Numéro 1 - Janvier 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2021

AVOCAT

1re Civ., 6 janvier 2021, n° 19-18.273, (P)

Rejet

Barreau – Inscription au tableau – Conditions particulières – Article 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 – Personnes assimilées aux fonctionnaires de catégorie A – Définition

N'est pas assimilée à un fonctionnaire de catégorie A, la personne qui n'est pas soumise à un statut de droit public et relève du groupe des agents de droit privé régis par les conventions collectives applicables au personnel des organismes de sécurité sociale, visé à l'article L. 224-7 du code de la santé publique.

Faits et procédure

1.Selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 mars 2019), M. J... a sollicité son inscription au tableau de l'ordre des avocats au barreau de Paris, sous le bénéfice des dispenses de formation et de diplôme prévues à l'article 98, 3°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 pour les juristes d'entreprise justifiant de huit années au moins de pratique professionnelle, et à l'article 98, 4°, du même texte pour les fonctionnaires de catégorie A ou les personnes assimilées ayant, en cette qualité, exercé des activités juridiques pendant la même durée.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

2. M. J... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'inscription au barreau sous le bénéfice de l'article 98, 3°, du décret du 27 novembre 1991, alors :

« 1° / qu'il ne peut être exigé du juriste d'entreprise qu'il diversifie ses attributions dans plusieurs branches du droit pour connaître, parmi les problèmes juridiques posés par l'activité de l'entreprise, ceux étant en lien direct avec la spécialité et l'objet social de celle-ci ; que le contentieux du travail comptant au nombre des problèmes juridiques posés, en interne, par l'activité de toute entreprise, celui qui, spécialisé en droit du travail, en est en charge, constitue un juriste d'entreprise au sens de l'article 98, 3°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 même s'il n'est pas appelé à connaître d'autres problèmes juridiques ; qu'en refusant à M. J... la qualité de juriste d'entreprise au prétexte que les services au sein desquels il officiait au sein de la CNAMTS puis de l'ACOSS traitaient des seuls contentieux du travail et non de l'ensemble des problèmes juridiques posés par l'activité de ces organismes (service médical chargé de gérer le risque santé pour la CNAMTS ; gestion commune de la trésorerie des différentes branches de la sécurité sociale pour l'ACOSS), la cour d'appel a violé en y ajoutant l'article 98, 3°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ;

2°) que M. J... faisait valoir qu'il ne pouvait, par hypothèse, connaître du contentieux lié à l'activité même du service médical de la CNAMTS, le contrôle et le contentieux à caractère médical ne relevant pas du domaine juridique et cette fonction étant exercée au niveau des échelons locaux de la direction régionale, par des médecins, non des juristes ; qu'il rappelait ainsi que la mission de lutte contre les abus et les fraudes incombe au seul contrôle médical (article L. 315-1 du code de la sécurité sociale), et ce au niveau départemental auprès des caisses primaires (article L. 315-4), celles-ci subissant le préjudice financier découlant des abus et de la fraude ; qu'en se bornant à relever que M. J... n'avait pas eu à connaître des problèmes juridiques en lien direct avec l'objet de l'entreprise, c'est-à-dire le contrôle médical dévolu aux seuls médecins, sans répondre à ce moyen déterminant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°) que les juges du fond ne peuvent procéder par voie d'affirmation sans indiquer l'origine de leurs constatations ; qu'en affirmant, sans indiquer les éléments le lui permettant, que M. J... consacrait une partie seulement de sa pratique professionnelle à l'application du droit social et du droit du travail aux salariés des entreprises qui l'employaient, et qu'il participait également à la gestion du personnel, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

4°) que, tenus de motiver leur décision, les juges ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en l'espèce, afin de prouver que son activité au sein de la CNAMTS avait été menée dans le cadre d'un service spécialisé dans le domaine juridique, M. J... produisait l'organigramme de la direction des ressources humaines duquel il ressortait que le pôle « relations sociales » auquel il était affecté n'était pas en charge de la gestion des ressources humaines, celle-ci étant assurée par d'autres pôles de cette même direction (pôle emplois et carrière ; pôle formation professionnelle ; pôle ressources et rémunération) ; qu'il produisant également, s'agissant de son activité au sein de l'ACOSS, un organigramme établissant que le service auquel il appartenait était exclusivement consacré aux questions juridiques et était distinct des autres services en charge de la gestion du personnel ; qu'en affirmant que M. J... consacrait une partie de son activité à la gestion du personnel sans se prononcer sur ces pièces déterminantes, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

3. Ayant relevé que, pour les deux premières périodes, M. J... avait travaillé à la direction des relations sociales du Crédit du nord où il s'occupait de la gestion sociale, puis à la direction des ressources humaines de la Confédération nationale du Crédit mutuel où il exerçait des activités de conseil, de veille et d'organisation des élections, et que, pour les deux périodes postérieures, il avait participé à la gestion du personnel et traité des contentieux individuels et collectifs du travail, au sein d'un pôle « relations sociales » de la direction des ressources humaines de la CNAMTS, et au sein de la sous-direction des ressources humaines de la direction de la gestion du réseau de l'ACOSS, pour en déduire souverainement que M. J... n'avait pas exercé au sein d'un service spécialisé chargé dans l'entreprise des problèmes juridiques posés par l'activité de celle-ci, c'est à bon droit que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à un moyen inopérant ni d'analyser chacun des éléments de preuve invoqués, a rejeté la demande d'inscription au tableau formée par M. J..., au bénéfice de l'article 98, 3°, du décret du 27 novembre 1991.

4. Le moyen, inopérant en sa troisième branche en l'état des constatations de la cour d'appel sur l'absence d'exercice par M. J... de l'activité prévue par ce texte, n'est pas fondé pour le surplus.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

5. M. J... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'inscription au barreau sous le bénéfice de l'article 98, 4° du décret du 27 novembre 1991, alors :

« 1° / que, tenu de motiver sa décision et de trancher le litige de manière impartiale, le juge ne peut se borner à reproduire servilement les écritures de la partie à laquelle il entend donner raison ; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est bornée à reproduire servilement les écritures du Parquet en n'apportant à ce texte ainsi reproduit que quelques aménagements de pure forme, essentiellement dans le cadre des transitions ; qu'en statuant ainsi, par une apparence de motivation pouvant faire peser un doute légitime sur l'impartialité de la juridiction et en ne répondant pas, de ce fait, aux conclusions de M. J..., lequel produisait des moyens pertinents sur la notion de personnes assimilées aux fonctionnaires de catégorie A, la cour d'appel a violé les articles 455 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que l'assimilation à un fonctionnaire de catégorie A au sens de l'article 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 n'est pas réservée au salarié relevant d'un statut de droit public ; qu'ainsi, le fait pour un agent de la caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) ou de l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) de relever du droit privé et non du statut de fonctionnaire ou, plus généralement, d'un statut de droit public, n'exclut pas à lui seul son assimilation à un fonctionnaire de catégorie A au sens de ce texte ; qu'en affirmant cependant, que M. J... ne pouvait prétendre à une telle assimilation par cela seul qu'il relevait du statut des agents de droit privé envisagé au 3° de l'article L. 224-7 du code de la sécurité sociale, la cour d'appel a violé l'article 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991. »

Réponse de la Cour

6. Dès lors que la cour d'appel a motivé sa décision, il importe peu que ses motifs soient, sur certains points, la reproduction littérale des conclusions du ministère public.

7. Ayant énoncé que, selon l'article L. 224-7 du code de la santé publique, le personnel des caisses nationales de l'assurance maladie, des allocations familiales, d'assurance vieillesse et de l'agence centrale des organismes de sécurité sociale comprend des agents régis par le statut général de la fonction publique, des agents soumis à un statut de droit public fixé par décret, et des agents de droit privé régis par les conventions collectives applicables au personnel des organismes de sécurité sociale, et constaté que, selon les bulletins de salaire et le contrat de travail de M. J..., celui-ci était soumis à la convention collective du 8 février 1957, de sorte qu'il n'était pas soumis à un statut de droit public et relevait du groupe des agents de droit privé, la cour d'appel en a justement déduit qu'il ne pouvait être considéré comme assimilé à un fonctionnaire de catégorie A.

8. Le moyen n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Gall - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article 98, 3°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 29 octobre 2002, pourvoi n° 00-13.289, Bull. 2002, I, n° 245 (rejet).

2e Civ., 14 janvier 2021, n° 18-22.984, (P)

Cassation partielle

Conseil national des barreaux – Intervention principale – Intérêt à agir

Désistement partiel

1. Il est donné acte au Conseil national des barreaux du désistement partiel de son pourvoi, en ce qu'il est dirigé contre le Syndicat des conseils opérationnels en optimisation, la société Professionnal cost management group limited et la société Inventage Sp. Z O.O.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 juillet 2018), la société Groupe Randstad France (la société Randstad) a conclu, le 17 avril 2009, un contrat avec la société Eiffel conseil (la société Eiffel) ayant pour objet de permettre à la société Randstad de réaliser des économies sur les charges liées à la rémunération du travail.

3. Le 5 février 2010, la société Eiffel a assigné la société Randstad devant un tribunal de commerce en paiement d'une somme au titre de ses honoraires d'intervention et en condamnation de celle-ci à lui verser des dommages-intérêts.

La société Randstad a invoqué, reconventionnellement, la nullité de la convention pour exercice illégal, par la société Eiffel, d'une consultation juridique en violation des articles 54 et 60 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.

4. Le Conseil national des barreaux (le CNB) est intervenu à l'instance et a sollicité la nullité de la convention pour les mêmes motifs ainsi que, notamment, l'allocation de la somme d'un euro en réparation de son préjudice moral sur le fondement de l'article 1382 devenu l'article 1240 du code civil.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le CNB reproche à l'arrêt de le déclarer irrecevable en son action, alors :

« 1°/ que le sort de l'intervention n'est pas lié à celui de l'action principale lorsque l'intervenant principal se prévaut d'un droit propre, distinct de celui invoqué par le demandeur principal ; que la cour d'appel a elle-même constaté que le CNB la « prie de condamner la société Eiffel conseil à [lui] verser la somme d'un euro symbolique en réparation de son préjudice moral sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil » ; que, pour déclarer irrecevable l'action du CNB, la cour d'appel a énoncé que son intervention ne peut être qualifiée que d'accessoire à la demande en nullité de la convention litigieuse formée par la société Randstad et qu'en raison de l'extinction de la demande originelle du fait du désistement de la société Randstad de sa demande de nullité, la demande accessoire a disparu ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que le CNB élevait une prétention indemnitaire à son profit, et qu'ainsi son intervention était principale, de sorte que son sort n'était pas lié à celui de l'action principale, la cour d'appel a violé l'article 329 du code de procédure civile ;

2°/ que le sort de l'intervention n'est pas lié à celui de l'action principale lorsque l'intervenant principal se prévaut d'un droit propre, distinct de celui invoqué par le demandeur principal ; que, dans ses écritures d'appel, le CNB a fait valoir qu'il élevait une prétention propre et que l'effet relatif des contrats n'interdit pas aux tiers d'invoquer la situation de fait créée par les conventions auxquelles ils n'ont pas été parties, dès lors que cette situation de fait leur cause un préjudice de nature à fonder une action en responsabilité ; qu'il en déduisait qu'il était tiers intéressé par la situation de fait créée par la convention passée entre les sociétés Eiffel conseil et Randstad, étant rappelé que, suivant l'article 21-1 de la loi 1971-1130 du 31 décembre 1971 modifiée, il est un « établissement d'utilité publique doté de la personnalité morale » et est « chargé de représenter la profession d'avocat notamment auprès des pouvoirs publics ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans se prononcer sur ces éléments de nature à établir que le CNB élevait une prétention qui lui était propre et qu'ainsi son intervention volontaire principale était recevable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 329 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. La société Eiffel conteste la recevabilité du moyen, en soutenant qu'il est nouveau et mélangé de fait et de droit.

7. Cependant, le CNB ayant énoncé dans ses conclusions d'appel que son intervention était recevable, nonobstant le désistement de la société Randstad et qu'il élevait une prétention propre, le moyen, qui était dans le débat, n'est pas nouveau.

8. Il est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 329 du code de procédure civile :

9. Aux termes de ce texte, l'intervention est principale lorsqu'elle élève une prétention au profit de celui qui la forme. Elle n'est recevable que si son auteur a le droit d'agir relativement à cette prétention.

10. Pour déclarer le CNB irrecevable en son action, l'arrêt retient que l'intervention de celui-ci ne peut qu'être accessoire à la demande en nullité de la convention formée par la société Randstad et que le désistement, qui a emporté extinction de la demande originelle au soutien de laquelle est intervenu le CNB, a fait disparaître la demande accessoire de ce dernier.

11. En statuant ainsi, alors que le CNB, personne morale investie de la défense des intérêts collectifs de la profession d'avocat, avait formé une demande de dommages-intérêts de sorte qu'il émettait une prétention à son profit, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

12. La société Eiffel demande, à titre subsidiaire, qu'en cas de cassation celle-ci soit limitée à l'irrecevabilité de la demande de dommages-intérêts formée par le CNB, l'intervention demeurant irrecevable en ce qui concerne la demande de nullité de la convention.

13. Cependant, l'intervention principale du CNB le rendant demandeur à une instance distincte de celle engagée par la société Randstad, la décision doit être cassée en ce qu'elle a déclaré le CNB irrecevable en toutes ses demandes.

14. Elle doit également l'être, par application de l'article 624 du code de procédure civile, en ce qu'elle a condamné le CNB, solidairement aux dépens et à payer à la société Eiffel la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré le Conseil national des barreaux irrecevable en son action et l'a condamné aux dépens et à payer à la société Eiffel la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 18 juillet 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Durin-Karsenty - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : Me Le Prado ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 80 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 21 février 1990, pourvoi n° 88-13.188, Bull. 1990, III, n° 61 (cassation), et l'arrêt cité ; 1re Civ., 5 octobre 1999, pourvoi n° 97-17.559, Bull. 1999, I, n° 260 (cassation), et les arrêts cités ; Com., 29 octobre 2002, pourvoi n° 97-22.542, Bull. 2002, IV, n° 154 (cassation partielle), et les arrêts cités ; 2e Civ., 27 mai 2004, pourvoi n° 02-15.700, Bull. 2004, II, n° 239 (rejet), et les arrêts cités ; 2e Civ., 17 novembre 2005, pourvoi n° 04-13.008, Bull. 2005, II, n° 294 (cassation sans renvoi), et l'arrêt cité ; 3e Civ., 1 juillet 2009, pourvoi n° 07-21.954, Bull. 2009, III, n° 166 (cassation partielle), et l'arrêt cité ; 1re Civ., 17 février 2016, pourvoi n° 14-26.342, Bull. 2016, I, n° 36 (rejet), et les arrêts cités.

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