Numéro 1 - Janvier 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2021

MESURES D'INSTRUCTION

2e Civ., 14 janvier 2021, n° 19-20.316, (P)

Cassation

Sauvegarde de la preuve avant tout procès – Ordonnance sur requête – Acte interruptif de prescription (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 avril 2019), se plaignant de faits de concurrence déloyale, la société Auto-Ritz a saisi le président d'un tribunal de commerce, par requête du 22 octobre 2010, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, pour voir désigner un huissier de justice à fin d'effectuer des investigations dans les locaux de la société Automobiles Citroën et de la société Commerciale Citroën.

La requête a été accueillie par ordonnance du même jour.

2. Le 8 février 2011, la société Auto-Ritz a assigné en référé, sur le fondement du même texte, la société Automobiles Citroën et la société Commerciale Citroën devant le même président de tribunal de commerce pour voir ordonner la mainlevée du séquestre des documents recueillis et conservés par l'huissier de justice conformément à l'ordonnance du 22 octobre 2010.

3. La mainlevée a été ordonnée par un arrêt de la cour d'appel du 16 novembre 2011.

4. Le 25 juin 2014, la société Auto-Ritz a assigné la société Automobiles Citroën et la société Commerciale Citroën devant le tribunal de commerce aux fins de les voir condamner solidairement à l'indemniser.

La société Automobiles Citroën et la société Commerciale Citroën, aux droits de laquelle vient la société PSA Retail France, ont opposé la prescription de l'action depuis le 18 juin 2013, en tant que fondée sur la rupture des relations commerciales, et depuis le 7 septembre 2013, en tant que fondée sur les faits de concurrence déloyale.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et cinquième branches, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

6. La société Auto-Ritz fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement entrepris, de déclarer prescrite son action et de la débouter de toutes ses demandes, alors :

« 3°/ que, conformément à l'article 2241 du code civil, toute demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ; qu'en l'espèce, en jugeant prescrite l'action de la société Auto-Ritz au motif que sa demande en justice du 22 octobre 2010 avait pris la forme d'une requête plutôt que d'une assignation, la cour d'appel a violé l'article 2241 du code civil pour avoir ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas ;

4°/ que, en tout état de cause, en se bornant à retenir, pour juger prescrite l'action de la société Auto-Ritz, que la mesure d'instruction in futurum avait été demandée par voie de requête, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si cette requête n'avait pas été ultérieurement signifiée à la société Automobiles Citroën, de sorte que le délai de prescription avait été une nouvelle fois interrompu, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 2241 du code civil. »

Réponse de la Cour

7. Aux termes de l'article 2241 du code civil, alinéa 1, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.

8. Une requête fondée sur l'article 145 du code de procédure civile, qui introduit une procédure non contradictoire, ne constitue pas une demande en justice au sens de l'article 2241 du code civil.

9. Ayant constaté que la société Auto-Ritz avait saisi le président du tribunal de commerce par requête en vue d'obtenir une mesure in futurum, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer la recherche, inopérante, invoquée par la quatrième branche, en a exactement déduit que la requête n'avait pu interrompre le délai de prescription de l'action au fond.

10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

11. La société Auto-Ritz fait le même grief à l'arrêt, alors « que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent aux mêmes fins, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; qu'en l'espèce, pour déclarer irrecevable comme prescrite l'action en responsabilité exercée par le concessionnaire contre le fabricant, après avoir retenu que la prescription quinquennale avait commencé à courir le 18 juin 2008, l'arrêt énonce que l'assignation en responsabilité, signifiée le 25 juin 2014 et fondée sur les articles 1134, alinéa 3, du code civil, L. 420-1 et L. 442-6 du code de commerce n'a pas le même « objet » que l'action en mainlevée des séquestres initiée le 22 octobre 2010 pour établir la preuve des manquements du fabriquant ; qu'en statuant ainsi, alors que la première action engagée par le concessionnaire contre le fabricant, bien que fondée sur l'article 145 du code de procédure civile, tendait, comme celle formée le 25 juin 2014, à obtenir l'indemnisation de son préjudice, de sorte qu'elle avait eu pour effet d'interrompre le délai de prescription, la cour d'appel a violé l'article 2241 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2241 du code civil :

12. Si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions tendent à un même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première.

13. Pour déclarer prescrite l'action de la société Auto-Ritz, l'arrêt retient qu'elle ne peut soutenir que sa saisine du juge des référés, qui avait pour finalité exclusive la levée du séquestre, a interrompu la prescription, qu'en effet, si l'article 2241 du code civil prévoit que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion, cette demande interrompt exclusivement la prescription du droit qui en est l'objet et, relative dans la présente espèce à la seule procédure sur requête et à la mainlevée des séquestres, elle ne vaut pas demande relative à l'exécution déloyale du contrat.

14. En statuant ainsi, alors que la demande en référé, à fin de mainlevée du séquestre de documents recueillis par un huissier de justice en vertu d'une ordonnance sur requête rendue sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, qui tend, comme la demande au fond, à obtenir l'indemnisation du préjudice, interrompt le délai de prescription de l'action au fond, celle-ci étant virtuellement comprise dans l'action visant à l'obtention de la mesure in futurum, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Kermina - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau ; SCP Ortscheidt -

Textes visés :

Article 2241 du code civil ; article 145 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Sur la définition de la demande en justice interruptive de prescription au sens de l'article 2241 du code civil, à rapprocher : 1re Civ., 3 octobre 1995, pourvoi n° 93-17.700, Bull. 1995, I, n° 343 (rejet) ; 3e Civ., 9 novembre 2005, pourvoi n° 04-15.073, Bull. 2005, III, n° 219 (rejet). Sur l'effet interruptif du délai de prescription de l'action au fond de l'assignation en référé à fin d'expertise lorsque les deux actions « tendent aux mêmes fins », à rapprocher : 2e Civ., 6 mars 1991, pourvoi n° 89-16.995, Bull. 1991, II, n° 77 (rejet) ; 3e Civ., 24 avril 2003, pourvoi n° 01-15.457, Bull. 2003, III, n° 85 (rejet) ; 3e Civ., 22 septembre 2004, pourvoi n° 03-10.923, Bull. 2004, III, n° 152 (rejet) ; Com., 6 septembre 2016, pourvoi n° 15-13.128 ; 1re Civ., 5 octobre 2016, pourvoi n° 15-25.459, Bull. 2016, I, n° 189 (3) (cassation partielle) ; 3e Civ., 6 juillet 2017, pourvoi n° 16-17.151, Bull. 2017, III, n° 89 (cassation) ; 2e Civ., 31 janvier 2019, pourvoi n° 18-10.011, Bull. 2019, (rejet) ; 1re Civ., 9 mai 2019, pourvoi n° 18-14.736, Bull. 2019, (cassation partielle).

2e Civ., 14 janvier 2021, n° 20-15.673, (P)

Rejet

Sauvegarde de la preuve avant tout procès – Ordonnance sur requête – Ordonnance faisant droit à la requête – Copie – Délivrance à la personne à laquelle est opposée l'ordonnance

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 janvier 2020), suspectant un détournement de sa clientèle par ses anciens collaborateurs, MM. F... et A..., et la société GM Associés qu'ils ont constituée, la société SCA Avocat associé (la société SCA) a saisi un juge des requêtes afin de voir désigner un huissier de justice pour exécuter diverses mesures d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.

La requête de la société SCA ayant été accueillie, MM. F..., A... et la société GM Associés l'ont assignée devant un juge des référés aux fins de rétractation.

La société SCA a interjeté appel de l'ordonnance ayant rétracté l'ordonnance sur requête.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche et sur le second moyen ci-après annexés

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui sont irrecevables.

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

3. MM. F..., A... et la société GM Associés font grief à l'arrêt d'infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du 24 mai 2019 et, partant, de dire n'y avoir lieu à la rétractation de l'ordonnance rendue sur requête le 14 mars 2019, alors « que conformément à l'article 495 du code de procédure civile, la remise d'une copie de la requête et de l'ordonnance, qui vise à rétablir le principe de la contradiction, doit permettre à la partie à laquelle elle est faite de prendre connaissance de l'étendue des mesures d'instruction ordonnées afin de pouvoir évaluer l'opportunité d'un éventuel recours ; qu'en l'espèce, en se bornant à relever que la communication d'une copie des pièces nos 28, 29 et 33 produites à l'appui de la requête présentée par la société SCA n'était exigée par aucun texte, pour en déduire que le fait qu'elles n'aient pas été transmises à MM. F... et A... à l'occasion de la remise de la copie de l'ordonnance et de la requête n'emportait aucune atteinte au principe de la contradiction, quand ces mêmes pièces contenaient, seules, la liste de mots-clés permettant de définir l'étendue exacte des investigations prévues par l'ordonnance, laquelle y renvoie d'ailleurs expressément, la cour d'appel a violé l'article précité. »

Réponse de la Cour

4. Il résulte de l'article 495, alinéa 3, du code de procédure civile qu'une copie de la requête et de l'ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée, à l'exclusion des pièces invoquées à l'appui de cette requête.

5. Ayant relevé qu'une copie de l'ordonnance et de la requête avait été laissée à MM. F... et A... par l'huissier de justice préalablement aux opérations, c'est à bon droit que la cour d'appel, devant laquelle il n'était pas soutenu que les mesures d'instruction telles que mentionnées dans l'ordonnance n'étaient pas légalement admissibles au sens de l'article 145 du code de procédure civile, a retenu que l'absence de communication des pièces numérotées 28, 29 et 33 n'entachait pas la régularité de l'ordonnance.

6. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Lemoine - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Article 495 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e civ., 12 avril 2018, pourvoi n° 17-15.527, Bull. 2018, II, n° 82 (rejet).

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