Numéro 1 - Janvier 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2021

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE

Soc., 13 janvier 2021, n° 19-12.522, n° 19-12.527, (P)

Cassation partielle

Licenciement économique – Licenciement collectif – Plan de sauvegarde de l'emploi – Annulation de la décision de validation ou d'homologation du plan – Effets – Nullité de la procédure de licenciement – Conditions – Absence ou insuffisance de plan de sauvegarde de l'emploi – Portée

Il résulte des articles L. 1235-10, L. 1235-11 et L. 1235-16 du code du travail, dans leur rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, que la procédure de licenciement collectif pour motif économique est nulle en cas d'annulation par la juridiction administrative d'une décision ayant procédé à la validation de l'accord mentionné à l'article L. 1233-24-1 du code du travail ou à l'homologation du document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4 si cette annulation se fonde sur l'absence ou l'insuffisance de plan de sauvegarde de l'emploi.

Tel n'est pas le cas de l'annulation par la juridiction administrative d'une décision ayant procédé à la validation de l'accord collectif déterminant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi au motif de l'erreur de droit commise par l'administration en validant un accord qui ne revêtait pas le caractère majoritaire requis par l'article L. 1233-24-1 du code du travail, qui donne lieu à l'application des dispositions de l'article L. 1235-16 du même code.

Licenciement économique – Licenciement collectif – Plan de sauvegarde de l'emploi – Absence ou insuffisance du plan – Annulation de la décision de validation ou d'homologation du plan – Effets – Nullité de la procédure de licenciement – Portée

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° D 19-12.522 et J 19-12.527 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Versailles, 8 novembre 2018), MM. G... et X..., salariés de la société Pages jaunes, devenue la société Solocal, ont été licenciés pour motif économique dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi contenu dans un accord collectif majoritaire signé le 20 novembre 2013 et validé par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France le 2 janvier 2014.

Par arrêt du 22 octobre 2014, statuant sur le recours d'un autre salarié, une cour administrative d'appel a annulé cette décision de validation, au motif que l'accord du 20 novembre 2013 ne revêtait pas le caractère majoritaire requis par les dispositions de l'article L. 1233-24-1 du code du travail et le Conseil d'Etat a, le 22 juillet 2015, rejeté les pourvois formés contre cet arrêt.

3. Les salariés avaient saisi la juridiction prud'homale pour contester la validité et le caractère réel et sérieux de leur licenciement et obtenir, en outre, le paiement de sommes à titre de complément d'indemnité conventionnelle de licenciement et de rappel de salaire sur congé de reclassement.

Examen des moyens

Sur les sixième et dixième moyens du pourvoi incident : Publication sans intérêt

Mais sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief aux arrêts de juger que le licenciement des salariés est nul et de le condamner à leur verser une indemnité au visa de l'article L. 1235-11 du code du travail, alors « qu'il résulte de la combinaison des articles L. 1235-10, L. 1235-11 et L. 1235-16 du code du travail que l'annulation de la décision de validation ou d'homologation produit des conséquences différentes selon le motif de cette annulation ; qu'en vertu des articles L. 1235-10 et L. 1235-11 du code du travail, l'annulation de la décision de validation ou d'homologation donne au salarié licencié un droit à réintégration ou au paiement d'une indemnité minimale de 12 mois de salaire uniquement lorsque cette annulation est motivée par l'absence ou l'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi ; qu'en conséquence, lorsque l'annulation de la décision de validation est motivée par l'absence de caractère majoritaire de l'accord contenant le plan de sauvegarde de l'emploi, sans que le juge administratif ne mette en cause l'existence ou le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, elle donne au salarié le droit au paiement d'une indemnité minimale de six mois de salaire, en application de l'article L. 1235-16 du code du travail ; qu'en jugeant, en l'espèce, que l'annulation de la décision de validation en raison de l'absence de caractère majoritaire de l'accord ne constitue pas une irrégularité de forme, mais remet en cause l'existence même du plan, aux motifs tout aussi inopérants qu'erronés que la conclusion d'un accord majoritaire constitue une condition légale de formation du plan, qu'un accord minoritaire ne peut légalement organiser la rupture collective de contrats et que le plan ne peut être considéré comme un document unilatéral pour n'avoir pas été soumis au contrôle renforcé de l'administration, la cour d'appel a violé les articles L. 1235-10, L. 1235-11 et L. 1235-16 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1235-10, L. 1235-11 et L. 1235-16 du code du travail, dans leur version issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 :

6. Selon les deux premiers de ces articles, est nul le licenciement intervenu en l'absence de toute décision relative à la validation de l'accord mentionné à l'article L. 1233-24-1 du code du travail ou à l'homologation du document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4 ou alors qu'une décision négative a été rendue ainsi que le licenciement intervenu alors que la procédure de licenciement est nulle en cas d'annulation d'une décision ayant procédé à la validation ou à l'homologation en raison d'une absence ou d'une insuffisance de plan de sauvegarde de l'emploi.

Selon le troisième de ces textes, l'annulation de la décision de validation ou d'homologation pour un motif autre que l'absence ou l'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi donne lieu, sous réserve de l'accord des parties, à la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. A défaut, le salarié a droit à une indemnité à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

7. Il en résulte que l'annulation par la juridiction administrative d'une décision ayant procédé à la validation de l'accord collectif déterminant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi au motif de l'erreur de droit commise par l'administration en validant un accord qui ne revêtait pas le caractère majoritaire requis par l'article L. 1233-24-1 du code du travail n'est pas de nature à entraîner la nullité de la procédure de licenciement collectif pour motif économique mais donne lieu à l'application des dispositions de l'article L. 1235-16 du même code.

8. Pour juger les licenciements nuls et octroyer aux salariés une indemnité au visa de l'article L. 1235-11 du code du travail, les arrêts retiennent que l'annulation de l'accord collectif en raison de son absence de caractère majoritaire équivaut à une absence d'accord et que dès lors le plan de sauvegarde de l'emploi qu'il instituait ne peut plus être juridiquement regardé comme existant au sens des dispositions de l'article L. 1233-24-1 du code du travail et ne peut plus recevoir application.

Les arrêts ajoutent qu'il ne peut pas être regardé comme un document unilatéral de l'employeur puisqu'il n'a pas été soumis au contrôle renforcé de l'administration. Ils en concluent que l'accord collectif ayant été annulé pour un motif relevant des dispositions de l'article L. 1235-10, alinéa 2, du code du travail, ce sont donc exclusivement les dispositions de l'article L. 1235-11 qu'il convient d'appliquer.

9. En statuant ainsi, alors que le juge administratif avait annulé la décision de validation pour un motif ne reposant pas sur l'absence de plan de sauvegarde de l'emploi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur les quatrième et huitième moyens du pourvoi incident

Enoncé du moyen

10. MM. G... et X... font grief aux arrêts de décider que la convention collective des voyageurs, représentants ou placiers (VRP) s'applique à la relation de travail, et de les débouter de leur demande à titre de complément d'indemnité conventionnelle de licenciement sur le fondement de la convention collective de la publicité, alors « qu'en vertu de l'article L. 7313-17 du code du travail, lorsque l'employeur est assujetti à une convention collective applicable à l'entreprise, le VRP peut prétendre en tout état de cause à une indemnité qui sera égale à celle à laquelle il aurait eu droit si, bénéficiant de la convention, il avait été licencié ; qu'en retenant, pour dire que le salarié ne peut revendiquer l'application de la convention collective de la publicité, d'une part que la convention collective des VRP s'impose aux rapports nés des contrats de travail conclus entre les employeurs et les représentants de commerce, sauf dispositions conventionnelles plus favorables expressément applicables aux représentants de commerce, d'autre part au visa de son article 2 que la convention de la publicité ne prévoit pas son applicabilité aux représentants ayant le statut de VRP alors que cette convention ne vise aucunement l'exclusion expresse des VRP, la cour d'appel a violé les articles L. 7313-17 et L. 2251-1 et du code du travail, les articles 2, 31, 50 et 69 de la convention collective nationale de travail des cadres, techniciens et employés de la publicité française du 22 avril 1955, ensemble le principe de faveur. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 7313-17 du code du travail et l'article 2 de la convention collective nationale de travail des cadres, techniciens et employés de la publicité française du 22 avril 1975 :

11. Il résulte de l'article L. 7313-17 du code du travail que, lorsque l'employeur est assujetti à une convention collective applicable à l'entreprise, le voyageur, représentant ou placier (VRP) peut, dans les cas de rupture du contrat de travail mentionnés aux articles L. 7313-13 et L. 7313-14, prétendre à une indemnité qui sera égale à celle à laquelle il aurait eu droit si, bénéficiant de la convention, il avait été licencié, dès lors que la convention collective applicable n'exclut pas les VRP de son champ d'application.

12. Pour débouter les salariés de leur demande de complément d'indemnité conventionnelle de licenciement fondée sur la convention collective nationale de travail des cadres, techniciens et employés de la publicité française du 22 avril 1975, les arrêts retiennent que les stipulations de son article 2 ne prévoient pas son application aux VRP.

13. En statuant ainsi, alors que la convention collective nationale de travail des cadres, techniciens et employés de la publicité française du 22 avril 1975 n'exclut pas les VRP de son champ d'application, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

14. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif déboutant les salariés de leurs demandes tendant au bénéfice de l'indemnité de licenciement prévue par la convention collective nationale de la publicité et décidant que la convention collective des VRP s'applique à la relation contractuelle entraîne la cassation des chefs de dispositif fixant à une certaine somme le salaire de référence pour le calcul de cette indemnité qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi incident, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils disent que le licenciement des salariés est nul, décident que la convention collective des VRP s'applique à la relation de travail, fixent le salaire moyen mensuel, condamnent l'employeur à verser aux salariés une somme à titre d'indemnité au visa de l'article L. 1235-11 du code du travail et déboutent les salariés de leur demande de complément d'indemnité conventionnelle de licenciement, les arrêts rendus le 8 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, les affaires et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Marguerite - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles L. 1235-10, L. 1235-11 et L. 1235-16 du code du travail, dans leur rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 ; article L. 7313-17 du code du travail ; article 2 de la convention collective nationale de travail des cadres, techniciens et employés de la publicité française du 22 avril 1975.

Rapprochement(s) :

Sur l'attribution de l'indemnité de rupture conventionnelle au voyageur représentant placier, à rapprocher : Soc., 30 septembre 1997, pourvoi n° 94-43.733, Bull. 1997, V, n° 291 (2) (cassation partielle).

Soc., 13 janvier 2021, n° 19-16.564, (P)

Rejet

Licenciement économique – Mesures d'accompagnement – Contrat de sécurisation professionnelle – Adhésion du salarié – Effets – Rupture du contrat de travail – Action en contestation – Prescription – Délai – Point de départ – Jour de l'adhésion du salarié au contrat de sécurisation professionnelle – Portée

Il résulte de l'article L. 1233-67 du code du travail que, lorsqu'un salarié adhère au contrat de sécurisation professionnelle, le délai de prescription de douze mois de l'action en contestation de la rupture du contrat de travail ou de son motif court à compter de l'adhésion au contrat de sécurisation professionnelle, et non à compter de l'expiration du délai de réflexion de vingt-et-un jours courant à partir de la remise du document proposant le contrat de sécurisation professionnelle, date à laquelle intervient la rupture du contrat de travail.

Licenciement économique – Mesures d'accompagnement – Contrat de sécurisation professionnelle – Adhésion du salarié – Effets – Rupture du contrat de travail – Date – Expiration du délai de réflexion – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 27 mars 2019), M. O..., engagé le 2 mars 2007 en qualité de chef de projet industrialisation par la société Adetel équipement aux droits de laquelle est venue la société Centum Adeneo, exerçait en dernier lieu les fonctions de chargé d'affaires produits. Dans le cadre d'une procédure de licenciement économique, il lui a été remis, le 11 février 2015, une proposition de contrat de sécurisation professionnelle, auquel il a adhéré le 26 février 2015.

2. Le 2 mars 2016, il a saisi la juridiction prud'homale aux fins de contester la rupture du contrat de travail.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Le salarié fait grief à l'arrêt de le juger forclos dans son action, alors « que la prescription ne court pas contre celui qui ne peut agir ; que le salarié ne peut agir en contestation de la rupture du contrat de travail avant que celui-ci soit effectivement rompu ; que, comme le faisait valoir le salarié dans ses conclusions d'appel, la rupture du contrat de travail ne se produit qu'à l'issue du délai de réflexion de vingt et un jours suivant la signature du contrat de sécurisation professionnelle ; que le délai de forclusion ne pouvait donc courir qu'à compter du 13 mars 2016 ; que la requête ayant été reçue au greffe du conseil de prud'hommes le 2 mars 2016, le salarié ne pouvait être dit forclos dans son action contre son ancien employeur ; qu'en statuant autrement, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-67 du code du travail, ensemble le principe « contra non valentem agere non currit praescriptio ».

Réponse de la Cour

4. D'une part, il résulte de l'article L. 1233-67 du code du travail que, lorsqu'un salarié adhère au contrat de sécurisation professionnelle, le délai de prescription de douze mois de l'action en contestation de la rupture du contrat de travail ou de son motif court à compter de l'adhésion au contrat de sécurisation professionnelle, qui emporte rupture du contrat de travail.

5. D'autre part, la règle selon laquelle la prescription ne court pas contre celui qui est empêché d'agir ne s'applique pas lorsque le titulaire de l'action disposait encore, à la cessation de l'empêchement, du temps nécessaire pour agir avant l'expiration du délai de prescription.

6. Ayant constaté que le salarié avait adhéré au contrat de sécurisation professionnelle le 26 février 2015, de sorte qu'il pouvait engager une action en contestation de la rupture de son contrat de travail jusqu'au 26 février 2016, la cour d'appel a jugé, à bon droit, peu important que la rupture du contrat de travail soit intervenue le 4 mars 2015, à l'expiration du délai de réflexion de vingt-et-un jours courant à partir de la remise du document proposant le contrat de sécurisation professionnelle, que son action engagée le 2 mars 2016 était prescrite.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Leprieur (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Marguerite - Avocat(s) : SCP de Nervo et Poupet -

Textes visés :

Article L. 1233-67 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur le point de départ du délai de prescription de l'action en contestation d'une rupture du contrat de travail après adhésion d'un salarié au contrat de sécurisation professionnelle, à rapprocher : Soc., 11 décembre 2019, pourvoi n° 18-17.707, Bull. 2019, (rejet). Sur la date à laquelle intervient la rupture du contrat de travail d'un salarié ayant adhéré au contrat de sécurisation professionnelle, à rapprocher : Soc., 17 mars 2015, pourvoi n° 13-26.941, Bull. 2015, V, n° 51 (2) (cassation partielle).

Soc., 27 janvier 2021, n° 18-23.535, (P)

Rejet

Licenciement – Indemnités – Indemnité légale de licenciement – Objet – Contrepartie du droit de l'employeur de résiliation unilatérale du contrat de travail – Portée

Il résulte de l'article L. 1234-9 du code du travail que l'indemnité de licenciement, dont les modalités de calcul sont forfaitaires, est la contrepartie du droit de l'employeur de résiliation unilatérale du contrat de travail.

Il résulte par ailleurs de l'article L.1235-3 du même code que l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse répare le préjudice résultant du caractère injustifié de la perte de l'emploi.

Dès lors, une cour d'appel qui constate que les salariés licenciés pour motif économique dont l'action en responsabilité était dirigée contre la banque ayant accordé des crédits ruineux à leur employeur, avaient bénéficié d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison de l'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi et du manquement de l'employeur à son obligation de reclassement, en déduit justement que les préjudices allégués par les salariés résultant de la perte de leur emploi et de la perte d'une chance d'un retour à l'emploi optimisé en l'absence de moyens adéquats alloués au plan de sauvegarde de l'emploi avaient déjà été indemnisés.

Licenciement – Indemnités – Indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse – Objet – Réparation du préjudice résultant du caractère injustifié de la perte de l'emploi – Portée

Désistements partiels

1. Il est donné acte à M. Q... et trente-six autres demandeurs du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre MM. AR... et WV..., ès qualités.

2. Il est donné acte à M. X... du désistement de son pourvoi en ce

qu'il est dirigé contre la société Bank of Scotland PLC.

Faits et procédure

3. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 juin 2018), rendu sur renvoi après cassation (Com., 2 juin 2015, pourvoi n° 13-24.714, Bull. 2015, IV, n° 94), la société General Trailers France, appartenant au groupe General Trailers spécialisé dans la construction, vente ou location de remorques et grands containers, a été acquise au mois d'août 2000 par la société Apax Partners, qui au moyen d'un montage financier (« leverage buy-out », LBO) a pris le contrôle de la société General Trailers France via sa filiale Société Européenne Boissière (SEB). Pour le financement de cette acquisition, a notamment été conclu un contrat entre les sociétés General Trailers France, SEB et Bank of Scotland prévoyant l'octroi à la société General Trailers France de divers crédits.

4. Après le redressement judiciaire, ouvert le 24 novembre 2003, de la société General Trailers France, un plan de cession partielle a été arrêté, prévoyant le licenciement de six cent cinq salariés. Certains d'entre eux, licenciés pour motif économique le 29 avril 2004, ont saisi la juridiction prud'homale, et par arrêts des 29 janvier et 19 mars 2009, la cour d'appel a considéré que les licenciements économiques des salariés demandeurs au présent pourvoi étaient sans cause réelle et sérieuse dès lors que l'actionnaire de la société General Trailers France, la société SEB, disposait de moyens financiers conséquents au regard desquels le plan de sauvegarde de l'emploi était insuffisant.

La cour d'appel a également relevé que l'employeur n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement. Des créances de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ont été fixées dans la procédure collective de la société General Trailers France.

5. Dans le même temps, MM. WV... et AR..., désignés commissaires à l'exécution du plan de la société General Trailers France, ont assigné la société Bank of Scotland en responsabilité pour octroi de crédits ruineux et les salariés licenciés, demandeurs au présent pourvoi, sont intervenus volontairement à l'instance en réparation de leurs préjudices consécutifs à la perte de leur emploi, soit la perte pour l'avenir des rémunérations qu'ils auraient pu percevoir et le préjudice moral né de la perte de leur emploi et de leurs conditions de travail depuis le licenciement ainsi que la perte de chance d'un retour à l'emploi optimisé ou équivalent.

6. Par arrêt du 18 juillet 2013, la cour d'appel a confirmé le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable l'intervention volontaire des salariés. Elle l'a infirmé pour le surplus et a jugé que la responsabilité de la société Bank of Scotland, qui avait accordé des crédits ruineux à la société General Trailers France, était engagée envers la collectivité des créanciers.

7. Par arrêt du 2 juin 2015, la chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt du 18 juillet 2013, mais seulement en ce qu'il avait déclaré irrecevable l'intervention volontaire des salariés.

8. Par arrêt du 21 juin 2018, statuant sur renvoi, la cour d'appel a déclaré recevable l'intervention des salariés mais les a déboutés de leurs demandes.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

9. Les salariés font grief à l'arrêt de les débouter de leurs demandes tendant à voir condamner la société Bank of Scotland à leur verser, à chacun, une somme à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices liés à la perte d'emploi au sein de la société General Trailers France et à la perte de chance de retrouver à court terme un emploi optimisé ou équivalent, alors :

« 1°/ qu'en application du principe de la réparation intégrale, les salariés licenciés pour motif économique et qui ont perçu de leur employeur une indemnité de licenciement et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sont fondés à demander réparation des préjudices constitués par la perte de leur emploi et par la perte de chance d'un retour à l'emploi optimisé au tiers au contrat de travail ayant commis une faute ayant concouru aux difficultés économiques rencontrées par l'employeur, au prononcé des licenciements économiques et à la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi insuffisant ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu l'article 1240 du code civil ;

2°/ que si l'indemnité de licenciement n'a pas la nature juridique d'un salaire mais de dommages et intérêts qui ont vocation à indemniser le salarié du préjudice causé par l'employeur par la perte de l'emploi, elle ne l'indemnise nullement du préjudice distinct, causé par la perte de son emploi (perte des rémunérations qu'il aurait dû percevoir dans le futur et préjudice moral) et découlant de la faute commise par un tiers au contrat de travail (la Bank of Scotland) ayant concouru à la réalisation du dommage, à savoir son licenciement économique ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu l'article 1240 du code civil ;

3°/ qu'en constatant que les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse alloués aux salariés licenciés pour motif économique par la cour d'appel de Paris avaient été versés aux seuls motifs que le plan de sauvegarde de l'emploi était insuffisant et que l'employeur n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement tant interne qu'externe,- ce dont il résultait que les salariés étaient fondés à solliciter également la condamnation d'un tiers au contrat de travail (la Bank of Scotland), dont la faute avait concouru à la réalisation du dommage, à savoir leurs licenciements économiques, à les indemniser du préjudice causé par tant la perte de leur emploi (perte des rémunérations qu'ils auraient dû percevoir dans le futur et préjudice moral) que par la perte de chance d'un retour à l'emploi optimisé en raison d'un plan de sauvegarde de l'emploi non proportionné aux moyens financiers du groupe d'appartenance de la société Général Trailers France -, et en déboutant les salariés exposants de leurs demandes, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé l'article 1382, devenu 1240 du code civil ;

4°/ qu'en affirmant que le préjudice, conséquence de la rupture du contrat de travail, avait été réparé par l'allocation d'indemnités de licenciement et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de sorte que les salariés étaient mal fondés à demander réparation une seconde fois de ces préjudices, sans répondre aux conclusions des exposants qui faisaient valoir qu'ils avaient pris le soin de solliciter, à titre de dommages et intérêts, une somme équivalente aux rémunérations qu'ils auraient dû percevoir depuis leur licenciement, auxquelles s'ajoutait un montant devant couvrir le préjudice lié à la perte des conditions de travail et d'évolution de leur rémunération en raison de leurs ancienneté et compétences (15 000 euros), de laquelle étaient retranchée 24 mois de droits Pôle emploi, outre les dommages et intérêts perçus en suite des arrêts rendus par la chambre sociale de la cour d'appel de Paris, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

10. Il résulte de l'article L. 1234-9 du code du travail que l'indemnité de licenciement, dont les modalités de calcul sont forfaitaires, est la contrepartie du droit de l'employeur de résiliation unilatérale du contrat de travail.

11. Il résulte par ailleurs de l'article L. 1235-3 du même code que l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse répare le préjudice résultant du caractère injustifié de la perte de l'emploi.

12. Ayant constaté que les salariés licenciés pour motif économique avaient bénéficié d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison de l'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi et du manquement de l'employeur à son obligation de reclassement, la cour d'appel, abstraction faite des motifs erronés mais surabondants relatifs à l'indemnité de licenciement, en a justement déduit, sans être tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, que les préjudices allégués par les salariés résultant de la perte de leur emploi et de la perte d'une chance d'un retour à l'emploi optimisé en l'absence de moyens adéquats alloués au plan de sauvegarde de l'emploi avaient déjà été indemnisés.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Le Corre - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Didier et Pinet ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Articles L. 1234-9 et L. 1235-3 du code du travail.

Soc., 13 janvier 2021, n° 19-21.138, (P)

Rejet

Licenciement – Nullité – Cas – Licenciement prononcé en raison de la dénonciation de faits de discrimination – Exception – Dénonciation de mauvaise foi – Caractérisation – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 7 juin 2019), M. T... a été engagé le 19 mai 2008 en qualité d'ingénieur électronique par la société Serma ingénierie (la société).

2. Le 27 février 2012, il a adressé un courrier au président du groupe ainsi qu'à son supérieur hiérarchique pour dénoncer des faits de discrimination en raison de son origine à son encontre de la part du directeur commercial. Il a également saisi le Défenseur des droits, lequel a classé l'affaire le 22 décembre 2014.

3. Le 22 mars 2012, il a été licencié pour faute grave, l'employeur lui reprochant de proférer des accusations de discrimination en raison de son origine dont il avait conscience du caractère fallacieux.

4. Le 11 décembre 2014, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de la contestation de son licenciement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que son licenciement repose sur une faute grave, de le débouter de l'intégralité de ses demandes, alors :

« 1°/ que la seule fausseté des faits dénoncés ne peut justifier le licenciement d'un salarié qui dénonce des faits discriminatoires ; qu'en retenant, pour dire que le licenciement de M. T... était fondé, que la dénonciation de discrimination avait été faite de mauvaise foi, les juges ont retenu que la mission proposée à Pessac n'était pas déloyale, que l'employeur avait adressé le curriculum du salarié à différentes entreprises, que la situation d'inter-contrat était commune à des nombreux salariés et que le courrier de M. E... était justifié au regard des horaires effectués par le salarié, la cour d'appel s'est fondée sur la seule fausseté de la déclaration, et a ainsi violé les articles L. 1132-3, L. 1132-4 et L. 1234-5 du code du travail ;

2°/ que le salarié qui relate des faits de discrimination ne peut être licencié pour ce motif sauf mauvaise foi, laquelle résulte de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce ; qu'en retenant que la société était lauréate d'un prix contre les discrimination, que le salarié avait voulu obtenir une rupture conventionnelle, ou encore que le salarié avait créé son entreprise peu de temps après son licenciement, la cour d'appel s'est fondée sur des motifs impropres à établir la mauvaise foi de M. T..., et a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-3, L. 1132-4 et L. 1234-5 du code du travail. »

Réponse de la Cour

7. Aux termes de l'article L. 1132-3 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements définis aux articles L. 1132-1 et L. 1132-2 ou pour les avoir relatés.

En vertu de l'article L. 1132-4 du même code, toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre est nul. Il s'en déduit que le salarié qui relate des faits de discrimination ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.

8. Après avoir retenu que la discrimination alléguée n'était pas établie, la cour d'appel, par motifs propres et adoptés, a relevé que l'employeur démontrait que plusieurs propositions de missions avaient été faites au salarié qui se trouvait en inter-contrat, que celui-ci avait refusé en février 2012 d'effectuer une mission à Pessac, et que, dans le même temps, il alléguait auprès du Défenseur des droits et de ses supérieurs hiérarchiques pour la première fois une situation de discrimination en raison de ses origines, que l'allégation a été faite par le salarié en des termes très généraux sans invoquer de faits circonstanciés, que le salarié était dès le mois de décembre 2011 déterminé à quitter l'entreprise, son désengagement professionnel durant la période d'inter-contrat montrant sa volonté d'obtenir une rupture conventionnelle du contrat de travail en cherchant à imposer ses conditions financières, qu'aucune alerte n'avait été faite durant la relation de travail auprès des délégués du personnel, de la médecine du travail ou de l'inspection du travail et que le salarié n'avait fait aucun lien avec ses origines avant les emails adressés à ses supérieurs hiérarchiques et au Défenseur des droits en février 2012.

9. La cour d'appel a pu en déduire que le salarié connaissait la fausseté des faits allégués de discrimination en raison de son origine.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Ott - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Articles L. 1132-3 et L. 1132-4 du code du travail.

Soc., 13 janvier 2021, n° 19-14.050, (P)

Cassation partielle

Licenciement – Nullité – Effets – Réintégration – Indemnisation – Etendue – Demande de réintégration présentée tardivement de façon abusive – Portée

En cas de licenciement nul, le salarié qui sollicite sa réintégration a droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration. Toutefois, le salarié qui présente de façon abusive sa demande de réintégration tardivement, n'a droit, au titre de cette nullité, qu'à la rémunération qu'il aurait perçue du jour de sa demande de réintégration à celui de sa réintégration effective.

Licenciement – Nullité – Effets – Réintégration – Demande du salarié – Date – Effet – Indemnisation

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 février 2019), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 30 novembre 2017, pourvoi n° 16-21.249), M. W..., directeur commercial de la société MD2I depuis 1998, a saisi la juridiction prud'homale le 17 janvier 2011 de demandes en paiement puis a sollicité le 18 juillet 2011 la résiliation de son contrat de travail. Il a été licencié le 27 juillet 2011 pour perte de confiance.

Le 14 mars 2016, il a présenté pour la première fois une demande en nullité de son licenciement, en réintégration et en paiement d'une somme équivalente aux salaires qu'il aurait dû percevoir depuis sa date d'éviction.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

2. L'employeur fait grief à l'arrêt d'ordonner la réintégration du salarié au sein de la société à son poste de directeur commercial ou à tout poste substitué ou similaire, sous astreinte et de le condamner à payer au salarié la somme de 1 050 770 euros au titre de l'indemnité due pour nullité du licenciement pour la période du 28 octobre 2011 au 28 novembre 2018, alors « que nul ne peut se contredire au détriment d'autrui ; que le salarié qui, pendant plusieurs années après son licenciement, a maintenu une demande, formée avant son licenciement, tendant à la résiliation judiciaire de son contrat et réclamé le paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, est irrecevable à demander ensuite sa réintégration dans l'entreprise, en conséquence de la nullité de son licenciement ; qu'il est constant que le salarié, qui avait saisi la juridiction prud'homale en juillet 2011, quelques jours avant son licenciement, d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat, a maintenu cette demande et contesté, à titre subsidiaire, le caractère réel et sérieux des motifs de son licenciement, à l'appui d'une demande tendant au paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu'en mars 2016, après plus de quatre années de procédure, il a invoqué pour la première fois la nullité de son licenciement et demandé sa réintégration ; qu'en retenant, pour écarter la fin de non-recevoir opposée par la société MD2I à cette demande de réintégration, qu'il convient d'ordonner la réintégration dans la mesure où le salarié la demande et que l'employeur n'expose aucun élément de nature à la rendre impossible matériellement, cependant que l'adoption de positions contradictoires par le salarié au cours de la même instance était de nature à induire en erreur l'employeur, la cour d'appel a violé l'article 122 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

3. Il ne résulte ni de l'arrêt ni des conclusions de l'employeur que celui-ci ait soutenu devant la cour d'appel la fin de non-recevoir tirée de ce que l'adoption par le salarié de positions contradictoires au cours de la même instance était de nature à l'induire en erreur.

4. Le moyen, nouveau et mélangé de fait et de droit, n'est donc pas recevable.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié la somme de 1 050 770 euros au titre de l'indemnité due pour nullité du licenciement pour la période du 28 octobre 2011 au 28 novembre 2018, alors :

« 1°/ que si aucun délai n'est imparti au salarié pour demander sa réintégration, lorsque son licenciement est nul pour porter atteinte à une liberté fondamentale, le salarié qui présente, de façon abusive, sa demande de réintégration tardivement ne peut prétendre qu'au paiement de la rémunération qu'il aurait perçue de la date de sa demande de réintégration jusqu'à sa réintégration effective ; qu'il est constant que le salarié, qui avait saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat en juillet 2011, quelques jours avant son licenciement, a maintenu cette demande, contesté à titre subsidiaire le bien-fondé de son licenciement et sollicité le paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse pendant plus de quatre ans ; qu'en mars 2016, après plus de quatre années de procédure contentieuse, il a, pour la première fois, contesté la validité de son licenciement et formé une demande de réintégration dans l'entreprise ; que la société MD2I soutenait, en conséquence, que le salarié avait commis un abus dans l'exercice de son droit qui conduisait à reporter le point de départ de l'indemnisation à la date de sa demande de réintégration, soit le 14 mars 2016 ; qu'en refusant de se prononcer sur l'abus invoqué par l'exposante, au motif inopérant qu'elle ne soulève pas une exception de prescription, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail ;

2°/ qu'en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le salarié n'avait pas tardé, de manière abusive, à présenter sa demande de réintégration, pour avoir attendu plus de quatre ans après son licenciement pour contester, pour la première fois, la validité de son licenciement et présenter une demande de réintégration, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1121-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1121-1 du code du travail :

6. En cas de licenciement nul, le salarié qui sollicite sa réintégration a droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration. Toutefois, le salarié qui présente de façon abusive sa demande de réintégration tardivement, n'a droit, au titre de cette nullité, qu'à la rémunération qu'il aurait perçue du jour de sa demande de réintégration à celui de sa réintégration effective.

7. Pour condamner l'employeur à payer une indemnité de 1 050 770 euros au titre de la nullité du licenciement pour la période du 28 octobre 2011 au 28 novembre 2018, l'arrêt retient que s'il est exact que le salarié n'a formé une demande en nullité du licenciement et par voie de conséquence en réintégration que par conclusions communiquées en mars 2016 devant la cour d'appel de Versailles, faute pour la société de soulever une exception de prescription, la période à prendre en considération ne peut être restreinte.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il fixe à la somme de 1 050 770 euros l'indemnité due par la société MD2I à M. W... pour nullité du licenciement pour la période du 28 octobre 2011 au 28 novembre 2018, l'arrêt rendu le 26 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Duvallet - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh -

Textes visés :

Article L. 1121-1 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'étendue de l'indemnité due au salarié protégé en cas de demande de réintégration présentée tardivement de façon abusive, à rapprocher : Soc., 7 novembre 2018, pourvoi n° 17-14.714, Bull. 2018, (cassation partielle). Sur l'étendue de l'indemnité due au salarié mis à la retraite d'office en cas de demande de réintégration présentée tardivement de façon abusive, à rapprocher : Soc., 22 janvier 2020, pourvoi n° 17-31.158, Bull. 2020, (cassation partielle).

Soc., 13 janvier 2021, n° 19-17.489, (P)

Cassation

Licenciement – Salarié protégé – Mesures spéciales – Domaine d'application – Salarié désigné conseiller du salarié – Condition

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 5 avril 2019), Mme D... a été engagée le 7 novembre 2005 en qualité de télé gestionnaire par la société Credirec France, aux droits de laquelle est venue la société EOS Credirec, devenue la société EOS France.

Au dernier état de la relation contractuelle, la salariée occupait les fonctions d'expert métier.

2. Convoquée le 30 octobre 2014 à un entretien préalable au licenciement fixé au 12 novembre 2014, elle a été licenciée pour cause réelle et sérieuse le 26 novembre 2014.

3. Invoquant le bénéfice du statut protecteur en raison de la connaissance par l'employeur de l'imminence de sa désignation en qualité de conseiller du salarié, la salariée a saisi la juridiction prud'homale le 3 mars 2015 de demandes en nullité de son licenciement et en paiement de diverses sommes.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement est nul et de le condamner au paiement de certaines sommes à titre d'indemnisation de la violation du statut du salarié protégé et d'indemnisation du licenciement illicite, alors « que ce n'est que si l'employeur a connaissance, au jour de l'envoi de la lettre de convocation à l'entretien préalable, marquant l'engagement de la procédure de licenciement, de la candidature ou de l'imminence de la désignation du salarié en qualité de conseiller du salarié que ce dernier peut bénéficier du statut protecteur lié à ce mandat extérieur à l'entreprise ; qu'en retenant que la protection prend effet avant la publication de la liste des conseillers du salarié si le salarié fait la preuve que son employeur a eu connaissance de l'imminence de sa désignation " avant de procéder à son licenciement " et qu'en l'espèce Mme D... avait informé l'employeur de l'imminence de sa candidature le 6 novembre 2014, soit antérieurement à l'entretien préalable au licenciement qui s'est tenu le 12 novembre 2014, la cour d'appel qui s'est placée à la date de l'entretien préalable et non à celle de l'envoi de la lettre de convocation à l'entretien préalable, soit le 30 octobre 2014, pour apprécier si l'employeur avait connaissance de la candidature ou de l'imminence de la désignation de la salariée en qualité de conseiller du salarié a violé les articles L. 2411-1-16° et L. 2411-21 du code travail. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. La salariée conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est contraire à la thèse soutenue par l'employeur devant les juges du fond.

7. Cependant la thèse soutenue par l'employeur, selon laquelle seule l'existence du mandat de conseiller du salarié et non l'imminence de la désignation du salarié en cette qualité confère le statut protecteur, n'est pas contraire au moyen soutenant à titre subsidiaire que dans l'hypothèse où, l'imminence de la désignation en qualité de conseiller du salarié est susceptible de conférer la protection reconnue aux salariés protégés, la connaissance de l'employeur de l'imminence de la désignation doit s'apprécier à la date de la convocation à l'entretien préalable.

8. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles L. 2411-1, 16° et L. 2411-21 du code du travail :

9. Pour l'application des textes susvisés, c'est au moment de l'envoi de la convocation à l'entretien préalable au licenciement que l'employeur doit avoir connaissance de l'imminence de la désignation d'un salarié en qualité de conseiller du salarié.

10. Pour dire le licenciement nul en l'absence d'autorisation administrative de licenciement, l'arrêt retient qu'il est constant que la protection prend effet avant la publication de la liste des conseillers du salarié si le salarié fait la preuve que son employeur a eu connaissance de l'imminence de sa désignation avant de procéder à son licenciement et qu'en l'espèce la salariée a bien informé l'employeur de l'imminence de sa candidature aux fonctions de conseiller du salarié le 6 novembre 2014, soit antérieurement à l'entretien préalable au licenciement qui s'est tenu le 12 novembre 2014.

11. En statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que la salariée avait été convoquée à un entretien préalable au licenciement le 30 octobre 2014 et qu'il résultait de ses constatations que l'employeur n'avait eu connaissance de l'imminence de la désignation de l'intéressée en qualité de conseiller du salarié que le 6 novembre 2014, soit postérieurement à l'engagement de la procédure de licenciement, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Sommé - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Bouzidi et Bouhanna ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Articles L. 2411-1, 16°, et L. 2411-21 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la protection contre le licenciement d'un salarié protégé, à rapprocher : Soc., 1er mars 2005, pourvoi n° 03-40.048, Bull. 2005, V, n° 75 (rejet), et l'arrêt cité.

Soc., 27 janvier 2021, n° 19-21.200, (P)

Cassation partielle

Résiliation judiciaire – Action intentée par le salarié – Action en nullité du licenciement – Nullité du licenciement prononcé par l'employeur – Effets – Réintégration – Demande du salarié – Possibilité (non)

Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail et la nullité de son licenciement au cours d'une même instance, le juge, qui constate la nullité du licenciement, ne peut faire droit à la demande de réintégration.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 29 juin 2020), Mme Y... a été engagée par la SCP [...] (la SCP) en qualité de clerc de notaire le 15 janvier 2001.

2. Invoquant un harcèlement, une discrimination et une inégalité de traitement, elle a saisi la juridiction prud'homale, le 14 mai 2012, d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail. Alors que la procédure était en cours, elle a été licenciée pour cause réelle et sérieuse par lettre du 19 décembre 2012.

Examen des moyens

Sur les trois premiers moyens du pourvoi principal, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

4. La SCP fait grief à l'arrêt de dire, par confirmation du jugement entrepris, « que le licenciement de Mme Y... est nul » et d'ordonner sa réintégration dans son emploi ou un emploi similaire, de condamner la SCP au paiement d'une indemnité d'éviction couvrant la période du licenciement à la réintégration, ainsi que, par voie de confirmation du jugement entrepris, au paiement d'une somme à titre d'indemnité pour licenciement nul, alors « que lorsque le salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur et maintient cette demande après que celui-ci l'a licencié en cours de procédure, la poursuite du contrat de travail ne peut être ordonnée entre deux parties qui ont, chacune pour sa part, manifesté irréductiblement leur volonté de le rompre ; qu'en ordonnant la réintégration de Mme Y... en conséquence de la nullité de son licenciement après avoir constaté que la salariée avait formé et maintenu devant elle après son licenciement une demande préalable de résiliation judiciaire de son contrat de travail, ce dont résultait une volonté bilatérale de rompre ce contrat incompatible avec la réintégration, la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1221-1 du code du travail, 1101, 1102 et 1103 du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. La salariée conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est nouveau et, mélangé de fait et de droit, irrecevable.

6. Cependant il résulte des écritures des parties que l'employeur avait contesté devant les juges du fond la demande de réintégration émanant de la salariée.

7. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles L. 1235-3 du code du travail et 1184 du code civil, alors applicable :

8. Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail et la nullité de son licenciement au cours d'une même instance, le juge, qui constate la nullité du licenciement, ne peut faire droit à la demande de réintégration.

9. Après avoir écarté la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail au motif que ni le grief de harcèlement moral ni celui de discrimination n'étaient établis, retenu que le licenciement constitue directement la sanction des accusations de harcèlement moral émanant de la salariée et que, faute pour l'employeur de démontrer que ces accusations ont été portées de mauvaise foi, le licenciement est nul, la cour d'appel ordonne la réintégration de la salariée dans son emploi.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

11. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de l'arrêt en ce qu'il ordonne la réintégration de la salariée entraîne, par voie de conséquence, la cassation des chefs du dispositif de l'arrêt qui condamne l'employeur au paiement d'une indemnité égale au montant des rémunérations de la salariée couvrant la période allant du licenciement à sa réintégration et qui rejette la demande de dommages-intérêts de la salariée au titre de la nullité de son licenciement, qui en est la suite nécessaire.

12. Il n'y a donc pas lieu de statuer sur le quatrième moyen du pourvoi principal et les deuxième et troisième moyens du pourvoi incident, qui portent sur les sommes allouées en conséquence de la réintégration de la salariée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il ordonne la réintégration de la salariée, condamne l'employeur au paiement d'une indemnité égale au montant des rémunérations de la salariée couvrant la période allant du licenciement à sa réintégration et rejette la demande subsidiaire en dommages-intérêts formée par la salariée au titre de la nullité de son licenciement, l'arrêt rendu le 22 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Pécaut-Rivolier - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Articles L. 1235-3 du code du travail ; article 1184 du code civil.

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