Numéro 1 - Janvier 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2021

BANQUE

Soc., 27 janvier 2021, n° 18-23.535, (P)

Rejet

Responsabilité – Faute – Octroi abusif de crédit – Dommage – Réparation – Préjudices résultant de la perte d'emploi et de la perte d'une chance d'un retour à l'emploi optimisé – Montant – Fixation – Eléments pris en considération – Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Désistements partiels

1. Il est donné acte à M. Q... et trente-six autres demandeurs du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre MM. AR... et WV..., ès qualités.

2. Il est donné acte à M. X... du désistement de son pourvoi en ce

qu'il est dirigé contre la société Bank of Scotland PLC.

Faits et procédure

3. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 juin 2018), rendu sur renvoi après cassation (Com., 2 juin 2015, pourvoi n° 13-24.714, Bull. 2015, IV, n° 94), la société General Trailers France, appartenant au groupe General Trailers spécialisé dans la construction, vente ou location de remorques et grands containers, a été acquise au mois d'août 2000 par la société Apax Partners, qui au moyen d'un montage financier (« leverage buy-out », LBO) a pris le contrôle de la société General Trailers France via sa filiale Société Européenne Boissière (SEB). Pour le financement de cette acquisition, a notamment été conclu un contrat entre les sociétés General Trailers France, SEB et Bank of Scotland prévoyant l'octroi à la société General Trailers France de divers crédits.

4. Après le redressement judiciaire, ouvert le 24 novembre 2003, de la société General Trailers France, un plan de cession partielle a été arrêté, prévoyant le licenciement de six cent cinq salariés. Certains d'entre eux, licenciés pour motif économique le 29 avril 2004, ont saisi la juridiction prud'homale, et par arrêts des 29 janvier et 19 mars 2009, la cour d'appel a considéré que les licenciements économiques des salariés demandeurs au présent pourvoi étaient sans cause réelle et sérieuse dès lors que l'actionnaire de la société General Trailers France, la société SEB, disposait de moyens financiers conséquents au regard desquels le plan de sauvegarde de l'emploi était insuffisant.

La cour d'appel a également relevé que l'employeur n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement. Des créances de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ont été fixées dans la procédure collective de la société General Trailers France.

5. Dans le même temps, MM. WV... et AR..., désignés commissaires à l'exécution du plan de la société General Trailers France, ont assigné la société Bank of Scotland en responsabilité pour octroi de crédits ruineux et les salariés licenciés, demandeurs au présent pourvoi, sont intervenus volontairement à l'instance en réparation de leurs préjudices consécutifs à la perte de leur emploi, soit la perte pour l'avenir des rémunérations qu'ils auraient pu percevoir et le préjudice moral né de la perte de leur emploi et de leurs conditions de travail depuis le licenciement ainsi que la perte de chance d'un retour à l'emploi optimisé ou équivalent.

6. Par arrêt du 18 juillet 2013, la cour d'appel a confirmé le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable l'intervention volontaire des salariés. Elle l'a infirmé pour le surplus et a jugé que la responsabilité de la société Bank of Scotland, qui avait accordé des crédits ruineux à la société General Trailers France, était engagée envers la collectivité des créanciers.

7. Par arrêt du 2 juin 2015, la chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt du 18 juillet 2013, mais seulement en ce qu'il avait déclaré irrecevable l'intervention volontaire des salariés.

8. Par arrêt du 21 juin 2018, statuant sur renvoi, la cour d'appel a déclaré recevable l'intervention des salariés mais les a déboutés de leurs demandes.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

9. Les salariés font grief à l'arrêt de les débouter de leurs demandes tendant à voir condamner la société Bank of Scotland à leur verser, à chacun, une somme à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices liés à la perte d'emploi au sein de la société General Trailers France et à la perte de chance de retrouver à court terme un emploi optimisé ou équivalent, alors :

« 1°/ qu'en application du principe de la réparation intégrale, les salariés licenciés pour motif économique et qui ont perçu de leur employeur une indemnité de licenciement et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sont fondés à demander réparation des préjudices constitués par la perte de leur emploi et par la perte de chance d'un retour à l'emploi optimisé au tiers au contrat de travail ayant commis une faute ayant concouru aux difficultés économiques rencontrées par l'employeur, au prononcé des licenciements économiques et à la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi insuffisant ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu l'article 1240 du code civil ;

2°/ que si l'indemnité de licenciement n'a pas la nature juridique d'un salaire mais de dommages et intérêts qui ont vocation à indemniser le salarié du préjudice causé par l'employeur par la perte de l'emploi, elle ne l'indemnise nullement du préjudice distinct, causé par la perte de son emploi (perte des rémunérations qu'il aurait dû percevoir dans le futur et préjudice moral) et découlant de la faute commise par un tiers au contrat de travail (la Bank of Scotland) ayant concouru à la réalisation du dommage, à savoir son licenciement économique ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu l'article 1240 du code civil ;

3°/ qu'en constatant que les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse alloués aux salariés licenciés pour motif économique par la cour d'appel de Paris avaient été versés aux seuls motifs que le plan de sauvegarde de l'emploi était insuffisant et que l'employeur n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement tant interne qu'externe,- ce dont il résultait que les salariés étaient fondés à solliciter également la condamnation d'un tiers au contrat de travail (la Bank of Scotland), dont la faute avait concouru à la réalisation du dommage, à savoir leurs licenciements économiques, à les indemniser du préjudice causé par tant la perte de leur emploi (perte des rémunérations qu'ils auraient dû percevoir dans le futur et préjudice moral) que par la perte de chance d'un retour à l'emploi optimisé en raison d'un plan de sauvegarde de l'emploi non proportionné aux moyens financiers du groupe d'appartenance de la société Général Trailers France -, et en déboutant les salariés exposants de leurs demandes, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé l'article 1382, devenu 1240 du code civil ;

4°/ qu'en affirmant que le préjudice, conséquence de la rupture du contrat de travail, avait été réparé par l'allocation d'indemnités de licenciement et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de sorte que les salariés étaient mal fondés à demander réparation une seconde fois de ces préjudices, sans répondre aux conclusions des exposants qui faisaient valoir qu'ils avaient pris le soin de solliciter, à titre de dommages et intérêts, une somme équivalente aux rémunérations qu'ils auraient dû percevoir depuis leur licenciement, auxquelles s'ajoutait un montant devant couvrir le préjudice lié à la perte des conditions de travail et d'évolution de leur rémunération en raison de leurs ancienneté et compétences (15 000 euros), de laquelle étaient retranchée 24 mois de droits Pôle emploi, outre les dommages et intérêts perçus en suite des arrêts rendus par la chambre sociale de la cour d'appel de Paris, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

10. Il résulte de l'article L. 1234-9 du code du travail que l'indemnité de licenciement, dont les modalités de calcul sont forfaitaires, est la contrepartie du droit de l'employeur de résiliation unilatérale du contrat de travail.

11. Il résulte par ailleurs de l'article L. 1235-3 du même code que l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse répare le préjudice résultant du caractère injustifié de la perte de l'emploi.

12. Ayant constaté que les salariés licenciés pour motif économique avaient bénéficié d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison de l'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi et du manquement de l'employeur à son obligation de reclassement, la cour d'appel, abstraction faite des motifs erronés mais surabondants relatifs à l'indemnité de licenciement, en a justement déduit, sans être tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, que les préjudices allégués par les salariés résultant de la perte de leur emploi et de la perte d'une chance d'un retour à l'emploi optimisé en l'absence de moyens adéquats alloués au plan de sauvegarde de l'emploi avaient déjà été indemnisés.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Le Corre - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Didier et Pinet ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Articles L. 1234-9 et L. 1235-3 du code du travail.

Com., 6 janvier 2021, n° 18-24.954, (P)

Cassation partielle

Responsabilité – Faute – Violation de l'obligation d'éclairer – Applications diverses – Manquement d'un banquier souscripteur d'un contrat d'assurance de groupe, à l'égard de son client emprunteur, adhérent à ce contrat – Prescription quinquennale – Délai – Point de départ – Détermination

Il résulte des articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce que les actions personnelles ou mobilières entre commerçants et non commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Lorsqu'un emprunteur, ayant adhéré au contrat d'assurance de groupe souscrit par la banque prêteuse à l'effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l'exécution de tout ou partie de ses engagements, reproche à cette banque d'avoir manqué à son obligation de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur et d'être responsable de l'absence de prise en charge, par l'assureur, du remboursement du prêt au motif que le risque invoqué n'était pas couvert, le dommage qu'il invoque consiste en la perte de la chance de bénéficier d'une telle prise en charge.

Ce dommage se réalisant au moment du refus de garantie opposé par l'assureur, cette date constitue le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité exercée par l'emprunteur.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 26 septembre 2018) et les productions, le 13 mars 2009, la société BNP Paribas (la banque) a consenti à M. L... un prêt immobilier garanti par le cautionnement de la société Crédit logement (la caution). M. L... a adhéré au contrat d'assurance de groupe souscrit par la banque. Ayant été placé en arrêt maladie en 2012, M. L... a demandé la prise en charge, par l'assurance, du remboursement des mensualités du prêt, laquelle lui a été refusée au motif qu'il avait atteint l'âge au-delà duquel le risque de maladie n'était plus garanti.

2. Des échéances étant demeurées impayées, la banque a prononcé la déchéance du terme du prêt et la caution lui a payé les sommes restant dues.

La caution a ensuite assigné en paiement M. L..., qui, reconventionnellement, lui a opposé un manquement de la banque à son devoir de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. M. L... fait grief à l'arrêt de déclarer prescrite son action en responsabilité, alors « que l'assuré prend connaissance du dommage né d'un manquement à un devoir de conseil sur l'adéquation de la garantie souscrite à ses besoins au moment du refus de garantie, qui constitue donc le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité contre le débiteur de l'obligation de conseil ; qu'en retenant au contraire que le délai de prescription de l'action en responsabilité contre la banque souscripteur de l'assurance groupe pour manquement à son obligation de conseil sur l'adéquation des risques couverts à la situation personnelle de M. L... aurait commencé à courir à compter de la délivrance de la notice d'information, la cour d'appel a violé l'article L. 110-4 du code de commerce et l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce :

4. Il résulte de ces textes que les actions personnelles ou mobilières entre commerçants et non commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

5. Lorsqu'un emprunteur, ayant adhéré au contrat d'assurance de groupe souscrit par la banque prêteuse à l'effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l'exécution de tout ou partie de ses engagements, reproche à cette banque d'avoir manqué à son obligation de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur et d'être responsable de l'absence de prise en charge, par l'assureur, du remboursement du prêt au motif que le risque invoqué n'était pas couvert, le dommage qu'il invoque consiste en la perte de la chance de bénéficier d'une telle prise en charge.

6. Ce dommage se réalisant au moment du refus de garantie opposé par l'assureur, cette date constitue le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité exercée par l'emprunteur.

7. Pour déclarer prescrite l'action en responsabilité de M. L..., l'arrêt retient que le dommage résultant du manquement de la banque à son obligation de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle, consistant en une perte de chance de ne pas contracter, s'est manifesté dès l'obtention du crédit par l'emprunteur, qui avait été informé des conditions générales de l'assurance par la remise de la notice d'information, et non à l'occasion du refus de prise en charge des mensualités du prêt par l'assureur.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, réformant le jugement, il déclare prescrite l'action en responsabilité engagée par M. L... et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 26 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : M. Blanc - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article 2224 du code civil ; article L. 110-4 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur la violation de l'obligation d'éclairer du banquier en matière d'assurance de groupe, à rapprocher : Ass. plén., 2 mars 2007, pourvoi n° 06-15.267, Bull. 2007, Ass. plén., n° 4 (cassation).

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