Numéro 1 - Janvier 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2021

POUVOIRS DES JUGES

Com., 13 janvier 2021, n° 18-25.713, n° 18-25.730, (P)

Cassation partielle et rejet

Applications diverses – Référé – Pouvoirs – Etendue – Annulation des délibérations de l'assemblée des actionnaires d'une société (non)

Applications diverses – Référé – Pouvoirs – Etendue – Délibération de l'assemblée générale des actionnaires d'une société – Suspension des effets

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° W 18-25.713 et Q 18-25.730 sont joints.

Reprise d'instance

2. Il est donné acte aux sociétés Bpifrance investissements, BNP Paribas développement et Sofimac régions de la reprise de l'instance dirigée contre la société AJ Partenaires et la société MP associés, prises en leurs qualités respectives d'administrateur judiciaire des sociétés Menuiserie Z... et O... et Z... et O...

- Menuiserie bois et agencement et PMC développement et liquidateur judiciaire des sociétés Menuiserie Z... et O... et Z... et O...

- Menuiserie bois et agencement et PMC développement.

Faits et procédure

3. Selon les arrêts attaqués (Dijon, 20 septembre 2018 et 16 octobre 2018), rendus en matière de référé, les sociétés Bpifrance investissements, BNP Paribas développement et Sofimac régions sont associées majoritaires de la société PMC développement, société par actions simplifiée.

La société 2EC, dont M. K... est le gérant, est également associée, et présidente de la société PMC développement.

Les autres actions sont détenues par la société Bourgogne Franche Comté croissance.

4. La société PMC développement a fait l'acquisition, au moyen d'emprunts bancaires, de la société Menuiserie Z... et O..., qui détient elle-même l'intégralité du capital de la société Menuiserie Z... et O... bois - agencement.

5. La société PMC développement rencontrant des difficultés, des mandataires ad hoc ont été successivement désignés en 2013 et 2015 afin de négocier avec les banquiers une restructuration de ses dettes et, en dernier lieu, par une ordonnance du 2 juillet 2018, la société AJ Partenaires, en la personne de M. X....

6. Le 13 juillet 2018, les sociétés Bpifrance investissements, BNP Paribas développement et Sofimac régions ont adressé à M. K..., en sa qualité de dirigeant de la société 2EC, une convocation à une assemblée générale de la société PMC développement, fixée au 30 juillet 2018, ayant pour ordre du jour la révocation de la société 2EC de son mandat de président de cette société et son remplacement par M. S....

7. Une ordonnance du 17 juillet 2018, rendue à la demande des sociétés 2EC, PMC développement, Menuiserie Z... et O... et Menuiserie Z... et O... bois-agencement, a désigné la société AJ Partenaires en qualité d'administrateur provisoire des sociétés 2EC, PMC développement, Menuiserie Z... et O... et Menuiserie Z... et O... bois-agencement avec mission, pendant une durée de trois mois, de diriger les sociétés du groupe et, notamment, de reprendre la mission confiée précédemment au mandataire ad hoc ainsi que de conduire les négociations avec les banques.

8. Les 25 et 26 juillet 2018, la société 2EC, en présence de la société AJ Partenaires, a assigné en référé les sociétés Bpifrance investissements, BNP Paribas développement, Sofimac régions et PMC développement aux fins d'obtenir le report, après le terme de la mission de l'administrateur provisoire, de l'assemblée générale convoquée pour le 30 juillet 2018.

9. Par le premier arrêt attaqué, la cour d'appel a fait droit à ces demandes, après avoir constaté que le maintien de l'assemblée générale du 30 juillet 2018 et la désignation de M. S... en qualité de président de la société PMC développement seraient contraires à la mission de l'administrateur provisoire telle que prévue par l'ordonnance du 17 juillet 2018.

10. Parallèlement, le 16 août 2018, les sociétés Bpifrance investissements, BNP Paribas développement et Sofimac régions ont convoqué une assemblée générale des associés de la société PMC développement pour le 31 août 2018 avec pour ordre du jour la fixation de la rémunération de la société 2EC. Lors de cette assemblée, les sociétés Bpifrance investissements, BNP Paribas développement et Sofimac régions en ont modifié l'ordre du jour et mis au vote deux projets de résolution, portant, l'une, sur la révocation avec effet immédiat de la société 2EC de ses fonctions de présidente de la société et, l'autre, sur la nomination, elle aussi à effet immédiat, de M. S... comme président de la société.

La société 2EC s'étant abstenue, la modification de l'ordre du jour a été approuvée et les deux résolutions adoptées à la majorité des voix.

11. Par le second arrêt attaqué, la cour d'appel a prononcé la nullité de ces résolutions.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi n° W 18-25.713

Enoncé du moyen

12. Les sociétés Bpifrance investissements, BNP Paribas développement et Sofimac régions font grief à l'arrêt du 20 septembre 2018 de constater que le maintien de l'assemblée générale du 30 juillet 2018 et la désignation de M. S... en qualité de président de la société PMC développement seraient contraires à la mission de l'administrateur provisoire telle que prévue par l'ordonnance du 17 juillet 2018 l'ayant désigné, d'ordonner le report de l'assemblée générale convoquée pour le 30 juillet 2018 et de la proroger après le terme de la mission de l'administrateur provisoire, alors :

« 1°/ que le juge des référés, qui ne peut s'immiscer dans le fonctionnement d'une société, ne peut prononcer l'ajournement d'une assemblée générale qu'en cas d'irrégularité faisant peser sur cette assemblée un risque d'annulation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la régularité de la convocation adressée aux associés pour la tenue de l'assemblée générale n'était pas contestée, qu'il n'était pas soutenu que les associés n'auraient pas reçu toute l'information nécessaire pour statuer, et que le débat ne concernait donc pas un trouble manifestement illicite qu'il conviendrait de faire cesser mais un dommage imminent qui résulterait d'un changement de présidence ; qu'en ordonnant ainsi le report de l'assemblée générale litigieuse en l'absence de toute irrégularité faisant courir un risque d'annulation de cette assemblée, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et a violé l'article 873 alinéa 1er du code de procédure civile ;

2°/ qu'aucun dommage imminent ne saurait résulter de la tenue d'une assemblée générale à l'égard de laquelle n'est invoquée aucune irrégularité faisant peser un risque d'annulation ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a encore violé l'article 873 alinéa 1er du code de procédure civile ;

3°/ que la cour d'appel a constaté elle-même qu'il n'appartient pas au juge des référés de statuer sur l'intérêt social de la société, et a réformé l'ordonnance entreprise en ce qu'elle avait constaté dans le dispositif que le maintien de l'assemblée générale du 30 juillet 2018 et la désignation de M. S... en qualité de président de la société PMC développement seraient contraire à l'intérêt social de la société ; qu'en relevant, pour ordonner le report de cette assemblée, que la confiance que les banques accordent à l'administrateur provisoire serait susceptible d'être affectée par une délibération prévoyant un changement de présidence et qu'il en résulte un dommage imminent qu'il convient de prévenir, la cour d'appel, qui s'est ainsi prononcée sur l'intérêt social d'un changement de présidence, en contradiction avec le principe qu'elle avait elle-même énoncé, a excédé ses pouvoirs et violé l'article 873 alinéa 1er du code de procédure civile ;

4°/ que la cour d'appel a constaté elle-même que les parties s'accordaient à dire que tant que le mandat d'administrateur provisoire de la société AJ Partenaires serait en vigueur, un changement de président de la société PMC développement serait sans emport quant à la direction de la société et que le plan de retournement ne pourrait être mis en oeuvre ; qu'en constatant néanmoins dans son dispositif que le changement de présidence serait contraire à la mission de l'administrateur provisoire, et en ordonnant le report de l'assemblée générale devant décider ce changement au motif qu'il était nécessaire d'assurer à M. X... toutes les conditions optimales requises à la réussite de sa mission, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, dont il s'évinçait qu'un tel changement de direction n'était pas de nature à affecter la mission de l'administrateur provisoire, de sorte qu'il ne pouvait en résulter aucun dommage imminent pour la société PMC développement, et a violé l'article 873 alinéa 1er du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

13. Après avoir constaté que l'administrateur provisoire de la société PMC développement avait pour mission, notamment, de reprendre les négociations avec les banques pour restructurer sa dette, l'arrêt retient qu'il est établi que la confiance accordée par les banques à l'administrateur provisoire, qui est de nature à favoriser les négociations que celui-ci mène avec elles dans l'exercice de son mandat, est susceptible d'être affectée par une délibération dont l'urgence n'est nullement avérée. De ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui ne s'est pas prononcée sur l'opportunité de modifier la présidence de la société au regard de l'intérêt social, a pu déduire que la seule tenue de cette assemblée générale pendant que la société AJ Partenaires accomplissait sa mission était, par elle-même, de nature à causer à la société PMC développement un dommage imminent, qu'il convenait de prévenir en ordonnant le report de l'assemblée générale.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen du pourvoi n° Q 18-25.730, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

15. Les sociétés Bpifrance investissements, BNP Paribas développement et Sofimac régions font grief à l'arrêt du 16 octobre 2018 de prononcer la nullité des résolutions adoptées lors de l'assemblée générale de la société PMC développement du 31 août 2018, avec toutes conséquences de droit, alors « que l'annulation de délibérations de l'assemblée générale des associés d'une société n'étant ni une mesure conservatoire ni une mesure de remise en état, n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés ; qu'en prononçant l'annulation des décisions adoptées par l'assemblée générale de la société PMC développement du 31 août 2018, quand cette annulation, à supposer même qu'il s'agissait de la seule mesure de nature à faire cesser le trouble, excédait les pouvoirs du juge des référés, la cour d'appel a violé l'article 873 alinéa 1er du code de procédure civile, ensemble l'article L. 235-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 235-1 du code de commerce et l'article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile :

16. Il résulte de ces textes que l'annulation des délibérations de l'assemblée générale d'une société, qui n'est ni une mesure conservatoire, ni une mesure de remise en état, n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés.

17. Pour annuler les résolutions adoptées lors de l'assemblée générale du 31 août 2018, l'arrêt retient que, s'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés d'annuler un acte dans la mesure où une telle annulation consiste à trancher le fond, il y a lieu de constater, en l'espèce, et sans qu'aucune appréciation soit portée sur le fond des décisions prises, que la décision de mettre à l'ordre du jour de l'assemblée générale du 31 août 2018 les projets de résolutions portant sur la révocation du président de la société et la nomination d'un autre président est à l'origine d'un trouble manifestement illicite consistant en la violation délibérée de l'ordonnance du 27 juillet 2018, et que la seule mesure permettant de faire cesser ce trouble est d'annuler les délibérations qui en ont découlé et au terme desquelles ces résolutions ont été adoptées.

18. En statuant ainsi, alors qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés, fût-ce pour faire cesser un trouble manifestement illicite, d'annuler les délibérations de l'assemblée générale d'une société, la cour d'appel, qui pouvait en revanche en suspendre les effets, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi n° Q 18-25.730, la Cour :

Sur le pourvoi n° W 18-25.713 :

REJETTE le pourvoi ;

Sur le pourvoi n° Q 18-25.730 :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il annule les résolutions adoptées lors de l'assemblée générale du 31 août 2018 et statue sur les dépens et l'application l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 16 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme de Cabarrus - Avocat(s) : Me Isabelle Galy ; SCP Marlange et de La Burgade -

Textes visés :

Article L. 235-1 du code de commerce ; article 873, alinéa 1, du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Sur les pouvoirs du juge des référés en matière de délibérations de l'assemblée générale des actionnaires, à rapprocher : Com., 29 septembre 2009, pourvoi n° 08-19.937, Bull., 2009, IV, n° 118 (rejet).

Soc., 27 janvier 2021, n° 17-31.046, (P)

Cassation partielle

Appréciation souveraine – Contrat de travail – Salaire – Heures supplémentaires – Importance – Evaluation – Précision – Détail du calcul appliqué – Nécessité (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 10 octobre 2017), M. Q... a été engagé à compter du 1er septembre 2008 par la société Laboratoire Demavic (la société) en qualité de technico-commercial.

2. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail et le paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

3. Le salarié fait grief à l'arrêt d'écarter sa demande de dommages-intérêts en réparation de l'absence de mise en oeuvre de la clause de son contrat prévoyant le paiement d'une part variable et sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, alors « qu'en retenant que « la commune intention des parties avait consisté à fixer une rémunération fixe complétée par une partie variable, consistant en une commission au taux de 20 % calculée sur la marge nette du secteur commercial « et que le contrat de travail du salarié ne prévoyait pas, en plus de cette commission, le paiement d'une partie variable dont les modalités seraient définies en début de chaque cycle commercial, quand le contrat de travail du salarié stipulait expressément, en son article 9 : « en rémunération de ses fonctions, [le salarié] percevra un salaire brut mensuel forfaitaire de 2 400 €. Une commission de 20 % de la marge nette sur son secteur lui sera versée.

En contrepartie de cette rémunération, [le salarié] sera réputé avoir accompli soit 151,67 heures par mois, soit un minimum de cent visites clients. Cette rémunération sera complétée d'une partie variable dont les modalités seront définies au début de chaque cycle commercial'', la cour d'appel en a dénaturé les termes clairs et précis, en violation de l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents de la cause. »

Réponse de la Cour

4. C'est par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, que l'ambiguïté des termes du contrat de travail rendait nécessaire, que la cour d'appel a retenu que la commune intention des parties avait été de convenir d'une rémunération fixe complétée par une partie variable, sous forme de commissions au taux de 20 %, calculées sur la marge nette du secteur commercial.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt d'écarter ses demandes de rappel de commissions et de résiliation judiciaire du contrat de travail, alors « que les cotisations sociales dues par l'employeur restent exclusivement à sa charge, toute convention contraire étant nulle de plein droit ; qu'en retenant, en l'espèce, que le calcul des commissions dues au salarié, qui s'effectuait sur la marge brute diminuée de l'ensemble des charges sociales exposées par l'employeur, était licite, la cour d'appel a violé l'article L. 241-8 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

7. Aux termes de l'article L. 241-8 du code de la sécurité sociale, les cotisations sociales dues par l'employeur restent exclusivement à sa charge, toute convention contraire étant nulle de plein droit.

8. Il résulte certes de la jurisprudence de la chambre sociale (Soc., 17 octobre 2000, pourvoi n° 98-45.669, Bull. 2000, V, n° 329) qu'il s'en déduit que sont nulles de plein droit les dispositions d'un contrat de travail en vertu desquelles la rémunération variable d'un salarié est déterminée déduction faite des cotisations sociales à la charge de l'employeur.

9. Toutefois, s'agissant de la détermination de l'assiette de la rémunération variable, de telles dispositions contractuelles n'ont pas pour effet de faire peser sur le salarié la charge des cotisations patronales. Il en résulte qu'il y a lieu de juger désormais que la détermination de l'assiette de la rémunération variable ne relève pas de la prohibition de l'article L. 241-8 du code de la sécurité sociale qui ne concerne que le paiement des cotisations sociales.

10. C'est dès lors à bon droit que la cour d'appel, après avoir retenu qu'il est stipulé au contrat de travail que le salarié percevra, outre son fixe, une commission de 20 % de la marge nette de son secteur et que la société détermine la marge brute perçue par elle pour chaque produit vendu, que de cette marge brute est déduit, outre tous les frais de voiture, téléphone, restaurant, péage exposés par le salarié, un forfait au titre des charges sociales, que la déduction de ces frais détermine la marge nette sur laquelle est calculée la commission de 20 %, en a déduit que l'employeur détermine simplement le montant de la marge nette, laquelle constitue l'assiette du commissionnement, sans faire ainsi supporter au salarié les cotisations patronales de sécurité sociale.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

12. Le salarié fait grief à l'arrêt d'écarter ses demandes de rappel d'heures supplémentaires impayées et de congés payés afférents, de dommages-intérêts pour travail dissimulé, au titre de la contrepartie obligatoire en repos non accordé et d'écarter sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, alors :

« 1°/ qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur d'y répondre, à charge pour celui-ci de fournir, à son tour, ses propres éléments de preuve ; qu'en retenant, en l'espèce, que les éléments communiqués par le salarié ne suffisaient pas à étayer sa réclamation, quand elle constatait, pourtant, d'une part, que le salarié communiquait « un décompte des heures de travail qu'il indiqu[ait] avoir accomplies durant la période considérée, lequel mentionn[ait], jour après jour, les heures de prise et de fin de service, ainsi que de ses rendez-vous professionnels avec la mention du magasin visité, le nombre d'heures quotidien et le total hebdomadaire'' et, d'autre part, que la société admettait elle-même ignorer le nombre d'heures accomplies par le salarié et ne pas les contrôler, de sorte qu'elle ne fournissait aucun élément en réponse à ceux produits par le salarié, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé l'article L. 3171-4 du code du travail ;

2°/ qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur d'y répondre, à charge pour celui-ci de fournir, à son tour, ses propres éléments de preuve ; qu'en retenant, en l'espèce, que le décompte produit par le salarié, dont elle avait constaté qu'il " mentionn[ait], jour après jour, les heures de prise et de fin de service, ainsi que de ses rendez-vous professionnels avec la mention du magasin visité, le nombre d'heures quotidien et le total hebdomadaire « aurait été « insuffisamment précis en ce qu'il ne précis[ait] pas la prise éventuelle d'une pause méridienne'', sans constater que l'employeur n'aurait pas été en mesure d'y répondre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3171-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :

13. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié.

La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

14. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

15. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

16. Pour débouter le salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents, l'arrêt retient que le salarié communique un décompte des heures de travail qu'il indique avoir accomplies durant la période considérée, lequel mentionne, jour après jour, les heures de prise et de fin de service, ainsi que de ses rendez-vous professionnels avec la mention du magasin visité, le nombre d'heures de travail quotidien et le total hebdomadaire.

17. L'arrêt retient encore que l'employeur objecte, à juste titre, d'une part, que le salarié, qui travaillait de manière itinérante à 600 kilomètres de son siège social, ne précisait pas ses horaires de travail sur ses compte-rendus hebdomadaires et en justifie en produisant plusieurs de ses documents établis en 2012 et, d'autre part, que les fiches de frais ne permettaient pas de déterminer les horaires réellement accomplis par le salarié au cours de ses tournées.

18. L'arrêt ajoute que le décompte du salarié est insuffisamment précis en ce qu'il ne précise pas la prise éventuelle d'une pause méridienne.

19. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, d'autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le quatrième moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. Q... de ses demandes de rappel d'heures supplémentaires et congés payés afférents, d'indemnité pour travail dissimulé, de dommages-intérêts au titre de la contrepartie obligatoire en repos, de prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur et de dommages-intérêts au titre de la rupture, l'arrêt rendu le 10 octobre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Flores - Avocat général : Mme Courcol-Bouchard (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Ortscheidt -

Textes visés :

Article L. 3171-4 du code du travail ; article L. 241-8 du code de la sécurité sociale.

Rapprochement(s) :

Soc., 18 mars 2020, pourvoi n° 18-10.919, Bull. 2020, (cassation partielle). En sens contraire, à rapprocher : Soc., 17 octobre 2000, pourvoi n° 98-45.669, Bull. 2000, V, n° 329 (cassation partielle).

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