Numéro 1 - Janvier 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2021

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (loi du 26 juillet 2005)

Com., 20 janvier 2021, n° 19-13.539, (P)

Cassation

Liquidation judiciaire – Vérification et admission des créances – Décision irrévocable d'admission d'une créance – Autorité de la chose jugée – Portée

L'autorité de chose jugée qui s'attache à la décision irrévocable d'admission d'une créance au passif de la liquidation d'une société civile s'impose à ses associés, de sorte que, s'il n'a pas présenté contre une telle décision la réclamation prévue par l'article R. 624-8 du code de commerce, dans le délai fixé par ce texte, l'associé d'une société civile en liquidation judiciaire est sans intérêt à former tierce opposition à la décision, antérieure, condamnant la société au paiement de ladite créance et sur le fondement de laquelle celle-ci a été admise.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 17 janvier 2019) et les productions, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc (la banque) a consenti deux prêts à la société civile immobilière Xamaline (la SCI), les 27 mars et 24 avril 2007.

2. Par un arrêt du 24 mars 2011, devenu irrévocable le 28 juin 2012, confirmant partiellement un jugement du 29 juin 2010 du tribunal de grande instance de Châteauroux, la cour d'appel de Bourges a condamné la SCI à payer à la banque diverses sommes dues au titre de ces prêts.

3. La SCI a été mise en redressement judiciaire le 3 février 2014 puis en liquidation judiciaire le 9 février 2015 et les créances déclarées par la banque, sur le fondement de l'arrêt du 24 mars 2011, ont été admises par une ordonnance du juge-commissaire du 2 février 2015.

4. Assignés en paiement par la banque en leur qualité d'associés de la SCI, tenus en tant que tels des dettes de celles-ci à proportion de leur part dans le capital social, Mme M... J... et M. R... J... (les consorts J...) ont formé tierce-opposition à l'arrêt du 24 mars 2011 et demandé l'annulation des deux contrats de prêt et le rejet de la demande en paiement formée par la banque contre la SCI.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La banque fait grief à l'arrêt de déclarer recevable la tierce-opposition formée par les consorts J... contre l'arrêt de la cour d'appel de Bourges du 24 mars 2011, de réformer, à leur égard, le jugement du tribunal de grande instance de Châteauroux du 29 juin 2010, de dire que les contrats de prêt souscrits par la SCI Xamaline auprès d'elle, les 27 mars 2007 et 24 avril 2007, étaient nuls pour non-conformité à l'objet social et de rejeter, en conséquence, ses demandes en paiement fondées sur ces deux contrats de prêt, alors « que l'autorité de la chose jugée qui s'attache à la décision irrévocable d'admission d'une créance au passif de la procédure de liquidation judiciaire d'une société civile immobilière a pour conséquence que cette créance est définitivement consacrée, dans son existence et dans son montant, à l'égard des associés de la société civile immobilière ; qu'il en résulte que l'associé d'une société civile immobilière, qui n'a pas présenté à l'encontre de la décision d'admission d'une créance au passif de la procédure de liquidation judiciaire de cette société civile immobilière, la réclamation prévue par les dispositions de l'article R. 624-8 du code de commerce, est irrecevable à former tierce-opposition à l'encontre de la décision ayant consacré cette créance à l'égard de cette même société civile immobilière ; qu'en énonçant, dès lors, pour déclarer les consorts J... recevables en leur tierce-opposition à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de Bourges en date du 24 mars 2011 et pour, en conséquence, réformer, à l'égard des consorts J..., le jugement du tribunal de grande instance de Châteauroux en date du 29 juin 2010, dire que les contrats de prêt souscrits par la SCI Xamaline auprès de la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc, les 27 mars 2007 et 24 avril 2007 étaient nuls pour non-conformité à l'objet social et débouter la banque de toutes ses demandes en paiement fondées sur ces deux contrats de prêt, que c'était en vain que la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc prétendait qu'à défaut pour les consorts J... d'avoir exercé un recours à l'encontre de l'état des créances de la procédure de liquidation judiciaire de la SCI Xamaline dans le délai d'un mois à compter de sa publication au BODACC le 28 février 2015, les créances en litige avaient acquis l'autorité de la chose jugée à l'égard de tous et que les consorts J... étaient irrecevables à former toute nouvelle contestation portant sur l'existence, la nature ou le quantum des créances ainsi admises définitivement, qu'en effet, l'admission définitive des créances de la banque, dans le cadre et pour les besoins de la liquidation judiciaire de la SCI Xamaline, n'interdisait nullement aux associés, qui n'étaient ni plus ni moins parties à cette procédure collective qu'à l'instance précédente devant la cour d'appel de Bourges, d'exercer devant un juge le recours effectif reconnu par l'article 6, §1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et qu'au demeurant, l'examen du bordereau de déclaration de créances montrait que la banque n'avait pas déclaré d'autre créance que celles résultant précisément du jugement du tribunal de grande instance de Châteauroux en date du 29 juin 2010, confirmé par l'arrêt de la cour d'appel de Bourges en date du 24 mars 2011, qui était déjà définitive à la suite du rejet du pourvoi en cassation formé contre cet arrêt le 28 juin 2012, quand l'autorité de la chose jugée, qui était, irrévocablement, attachée à l'ordonnance du 2 février 2015, par laquelle le juge-commissaire de la procédure de liquidation judiciaire de la SCI Xamaline avait admis les créances de la banque, résultant des prêts en date du 27 mars 2007 et du 24 avril 2007, telles qu'elles avaient été reconnues par le jugement du tribunal de grande instance de Châteauroux en date du 29 juin 2010 et par l'arrêt de la cour d'appel de Bourges en date du 24 mars 2011, au passif de la procédure de liquidation judiciaire de la SCI Xamaline, avait pour conséquence que ces créances étaient définitivement consacrées, dans leur existence et dans leur montant, à l'égard des consorts J... et que la tierce-opposition formée par ces derniers était irrecevable, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 1351 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, qui ont été reprises par les dispositions de l'article 1355 du code civil, les dispositions de l'article 1857 du code civil et les dispositions de l'article R. 624-8 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1351, devenu 1355, du code civil, 583 du code de procédure civile et R. 624-8, alinéa 4, du code de commerce :

6. L'autorité de chose jugée qui s'attache à la décision irrévocable d'admission d'une créance au passif de la liquidation d'une société civile s'impose à ses associés, de sorte que, s'il n'a pas présenté contre une telle décision la réclamation prévue par l'article R. 624-8 du code de commerce, dans le délai fixé par ce texte, l'associé d'une société civile en liquidation judiciaire est sans intérêt à former tierce-opposition à la décision, antérieure, condamnant la société au paiement de ladite créance et sur le fondement de laquelle celle-ci a été admise.

7. Pour déclarer recevable la tierce-opposition formée par les consorts J..., l'arrêt retient que c'est en vain que la banque prétend qu'à défaut pour ceux-ci d'avoir exercé un recours contre l'état des créances dans le délai d'un mois à compter de sa publication au BODACC le 28 février 2015, la créance en litige a acquis l'autorité de la chose jugée à l'égard de tous, de sorte qu'ils seraient irrecevables à former toute nouvelle contestation portant sur l'existence, la nature ou le quantum de la créance ainsi admise définitivement, dès lors que l'admission définitive de la créance de la banque, dans le cadre et pour les besoins de la liquidation judiciaire de la SCI, n'interdisait nullement aux associés, qui n'étaient ni plus ni moins parties à cette procédure collective qu'à l'instance précédente devant cette cour, d'exercer devant un juge le recours effectif reconnu par le texte précité, qu'au demeurant l'examen du bordereau de déclaration de créance montre que la banque n'a pas déclaré d'autre créance que celle résultant précisément de l'arrêt du 24 mars 2011, qui était déjà définitive suite au rejet, le 28 juin 2012, du pourvoi formé contre cet arrêt et qu'ainsi les consorts J..., qui ont un intérêt manifeste à voir rétracter le jugement dès lors qu'ils sont poursuivis en paiement par la banque pour répondre des dettes sociales de la SCI à proportion de leurs parts dans le capital social, doivent être déclarés recevables en leur tierce-opposition.

8. En statuant ainsi, alors que les consorts J... ne contestaient pas ne pas avoir, en tant qu'intéressés au sens de l'article R. 624-8, alinéa 4, du code de commerce, présenté contre l'état des créances dans le délai d'un mois à compter de sa publication au BODACC, la réclamation prévue par ce texte, lequel leur ouvrait un accès effectif au juge au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de sorte que, faute d'intérêt, leur tierce-opposition à l'arrêt condamnant la SCI, n'était pas recevable, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

9. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de la disposition de l'arrêt déclarant recevable la tierce-opposition formée par les consorts J... entraîne la cassation de toutes les autres dispositions de l'arrêt, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Blanc - Avocat(s) : SCP Yves et Blaise Capron ; SCP Buk Lament-Robillot -

Textes visés :

Article R. 624-8 du code de commerce.

Com., 20 janvier 2021, n° 19-20.076, (P)

Rejet

Redressement judiciaire – Période d'observation – Gestion – Transaction – Conditions – Autorisation préalable du juge-commissaire

Il résulte des exigences impératives de l'article L. 622-7, II, du code de commerce, que le pouvoir de transiger est subordonné à l'autorisation préalable du juge-commissaire. Il s'ensuit qu'une cour d'appel, qui a constaté que la proposition du bailleur et son acceptation, fût-elle donnée sous réserve de cette autorisation, étaient intervenues avant que le juge-commissaire autorise l'administrateur et la société débitrice à transiger sur les modalités d'une résiliation amiable du bail et l'apurement des comptes, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de rejeter la requête aux fins d'une telle autorisation.

Organe – Juge-commissaire – Autorisation – Applications diverses – Transaction

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 mars 2019) et les productions, la société Victoires a été mise en redressement judiciaire le 25 janvier 2017, la société MJA étant désignée en qualité de mandataire judiciaire et la société Ascagne AJ, en celle d'administrateur judiciaire, avec une mission d'assistance.

2. Une procédure opposant la société Victoires à son bailleur, la société Paris Croix des Petits Champs, la société débitrice et son administrateur ont présenté, le 30 octobre 2017, une requête au juge-commissaire afin d'autoriser une transaction portant sur une résiliation amiable du bail commercial, négociée le 29 septembre 2017.

3. Par une ordonnance du 8 novembre 2017, le juge-commissaire a autorisé la transaction nonobstant la rétractation de la société Paris Croix des Petits Champs.

4. La société Paris Croix des Petits Champs a formé un recours contre cette ordonnance, laquelle a été maintenue par un jugement du tribunal de commerce de Paris le 29 mai 2018.

5. Le 4 décembre 2018, le redressement judiciaire de la société Victoires a été converti en liquidation judiciaire, la société MJA étant désignée en qualité de liquidateur.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. La société MJA, en sa qualité de liquidateur de la société Victoires, fait grief à l'arrêt de rejeter la requête du 30 octobre 2017 de la société Victoires et de son administrateur judiciaire aux fins d'être autorisées à signer une transaction avec la société Paris Croix des Petits Champs, alors « que le contrat est formé par la rencontre d'une offre et d'une acceptation ; que le pollicitant ne peut plus rétracter sa proposition lorsqu'elle a été acceptée ; que l'offre de transaction d'un tiers ne peut donc plus être rétractée dès lors qu'elle a été acceptée par le débiteur en redressement judiciaire et l'administrateur, peu important que la transaction n'ait pas encore été autorisée par le juge-commissaire ; qu'en effet l'autorisation du juge-commissaire est une condition non pas d'existence, mais de validité de la transaction, celle-ci étant conclue dès que l'offre a été acceptée par le débiteur et l'administrateur judiciaire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté que l'offre de la société Paris Croix des Petits Champs avait été acceptée par la société Victoires et M. G..., ès qualités, de sorte que « les parties étaient parvenues à s'entendre sur les modalités d'une résiliation amiable du bail et l'apurement des comptes » ; qu'en retenant pourtant que « la rétractation de la proposition étant intervenue avant que le juge-commissaire n'autorise l'administrateur judiciaire et le débiteur à accepter l'offre par voie de transaction, le juge-commissaire ne pouvait pas, le 8 novembre 2017, autoriser une transaction inexistante », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des articles L. 622-7 du code de commerce et 1113 du code civil. »

Réponse de la Cour

7. L'arrêt relève que la requête aux fins d'être autorisé à transiger a été présentée le 30 octobre 2017 cependant qu'à cette date la société Paris Croix des Petits Champs ne maintenait pas son offre. Il retient que si les parties étaient parvenues à s'entendre sur les modalités d'une résiliation amiable du bail et l'apurement des comptes, toutefois ni l'administrateur judiciaire ni la société Victoires n'avaient, au regard des exigences impératives de l'article L. 622-7, II du code de commerce, le pouvoir de transiger sans l'autorisation préalable du juge-commissaire.

8. Par ces seuls motifs, la cour d'appel, qui a constaté que la proposition du bailleur et son acceptation, fût-elle donnée sous réserve de cette autorisation, étaient intervenues avant que le juge-commissaire autorise l'administrateur et la société débitrice à transiger, a légalement justifié sa décision.

9. Le moyen n'est donc pas fondé

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Riffaud - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard ; Me Bertrand -

Textes visés :

Article L. 622-7, II, du code de commerce.

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