Numéro 1 - Janvier 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2021

UNION EUROPEENNE

1re Civ., 20 janvier 2021, n° 18-24.297, (P)

Rejet

Protection des consommateurs – Directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 – Article 3 – Clauses abusives – Définition – Clause créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties – Exclusion – Clause prévoyant la déchéance du terme en cas de renseignements inexacts lors de la souscription du contrat

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 août 2018), suivant offre acceptée le 30 novembre 2011, la société Crédit du Nord (la banque) a consenti un prêt immobilier à M. O... et à Mme N... (les emprunteurs).

Les conditions générales du contrat prévoyaient à l'article 9-1 une exigibilité du prêt par anticipation, sans que le prêteur ait à remplir une formalité judiciaire quelconque, en cas de fourniture de renseignements inexacts sur la situation de l'emprunteur, dès lors que ces renseignements étaient nécessaires à la prise de décision du prêteur.

2. Soutenant que les emprunteurs avaient produit de faux relevés de compte à l'appui de leur demande de financement, la banque s'est prévalue de l'article 9.1 des conditions générales du contrat pour prononcer la déchéance du terme, puis les a assignés en paiement.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Les emprunteurs font grief à l'arrêt d'accueillir la demande en paiement de la banque, après avoir exclu le caractère abusif de l'article 9.1 des conditions générales du contrat, alors :

« 1°/ que, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que sont présumées abusives, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, les clauses ayant pour objet ou pour effet de reconnaître au professionnel la faculté de résilier le contrat sans préavis d'une durée raisonnable ; qu'au cas d'espèce, dès lors que l'article 9.1 des conditions générales du contrat de prêt prévoyait la faculté pour la banque de prononcer la déchéance du terme, rendant immédiatement exigibles les sommes dues, notamment en cas de fourniture de renseignements inexacts sur la situation de l'emprunteur, sans qu'aucun délai de préavis n'ait à être respecté, la clause devait être présumée abusive, sauf à la banque à prouver le contraire ; qu'en jugeant la clause non abusive sans constater que la banque avait renversé la présomption, relativement à l'absence de délai de préavis, la cour d'appel a violé les articles L. 132-1 ancien (devenu L. 212-1 nouveau) et R. 132-2, 4°, ancien (devenu R. 212-2, 4°, nouveau) du code de la consommation ;

2°/ que, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que revêt un tel caractère abusif la clause qui permet au prêteur de prononcer la déchéance du terme, rendant immédiatement exigibles les sommes dues, au motif de la fourniture de renseignements inexacts sur la situation de l'emprunteur, en l'absence de toute défaillance de l'emprunteur dans le remboursement du prêt ; qu'au cas présent, en décidant au contraire que la clause de l'article 9.1 des conditions générales du prêt n'était pas abusive, quand cette stipulation s'appliquait sans qu'importe le point de savoir si les échéances du prêt étaient ou non régulièrement honorées (ce qui était d'ailleurs le cas en l'espèce), la cour d'appel a violé l'article L. 132-1 ancien (devenu L. 212-1 nouveau) du code de la consommation ;

3°/ que, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que revêt un tel caractère abusif la clause qui permet au prêteur de prononcer la déchéance du terme, rendant immédiatement exigibles les sommes dues, au motif de la fourniture de renseignements inexacts sur la situation de l'emprunteur, qui a pour effet d'ouvrir à la banque la faculté de résilier le contrat pour un motif étranger à son exécution, en l'absence de toute défaillance de l'emprunteur dans le remboursement du prêt, et de la dispenser d'introduire une action judiciaire en annulation du contrat, en faisant basculer la charge de l'action en justice sur le consommateur ; qu'en l'espèce, en décidant le contraire s'agissant de l'article 9.1 des conditions générales du prêt, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1 ancien (devenu L. 212-1 nouveau) du code de la consommation ;

4°/ que, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que revêt un tel caractère abusif la clause qui permet au prêteur de prononcer la déchéance du terme, rendant immédiatement exigibles les sommes dues, au motif de la fourniture de renseignements inexacts sur la situation de l'emprunteur, sans que l'emprunteur soit mis en mesure de s'expliquer au préalable sur cette cause de déchéance ; qu'au cas d'espèce, en décidant au contraire que la clause de l'article 9.1 des conditions générales du prêt n'était pas abusive, quand cette stipulation ne ménageait à l'emprunteur aucune possibilité de s'expliquer avant sa mise en oeuvre, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1 ancien (devenu L. 212-1 nouveau) du code de la consommation ;

5°/ que, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que la sanction du caractère abusif d'une clause ne saurait être neutralisée par le devoir de loyauté ou de bonne foi pesant sur le consommateur au titre du droit commun des obligations ; qu'au cas d'espèce, à supposer adopté le motif selon lequel la législation sur les clauses abusives ne protégerait que le consommateur de bonne foi, l'arrêt devrait être censuré pour violation de l'article L. 132-1 ancien (devenu L. 212-1 nouveau) du code de la consommation, ensemble les articles 6 et 1134 (ce dernier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016) du code civil ;

6°/ que, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; qu'à supposer que le devoir d'exécution de bonne foi du contrat puisse être étendu à la formation de celui-ci, sa méconnaissance ne peut déboucher que sur une action en nullité de la convention ou sur une action indemnitaire, et non sur la résiliation ou la résolution de la convention, qui ne peut sanctionner que l'inexécution d'une obligation issue de celle-ci ; qu'aussi, en présence d'une clause d'un contrat de prêt qui permet au prêteur de prononcer la déchéance du terme, rendant immédiatement exigibles les sommes dues, au motif de la fourniture de renseignements inexacts sur la situation de l'emprunteur, en l'absence de toute défaillance de l'emprunteur dans le remboursement du prêt, le juge ne peut dénier son caractère abusif au motif que cette stipulation viendrait sanctionner un manquement de l'emprunteur à son obligation de contracter de bonne foi, dès lors qu'un tel manquement ne peut jamais, en droit commun, fonder la résiliation ou la résolution du contrat ; qu'en se déterminant de la sorte en l'espèce à l'égard de l'article 9.1 des conditions générales du prêt, la cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, a violé l'article L. 132-1 ancien (devenu L. 212-1 nouveau) du code de la consommation, ensemble les articles 1134 et 1184 du code civil (dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016) ;

7°/ que, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que revêt un tel caractère abusif la clause qui permet au prêteur de prononcer la déchéance du terme, rendant immédiatement exigibles les sommes dues, au motif de la fourniture de renseignements inexacts sur la situation de l'emprunteur, tout en laissant croire au consommateur qu'aucun contrôle judiciaire ne peut être exercé sauf à ce que la banque y consente par écrit ; qu'en l'espèce, en déniant tout caractère abusif à la clause de l'article 9.1 des conditions générales du contrat de prêt, quand cette dernière prévoyait que la banque pourrait prononcer la déchéance du terme, rendant immédiatement exigibles les sommes dues, au motif de la fourniture de renseignements inexacts sur la situation de l'emprunteur « sans qu'elle ait à remplir une formalité judiciaire quelconque, sauf accord écrit de sa part », ce qui était ambigu et pouvait donc laisser croire au consommateur qu'aucun contrôle judiciaire ne pouvait être exercé sauf à ce que la banque y consente par écrit, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1 ancien (devenu L. 212-1 nouveau) du code de la consommation ;

8°/ que la CJUE a dit pour droit que l'article 3, § 1, et l'article 4 de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs doivent être interprétés en ce sens que s'agissant de l'appréciation par une juridiction nationale de l'éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, il incombe à cette juridiction d'examiner si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépend de l'inexécution par le consommateur d'une obligation qui présente un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté est prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêt un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, si ladite faculté déroge aux règles de droit commun applicables en la matière en l'absence de dispositions contractuelles spécifiques et si le droit national prévoit des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l'application d'une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt (CJUE 26 janvier 2017, Banco Primus, aff. C-421/4) ; qu'au cas d'espèce, en s'abstenant, aux fins d'examiner son caractère abusif, de s'expliquer sur le point de savoir si la clause de l'article 9.1 des conditions générales du prêt, prévoyant la faculté pour la banque de prononcer la déchéance du terme, rendant immédiatement exigibles les sommes dues, notamment en cas de fourniture de renseignements inexacts sur la situation de l'emprunteur, ne dérogeait pas aux règles de droit commun français qui auraient été applicables en l'absence de dispositions contractuelles spécifiques, ce qui était le cas dès lors qu'un manquement au devoir de bonne foi au stade de la conclusion du contrat (et non de son exécution) n'aurait pas pu fonder une résolution ou une résiliation de celui-ci, la cour d'appel, qui s'est affranchie de la méthode qui s'imposait à elle, a violé les articles 3, § 1, et 4 de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993, tels qu'interprétés par la CJUE, ensemble l'article L. 132-1 ancien (devenu L. 212-1 nouveau) du code de la consommation ;

9°/ qu'en s'abstenant, aux fins d'examiner son caractère abusif, de s'expliquer sur le point de savoir si, sachant que la clause de l'article 9.1 des conditions générales du prêt stipulait la faculté pour la banque de prononcer la déchéance du terme, rendant immédiatement exigibles les sommes dues, notamment en cas de fourniture de renseignements inexacts sur la situation de l'emprunteur, le droit français prévoyait des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l'application d'une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt, la cour d'appel, qui s'est de ce point de vue encore affranchie de la méthode qui s'imposait à elle, a violé les articles 3, § 1, et 4 de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993, tels qu'interprétés par la CJUE, ensemble l'article L. 132-1 ancien (devenu L. 212-1 nouveau) du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

4. L'arrêt relève que la stipulation critiquée limite la faculté de prononcer l'exigibilité anticipée du prêt aux seuls cas de fourniture de renseignements inexacts portant sur des éléments déterminants du consentement du prêteur dans l'octroi du prêt et ne prive en rien l'emprunteur de recourir à un juge pour contester l'application de la clause à son égard. Il ajoute qu'elle sanctionne la méconnaissance de l'obligation de contracter de bonne foi au moment de la souscription du prêt.

5. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui a implicitement mais nécessairement retenu que la résiliation prononcée ne dérogeait pas aux règles de droit commun et que l'emprunteur pouvait remédier à ses effets en recourant au juge, a déduit, à bon droit, que, nonobstant son application en l'absence de préavis et de défaillance dans le remboursement du prêt, la clause litigieuse, dépourvue d'ambiguïté et donnant au prêteur la possibilité, sous certaines conditions, de résilier le contrat non souscrit de bonne foi, ne créait pas, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

6. Le moyen, qui s'attaque en sa cinquième branche à des motifs surabondants, n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Vitse - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Krivine et Viaud ; SARL Cabinet Briard -

Textes visés :

Article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; articles 3, §§ 1 et 4, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 27 novembre 2008, pourvoi n° 07-15.226, Bull. 2008, I, n° 275 (cassation partielle partiellement sans renvoi). Cf. : CJUE, arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus SA, C-421/14.

1re Civ., 6 janvier 2021, n° 19-19.940, (P)

Rejet

Règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 – Indemnisation – Indemnisation forfaitaire – Domaine d'application – Exclusion – Cas – Passagers voyageant à titre gratuit

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal d'instance d'Ivry-sur-Seine, 20 mai 2019), rendu en dernier ressort, M. et Mme L..., qui disposaient d'une réservation, délivrée par la société Transavia France (le transporteur aérien) pour eux-mêmes et leurs trois enfants mineurs, sur le vol Agadir/Paris prévu le 4 mai 2018, sont parvenus à destination avec un retard de 22 heures 28 à la suite de l'annulation de ce vol.

2. Sur le fondement du règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d'indemnisation et d'assistance des passagers en cas de refus d'embarquement et d'annulation ou de retard important d'un vol, et abrogeant le règlement (CEE) n° 295/91, ils ont obtenu du transporteur aérien le versement d'une indemnité de 400 euros pour chacun d'eux et deux des enfants.

3. Le transporteur aérien ayant refusé le versement de cette indemnité pour leur autre enfant en raison de son jeune âge et de ses conditions de voyage, ils l'ont assigné en paiement de cette indemnité et de dommages-intérêts pour résistance abusive.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. M. et Mme L... font grief au jugement de rejeter leurs demandes, alors :

« 1°/ que seuls les passagers bénéficiant de tarifs spéciaux non accessibles au public sont exclus du champ d'application du règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d'indemnisation et d'assistance des passagers en cas de refus d'embarquement et d'annulation ou de retard important d'un vol ; qu'en retenant que, dès lors qu'elle avait bénéficié de la gratuité mise en place par les compagnies aériennes afin de permettre à un parent, à titre commercial, de faire voyager gratuitement sur ses genoux un enfant de moins de deux ans, X... L... ne pouvait prétendre à l'indemnisation forfaitaire due aux passagers aériens en cas d'annulation de leur vol, le tribunal a violé l'article 3, § 3, du règlement, interprété à la lumière de son objectif tendant à garantir un niveau élevé de protection des passagers ;

2° / qu'en toute hypothèse, constitue un billet au sens du règlement précité tout document en cours de validité établissant le droit au transport, ou quelque chose d'équivalent sous forme immatérielle, y compris électronique, délivré ou autorisé par le transporteur aérien ou son agent agréé ; qu'en retenant que X... L... ne justifiait d'aucun billet d'avion, bien qu'il ait constaté qu'elle apparaissait sur la réservation établie par la compagnie aérienne sous le nom de sa mère et qu'en conséquence elle était répertoriée sur le vol en cause, le tribunal, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les articles 2 et 3, § 3, du règlement. »

Réponse de la Cour

5. L'article 3, paragraphe 3, du règlement n° 261/2004 dispose :

« Le présent règlement ne s'applique pas aux passagers qui voyagent gratuitement ou à un tarif réduit non directement ou indirectement accessible au public. Toutefois, il s'applique aux passagers en possession d'un billet émis par un transporteur aérien ou un organisateur de voyages dans le cadre d'un programme de fidélisation ou d'autres programmes commerciaux. »

6. Il ressort du libellé de la première phrase de ce paragraphe que le membre de phrase « non directement ou indirectement accessible au public » se rapporte exclusivement aux termes « tarif réduit ».

7. Cette analyse se vérifie dans d'autres versions linguistiques de ce règlement, telles que les versions en langues allemande, anglaise, italienne et espagnole.

8. Il s'ensuit que l'article 3, paragraphe 3, du règlement n° 261/2004 exclut du champ d'application de celui-ci les passagers qui voyagent à titre gratuit, même si cette gratuité est prévue dans une offre accessible au public.

9. Cette interprétation est corroborée par l'économie et l'objectif de ce règlement, visant à renforcer les droits des passagers conférés par le règlement (CEE) n° 295/91 du Conseil, établissant des règles communes relatives à un système de compensation pour refus d'embarquement dans les transports aériens réguliers. Ainsi, alors que le règlement n° 295/91 ne couvrait que les hypothèses de refus d'embarquement, le règlement n° 261/2004 prévoit des droits particuliers en faveur des personnes à mobilité réduite (article 11), la reconnaissance d'un droit des passagers à l'information (article 14), le droit au remboursement en cas de déclassement (article 10, paragraphe 2), ainsi qu'un éventail de mesures différenciées en cas de refus d'embarquement de passagers contre leur volonté, d'annulation de leur vol et de vol retardé. Cependant, il reprend à l'article 3, paragraphe 3, la restriction énoncée à l'article 7 du règlement n° 295/91, aux termes duquel : « Le transporteur aérien n'est pas tenu au paiement d'une compensation de refus d'embarquement lorsque le passager voyage gratuitement ou à des tarifs non disponibles directement ou indirectement au public. »

10. Le maintien de cette exclusion du champ d'application du règlement n° 261/2004 a également été relevé dans l'avis du Comité économique et social sur la « proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles communes en matière d'indemnisation des passagers aériens et d'assistance en cas de refus d'embarquement et d'annulation ou de retard important d'un vol » (JO n° C 241 du 07/10/2002).

11. Enfin, cette interprétation de l'article 3, paragraphe 3, du règlement n° 261/2004 a été retenue par une cour suprème d'un autre Etat membre, la Cour fédérale d'Allemagne (Bundesgerichtshof) dans l'arrêt du 17 mars 2015 (X ZR 35/14).

12. En outre, si cet article énonce à la deuxième phrase du paragraphe 3 que l'exclusion ne s'applique pas aux passagers en possession d'un billet émis dans le cadre d'un programme commercial, cette disposition ne concerne pas un très jeune enfant qui voyage sans billet sur les genoux de ses parents.

13. Il s'ensuit que, en retenant que l'article 3, paragraphe 3, du règlement n° 261/2004 exclut du champ d'application les passagers qui voyagent gratuitement et que l'enfant en cause, âgée de moins de deux ans, qui a voyagé sans billet d'avion sur les genoux de ses parents, ne pouvait bénéficier de l'indemnisation forfaitaire réclamée au transporteur aérien, le tribunal a fait une application exacte de cette disposition.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

15. Et en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation de ladite disposition du droit de l'Union européenne, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Chevalier - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article 3, § 3, du règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004.

1re Civ., 27 janvier 2021, n° 19-16.917, (P)

Cassation

Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 – Article 35 – Mesures provisoires ou conservatoires – Demande de communication de documents en possession des parties adverses – Finalité de la mesure conservatoire – Protection du requérant contre un risque de dépérissement des preuves – Recherche nécessaire

Aux termes de l'article 35 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d'un Etat membre peuvent être demandées aux juridictions de cet Etat, même si les juridictions d'un autre Etat membre sont compétentes pour connaître du fond.

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que les mesures provisoires ou conservatoires autorisées par l'article 35 sont des mesures qui, dans les matières relevant du champ d'application du règlement, sont destinées à maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder les droits dont la reconnaissance est par ailleurs demandée au juge du fond et que ne revêtent pas ce caractère, celles ordonnées dans le but de permettre au demandeur d'évaluer l'opportunité d'une action éventuelle, de déterminer le fondement d'une telle action et d'apprécier la pertinence des moyens pouvant être invoqués dans ce cadre.

Prive sa décision de base légale, au regard de l'article 35 dudit règlement et de l'article 145 du code de procédure civile, la cour d'appel qui ne recherche pas si une demande visant à obtenir la communication de documents en possession des parties adverses n'avait pas pour objet de prémunir la partie requérante contre un risque de dépérissement d'éléments de preuve dont la conservation pouvait commander la solution du litige.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 14 février 2019), par contrat du 30 juillet 2012, la société française Ouragan Films (la société Ouragan), a cédé à la société allemande Koch Films (la société Koch) les droits exclusifs de distribution, dans les pays européens germanophones à l'exception de la Suisse, d'un film à réaliser. Ce contrat stipulait une clause attributive de juridiction au tribunal de première instance de Munich (Allemagne).

La production de ce film destinée à une exploitation cinématographique devant être accompagnée d'une série télévisée, à finalité pédagogique, la société française Saint Thomas productions (la société Saint Thomas) a, par contrat du 26 mai 2014, stipulant une clause attributive de juridiction similaire, cédé à la société Koch les droits de distribution de cette série, pour différents pays. Un différend ayant opposé les parties sur la bonne exécution de leurs obligations contractuelles, la société Koch a enjoint aux sociétés Ouragan et Saint Thomas de lui communiquer différents documents démontrant la réalité du budget effectivement engagé dans la production du film et de la série, puis a saisi, par voie de requête, le président du tribunal de commerce de Salon-de-Provence en désignation d'un huissier de justice aux fins de procéder à des investigations informatiques et à la récupération de données. Cette demande ayant été accueillie par ordonnances des 22 et 28 février 2018, les sociétés Ouragan et Saint Thomas en ont sollicité la rétractation.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

2. La société Koch fait grief à l'arrêt de dire la juridiction française incompétente, alors « que seule une mesure dont l'objectif est de permettre au demandeur d'apprécier les chances ou les risques d'un éventuel procès ne peut être qualifiée de mesure provisoire ou conservatoire au sens de l'article 35 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ; que, pour écarter la compétence des juridictions françaises, la cour d'appel a énoncé que la recherche par la société Koch, au moyen d'ordonnances sur requêtes, d'éléments en possession des sociétés Ouragan et Saint Thomas a pour seul but de préparer un éventuel procès au fond, ce qui démontre son caractère uniquement probatoire, mais ni provisoire ni conservatoire vu l'absence de volonté de cette requérante de maintenir une situation de fait ou de droit ; qu'en statuant ainsi, par la voie d'une affirmation générale, sans vérifier si les mesures requises par la société Koch Films ne tendaient pas également à conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige l'opposant aux sociétés Ouragan films et Saint Thomas productions, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 35 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 et 145 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 35 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale et l'article 145 du code de procédure civile :

3. Aux termes du premier de ces textes, les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d'un État membre peuvent être demandées aux juridictions de cet État, même si les juridictions d'un autre État membre sont compétentes pour connaître du fond.

4. Aux termes du second, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

5. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que les mesures provisoires ou conservatoires autorisées par l'article 35 sont des mesures qui, dans les matières relevant du champ d'application du règlement, sont destinées à maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder les droits dont la reconnaissance est par ailleurs demandée au juge du fond (CJCE, 26 mars 1992, C-261/90, Reichert et Kockler, points 31 et 34, CJCE 17 novembre 1998, C-391/95, Van Uden Maritime / Kommanditgesellschaft in Firma Deco-Line e.a., point 40) et que ne revêtent pas ce caractère, celles ordonnées dans le but de permettre au demandeur d'évaluer l'opportunité d'une action éventuelle, de déterminer le fondement d'une telle action et d'apprécier la pertinence des moyens pouvant être invoqués dans ce cadre (CJCE, 28 avril 2005, C-104/03, St. Paul Dairy Industries NV / Unibel Exser BVBA, point 25).

6. Pour refuser les mesures sollicitées, l'arrêt retient que celles-ci ont pour seul but de préparer un éventuel procès au fond, ce qui démontre leur caractère probatoire, mais ni provisoire ni conservatoire, en l'absence de volonté de la société Koch de maintenir une situation de fait ou de droit.

7. En se déterminant ainsi, par une affirmation générale, sans rechercher si ces mesures, qui visaient à obtenir la communication de documents en possession des parties adverses, n'avaient pas pour objet de prémunir la société Koch contre un risque de dépérissement d'éléments de preuve dont la conservation pouvait commander la solution du litige, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Acquaviva - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : Me Le Prado ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 35 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 ; article 145 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 14 mars 2018, pourvoi n° 16-19.731, Bull. 2018, I, n° 52 (rejet).

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