Numéro 1 - Janvier 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2020

SEPARATION DES POUVOIRS

2e Civ., 23 janvier 2020, n° 18-21.362, (P)

Cassation partielle

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Contentieux général de la sécurité sociale – Définition – Exclusion – Cas – Litiges relatifs aux sanctions prononcées en application de la convention nationale du 7 août 2002 organisant les rapports entre les trois caisses nationales de l'assurance maladie obligatoire et les prestataires délivrant les dispositifs médicaux,

Les différends relatifs aux sanctions prononcées en application de la convention nationale du 7 août 2002 organisant les rapports entre les trois caisses nationales de l'assurance maladie obligatoire et les prestataires délivrant des dispositifs médicaux, produits et prestations associées inscrits aux titres I et IV de la liste prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale, qui se rattachent à l'exercice de prérogatives de puissance publique, et dont le contentieux échappe par nature au contentieux général de la sécurité sociale au sens de l'article L. 142-1 du code de la sécurité sociale, relèvent de la juridiction de l'ordre administratif.

Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que l'EURL RB Medical services (la société) a conclu le 30 octobre 2006 avec le [...] (l'établissement de santé) une convention de mise à disposition de matériel d'appareillage, par laquelle elle s'engageait à mettre gratuitement à la disposition permanente de l'établissement des matériels d'appareillage pour les patients ambulants et titulaires soit d'une carte Vitale, soit d'une attestation de sécurité sociale, qui désiraient être appareillés au sein du service d'urgence ; que la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin (la caisse) a notifié à la société, le 9 mars 2009, un indu correspondant aux facturations établies en exécution de cette convention ; que cette dernière a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale ;

Sur le moyen relevé d'office, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile :

Vu les articles L. 142-1 du code de la sécurité sociale, et 76, alinéa 2, du code de procédure civile, le premier dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, applicable au litige ;

Attendu que les différends relatifs aux sanctions prononcées en application de la convention nationale du 7 août 2002 organisant les rapports entre les trois caisses nationales de l'assurance maladie obligatoire et les prestataires délivrant des dispositifs médicaux, produits et prestations associées inscrits aux titres I et IV de la liste prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale, qui se rattachent à l'exercice de prérogatives de puissance publique, et dont le contentieux échappe par nature au contentieux général de la sécurité sociale au sens du premier des textes susvisés, relèvent de la juridiction de l'ordre administratif ;

D'où il suit qu'en annulant la sanction conventionnelle du 24 juin 2009 notifiée à la société, la cour d'appel a excédé sa compétence ;

Et sur le moyen unique, pris en ses quatre premières branches :

Vu les articles D. 5232-6 du code de la santé publique et 11 de la convention nationale du 7 août 2002 organisant les rapports entre les trois caisses nationales de l'assurance maladie obligatoire et les prestataires délivrant des dispositifs médicaux, produits et prestations associées inscrits aux titres I et IV de la liste prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale, ensemble l'article L. 133-4 du code de la sécurité sociale ;

Attendu, selon les deux premiers de ces textes, que l'activité du prestataire de service et du distributeur de matériel s'exerce dans le respect du libre choix du patient ;

Attendu que pour accueillir le recours, l'arrêt retient que le libre choix du prestataire est respecté par la convention liant l'EURL RB médical services au centre hospitalier de Selestat qui prévoit en son annexe 2 que le matériel mis à disposition est proposé au patient et non imposé, le patient pouvant choisir de ne pas être appareillé, le terme « proposé » étant ensuite repris à plusieurs reprises ; que le chef de service du [...] atteste du libre choix du patient ; que les bons de convenance signés par le patient rappellent que c'est le patient qui choisit ; qu'il n'existe aucune clause d'exclusivité dans la convention signée entre l'EURL RB médical services et le centre hospitalier ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans constater que les patients décidant d'être appareillés sur place disposaient d'une liberté de choix de leur prestataire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Et vu les articles L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile, et après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen unique, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il annule la notification du 8 juin 2009, la mise en demeure du 10 septembre 2009, la sanction conventionnelle du 24 juin 2009 et la décision de la commission de recours amiable du 29 juin 2010 et déboute la caisse de sa demande de répétition de l'indu, l'arrêt rendu le 14 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Dit n'y avoir lieu à renvoi sur la demande d'annulation de la sanction conventionnelle du 24 juin 2009 ;

Dit que les juridictions judiciaires sont incompétentes pour connaître de cette demande ;

Remet, pour le surplus, et dans la limite de la cassation prononcée, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nancy.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Vigneras - Avocat général : Mme Ceccaldi - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Articles L. 142-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, et 76, alinéa 2, du code de procédure civile ; articles D. 5332-6 du code de la santé publique et 11 de la convention nationale du 7 août 2002 organisant les rapports entre les trois caisses nationales de l'assurance maladie obligatoire et les prestataires délivrant des dispositifs médicaux, produits et prestations associées.

Rapprochement(s) :

Tribunal des conflits, 5 septembre 2016, pourvoi n° 16-04.063, Bull. 2016, T. Conflits, n° 21.

1re Civ., 8 janvier 2020, n° 19-10.001, (P)

Cassation partielle

Compétence judiciaire – Exclusion – Cas – Appréciation du caractère décisoire d'un acte administratif unilatéral

Hors les matières réservées par nature à l'autorité judiciaire et sauf dispositions législatives contraires, les tribunaux de l'ordre judiciaire statuant en matière civile ne peuvent porter une appréciation sur la légalité d'un acte administratif, sauf lorsqu'il apparaît, au vu d'une jurisprudence établie, que cette illégalité est manifeste. Dès lors, viole le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, une cour d'appel qui se prononce sur le caractère décisoire d'un acte administratif unilatéral et, en conséquence, sur sa légalité.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 15 novembre 2018), I... K... a, suivant acte notarié des 27 et 29 mars 2002, mis à la disposition de la société Beghin Say, aux droits de laquelle vient la société Tereos France (la société), avec effet rétroactif au 1er janvier 2001 et pour une durée de dix-huit ans, plusieurs parcelles lui appartenant, destinées à être utilisées comme terrain de décantation et d'épandage des eaux de lavage de betteraves.

Par lettre du 16 février 2009, la société a résilié la convention, en raison de la cessation définitive de l'activité de la sucrerie qu'elle exploitait.

2. Reprochant à la société divers manquements contractuels, Mme K..., agissant en qualité d'ayant droit de I... K..., décédé le 26 novembre 2009, l'a assignée aux fins, notamment, de voir ordonner la remise en état, à ses frais, des parcelles litigieuses et juger que la résiliation ne sera parfaite qu'à l'issue de ces opérations, ainsi qu'en paiement, jusqu'à cette date, des indemnités et loyers prévus à la convention.

3. Soutenant que les installations en cause étaient soumises au régime des installations classées pour la protection de l'environnement, la société s'est prévalue d'une lettre du 22 novembre 2010 valant, selon elle, autorisation du préfet de maintenir les bassins en l'état.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa première branche

Énoncé du moyen

4. La société fait grief à l'arrêt de lui ordonner de procéder, à sa charge, à la remise en état des bassins dans les conditions du premier paragraphe de l'article quatrième de la convention des 27 et 29 mars 2002, de dire que la résiliation de cette convention ne sera juridiquement parfaite entre les parties qu'à l'issue de ces opérations de remise en état et de dire que, jusqu'à cette date, elle sera tenue de régler à Mme K... les différentes indemnités et les loyers prévus par ladite convention, alors que « l'appréciation de la légalité et de la force obligatoire d'un acte administratif ressort de la compétence exclusive du juge administratif ; que le juge judiciaire ne peut écarter l'acte administratif qu'en cas d'illégalité manifeste de celui-ci au regard de la jurisprudence constante des juridictions administratives ; qu'en considérant que Le courrier du 22 novembre 2010 argué par la société Tereos de décision du préfet ne peut en aucun cas être considéré comme tel, celui-ci n'émanant pas du préfet mais de la direction des affaires juridiques et de l'administration locale de la préfecture de la Somme, signé Pour le Préfet et par délégation, le directeur », se bornant à donner une suite favorable » à un projet, ne contenant donc aucune obligation, ne mentionnant par ailleurs aucun délai et voie de recours possible et ne faisant référence à aucune autre décision ni un quelconque arrêté préfectoral et n'étant d'ailleurs adressée qu'à la société Tereos », la cour d'appel, qui ne pouvait être juge de la légalité et de la force obligatoire de cet acte administratif a excédé ses pouvoirs et violé le principe de séparation des pouvoirs, ensemble les lois des 16-24 août 1790 et du 16 fructidor an III et l'article 49 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. Mme K... conteste la recevabilité du moyen. Elle fait valoir qu'en application de l'article 74 du code de procédure civile, la société n'est pas recevable à soutenir, pour la première fois devant la Cour de cassation, que le juge judiciaire devait renvoyer à la juridiction administrative l'appréciation de la légalité de la lettre du 22 novembre 2010, faute d'avoir soulevé, devant les juges du fond, une exception tirée de l'existence d'une question préjudicielle.

6. Cependant, la société n'était pas tenue de soulever cette exception en cause d'appel, dès lors qu'elle ne contestait pas la validité de l'acte administratif en cause, dont elle entendait, au contraire, se prévaloir.

Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III :

7. Il résulte du principe et des textes précités que, hors les matières réservées par nature à l'autorité judiciaire et sauf dispositions législatives contraires, les tribunaux de l'ordre judiciaire statuant en matière civile ne peuvent porter une appréciation sur la légalité d'un acte administratif, sauf lorsqu'il apparaît, au vu d'une jurisprudence établie, que cette illégalité est manifeste.

8. Pour ordonner à la société de procéder à la remise en état des parcelles litigieuses, dans les conditions prévues à la convention conclue entre les parties, l'arrêt retient que la lettre du 22 novembre 2010 ne peut être considérée comme une décision du préfet, dès lors qu'elle émane de la direction des affaires juridiques et de l'administration locale de la préfecture de la Somme, qu'elle est signée « pour le préfet et par délégation, le directeur », qu'elle se borne à donner une « suite favorable » à un projet et ne contient donc aucune obligation, qu'elle ne mentionne aucun délai ni voie de recours possible, qu'elle ne fait référence à aucune autre décision ni à un quelconque arrêté préfectoral et, enfin, qu'elle n'est adressée qu'à la société.

9. En se prononçant ainsi sur le caractère décisoire de l'acte administratif unilatéral en cause et, en conséquence, sur sa légalité, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé le principe et les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il ordonne à la société Tereos France de procéder, à sa charge, à la remise en état des bassins dans les conditions du premier paragraphe de l'article quatrième de la convention des 27 et 29 mars 2002, en ce qu'il dit que la résiliation de cette convention ne sera juridiquement parfaite entre les parties qu'à l'issue des opérations de remise en état et en ce qu'il dit que, jusqu'à la remise en état des parcelles, la société Tereos France sera tenue de régler à Mme K... les différentes indemnités et les loyers prévus par ladite convention, l'arrêt rendu le 15 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Canas - Avocat général : M. Sudre - Avocat(s) : Me Rémy-Corlay ; SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois -

Textes visés :

Article 74 du code de procédure civile ; principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires ; loi du 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III.

1re Civ., 8 janvier 2020, n° 18-19.011, (P)

Cassation sans renvoi

Compétence judiciaire – Exclusion – Cas – Contentieux des mesures de police administrative – Action en justice visant à mettre en cause la décision prise par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé dans l'exercice de ses pouvoirs de police sanitaire

Saisi par la Cour de cassation en application de l'article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, dans le cas de requérantes ayant sollicité et obtenu en référé la condamnation d'un laboratoire pharmaceutique à leur fournir sans délai et sous astreinte, par le biais des circuits de distribution et de commercialisation, une spécialité pharmaceutique dans son ancienne formule, ne disposant plus d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) en France, le Tribunal des conflits, a énoncé que, si le juge judiciaire est seul compétent pour connaître d'une action engagée par des personnes privées aux fins d'obtenir qu'une société commercialise une spécialité pharmaceutique dont elle est le fabricant et qui bénéficie d'une AMM en France, en demandant qu'il soit enjoint au laboratoire de commercialiser cette spécialité dans son ancienne formule, ne bénéficiant plus d'une telle AAM, les requérantes devaient être regardées comme mettant en cause la décision prise sur ce point par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé dans l'exercice de ses pouvoirs de police sanitaire et en a déduit que le principe de séparation des pouvoirs s'oppose à ce que le juge judiciaire connaisse d'une telle action et qu'il n'appartenait qu'au juge administratif de connaître du litige. Dès lors, en retenant sa compétence, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III et la juridiction judiciaire doit être déclarée incompétente pour connaître de ce litige.

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III :

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 7 juin 2018), la société Merck santé, fabricant du Levothyrox, délivré sur prescription médicale pour traiter les maladies de la thyroïde et exploité par la société Merck Serono, a, à la demande de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (l'ANSM), modifié la composition de ce médicament, en remplaçant son excipient.

Par décision du 27 septembre 2016, l'ANSM a autorisé la mise sur le marché de la nouvelle formule du Levothyrox (Levothyrox NF) qui a été commercialisée à compter de mars 2017, l'ancienne formule (Levothyrox AF) ne bénéficiant plus d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) sur le territoire national. De nombreux patients traités au moyen du Levothyrox NF ont fait état d'effets indésirables. Pour y remédier, le ministre chargé de la santé a invité la société Merck santé à solliciter l'autorisation d'importer des unités de la spécialité Euthyrox, correspondant au Levothyrox AF, commercialisé en Allemagne.

Le 19 septembre 2017, l'ANSM a délivré à la société Merck santé, à titre exceptionnel et transitoire pour une durée maximale d'un an, une autorisation d'importer un certain nombre d'unités d'Euthyrox, tout en autorisant la distribution et la mise sur le marché en France d'autres spécialités pharmaceutiques à titre d'alternatives thérapeutiques.

2. Par actes des 2 et 7 novembre 2017, Mme D... et plusieurs autres personnes physiques ont assigné en référé les sociétés Merck Serono et Merck santé aux fins d'obtenir leur condamnation, sous astreinte, à reprendre la distribution du Levothyrox AF.

Les sociétés Merck Serono et Merck santé ont opposé une exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative.

3. L'arrêt déclare la juridiction judiciaire compétente pour connaître du litige et condamne la société Merck santé à fournir, sans délai et sous astreinte, le produit dans son ancienne formule, par le biais des circuits de distribution et de commercialisation, à plusieurs requérantes munies d'une prescription d'Euthyrox et se présentant dans une pharmacie désignée.

4.Saisi par la Cour de cassation (1re Civ. 5 juin 2019, pourvoi n° 18-19.011) en application de l'article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le Tribunal des conflits a, par arrêt du 4 novembre 2019 (n° 4165), énoncé qu'en vertu de l'article L. 5121-8 du code de la santé publique, toute spécialité pharmaceutique qui n'a pas fait l'objet d'une AMM délivrée par l'Union européenne, doit faire l'objet, avant sa mise sur la marché, d'une autorisation délivrée par l'ANSM, établissement public administratif de l'Etat placé sous la tutelle du ministre chargé de la santé, qu'en vertu de l'article L. 5124-13 du même code, l'importation de médicaments est également subordonnée à autorisation de l'ANSM, que l'AMM vaut autorisation d'importation, que le fait de commercialiser ou de distribuer des médicaments sans AMM ou autorisation d'importation fait l'objet de sanctions pénales prévues par l'article L. 5421-2 du même code et que l'ANSM, dans le cadre de sa mission de police sanitaire régissant la fabrication, la distribution et la mise sur le marché des spécialités pharmaceutiques, dispose ainsi de la compétence exclusive pour autoriser la mise sur le marché des spécialités pharmaceutiques et en fixer les conditions d'utilisation. Il a affirmé que le juge judiciaire est seul compétent pour connaître d'une action engagée par des personnes privées aux fins d'obtenir qu'une société commercialise une spécialité pharmaceutique dont elle est le fabricant et qui bénéfice d'une AMM en France, mais a retenu qu'en revanche, en demandant qu'il soit enjoint à la société Merck de commercialiser la spécialité Levothyrox AF, qui ne bénéficiait plus d'une AMM en France, les requérants devaient être regardés comme mettant en cause la décision prise sur ce point par l'ANSM dans l'exercice des pouvoirs de police qu'elle tient des dispositions mentionnées ci-dessus et que le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires s'oppose dès lors à ce que le juge judiciaire connaisse d'une telle action. Il en a déduit qu'il n'appartenait qu'au juge administratif de connaître du litige qui oppose Mme D... et autres à la société Merck santé.

5.Conformément à l'article 11 de la loi du 24 mai 1872 relative au Tribunal des conflits, cette décision s'impose à toutes les juridictions judiciaires et administratives.

6. Il s'ensuit qu'en retenant sa compétence pour connaître du litige, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

7. Il y a lieu, en application des dispositions des articles L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile, de déclarer la juridiction judiciaire incompétente pour connaître du litige.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les moyens du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DÉCLARE la juridiction judiciaire incompétente pour connaître du litige ;

RENVOIE les parties à mieux se pourvoir.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Duval-Arnould - Avocat général : Mme Ab-Der-Halden - Avocat(s) : SCP Hémery, Thomas-Raquin et Le Guerer ; SCP Spinosi et Sureau -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III.

Soc., 22 janvier 2020, n° 19-10.041, (P)

Renvoi devant le tribunal des conflits

Conflit de compétence – Renvoi devant le Tribunal des conflits – Conditions – Existence d'une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse – Cas – Litige relatif à la fixation des modalités d'exercice du droit syndical et du droit de la représentation du personnel pour les agents de droit privé employés par la Poste

Il résulte des dispositions de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications modifiées par la loi n° 2010-123 du 9 février 2010 relative à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales que les règles applicables aux agents de droit privé employés par la société La Poste relèvent du code du travail sous réserve des aménagements prévus par les dispositions statutaires, qui exceptent notamment la mise en oeuvre du code du travail s'agissant de l'exercice du droit syndical et du droit de la représentation du personnel. Pour autant, la question se pose de savoir si la fixation des modalités spécifiques à cet exercice relèvent de l'accord collectif de droit commun soumis au contrôle du juge judiciaire au regard du statut juridique actuel de la société, ou de l'acte administratif soumis au contrôle du juge administratif au regard de son application à la fois aux agents de droit public et aux agents de droit privé.

Dès lors, le litige présente à juger une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse. Il y a lieu, en conséquence, de renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur cette question en application de l'article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 novembre 2018), statuant en référé, le syndicat pour la défense des postiers (le syndicat) a revendiqué auprès de la société La Poste (la société) la mise en oeuvre en sa faveur de dispositions résultant de l'accord-cadre du 4 décembre 1998 et de l'instruction du 26 janvier 1999 relative à l'exercice du droit syndical au sein de La Poste.

La société a procédé, par note de service valant décision unilatérale du 5 avril 2017, à l'abrogation de l'accord-cadre de 1998 et de l'instruction de 1999.

2. Le syndicat a contesté la licéité de cette abrogation devant le juge des référés.

La société a soulevé l'incompétence du juge judiciaire au profit de la juridiction administrative.

Examen des moyens

Sur les deux moyens réunis

Enoncé du moyen

3. La société fait grief à l'arrêt de rejeter l'exception d'incompétence au profit des juridictions de l'ordre administratif et de dire que l'accord collectif du 4 décembre 1998 doit être maintenu jusqu'à son abrogation éventuelle par dénonciation conventionnelle en bonne et due forme, alors :

« 1°/ qu'aux termes des articles 29 et 31 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, dans leur rédaction applicable au litige, la conclusion à La Poste d'un accord collectif concernant ses personnels de droit public et de droit privé est soumise aux règles de droit public de la négociation collective et non aux règles du droit du travail ; qu'il s'en suit que la juridiction administrative est seule compétente pour connaître de sa légalité, de son exécution et de son abrogation ; qu'en retenant la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître de la légalité de l'abrogation d'un accord collectif conclu à La Poste le 4 décembre 1998 en application de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 et de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et non pas de l'article L. 2233-1 du code du travail, la cour d'appel a violé l'article 33 du code de procédure civile, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor An III ;

2°/ en outre que l'exercice du droit syndical à La Poste n'est pas soumis aux dispositions du code du travail, mais aux dispositions spécifiques de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 modifiée et, s'agissant des fonctionnaires, de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ; qu'il s'ensuit qu'un accord collectif destiné à régir l'exercice du droit syndical à La Poste, et ayant vocation à s'appliquer indifféremment aux agents de droit public et de droit privé, a la nature d'un acte administratif ; que les litiges élevés sur la conclusion, la mise en oeuvre et l'abrogation d'un tel accord relèvent de la compétence de la juridiction administrative, peu important l'auteur de l'acte abrogatif ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé derechef les textes susvisés ;

3°/ que la loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif ; qu'en se fondant, pour retenir la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître de la légalité de l'abrogation par La Poste d'un accord collectif du 4 décembre 1998, ayant la nature d'un acte administratif, sur la circonstance que « depuis le 1er mars 2010, l'entreprise est devenue une société anonyme », la cour d'appel a violé l'article 2 du code civil ;

4°/ qu'est dépourvue d'objet la requête tendant à obtenir le maintien d'un accord dépourvu de force exécutoire, l'acte abrogeant un tel accord dépourvu, par lui-même, de tout effet juridique ne pouvant créer aucun trouble manifestement illicite ; qu'en l'espèce, l'accord collectif conclu le 4 décembre 1998 sur le droit syndical à La Poste étant en lui-même dépourvu de force obligatoire et n'ayant acquis une telle force que par le seul effet de l'instruction du 26 janvier 1999, son abrogation par la décision du 5 avril 2017 ne pouvait créer aucun trouble manifestement illicite ; que par ailleurs, cette décision n'était pas critiquée en ce qu'elle avait abrogé l'instruction du 26 janvier 1999 ayant repris les stipulations de l'accord du 4 décembre 1998 afin de leur conférer une valeur réglementaire ; qu'en retenant néanmoins à l'appui de sa décision que la « dénonciation de l'accord du 4 décembre 1998 constituait un trouble manifestement illicite », la cour d'appel a violé l'article 809 du code de procédure civile, ensemble l'article 31 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 » ;

5°/ en toute hypothèse que constitue un acte administratif dont l'abrogation est soumise aux règles de forme et de compétences prévues par le droit administratif, un accord collectif du 4 décembre 1998 gouvernant l'exercice du droit syndical à La Poste, conclu à La Poste non en application de l'article L. 2233-1 du code du travail, mais de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et du décret n° 82-447 du 28 mai 1982 réglant le droit syndical dans la fonction publique, et destiné à s'appliquer tant aux agents publics qu'aux personnels de droit privé ; qu'en énonçant, pour considérer que l'abrogation de cet accord par décision unilatérale de La Poste caractérisait un trouble manifestement illicite, que « la dénonciation de l'accord du 4 décembre 1998 est soumise aux dispositions du code du travail des articles L. 2261-9 et suivants qui organisent une procédure spécifique, et notamment la mise en oeuvre d'une nouvelle négociation pour remplacer l'accord dénoncé », que La Poste n'avait pas respectée, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 2261-9 du code du travail, ensemble l'article 809 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles :

4. Lorsque la Cour de cassation est saisie d'un litige qui présente à juger, soit sur l'action introduite, soit sur une exception, une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et mettant en jeu la séparation des ordres de juridiction, elle peut renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur cette question de compétence.

L'instance est suspendue jusqu'à la décision de ce Tribunal.

5. En l'espèce, la question posée par le pourvoi porte sur la compétence du juge judiciaire pour connaître des actes et décisions concernant, au sein de la société La Poste, l'exercice du droit syndical et de la représentation du personnel.

6. Le Tribunal des conflits, dans sa décision Voisin/RATP du 15 décembre 2008 (n° 3362) a jugé que, dans les établissements publics et industriels ou entreprises à statut employant à la fois du personnel de droit public et du personnel de droit privé, toute contestation portant sur la légalité ou l'application et la dénonciation d'une convention collective ou d'un accord d'entreprise conclu en application des articles L. 2233-1 et L. 2233-2 du même code, relève, sauf loi contraire, de la compétence judiciaire, hormis le cas où la contestation concerne des dispositions qui n'ont pas pour objet la détermination des conditions d'emploi, de formation professionnelle et de travail ainsi que des garanties sociales des personnels des entreprises et établissements publics visés par ces textes mais qui régissent l'organisation du service public.

7. La société La Poste est un établissement public à caractère industriel et commercial (Soc., 22 février 1995, pourvoi n° 94-60.011, Bull. n° 69, CE, Ass. plén., 13 novembre 1998 n° 188.824 publié au recueil Lebon) qui emploie à la fois des personnels de droit public et de droit privé. Cependant, au regard de la rédaction de l'article 31 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de La Poste et des télécommunications, qui dispose que « l'emploi des agents soumis au régime des conventions collectives n'a pas pour effet de rendre applicables à La Poste les dispositions du code du travail relatives aux comités d'entreprise, ni celles relatives aux délégués du personnel et aux délégués syndicaux », le Conseil d'Etat, dans une décision du 15 mai 2009, (n° 299.205) a retenu la compétence du juge administratif pour statuer sur la mise en oeuvre d'un accord-cadre signé le 27 janvier 2006 et relatif au droit syndical à La Poste, au motif « qu'il résulte des dispositions de la loi du 2 juillet 1990 précitée que le code du travail n'est pas applicable à la représentation collective et individuelle du personnel de La Poste ; qu'ainsi, en l'absence de dispositions législatives spéciales contraires, le code du travail, et notamment son article L. 412-4 dans sa version alors en vigueur, désormais repris aux articles L. 2122-1, L. 2141-9 et L. 2141-12 du même code, réservant l'exercice des droits syndicaux aux seuls syndicats représentatifs dans l'entreprise, ne s'applique pas à l'exercice du droit syndical à La Poste qui reste régi par la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ».

8. Postérieurement à cette décision,

La Poste est devenue, par l'effet de la loi n° 2010-123 du 9 février 2010, une société anonyme de droit privé.

L'article 31 du statut n'a cependant pas été modifié en ce qu'il précise que l'emploi des agents soumis au régime des conventions collectives n'a pas pour effet de rendre applicables à La Poste les dispositions du code du travail relatives aux institutions représentatives du personnel.

9. Il résulte donc de ces textes que les règles applicables aux agents de droit privé employés par la société La Poste relèvent du code du travail sous réserve des aménagements prévus par les dispositions statutaires, qui exceptent notamment la mise en oeuvre du code du travail s'agissant de l'exercice du droit syndical et du droit de la représentation du personnel. Pour autant, la question se pose de savoir si la fixation des modalités spécifiques à cet exercice relèvent de l'accord collectif de droit commun soumis au contrôle du juge judiciaire au regard du statut juridique actuel de la société, ou de l'acte administratif soumis au contrôle du juge administratif au regard de son application à la fois aux agents de droit public et aux agents de droit privé.

10. Dès lors, le litige présente à juger une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse. Il y a lieu, en conséquence, de renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur cette question en application de l'article 35 du décret susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Ordonne le renvoi de l'affaire au Tribunal des conflits ;

Sursoit à statuer jusqu'à ce que le Tribunal des conflits ait tranché la question de savoir quel est l'ordre de juridiction compétent pour connaître du litige opposant la société La Poste au syndicat pour la défense des postiers ;

Dit que l'affaire sera de nouveau examinée à l'audience du jeudi 4 juin 2020 à 14 heures 00.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Pécaut-Rivolier - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés -

Textes visés :

Loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications modifiées par la loi n° 2010-123 du 9 février 2010 relative à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales.

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