Numéro 1 - Janvier 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2020

REFERE

Com., 15 janvier 2020, n° 18-11.134, (P)

Cassation sans renvoi

Applications diverses – Contrats de la commande publique – Référé précontractuel – Manquement aux obligations de publicité et de concurrence – Excercice de l'action par l'Autorité de régulation des transports – Conditions – Lésion des intérêts de l'une des entraprises candidates – Preuve – Nécessité (non)

Il résulte de la combinaison des articles L. 122-20 du code de la voirie routière, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 19-761 du 24 juillet 2019, et 2 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique, qu'en cas de manquement, de la part d'un concessionnaire d'autoroute lors de la passation d'un marché pour les besoins de la concession relevant du droit privé, aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés de travaux, fournitures ou services, l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, devenue l'Autorité de régulation des transports, est, comme les personnes ayant intérêt à conclure l'un de ces contrats et susceptibles d'être lésées par ce manquement, habilitée à saisir le juge en la forme des référés avant la signature du contrat.

En application de ces dispositions, cette autorité, chargée de la défense de l'ordre public économique en veillant, notamment, au respect des règles de concurrence dans les procédures d'appel d'offres, n'a pas, lorsqu'elle exerce cette action, à établir que le manquement qu'elle dénonce a, directement ou indirectement, lésé les intérêts de l'une des entreprises candidates.

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue, en la forme des référés, par le président d'un tribunal de grande instance (Nanterre, 9 janvier 2018), la société concessionnaire d'autoroute Autoroutes du Sud de la France (la société ASF) a mis en œuvre, par avis publié le 2 septembre 2017 au Journal officiel de l'Union européenne, une procédure de passation d'un marché public ayant pour objet l'entretien des chaussées d'une section de l'autoroute A837.

2. Soutenant que la méthode de notation des offres retenue et appliquée par la société ASF était, par elle même, de nature à priver de portée le critère technique ou à neutraliser la pondération des critères de notation annoncée aux candidats, l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, devenue l'Autorité de régulation des transports (l'Autorité), a introduit un référé précontractuel contre la société ASF afin que soit prononcée l'annulation de la procédure de passation relative au marché en cause.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. L'Autorité fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes alors :

« 1°/ qu'il appartient au juge du référé précontractuel saisi par l'Autorité d'un moyen pris de l'irrégularité d'une méthode de notation, d'apprécier cette dernière au regard de son contenu et des effets qu'elle est susceptible de produire, et non en fonction des résultats que sa mise en œuvre a produits dans la procédure de marché litigieuse ; qu'en appréciant la régularité de la méthode de notation mise en œuvre par la société ASF au regard des seuls résultats que sa mise en œuvre avait effectivement produits au regard des offres présentées dans le cadre de la procédure de passation litigieuse sans se déterminer, de façon abstraite, au regard du contenu de cette méthode et de l'ensemble des résultats auxquels elle était susceptible de conduire, le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre a méconnu les articles L. 122-12 et L. 122-20 du code de la voirie routière, ensemble l'article 2 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique ;

2°/ que le contentieux initié par l'Autorité présente un caractère objectif, dont il résulte que l'absence de lésion d'un intérêt privé ne peut faire obstacle à la recevabilité, comme au bien-fondé, d'une demande présentée par l'Autorité tendant à l'annulation d'une procédure de passation d'un marché mise en œuvre par un concessionnaire d'autoroute pour les besoins de la concession, en cas de manquement aux règles de publicité et de mise en concurrence ; qu'en se fondant sur la circonstance que la méthode de notation n'avait produit aucun effet de distorsion de concurrence au détriment des candidats, le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre a méconnu les articles L. 122- 12 et L. 122-20 du code de la voirie routière, ensemble l'article 2 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 122-20 du code de la voirie routière, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 19-761 du 24 juillet 2019, et l'article 2 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique.

4. Il résulte de la combinaison de ces textes qu'en cas de manquement de la part d'un concessionnaire d'autoroute, lors de la passation d'un marché pour les besoins de la concession relevant du droit privé, aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés de travaux, fournitures ou services, l'Autorité est, comme les personnes ayant intérêt à conclure l'un de ces contrats et susceptibles d'être lésées par ce manquement, habilitée à saisir le juge en la forme des référés avant la signature du contrat.

5. En application de ces dispositions, cette autorité, chargée de la défense de l'ordre public économique en veillant, notamment, au respect des règles de concurrence dans les procédures d'appel d'offres, n'a pas, lorsqu'elle exerce cette action, à établir que le manquement qu'elle dénonce a, directement ou indirectement, lésé les intérêts de l'une des entreprises candidates.

6. Pour rejeter la demande de l'Autorité, l'ordonnance, après avoir rappelé les notes obtenues par les entreprises soumissionnaires pour le lot numéro 1, pour chacun des sous-critères techniques puis la note attribuée à chacune d'elles après pondération, relève que l'écart entre ces notes est peu important et retient que l'Autorité ne démontre pas en quoi cette situation pourrait constituer une irrégularité, n'étant ni allégué ni établi que la meilleure note n'ait pas été attribuée à la meilleure offre pour chaque sous-critère, ni que l'attribution de notes proches ait été faite pour neutraliser le critère de valeur technique.

7. Relevant ensuite que, compte tenu de la compétence et la technicité comparables des entreprises soumissionnaires, le prix, quelle que soit la pondération appliquée, constitue l'élément essentiel de départage, l'ordonnance rappelle le montant de l'offre moins-disante, les écarts entre cette offre et celles des autres soumissionnaires, ainsi que les notes redressées obtenues par chacune d'elles, et retient qu'il ne peut pas en être déduit l'illégalité de la méthode utilisée, dans la mesure où, en reprenant les notes techniques obtenues par les entreprises, en supprimant le coefficient multiplicateur entre l'offre à évaluer et l'offre la moins-disante, et même en appliquant un pourcentage de 50 % pour le critère technique et le critère prix, la situation est identique.

8. L'ordonnance ajoute, enfin, qu'il en est de même pour le lot n° 2.

9. En statuant ainsi, alors qu'elle devait vérifier objectivement si la méthode de notation retenue et appliquée par la société ASF n'était pas, par elle même, de nature à priver de portée le critère technique ou à neutraliser la pondération des critères annoncée aux candidats, comme le soutenait l'Autorité, le juge des référés précontractuels a violé les textes susvisés.

Portée et conséquence de la cassation

10. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

11. Les marchés concernant les deux lots ayant été conclus, il n'y a plus lieu à référé précontractuel et la cassation n'implique donc pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 9 janvier 2018, entre les parties, par le président du tribunal de grande instance de Nanterre ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Dit qu'il n'y a plus lieu à référé précontractuel.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Michel-Amsellem - Avocat général : M. Debacq - Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article L. 122-20 du code de la voirie routière, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 19-761 du 24 juillet 2019 ; article 2 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique.

Com., 22 janvier 2020, n° 18-21.647, (P)

Rejet

Mesures conservatoires ou de remise en état – Prévention d'un dommage – Applications diverses – Liquidation judiciaire

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 juin 2018), rendu en matière de référé, que, le 27 juillet 2016, la Caisse de Crédit mutuel de Paris 17 Etoile (la Caisse) a consenti à la société Parfeum un prêt garanti par un nantissement sur les comptes bancaires dont cette société était titulaire dans ses livres ; que le 1er août 2017, la société Parfeum a été mise en redressement judiciaire, la société AJRS, en la personne de Mme I..., étant désignée administrateur, et la société Actis, en la personne de M. R..., mandataire judiciaire ; que Mme I..., ès qualités, a demandé à la Caisse de procéder au virement vers la Banque Delubac des sommes figurant sur les comptes bancaires de la société Parfeum ; que, se prévalant du nantissement, la Caisse a refusé de faire droit à cette demande, a déclaré sa créance et isolé au crédit d'un sous-compte « fonds bloqués » les fonds figurant sur les comptes de la société Parfeum à concurrence de la somme de 1 175 351,75 euros ;

Attendu que la Caisse fait grief à l'arrêt de lui enjoindre de libérer, sous astreinte, les sommes constituant les soldes créditeurs des comptes ouverts dans ses livres au nom de la société Parfeum et d'exécuter sans délai les ordres de virement que la société Parfeum lui adressera au profit de la Banque Delubac alors, selon le moyen :

1°/ que le nantissement de compte bancaire ne constitue pas un mécanisme de paiement de dettes antérieures au jugement d'ouverture, mais une garantie établie par le versement au créancier de fonds qui échappent au concours des autres créanciers et à toute éventuelle procédure collective, seul le montant objet du droit de rétention étant fixé à la date du jugement d'ouverture ; que la Caisse avait procédé à l'exercice de son droit de rétention des fonds déposés antérieurement au jugement d'ouverture du redressement judiciaire de la société Parfeum et existant sur les comptes bancaires de cette dernière à cette date, en application du contrat de prêt les liant, qui stipulait que « le prêteur pourra[it] se prévaloir du nantissement en cas d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire, de liquidation judiciaire ou d'une procédure de traitement des situations de surendettement des particuliers et sera donc en droit d'isoler sur un compte spécial bloqué à son profit sur les soldes créditeurs des comptes nantis existant à la date du jugement déclaratif d'ouverture de la procédure collective », conformément aux dispositions des articles 2360 et 2364 du code civil ; qu'en ordonnant pourtant la libération des fonds et en privant ainsi de tout effet le nantissement de comptes consenti par le débiteur à l'exposante et son droit de rétention légalement instauré, aux motifs inopérants que le code de commerce interdisait tout règlement de créances antérieures après l'ouverture de la procédure collective et toute résiliation de contrat résultant de ladite ouverture et que ce blocage viderait de son sens le potentiel de la procédure de redressement, la cour d'appel a violé les articles 2360 et 2364 du code civil, ensemble, par fausse application, les articles 2287 du code civil, L. 622-7 et L. 622-13 du code de commerce ;

2°/ qu'une contestation sérieuse sur l'illicéité du comportement dénoncé par le demandeur fait obstacle à l'octroi d'une mesure d'anticipation sur le fondement de l'article 873 du code de procédure civile, celle-ci ne pouvant sanctionner qu'un trouble « manifestement illicite » ; qu'en l'espèce, l'exposante avait procédé au séquestre du solde des comptes courants de la société Parfeum conformément aux stipulations du contrat de prêt liant les parties et ce, sans qu'aucun texte, ni aucune décision de jurisprudence ne condamne ce procédé, qui ne constituait ni un paiement, ni une compensation postérieurs au jugement d'ouverture et qu'autorisait au contraire expressément l'article 2360 du code civil ; qu'en tranchant cette contestation sérieuse entre deux droits spéciaux, celui du nantissement et celui des procédures collectives, pour ordonner des mesures d'anticipation, la cour d'appel a méconnu son office de juge des référés et excédé ses pouvoirs en violation de l'article 873 du code de procédure civile ;

3°/ que le juge des référés ne peut ni prévenir un dommage licite, fût-il imminent, ni ordonner une mesure d'anticipation pour ce faire ; qu'en l'espèce, la rétention des fonds de la société Parfeum par la Caisse trouvait son fondement dans un nantissement de comptes légalement établi lui conférant un droit exclusif sur ces fonds et étant opposable aux organes de la procédure collective ; qu'en ordonnant la libération des fonds et l'exécution des ordres de virement, mesures d'anticipation et non simplement conservatoires, pour prévenir un dommage licite, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs en violation de l'article 873 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'après avoir énoncé que les règles relatives aux procédures collectives sont d'ordre public, que selon l'article 2287 du code civil, les dispositions relatives aux sûretés ne font pas obstacle à l'application des règles prévues en matière d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, et que l'article 2360 du même code concerne l'assiette de la garantie que pourra faire valoir le créancier dans le cadre de sa déclaration de créance, l'arrêt retient que la clause litigieuse, qui permet à l'organisme prêteur de « séquestrer » les fonds figurant sur les comptes de l'emprunteur, aboutit à l'autoriser, alors même qu'il n'existe encore aucune mensualité impayée ni même aucune créance exigible en raison du différé prévu pour les remboursements, à prélever sur les comptes une partie du capital prêté par voie de compensation et opère comme une résiliation unilatérale du contrat de prêt en contrariété avec les dispositions de l'article L. 622-13 du code de commerce ; que la cour d'appel en a exactement déduit que le blocage opéré par la Caisse aboutissait à vider de son sens « le potentiel » de la procédure de redressement judiciaire et qu'était justifiée l'intervention du juge des référés afin de prendre les mesures propres à faire cesser un trouble manifestement illicite et à prévenir un dommage imminent, ce dommage imminent n'étant autre que la liquidation judiciaire à venir en cas d'impossibilité pour l'entreprise de fonctionner faute de fonds disponibles ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Bélaval - Avocat(s) : Me Le Prado -

Textes visés :

Article L. 622-13 du code de commerce.

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