Numéro 1 - Janvier 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2020

UNION EUROPEENNE

Com., 29 janvier 2020, n° 18-10.967, n° 18-11.001, (P)

Cassation partielle

Concurrence – Entente et position dominante – Entente – Conditions – Restriction de concurrence par objet – Principe d'interprétation restrictive – Méconnaissance – Applications diverses

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° T 18-10.967 et n° E 18-11.001 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 décembre 2017), rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, 14 avril 2015, pourvoi n° 12-15.971), et les productions, le Conseil de la concurrence, devenu l'Autorité de la concurrence (l'Autorité), s'est, le 29 avril 2003, saisi d'office de la situation de la concurrence concernant les tarifs et les conditions liées appliqués par les banques et les établissements financiers pour le traitement des chèques remis par les entreprises aux fins d'encaissement.

3. Le 14 mars 2008 ont été notifiés, à, notamment, la Confédération du Crédit mutuel, la Caisse nationale des Caisses d'épargne, devenue BPCE, et aux sociétés Crédit agricole, BNP-Paribas, Société générale, Banque fédérale des banques populaires, également devenue BPCE,

La Banque postale, LCL (Le Crédit lyonnais), HSBC, Crédit industriel et commercial-CC, Crédit du Nord (les banques), au visa des articles L. 420-1 du code de commerce, 81 du traité CE, devenu 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), des griefs pour s'être entendues, à l'occasion de la mise en place d'un système dématérialisé de compensation des chèques, dit « échange image chèque » (EIC), sur l'instauration de diverses commissions interbancaires, soit une commission fixe de 4,3 centimes d'euro par chèque, dite commission d'échange image chèque (CIEC), versée par la banque remettante à la banque tirée à l'occasion de chaque paiement par chèque et destinée à compenser la perte de trésorerie subie par la banque tirée du fait de la réduction du temps de traitement des chèques, pour une période de trois ans, et huit commissions occasionnelles dites commissions pour services connexes (CSC), parmi lesquelles les commissions d'annulation d'opérations compensées à tort (AOCT), également uniformes, liées à certains services rendus par les banques pour l'exécution des paiements par chèques dans le nouveau système.

4. Par une décision n° 10-28 du 20 septembre 2010, l'Autorité a dit que les banques avaient, en instaurant entre elles la CIEC et les commissions AOCT, enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du code de commerce et celles de l'article 81 du traité CE, devenu l'article 101 § 1 du TFUE, leur a infligé des sanctions pécuniaires et a prononcé des injonctions.

5. Les banques ont formé un recours contre cette décision.

Examen des moyens

Sur les premiers moyens des pourvois n° T 18-10.967 et n° E 18-11. 001, pris en leurs quatrième et septième branches, rédigés en termes identiques, réunis

Enoncé du moyen

6.Les banques font grief à l'arrêt de ne réformer que très partiellement la décision en réduisant les sanctions et de rejeter leur recours pour le surplus alors :

« 1°/ que la notion de restriction de la concurrence « par objet » devant être interprétée de manière stricte et son application ainsi réservée aux types de coordination entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence pour rendre l'examen de leurs effets superflu, le juge ne saurait tenir pour équivalente à un cartel ayant pour objet la fixation horizontale de prix de vente la pratique consistant, de la part des opérateurs d'un marché, à fixer de concert un simple élément, parmi d'autres, du coût de revient des services qu'ils commercialisent, en se fondant sur un postulat aussi abstrait et incertain que celui qui consiste à présumer que tout commerçant rationnel viendra mécaniquement répercuter tout surcoût qu'il pourrait subir dans les prix de ses services, soit directement, soit indirectement par la voie de subventions croisées ; qu'en retenant néanmoins qu'« une commission versée par la banque du remettant à la banque du tiré est nécessairement de façon directe ou indirecte répercutée sur les prix » et conduit donc « nécessairement à une augmentation des prix finaux », la cour d'appel a méconnu le principe d'interprétation stricte des restrictions de concurrence par objet, violant de plus fort les textes susvisés.

2°/ que ne doivent être considérés comme restrictifs de concurrence par objet que les comportements dont le caractère nocif est, au vu de l'expérience acquise et de la science économique, avéré et facilement décelable ; qu'en se bornant à affirmer, sans citer la moindre source propre à étayer une telle assertion, « qu'une pratique consistant, pour tous les opérateurs d'un secteur, à fixer en commun un élément artificiel de coût, au surplus sans réelle étude des éléments visant à l'évaluation de ce coût » est foncièrement nocive pour le jeu de la concurrence, puis à relever qu'« il ne ressort pas de la jurisprudence de l'Union qu'une commission interbancaire telle que celle de l'espèce aurait été jugée comme non constitutive d'une pratique anticoncurrentielle par objet, au motif qu'elle n'était pas assortie d'un accord de répercussion sur la clientèle » (§. 221), quand il lui appartenait de caractériser de manière positive l'existence d'une pratique décisionnelle ou jurisprudentielle des autorités et juridictions de l'Union qui aurait permis de justifier de ce qu'une commission interbancaire telle que la CEIC présentait le degré de nocivité suffisant pour la concurrence pour rendre l'examen de ses effets superflu, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce ; »

Réponse de la Cour

Vu les articles 101 § 1 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce :

7. La CJUE a rappelé que, s'agissant de la notion de restriction par objet, elle « a jugé que celle ci doit être interprétée de manière restrictive et ne peut être appliquée qu'à certains types de coordination entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence pour qu'il puisse être considéré que l'examen de leurs effets n'est pas nécessaire. Cette jurisprudence tient à la circonstance que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence » (CJUE, 26 novembre 2015, Sia Maxima Latvija, C-345/14 point 18).

8. Pour décider que la CIEC et les commissions AOCT avaient un objet anticoncurrentiel, réduire les sanctions prononcées contre certaines banques et rejeter les recours pour le surplus, l'arrêt retient que, s'agissant de la CIEC, l'accord prévoyant son instauration a, pour maintenir les équilibres financiers entre les banques, introduit un élément artificiel de coût pour les banques remettantes et de recette pour les banques tirées, ce caractère artificiel résultant de ce que la CIEC ne correspondait à aucun service rendu entre elles.

En ce qui concerne les commissions AOCT, il constate que leur montant a été fixé d'un commun accord à un niveau unique, identique d'une banque à l'autre, sans tenir compte des coûts propres de chacune d'entre elles, de sorte que la création de ces commissions a substitué à des profils de coûts diversifiés une charge financière uniforme, commune à toutes les banques pour ces services connexes.

9. Il relève que, pour la rémunération des services qu'elles proposent, les banques recherchent la rentabilité globale au niveau de chaque client et non service par service, qu'ainsi, dans le cadre de cette relation globale, tous les flux de paiement (cartes bancaires, chèques, espèces etc.), les crédits, les placements ou encore la gestion du compte peuvent être pris en compte par la banque afin de déterminer le prix des services bancaires qui seront facturés à un client donné, aboutissant ainsi à ce que, par un système dit de subventions croisées, un service puisse être proposé à un prix impliquant une perte si un autre poste permet de couvrir cette perte.

10. Il retient en conséquence que, par l'accord litigieux, les banques ont fait obstacle à leur liberté de détermination de leurs tarifs, et indirectement des prix, puisque ces commissions devaient nécessairement, compte tenu du système de financement des services bancaires par subventions croisées et du fait que les banques doivent, comme toute entreprise, couvrir leurs coûts, être répercutées sur les prix. Rappelant ensuite que les comportements consistant, pour les opérateurs d'un marché, à se concerter et à fixer ensemble un élément de leurs coûts, en ce qu'ils font obstacle à la libre fixation des prix qui doivent prévaloir sur les marchés, entrent dans la catégorie des accords ayant pour objet la fixation des prix et sont particulièrement nocifs pour le jeu de la concurrence, il en déduit que sont ainsi caractérisées des pratiques anticoncurrentielles par objet.

11. En statuant ainsi, en se fondant sur la présomption, contestée, d'une répercussion nécessaire des commissions litigieuses sur les prix finaux, prise du financement du service de chèque par subventions croisées et d'un principe général de répercussion par tout opérateur économique de tout élément de coût sur les prix finaux, la cour d'appel qui, en l'absence d'expérience acquise pour ce type de commissions interbancaires, a méconnu le principe d'interprétation restrictive de la notion de restriction de concurrence par objet, a violé les textes susvisés.

Et sur ces moyens, pris en leur onzième branche, rédigés en termes identiques, réunis

Enoncé du moyen

12. Les banques font le même grief à l'arrêt alors « que la cour d'appel a constaté que l'accélération des échanges résultant de la dématérialisation des opérations de compensation des chèques avait pour effet mécanique d'entraîner une modification des équilibres de trésorerie entre banques majoritairement tirées et banques majoritairement remettantes, les premières étant débitées plus rapidement et perdant donc plus tôt la disposition des fonds qu'elles plaçaient jusqu'alors à leur profit, et les secondes étant au contraire créditées plus rapidement et pouvant donc placer plus vite ces mêmes fonds à leur profit, et que la commission d'échange d'images chèques (CEIC) avait pour objet de compenser ce transfert de revenus d'une banque à une autre afin de partager les conséquences financières de l'accélération de l'échange des chèques permise par la dématérialisation du système ; qu'en affirmant néanmoins que « l'accord litigieux avait dès lors pour finalité de maintenir les équilibres financiers des banques, et donc aussi les équilibres entre elles sur le marché », sans préciser les éléments sur lesquels elle fondait cette déduction selon laquelle la finalité de l'accord aurait été de figer les parts de marché des banques, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce. »

Réponse de la cour

Vu les articles 101 § 1 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce :

13. Pour décider que la CIEC avait un objet anticoncurrentiel, réduire les sanctions prononcées contre certaines banques et rejeter les recours pour le surplus, l'arrêt constate que l'accélération des échanges résultant de la dématérialisation des opérations de compensation des chèques avait pour effet mécanique d'entraîner une modification des équilibres de trésorerie entre banques majoritairement tirées et banques majoritairement remettantes, les premières étant débitées plus rapidement et perdant donc plus tôt la disposition des fonds qu'elles plaçaient jusqu'alors à leur profit, et les secondes étant au contraire créditées plus rapidement et pouvant donc placer plus vite ces mêmes fonds à leur profit. Il retient que la CIEC ne constitue pas une rémunération mais un transfert de revenus d'une banque à une autre afin de partager les conséquences financières de l'accélération de l'échange des chèques permise par la dématérialisation du système. Il ajoute que la CIEC a introduit pour les banques une charge ayant pour finalité de maintenir les équilibres financiers qui existaient entre elles au moment de l'entrée en vigueur de l'EIC.

14. Il en déduit que les banques ont, par l'instauration de cette commission, fait en sorte que la dématérialisation de l'encaissement, qui entraînait de nombreuses transformations dans leurs méthodes et était porteuse de gains et de pertes, n'emporte aucune modification dans la structure de marché, de sorte que la pratique est particulièrement nocive au regard de son impact sur le jeu de la concurrence et, partant, caractérise une pratique anticoncurrentielle par objet.

15. En se déterminant ainsi, sans préciser les éléments sur lesquels elle se fondait pour affirmer que la recherche du maintien des équilibres financiers entre les banques conduisait à la cristallisation de la structure de marché, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, réformant la décision n° 10-D-28, il prononce les sanctions pécuniaires suivantes :

 - 57 830 000 euros pour le premier grief et de 580 000 euros pour le second grief à l'encontre de la société BNP Paribas,

 - 75 800 000 euros pour le premier grief et de 760 000 euros pour le second grief à l'encontre de la société Crédit agricole,

 - 29 590 000 euros pour le premier grief et de 290 000 euros pour le second grief à l'encontre de la société La Banque postale,

 - 48 260 000 euros pour le premier grief et de 480 000 euros pour le second grief à l'encontre de la société BPCE venant aux droits de la société CE Participations,

et en ce qu'il rejette les recours pour le surplus et toutes autres demandes des parties, l'arrêt rendu, le 21 décembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Poillot-Peruzzetto - Avocat général : Mme Pénichon - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Piwnica et Molinié ; SCP Baraduc, Duhamel et Rameix -

Textes visés :

Article 101, § 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; article L. 420-1 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur l'appréciation restrictive de la notion de restriction de concurrence par objet, cf. : CJUE, arrêt du 26 novembre 2015, Sia Maxima Latvija, C-345/14.

Soc., 22 janvier 2020, n° 17-31.158, (P)

Cassation partielle

Travail – Salarié – Principe de non-discrimination – Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 – Interprétation conforme – Sanction

Attendu, selon l'arrêt attaqué rendu sur renvoi après cassation (Soc., 7 décembre 2016, pourvoi n° 15-21.190), que le 1er décembre 2005, la SNCF, aux droits de laquelle vient l'établissement public industriel et commercial SNCF mobilités, a mis à la retraite d'office M. W... qui, à cette date, remplissait la double condition d'âge et d'ancienneté de service prévue à l'article 7 du règlement des retraites de la SNCF ; que, le 12 juillet 2010, le salarié a saisi la juridiction prud'homale en annulation de sa mise à la retraite d'office, comme constituant une discrimination en raison de l'âge, et en réintégration ;

Sur le premier moyen en ce que celui-ci critique le rejet de la demande du salarié de réintégration et de ses demandes en paiement d'une indemnité arrêtée au 30 septembre 2017 pour perte de revenus, correspondant à la différence entre la rémunération que celui-ci aurait dû percevoir depuis son soixante-cinquième anniversaire s'il était demeuré dans son emploi et la pension de retraite perçue, et d'une indemnité correspondant à cette différence entre le 1er octobre 2017 et la date de réintégration effective :

Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en réintégration au sein de l'établissement après annulation de sa mise à la retraite d'office et de ses demandes en paiement d'une indemnité arrêtée au 30 septembre 2017 pour perte de revenus, correspondant à la différence entre la rémunération qu'il aurait dû percevoir depuis son soixante-cinquième anniversaire s'il était demeuré dans son emploi et la pension de retraite perçue, ainsi que d'une indemnité correspondant à cette différence entre le 1er octobre 2017 et la date de réintégration effective, alors, selon le moyen :

1°/ que conformément à l'article 17 de la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, l'article L. 122-45 ancien puis l'article L. 1132-4 du code du travail ont édicté, à droit constant, qu'est nul toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance du principe de non-discrimination ; qu' après avoir jugé discriminatoire la décision de mise d'office à la retraite de M. W..., la cour d'appel devait en déduire que cette mesure était nulle et, dès lors, accueillir sa demande en réintégration avec effet rétroactif au 1er décembre 2005 ; qu'en décidant, au contraire, que M. W... n'avait droit qu'à réparation du préjudice subi, la cour d'appel a violé les textes susvisés, ensemble l'article 6, § 1, de la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, les articles L. 1133-1, L. 1237-5 et L. 3111-1 du code du travail ;

2°/ que l'article 3 de la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, relatif au champ d'application, a étendu son champ d'application à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics ; qu' après avoir jugé discriminatoire la décision de mise d'office à la retraite de M. W..., la cour d'appel devait en déduire que cette mesure était nulle et, dès lors, accueillir sa demande en réintégration au sein de la Sncf avec effet rétroactif au 1er décembre 2005 ; qu'en décidant, au contraire, que cette directive ne s'appliquait pas à M. W..., salarié de la Sncf établissement public industriel et commercial, à la date de sa mise en retraite d'office, la cour d'appel a violé le texte susvisé, ensemble l' article 6, § 1, de la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, les articles L. 1133-1, L. 1237-5 et L. 3111-1 du code du travail ;

Mais attendu, d'abord, qu'il résulte de l'article L. 122-45 du code du travail, devenu L. 1132-1 et L. 1132-4 du même code, qu'aucun salarié ne peut être licencié en raison de son âge et que toute disposition ou acte contraire à l'égard d'un salarié est nul ; que le salarié dont la rupture du contrat de travail est discriminatoire en raison de l'âge et qui demande sa réintégration a droit à une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait perçue, après déduction des revenus de remplacement, depuis la date de son éviction jusqu'à celle de sa réintégration ; que, toutefois, le salarié qui présente de façon abusive sa demande de réintégration tardivement, n'a droit, au titre de cette nullité, qu'à la rémunération qu'il aurait perçue du jour de sa demande de réintégration à celui de sa réintégration effective ;

Attendu, ensuite, que, aux termes de l'article 1er du décret n° 2010-105 du 28 janvier 2010 relatif à la limite d'âge des agents de la Société nationale des chemins de fer français et de la Régie autonome des transports parisiens, en vigueur à la date à laquelle le salarié a formé sa demande de réintégration, la limite d'âge à laquelle les agents du cadre permanent de la SNCF sont admis à la retraite est fixée à soixante-cinq ans ;

Attendu que l'arrêt fait ressortir que, le 7 novembre 2017, date où celui-ci est rendu, le salarié, né le [...], était âgé de soixante-sept ans et retient que la mise à la retraite de ce dernier est discriminatoire en raison de l'âge ;

Qu'il en résulte que, le salarié ayant atteint la limite d'âge de soixante-cinq ans, sa demande en réintégration au sein de l'établissement après annulation de sa mise en retraite d'office ainsi que ses demandes en paiement d'une indemnité arrêtée au 30 septembre 2017 pour perte de revenus correspondant à la différence entre la rémunération qu'il aurait dû percevoir s'il était demeuré dans son emploi et la pension de retraite perçue et d'une indemnité correspondant à cette différence entre le 1er octobre 2017 et la date de réintégration effective n'étaient pas fondées ;

Que, par ces motifs, substitués à ceux critiqués après avis donné aux parties, la décision se trouve légalement justifiée ;

Sur le premier moyen en ce que celui-ci critique le rejet de la demande d'indemnisation du préjudice moral et de la demande indemnitaire, correspondant à la différence entre la rémunération que le salarié aurait dû percevoir antérieurement à son soixante-cinquième anniversaire s'il était demeuré dans son emploi et la pension de retraite perçue, et sur le second moyen :

Vu l'article L. 122-45 du code du travail, devenu L. 1132-1 et L. 1132-4 du même code, l'article 1er du décret n° 2010-105, alors applicable, interprétés conformément à l'article 6, § 1, de la directive n° 2000/78/CE, du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail ;

Attendu qu'il résulte de ces textes qu'aucun salarié ne peut être licencié en raison de son âge et que toute disposition ou acte contraire à l'égard d'un salarié est nul ; que le salarié dont la rupture du contrat de travail est discriminatoire en raison de l'âge et qui demande sa réintégration a droit, lorsque il a atteint l'âge limite visé à l'article 1er du décret n° 2010-105, alors applicable, à une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait perçue, après déduction des revenus de remplacement, depuis la date de son éviction jusqu'à cet âge ; que, toutefois, le salarié qui présente de façon abusive sa demande de réintégration tardivement, n'a droit, au titre de cette nullité, qu'à la rémunération qu'il aurait perçue du jour de la demande de réintégration à celui auquel il a atteint ledit âge ;

Attendu que pour limiter à la somme de 3 000 euros l'indemnité allouée au salarié au titre de sa mise à la retraite d'office discriminatoire en raison de son âge, l'arrêt retient que cette décision apparaît comme une mesure individuelle préjudiciable prise exclusivement en violation du principe général du droit de l'Union de non-discrimination en raison de l'âge, et non du code du travail, dans la mesure où il résulte des articles L. 120-1 et L. 200-1 de ce code en vigueur au jour de la mise à la retraite de l'agent, que les dispositions de l'article L. 122-45, reprenant la directive 2000/78 n'étaient pas applicables aux établissements industriels et commerciaux publics jusqu'à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 applicable à compter du 1er mars 2008, qu'aucune norme n'est utilement invoquée obligeant de prononcer la nullité d'un acte pris en violation d'un principe général du droit communautaire ou d'une norme ou jurisprudence européenne muette sur sa sanction, que M. W... a droit de prétendre à l'indemnisation intégrale du préjudice causé par cette situation, qu'en l'état de l'ensemble des éléments dont il justifie, son préjudice peut être évalué à ladite somme ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu le caractère discriminatoire en raison de l'âge de la mise à la retraite d'office du salarié, la cour d'appel, qui devait appliquer l'article L. 122-45 du code du travail conformément à l'article 6, § 1, de la directive n° 2000/78/CE, du 27 novembre 2000, qui consacre un principe général du droit de l'Union européenne, a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite à la somme de 3 000 euros le montant de l'indemnisation de la mise à la retraite discriminatoire de M. W..., l'arrêt rendu le 7 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Le Masne de Chermont - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Ghestin ; SCP Colin-Stoclet -

Textes visés :

Article L. 122-45 du code du travail, devenu articles L. 1132-1 et L. 1132-4 du même code ; article 1er du décret n° 2010-105 du 28 janvier 2010 relatif à la limite d'âge des agents de la Société nationale des chemins de fer français et de la Régie autonome des transports parisiens ; article 6, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'indemnisation du préjudice du salarié en cas d'impossibilité de procéder à sa réintégration, à rapprocher : Soc., 25 juin 2003, pourvoi n° 01-44.722, Bull. 2003, V, n° 207 (2) (cassation partielle), et les arrêts cités.

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