Numéro 1 - Janvier 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2021

SYNDICAT PROFESSIONNEL

Soc., 13 janvier 2021, n° 19-17.182, (P)

Cassation sans renvoi

Action en justice – Conditions – Intérêt collectif de la profession – Atteinte – Applications diverses – Action invoquant la violation des dispositions relatives à l'interdiction de toute discrimination syndicale – Portée

Selon l'article L. 2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels peuvent, devant toutes les juridictions, exercer les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.

Le syndicat, qui poursuit le paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant d'un licenciement dont il est soutenu qu'il a été prononcé de façon discriminatoire en considération de l'appartenance ou de l'activité syndicale du salarié, de sorte que la violation invoquée des dispositions relatives à l'interdiction de toute discrimination syndicale est de nature à porter un préjudice à l'intérêt collectif de la profession, est recevable en son action.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Cayenne, 1er février 2019), M. J..., engagé par la société STP Manutention (la société) le 26 février 2010 en qualité de chauffeur super poids lourds - grutier, a été licencié pour faute grave le 22 juillet 2013.

2. Invoquant une discrimination syndicale, il a saisi le 3 février 2014 la juridiction prud'homale aux fins de contester son licenciement.

3. Le syndicat Union des travailleurs guyannais UTG (le syndicat) est intervenu à l'instance.

Examen des moyens

Sur les deuxième et troisième moyens, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Le salarié et le syndicat font grief à l'arrêt de débouter le salarié de ses demandes au titre de la nullité du licenciement, alors :

« 1°/ que toute mesure prise par l'employeur en considération de l'appartenance ou de l'activité syndicale d'un salarié est nulle ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que la lettre de licenciement adresse le 22 juillet 2013 à M. J... indiquait : « Je tiens à préciser que vous avez mêlé l'UTG au sein de STP et que vous avez créé des conflits entre cette union et la société qui vous avait embauché » ; qu'il en résultait que l'appartenance et l'exercice d'une activité syndicale avaient été prises en considération dans la décision de licencier en sorte que le licenciement était nul ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel, n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et violé les articles L. 1132-1, L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail ;

2°/ que lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que la lettre de licenciement adresse le 22 juillet 2013 à M. J... indiquait : « Je tiens à préciser que vous avez mêlé l'UTG au sein de STP et que vous avez créé des conflits entre cette union et la société qui vous avait embauché » ; qu'il en résultait que l'appartenance et l'exercice d'une activité syndicale avaient été prises en considération dans la décision de licencier en sorte que le salarié présentait des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination ; qu'en jugeant le contraire la cour d'appel, n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et violé les articles L. 1132-1, L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail ;

3°/ qu'interdiction est faite au juge de dénaturer les documents de la cause ; que le salarié produisait sa carte d'adhésion au syndicat Union des travailleurs guyanais (UTG) pour l'année 2013 ; qu'il résultait par ailleurs de la lettre de licenciement, dont les termes sont reproduits par le jugement confirmé, que M. J... avait « mêlé l'UTG au sein de STP » ; qu'en retenant, par motifs adoptés, que le salarié n'établit pas qu'il est adhérent à ce syndicat ni qu'il a effectué des démarches auprès de ce syndicat dans le cadre de son activité professionnelle, la cour d'appel a dénaturé ces pièces, en violation du principe susrappelé. »

Réponse de la Cour

6. Ayant, par motifs propres et adoptés, constaté, d'une part que la lettre de licenciement reprochait au salarié quatre griefs parmi lesquels l'activité syndicale ne figurait pas, et d'autre part que l'existence de l'abandon de poste de la part du salarié depuis le 22 avril 2013, reproché à celui-ci dans la lettre de licenciement, était démontrée, de sorte que cette faute rendait impossible la poursuite du contrat de travail, la cour d'appel qui en a déduit l'absence d'éléments laissant supposer l'existence d'une discrimination en raison de l'activité syndicale, a légalement justifié sa décision.

7. Le moyen, inopérant en sa troisième branche en ce qu'il critique des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus.

Mais sur le quatrième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. Le syndicat fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son action, alors « que le licenciement prononcé en considération de l'appartenance à un syndicat ou de l'exercice d'une activité syndicale porte atteinte aux intérêts collectifs de la profession représentée par un syndicat qui est donc recevable à demander réparation du préjudice en résultant ; en jugeant que le syndicat UTG ne démontre pas en quoi, le litige opposant M. J... à la société STP Manutention présente un intérêt collectif et n'a donc ni intérêt ni qualité à agir, la cour d'appel a violé l'article L. 2132-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 2132-3 du code du travail :

9. Selon ce texte, les syndicats professionnels peuvent, devant toutes les juridictions, exercer les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.

10. Pour déclarer irrecevable l'intervention volontaire du syndicat, l'arrêt énonce que le syndicat n'a ni intérêt ni qualité à agir dans le cadre d'un litige sur le licenciement d'un salarié non protégé, un tel litige n'intéressant que la personne du salarié et non l'intérêt collectif de la profession.

11. En statuant ainsi, alors que la violation invoquée des dispositions relatives à l'interdiction de toute discrimination syndicale est de nature à porter un préjudice à l'intérêt collectif de la profession, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

14. Le syndicat, qui poursuit le paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant d'un licenciement dont il est soutenu qu'il a été prononcé de façon discriminatoire en considération de l'appartenance ou de l'activité syndicale du salarié, de sorte que la violation invoquée des dispositions relatives à l'interdiction de toute discrimination syndicale est de nature à porter un préjudice à l'intérêt collectif de la profession, est recevable en son action.

15. Cependant, le rejet du premier moyen, en ce que celui-ci critique le chef de la décision ayant, en l'absence de toute discrimination syndicale, débouté le salarié de ses demandes au titre de la nullité de son licenciement, prive de tout fondement la demande en dommages-intérêts présentée par le syndicat.

16. Le syndicat doit en conséquence être débouté de sa demande en dommages-intérêts.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable l'intervention volontaire du syndicat Union des travailleurs guyanais, l'arrêt rendu le 1er février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Cayenne ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déclare le syndicat Union des travailleurs guyanais recevable en son action ;

Déboute le syndicat Union des travailleurs guyanais de sa demande en paiement de dommages-intérêts en raison de l'atteinte aux intérêts collectifs de la profession.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Ott - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article L. 2132-3 du code du travail.

Soc., 20 janvier 2021, n° 19-16.283, (P)

Cassation partielle

Action en justice – Conditions – Intérêt collectif de la profession – Domaine d'application – Applications diverses – Violation des dispositions d'un accord de branche – Portée

Selon l'article L. 2132-3, alinéa 2, du code du travail, les syndicats peuvent exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent. La violation des dispositions d'un accord de branche cause un préjudice à l'intérêt collectif de la profession. La cour d'appel qui après avoir retenu que les dispositions de l'accord avaient été violées doit évaluer le préjudice en résultant.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 mars 2019), Mme U... a été engagée le 1er avril 1989 en tant que chef de bord dans la restauration ferroviaire. Dans le courant de l'année 2008, elle a été promue formateur interne, statut cadre.

Le 1er mars 2009, le contrat de travail a été transféré à la société Cremonini restauration puis le 3 novembre 2013, à la société Newrest wagon-lits.

2. La relation de travail était soumise à la convention collective nationale de la restauration ferroviaire du 4 septembre 1984.

3. La salariée a saisi la juridiction prud'homale de demandes de rappels de salaires et de dommages-intérêts dirigées contre la société Cremonini restauration.

Le syndicat CFDT restauration ferroviaire (le syndicat) est intervenu à l'instance et a sollicité des dommages-intérêts.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses quatrième à septième branches et le troisième moyen du pourvoi principal : Publication sans intérêt

Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses trois premières branches

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à verser une certaine somme au titre d'un rappel de salaire se rapportant aux minima conventionnels outre congés payés afférents, de remettre des bulletins de salaires conformes à la décision et de dire que les intérêts seront capitalisés dans les conditions prescrites par l'article 1343-2 du code civil, alors :

« 1°/ qu'en l'absence de dispositions conventionnelles contraires, toutes les sommes versées en contrepartie du travail entrent dans le calcul de la rémunération à comparer avec le salaire minimum garanti ; que lorsque les partenaires sociaux ont exprimé l'intention d'intégrer dans la rémunération à prendre en compte pour l'application des dispositions conventionnelles, notamment sur les minima, tous les éléments de prime, gratification ou avantage en nature, le juge ne saurait s'affranchir des termes de la convention ou de l'accord collectif, mais doit au contraire intégrer au salaire à comparer avec le minimum conventionnel tous les éléments inclus par les dispositions conventionnelles ; que l'article 8.1 de la Convention collective nationale de la restauration ferroviaire du 4 septembre 1984 dispose que « Le montant des salaires, qui s'entend pour cent soixante neuf heures par mois, est déterminé par l'application au nombre de « points », indiqué en regard des désignations de postes figurant dans les tableaux des annexés I et II, de la valeur du « point » déterminée lors des négociations salariales annuelles, menées dans chaque entreprise. (...) Le montant ainsi obtenu représente le salaire de base brut mensuel de référence, auquel s'ajoute, pour obtenir le salaire mensuel brut réel, les primes, indemnités, allocations, participations aux résultats, remboursements de frais, avantages en nature, etc., prévus par les systèmes de rémunération propres à chaque entreprise et éventuellement mis au point lors des négociations salariales annuelles. C'est ce salaire mensuel brut réel qu'il convient de prendre en considération pour toute comparaison des rémunérations accordées au personnel de diverses catégories. Ces dispositions sont applicables à tout agent quels que soient son sexe et sa nationalité » ; qu'il s'en évince que les partenaires sociaux ont sans équivoque entendu intégrer à la rémunération à comparer au minimum conventionnel garanti tous les éléments de prime ou gratification s'ajoutant au salaire de base pour constituer le salaire réel, en considérant que ces éléments étaient versés en contrepartie du travail ; que cela vaut, en particulier, pour la prime d'ancienneté prévue à l'article 8.2 de la convention collective ; qu'en décidant pourtant d'exclure cette prime d'ancienneté de la rémunération à comparer avec le minimum conventionnel, la cour d'appel a violé l'article 8 de la convention collective nationale de la restauration ferroviaire du 4 septembre 1984 applicable au litige ;Publication sans intérêt

Réponse de la Cour

6. Selon l'article 8.1 de la convention collective nationale de la restauration ferroviaire du 4 septembre 1984 concernant les dispositions générales, le montant des salaires, qui s'entend pour cent soixante neuf heures par mois, est déterminé par l'application au nombre de « points », indiqué en regard des désignations de postes figurant dans les tableaux annexés de la valeur du point négocié.

Le montant ainsi obtenu représente le salaire de base brut mensuel de référence, auquel s'ajoutent, pour obtenir le salaire mensuel brut réel, les primes, indemnités, allocations, participations aux résultats, remboursements de frais, avantages en nature, etc., prévus par les systèmes de rémunération propres à chaque entreprise et éventuellement mis au point lors des négociations salariales annuelles. C'est ce salaire mensuel brut réel qu'il convient de prendre en considération pour toute comparaison des rémunérations accordées au personnel de diverses catégories.

7. En application de l'article 8.2 du même texte, s'ajoute au salaire de base brut mensuel de référence, une prime d'ancienneté dont le taux progresse en fonction de l'ancienneté du salarié et dont le montant est calculé à partir du salaire de base brut mensuel de référence.

8. Il en résulte d'une part, que seul le salaire mensuel brut réel est pris en compte pour déterminer si les minima sociaux ont été respectés, d'autre part, que la prime d'ancienneté, qui s'ajoute au salaire de base brut mensuel de référence, n'entre pas dans l'assiette de comparaison.

9. La cour d'appel, qui a retenu qu'aux termes des dispositions précitées de la convention collective de branche, la prime d'ancienneté s'ajoutait au salaire de base brut mensuel de référence, en a déduit à bon droit, abstraction faite des motifs relatifs à l'accord « nouvelle restauration ferroviaire » conclu au sein de l'unité économique et sociale le 21 décembre 2000 qui n'a pas d'effet sur la définition du salaire brut mensuel réel prévu par la convention collective de branche, que la prime d'ancienneté n'entrait pas dans la détermination du salaire brut mensuel réel.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa huitième branche : Publication sans intérêt

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal : Publication sans intérêt

Et sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

21. Le syndicat fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts, alors « que la méconnaissance d'un accord collectif cause nécessairement un préjudice à l'intérêt collectif de la profession ; qu'en déboutant le syndicat de sa demande tendant à voir réparer le préjudice résultant de l'inapplication des accords collectifs au sein de la société Cremonini restauration, au motif qu'il ne justifie pas du préjudice que ce différend aurait causé aux intérêts de la profession, la cour d'appel a violé l'article L. 2132-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 2132-3 alinéa 2 du code du travail :

22. Selon ce texte, les syndicats peuvent exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.

23. Pour rejeter la demande de dommages-intérêts, l'arrêt retient que le syndicat est fondé à intervenir pour solliciter l'application des accords collectifs au sein de la société mais qu'il ne justifie pas du préjudice que ce différend au sujet de l'application des accords collectifs au sein de l'entreprise aurait porté aux intérêts de la profession.

24. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté une violation des dispositions de l'accord de branche et qu'une telle violation cause un préjudice à l'intérêt collectif de la profession, la cour d'appel, à qui il appartenait d'évaluer ce préjudice, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne la société Cremonini restauration à verser à Mme U... la somme de 1 102 euros outre congés payés afférents au titre d'un rappel de rémunération variable, l'arrêt rendu le 12 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Ala - Avocat général : M. Desplan - Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles 8.1 et 8.2 de la convention collective nationale de la restauration ferroviaire du 4 septembre 1984 ; article L. 2132-3, alinéa 2, du code du travail.

Soc., 27 janvier 2021, n° 18-10.672, (P)

Rejet

Représentativité – Détermination – Critères – Indépendance du syndicat – Indépendance financière – Conditions – Détermination – Applications diverses

Un accord collectif peut instituer des mesures de nature à favoriser l'activité syndicale dans l'entreprise, et dans ce cadre, en vue d'encourager l'adhésion des salariés de l'entreprise aux organisations syndicales, prévoir la prise en charge par l'employeur d'une partie du montant des cotisations syndicales annuelles, dès lors que le dispositif conventionnel ne porte aucune atteinte à la liberté du salarié d'adhérer ou de ne pas adhérer au syndical de son choix, ne permet pas à l'employeur de connaître l'identité des salariés adhérant aux organisations syndicales et bénéficie tant aux syndicats représentatifs qu'aux syndicats non représentatifs dans l'entreprise.

Toutefois, le montant de la participation de l'employeur ne doit pas représenter la totalité du montant de la cotisation due par le salarié, le cas échéant après déductions fiscales, au regard du critère d'indépendance visé à l'article L. 2121-1 du code du travail.

Représentativité – Détermination – Critères – Indépendance du syndicat – Indépendance financière – Caractérisation – Prise en charge par l'employeur d'une partie du montant des cotisations syndicales annuelles – Conditions – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 novembre 2017), rendu en référé, les sociétés Solvay travaux, Solvay Fluores France, Cytec Process Materials, Rhodia, Rhodia laboratoire du futur, Rhodia opérations, Solvay, Solvay Energy services, Solvay opérations France, Solvay Speciality Polymers France, composant l'unité économique et sociale Solvay France, ont conclu, le 31 mai 2016, un accord collectif, prévoyant, à son article 18.1, le remboursement, par ces sociétés et par l'intermédiaire des syndicats et d'un organisme tiers, aux salariés syndiqués, du reste à charge des cotisations syndicales individuelles versées aux syndicats représentatifs, après soustraction de la partie fiscalement déductible de l'impôt sur le revenu.

2. La Fédération nationale des industries chimiques CGT a saisi le juge des référés aux fins de suspension de l'article 18.1 de l'accord collectif.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Les sociétés font grief à l'arrêt d'ordonner la suspension de l'application de cet article, alors :

« 1°/ qu'un accord collectif d'entreprise peut, en vue de favoriser l'adhésion des salariés de l'entreprise aux organisations syndicales représentatives, prévoir la prise en charge par l'employeur d'une partie du montant des cotisations syndicales annuelles dès lors que le dispositif conventionnel, d'une part, ne porte aucune atteinte à la liberté du salarié d'adhérer ou de ne pas adhérer au syndical de son choix et, d'autre part, ne permet pas à l'employeur de connaître l'identité des salariés adhérents aux différentes organisations syndicales ; qu'au cas présent, l'article 18-1 de l'accord du 31 mai 2016 relatif à la rénovation du dialogue social au sein des sociétés composant l'UES Solvay France prévoit la prise en charge par l'employeur du ‘‘reste à charge des cotisations individuelles annuelles, une fois soustraite la partie fiscalement déductible de l'impôt sur le revenu'' ; que l'accord prévoit qu'‘‘afin de respecter l'anonymat des adhérents, Ie calcul de ces montants est effectué, pour chaque organisation syndicale, par un organisme extérieur indépendant à partir des informations concernant le nombre de membres et le montant de leurs cotisations de l'année civile'', qu' ‘'au cours du premier trimestre suivant, Solvay verse ces montants à l'organisme extérieur indépendant qui les reverse ensuite à l'organisation syndicale, charge à elle de rembourser chacun de ses adhérents'' ; qu'il en résulte que le dispositif conventionnel permettait de respecter l'anonymat des adhérents en prévoyant que les informations seraient données par les organisations syndicales à un organisme extérieur indépendant en charge de vérifier et de déterminer le montant dû par l'employeur pour chacune des organisations syndicales, et par ailleurs que les sommes dues seraient versées par l'employeur aux organisations syndicales à charge pour ces dernières de rembourser leurs adhérents ; qu'en énonçant que la demande du syndicat FNIC CGT d'ordonner la suspension de ce dispositif conventionnel ‘‘était légitime'', au motif que ce dispositif permettrait à l'employeur de disposer d'une ‘‘information, non prévue par la loi, sur le nombre d'adhérents des syndicats'' et d'une ‘‘information sur l'influence des syndicats tous les ans'', la cour d'appel a statué par des motifs impropres à caractériser un trouble manifestement illicite, en violation des articles 809 du code de procédure civile, L. 2141-1 à L. 2141-4 du code du travail et 18-1 de l'accord du 31 mai 2016 relatif à la rénovation du dialogue social au sein des sociétés composant l'UES Solvay France ;

2°/ que le juge des référés est tenu de respecter lui-même le principe de la contradiction et ne peut relever un moyen de droit d'office, sans recueillir préalablement les observations des parties ; qu'en relevant d'office, pour ordonner la suspension de la disposition conventionnelle, que ce dispositif permettrait à l'employeur de disposer d'une ‘‘information, non prévue par la loi, sur le nombre d'adhérents des syndicats'' et d'une ‘'information sur l'influence des syndicats tous les ans'' ce qui créerait un ‘‘risque de mettre en oeuvre un contrôle de l'influence des organisations syndicales'', sans mettre les parties en mesure de présenter leurs observations sur ce moyen relevé d'office, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

3°/ que la juridiction des référés doit se placer, pour ordonner ou refuser des mesures conservatoires ou de remise en état, à la date à laquelle elle prononce sa décision ; que la nécessité de faire cesser un trouble manifestement illicite suppose que soit caractérisée une atteinte, constitutive d'une violation évidente d'une règle de droit, actuelle et avérée aux droits ou aux intérêts légitimes du demandeur ; qu'au cas présent, il résulte de l'article 18-1 de l'accord du 31 mai 2016 relatif à la rénovation du dialogue social au sein des sociétés composant l'UES Solvay France que les informations seraient données par les seules organisations syndicales à un ‘‘organisme extérieur indépendant'‘ et concerneraient ‘‘le nombre de membres et le montant de leurs cotisations de l'année civile'' ; que, s'il ne précise pas l'identité de l'organisme extérieur et ses modalités d'intervention, l'accord pose comme condition que cet organisme soit indépendant de l'employeur et prévoit qu'il n'est destinataire, de la part des organisations syndicales, que d'informations relatives au nombre de salariés adhérents à ces organisations et au montant de leurs cotisations et non, à l'identité de ces salariés ; que, pour dire que la demande du syndicat FNIC CGT d'ordonner la suspension de ce dispositif conventionnel ‘‘était légitime'', la cour d'appel s'est bornée à relever que l'insuffisance de précision sur le choix et les modes d'intervention de l'organisme extérieur ‘‘est de nature à présenter un risque pour la communication des données personnelles concernant les adhérents'' ; qu'en se fondant sur un risque purement hypothétique pour suspendre l'application d'une disposition conventionnelle, sans caractériser à la date de sa décision, l'existence d'un trouble manifestement illicite actuel et avéré, la cour d'appel a violé les articles 809 du code de procédure civile, L. 2141-1 à L. 2141-4 du code du travail et 18-1 de l'accord du 31 mai 2016 relatif à la rénovation du dialogue social au sein des sociétés composant l'UES Solvay France. »

Réponse de la Cour

4. Un accord collectif peut instituer des mesures de nature à favoriser l'activité syndicale dans l'entreprise, et dans ce cadre, en vue d'encourager l'adhésion des salariés de l'entreprise aux organisations syndicales, prévoir la prise en charge par l'employeur d'une partie du montant des cotisations syndicales annuelles, dès lors que le dispositif conventionnel ne porte aucune atteinte à la liberté du salarié d'adhérer ou de ne pas adhérer au syndicat de son choix, ne permet pas à l'employeur de connaître l'identité des salariés adhérant aux organisations syndicales et bénéficie tant aux syndicats représentatifs qu'aux syndicats non représentatifs dans l'entreprise.

5. Toutefois, le montant de la participation de l'employeur ne doit pas représenter la totalité du montant de la cotisation due par le salarié, le cas échéant après déductions fiscales, au regard du critère d'indépendance visé à l'article L. 2121-1 du code du travail.

6. En l'espèce, la cour d'appel a relevé que l'article 18.1 de l'accord du 31 mai 2016 relatif à la rénovation du dialogue social au sein des sociétés composant l'UES Solvay France, prévoyait, au profit des seules organisations syndicales représentatives, le financement par l'employeur de la partie des cotisations individuelles annuelles restant à charge des salariés une fois soustraite la partie fiscalement déductible de l'impôt sur le revenu.

7. Il en résulte que cette disposition constitue un trouble manifestement illicite au regard du texte et des principes susévoqués.

8. Par ces motifs de pur droit, substitués à ceux critiqués, dans les conditions prévues aux articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Le Masne de Chermont - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article L. 2121-1 du code du travail.

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