaux de remise en état des locaux loués à la suite d'un incendie d'origine indéterminée sont à la charge du bailleur ; qu'en l'espèce, la société Estetika faisait valoir, dans ses conclusions d'appel que « suite à ses investigations, le rapport Eurexo (repris par Polyexpert) indique : « Après examen minutieux des lieux, il ressort des investigations contradictoires qu'une origine accidentelle est à l'origine du sinistre », et que « les travaux de remise en état (murs, plafonds, sols, électricité, chauffage, portes ?) ont été mis à la charge de la bailleresse par les experts » ; que dans son rapport du 11 mars 2016, l'expert Eurexo rappelait également que « la loi du 1er juin 1924 a mis en vigueur le code civil français dans les départements du Haut-Rhin, Bas-Rhin et de la Moselle (68, 67 et 57), mais n'a pas introduit dans ces départements les articles 1733 et 1734 relatifs à la responsabilité du locataire en cas d'incendie. Il en résulte qu'en cas d'incendie ayant pris naissance dans les biens loués, le locataire, dans ces départements, n'est pas présumé responsable, sa responsabilité ne pouvant être engagée qu'en cas de faute prouvée » ; qu'en retenant que les travaux de remise en état des locaux loués, à la suite de l'incendie accidentel survenu dans la nuit du 13 au 14 mars 2015, étaient à la charge de la société Estetika, locataire, la cour d'appel a violé les articles 72 de la loi du 1er juin 1924 et 1733 du code civil ;

2°/ que le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée, d'entretenir celle-ci en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée, et d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ; que l'article 1733 du code civil n'étant pas applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, les travaux de remise en état des locaux loués à la suite d'un incendie d'origine indéterminée sont nécessairement à la charge du bailleur, sauf clause expresse contraire contenue au bail ; qu'en l'espèce, aux termes du bail du 6 novembre 2012, il était stipulé que « le preneur a la charge des réparations de toute nature, grosses ou menues, étant précisé que les travaux affectant le gros oeuvre en ce inclus ceux prévus par l'article 606 du code civil seront exécutés par le bailleur » ; qu'aucune stipulation expresse ne mettait à la charge du locataire les travaux de remise en état résultant d'un incendie ; qu'en retenant néanmoins que les travaux de remise en état des locaux loués, à la suite de l'incendie accidentel survenu dans la nuit du 13 au 14 mars 2015, étaient à la charge de la société Estetika, locataire, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble les articles 1719 et 1720 du même code. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

16. La SCI conteste la recevabilité du moyen en soutenant qu'il est nouveau et mélangé de fait et de droit.

17. Cependant, la société Estetika soutenait dans ses conclusions d'appel, que les rapports d'expertise avaient mis les travaux de remise en état des locaux loués à la suite de l'incendie à la charge de la SCI après avoir indiqué que l'origine de l'incendie était accidentelle et que les articles 1733 et 1734 du code civil n'ayant pas été introduits par la loi du 1er juin 1924 dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, le locataire, dans ces départements, n'était pas présumé responsable en cas d'incendie ayant pris naissance dans les biens loués, sa responsabilité ne pouvant être engagée qu'en cas de faute prouvée.

18. Le moyen, qui n'est pas nouveau, est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 72 de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle :

19. Il résulte de ce texte que, les articles 1733 et 1734 du code civil n'étant pas applicables dans les trois départements susvisés, en cas d'incendie survenu dans des locaux donnés à bail, le locataire ne peut être présumé responsable sur le fondement de l'article 1732 du code civil.

20. Pour condamner la société Estetika au paiement de travaux de remise en état des locaux loués à la suite de l'incendie, l'arrêt retient, qu'en exécution du bail commercial, la locataire a la charge des réparations de toute nature sauf celles affectant le gros oeuvre, que la SCI verse aux débats deux devis chiffrant respectivement les travaux à la charge du preneur et du bailleur, que ces chiffrages ne sont pas contredits par les rapports d'expertise et que l'indemnisation du bailleur n'est pas subordonnée au paiement effectif par celui-ci des travaux incombant au preneur.

21. En statuant ainsi, alors que, sauf clause contraire expresse du bail relevant du droit local, le locataire ne répond des dégradations ou des pertes consécutives à l'incendie que si le bailleur prouve qu'il a commis une faute à l'origine de celui-ci, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Mise hors de cause

22. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la société ACM, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Estetika à payer à la SCI Immobilière d'intérieur la somme de 11 879,56 euros avec intérêts au taux légal à compter du 12 janvier 2016, l'arrêt rendu le 11 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ;

Met hors de cause la société Assurances du crédit mutuel IARD ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Colmar.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Jariel - Avocat général : Mme Morel-Coujard - Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano ; SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 72 de la loi du 1er juin 1924 ; articles 1732, 1733 et 1734 du code civil.

Rapprochement(s) :

Com., 23 juin 1965, Bull. 1965, IV, n° 392 (rejet).

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