Numéro 1 - Janvier 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2020

PROTECTION DES CONSOMMATEURS

Com., 29 janvier 2020, n° 18-22.137, (P)

Rejet

Loteries publicitaires – Organisateur – Pratique commerciale non prohibée par la directive 2005/29/CE du 17 mai 2005 – Dispositions législatives et réglementaires nationales de la police régissant les jeux d'argent – Applicabilité

Il résulte du considérant 9 de la directive 2005/29/CE du 17 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur, que ses dispositions s'appliquent sans préjudice des règles communautaires et nationales relatives aux régimes d'autorisation, notamment les règles qui, conformément au droit communautaire, concernent les activités de jeux d'argent. Il s'ensuit que les dispositions législatives et réglementaires nationales de police qui régissent les jeux d'argent ne sauraient être écartées au motif que la pratique en cause ne relèverait pas des dispositions de la directive précitée et ne serait donc pas prohibée par les dispositions de celle-ci.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 mai 2018), rendu en matière de référé, la société Winamax, qui exploite un site de poker en ligne permettant aux internautes de participer, notamment, à des tournois qu'elle organise, a mis en place un tournoi de poker en salle désigné sous l'appellation « Winamax Poker Tour », qui s'est déroulé au mois d'octobre 2017, en France, et dont la finale s'est tenue à Paris le 6 mars 2018.

2. Soutenant que cette opération constituait les infractions, d'une part, de tenue illicite de maison de jeu, de jeux de hasard sur la voie publique ou ses dépendances, d'autre part, de publicité pour une maison de jeux de hasard non autorisée, au sens de l'article L. 324-1 du code de la sécurité intérieure, et qu'ils en subissaient un préjudice, le Syndicat des casinos modernes de France, le Syndicat des casinos de France, l'Association des casinos indépendants français et la société Forges thermal (les casinos) ont assigné la société Winamax en référé afin qu'il lui soit fait interdiction, sous astreinte, d'organiser les étapes en salle de ce tournoi.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. La société Winamax reproche à l'arrêt de rejeter les fins de non-recevoir soulevées par elle et tirées de l'absence d'intérêt à agir des casinos alors que « pour interjeter appel, il faut y avoir intérêt ; que l'intérêt à agir en appel s'apprécie au jour de l'appel ; qu'au cas présent, pour écarter la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir en appel, la cour d'appel a estimé qu'il convenait d'apprécier l'intérêt à agir au jour de la saisine du premier juge ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 546 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. L'intérêt au succès ou au rejet d'une prétention s'apprécie au jour de l'introduction de la demande en justice et l'intérêt d'une partie à interjeter appel doit être apprécié au jour où a été formé l'appel, dont la recevabilité ne peut dépendre de circonstances postérieures qui l'auraient rendu sans objet.

5. Il résulte des mentions de l'arrêt que l'appel a été formé par déclaration du 8 novembre 2017 et que la finale du tournoi litigieux s'est déroulée le 6 mars 2018. Il s'ensuit qu'à la date à laquelle l'appel a été formé, le tournoi n'était pas achevé et que les casinos avaient intérêt à en demander l'interdiction.

6. Par ce motif de pur droit, substitué, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, à ceux critiqués, la décision déférée se trouve légalement justifiée de ce chef.

7. Le moyen ne peut donc être accueilli.

Sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. La société Winamax reproche à l'arrêt d'infirmer l'ordonnance du juge des référés en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de dire que le trouble manifestement illicite était constitué alors que « les loteries à double entrée, permettant à la fois un accès payant et un accès gratuit, sont licites ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que le Winamax Poker Tour était accessible aux internautes par deux voies, payante ou gratuite et que la seconde était totalement gratuite ; qu'en considérant néanmoins que le Winamax Poker Tour relèverait d'une loterie prohibée au motif que les internautes qui ne satisferaient pas les conditions d'accès gratuit pourraient passer par l'accès payant, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles L. 322-1, L. 322-2 et L. 324-1 du code de la sécurité intérieure. »

Réponse de la Cour

9. L'arrêt relève qu'il ressort du règlement du tournoi Winamax Poker Tour que, pour y participer, les joueurs doivent posséder un compte Winamax nominatif et validé, ainsi que collecter des « tickets starting block » en fonction de leur activité sur le site de Winamax. Il relève encore que certains de ces tickets peuvent être obtenus gratuitement, au titre de l'offre de fidélité, mais aussi à l'occasion et au prorata des jeux d'argent pratiqués en « cash game » dans les tournois préliminaires organisés sur le site de Winamax, ayant nécessité des mises financières de la part des joueurs. Il en déduit que le droit d'entrée pour les tournois en salle dépend du statut de joueur en ligne et des points de fidélité gagnés en jouant en argent réel sur le site et pouvant être augmentés, selon la fréquentation du joueur. Il retient, enfin, que si les tickets distribués gratuitement par le site à l'inscription ou aux étapes préliminaires ne suffisaient pas à gagner une place en finale, il était permis aux joueurs d'en obtenir d'autres en jouant des sommes d'argent ou en prenant des paris sportifs payants sur le site Winamax.

10. En l'état de ces constatations et appréciations, dont il ressort que, si des tickets d'entrée et de participation au tournoi pouvaient être obtenus gratuitement, ceux-ci devaient être complétés par des points de fidélités obtenus en pratiquant des jeux d'argent soit en salle, soit sur le site, lesquels nécessitaient des mises financières réelles de la part des joueurs, la cour d'appel qui n'a pas, contrairement à ce que soutient le moyen, constaté que le tournoi en cause comportait une voie d'accès purement gratuite, a exactement retenu que la participation au tournoi exigeait un sacrifice financier de la part des participants.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

12. La société Winamax fait grief à l'arrêt d'infirmer l'ordonnance du juge des référés en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de dire que le trouble manifestement illicite était constitué alors :

« 1°/ que l'opération Winamax Poker Tour, qui a pour objet et pour effet de mettre en avant la marque et les produits Winamax, constitue une pratique commerciale et publicitaire au sens de la directive 2005/29/CE ; que les pratiques commerciales sont par principe licites dès lors qu'elles ne sont pas déloyales, ce qui n'était pas même allégué s'agissant de l'opération Winamax Poker Tour ; qu'au cas présent, en estimant que l'opération Winamax Poker Tour serait une loterie illicite, sans constater qu'elle serait déloyale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2 de la directive 2005/29/CE, ensemble L. 121-20 du code de la consommation ;

2°/ que la société Winamax exploite le site de poker en ligne www.winamax.fr en vertu d'un agrément octroyé par l'ARJEL et dont la licéité n'est pas contestée ; que la société Winamax n'est donc pas une maison de jeux de hasard non autorisée ; que, pour écarter le moyen selon lequel l'opération WPT constituait une pratique publicitaire et commerciale en faveur de Winamax, la cour d'appel a relevé que « l'article L. 324-1 du code de la sécurité intérieure interdit de faire de la publicité en faveur d'une maison de jeux de hasard non autorisée » (p. 7-8) ; qu'en statuant ainsi, cependant que Winamax exploite un site internet agréé et ne constitue donc pas une maison de jeux de hasard non autorisée, la cour d'appel a violé l'article L. 324-1 du code de la sécurité intérieure, ensemble les articles 2 de la directive 2005/29/CE et L. 121-20 du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

13. Il résulte du considérant 9 de la directive 2005/29/CE du 17 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur que ses dispositions s'appliquent sans préjudice des règles communautaires et nationales relatives aux régimes d'autorisation, notamment, les règles qui, conformément au droit communautaire, concernent les activités de jeux d'argent. Il s'ensuit que les dispositions législatives et réglementaires nationales de police qui régissent les jeux d'argent ne sauraient être écartées au motif que la pratique en cause ne relèverait pas des dispositions de la directive précitée et ne serait donc pas prohibée par les dispositions de celle-ci.

14. L'arrêt rappelle, d'une part, que l'article L. 324-1 du code de la sécurité intérieure réprime le fait de participer à la tenue d'une maison de jeux de hasard où le public est librement admis, d'autre part, qu'entrent dans le champ de la prohibition les loteries qui réunissent les quatre caractéristiques suivantes, une offre au public, l'espérance d'un gain, l'intervention du hasard et, enfin, une participation financière exigée par l'opérateur quelle qu'en soit sa forme. Ayant constaté que le tournoi « Winamax Poker Tour », organisé en salles, portait sur un jeu de hasard suscitant l'espérance d'un gain, faisait l'objet d'une offre au public au moyen d'une publicité importante, exigeait un sacrifice financier, et qu'il répondait à ces quatre caractéristiques, la cour d'appel, sans avoir à constater que cette pratique était déloyale et sans qu'importe que la société Winamax exploite un site de poker en ligne agréé par l'ARJEL, en a exactement déduit que cette société ne respectait pas la réglementation applicable, ce qui constituait un trouble manifestement illicite.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

16. En l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation de l'article 2 de la directive 2005/29/CE du 17 mai 2005, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Michel-Amsellem - Avocat général : M. Debacq - Avocat(s) : SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin ; SCP Bouzidi et Bouhanna -

Textes visés :

Considérant 9 de la directive 2005/29/CE du 17 mai 2005.

2e Civ., 9 janvier 2020, n° 18-19.846, (P)

Cassation

Surendettement – Commission de surendettement – Mesures recommandées – Décision leur conférant force exécutoire – Défaillance du débiteur – Rétablissement du droit de poursuite individuelle des créanciers – Conditions – Détermination

Il résulte de l'article L. 331-9 du code de la consommation, dans sa version issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 et antérieure à l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, devenu L. 733-17 puis L. 733-16 du même code, qu'en cas d'inexécution par le débiteur des mesures recommandées homologuées, le créancier ne recouvre le droit de pratiquer des mesures d'exécution que dans le cas où il est mis fin au plan soit par une décision du juge statuant en matière de surendettement soit par l'effet d'une clause résolutoire prévue par ces mesures ou par l'ordonnance les homologuant.

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article L. 331-9 du code de la consommation, dans sa version issue de la loi n°2010-737 du 1er juillet 2010 et antérieur à l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, devenu L. 733-17 puis L. 733-16 du même code ;

Attendu qu'il résulte de ce texte qu'en cas d'inexécution par le débiteur des mesures recommandées homologuées, le créancier ne recouvre le droit de pratiquer des mesures d'exécution que dans le cas où il est mis fin au plan soit par une décision du juge statuant en matière de surendettement soit par l'effet d'une clause résolutoire prévue par ces mesures ou par l'ordonnance les homologuant ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué qu'à la demande de M. R..., le 8 janvier 2013, le juge d'un tribunal d'instance a homologué les mesures recommandées par une commission de surendettement, comportant, pour le prêt souscrit par M. et Mme R... par acte notarié auprès de la Caisse de crédit agricole mutuel Loire Haute Loire (la banque), le 21 avril 2010, un échéancier sur 96 mois, ainsi qu'un effacement partiel à l'issue ; qu'en raison du non paiement d'une échéance du plan, la banque, après avoir, le 20 avril 2015, mis en demeure M. R... de payer, a dénoncé le plan le 19 mai 2015, puis a prononcé la déchéance du terme le 26 mai 2015 ; que le 19 octobre 2015, la banque a fait délivrer à M. R... un commandement à fin de saisie-vente pour la totalité de sa créance en application de l'acte notarié ; que M. R... a saisi un juge de l'exécution afin de voir déclarer nul le commandement ;

Attendu que pour débouter M. R... de sa demande d'annulation du commandement de payer à fin de saisie-vente délivré le 19 octobre 2015, l'arrêt, après avoir constaté que la banque a délivré au débiteur une première mise en demeure le 20 avril 2015, suivie, le 19 mai 2015, d'un courrier l'avisant de la dénonciation du plan, la déchéance du terme ayant été prononcée sept jours plus tard le 26 mai 2015, retient que l'ouverture d'une procédure de surendettement n'interdit pas au créancier de se prévaloir de la déchéance du terme selon les dispositions contractuelles ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il n'avait pas été mis fin au plan, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 octobre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Dumas - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Baraduc, Duhamel et Rameix -

Textes visés :

Article L. 331-9 du code de la consommation, dans sa version issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 et antérieure à l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016.

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