Numéro 1 - Janvier 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2020

FONDS DE GARANTIE

2e Civ., 16 janvier 2020, n° 18-23.381, (P)

Rejet

Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages – Indemnisation – Etendue – Dommages aux biens – Cas – Véhicule assuré – Conditions – Nullité du contrat d'assurance opposable à la victime ou ses ayants droit

La nullité du contrat d'assurance édictée par l'article L. 113-8 du code des assurances n'étant pas opposable aux victimes d'un accident de la circulation ou à leurs ayants droit, le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages ne peut, dans ce cas, être appelé à les indemniser de leurs dommages matériels en application de l'article R. 421-18 du même code.

Sur le moyen unique du pourvoi principal, qui est recevable comme étant de pur droit :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Besançon, 10 juillet 2018), que le 6 juillet 2011, Mme O... a souscrit un contrat d'assurance automobile auprès de la société Assurances du crédit mutuel IARD (l'assureur) ; que le 19 juillet 2014, circulant en état d'ébriété, elle a provoqué un accident en abandonnant sur une voie ferrée son véhicule qui a été percuté par un train, occasionnant à celui-ci des dommages matériels importants ; que le 20 avril 2015, l'assureur a notifié à son assurée la nullité du contrat pour défaut de déclaration d'un élément de nature à changer l'opinion du risque par l'assureur en cours de contrat, à savoir sa condamnation pénale pour conduite sous l'empire d'un état alcoolique intervenue le 22 mai 2013 ; qu'après avoir indemnisé la victime, l'assureur a assigné Mme O... en paiement d'une somme de 1 425 203,32 euros et a demandé que la décision soit déclarée opposable au Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO), lequel est intervenu volontairement à l'instance et a sollicité sa mise hors de cause ;

Attendu que l'assureur fait grief à l'arrêt de mettre hors de cause le FGAO, alors, selon le moyen :

1°/ que l'assureur, qui agit en nullité du contrat d'assurance souscrit par son assuré et en remboursement des indemnités qu'il a versées à la victime pour le compte de qui il appartiendra, peut demander que la décision soit rendue opposable au FGAO, intervenu volontairement à l'instance ; que l'assureur, qui agissait à titre principal en nullité du contrat d'assurance souscrit par Mme O... et en remboursement par celle-ci des indemnités versées à la victime de l'accident pour le compte de qui il appartiendra, avait demandé que la décision à intervenir soit déclarée opposable au FGAO intervenu volontairement à l'instance ; qu'en mettant néanmoins hors de cause le FGAO au motif qu'il n'avait pas vocation à intervenir dans le cadre de l'action récursoire exercée par l'assureur contre son assuré, la cour d'appel a violé les articles L. 211-20 et R. 421-18 du code des assurances, ensemble l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ que le principe selon lequel l'assureur peut, après avoir réglé à la victime des indemnités pour le compte de qui il appartiendra, agir en nullité du contrat d'assurance pour fausse déclaration de l'assuré sur ses antécédents judiciaires et demander que le jugement soit opposable au FGAO afin que celui-ci prenne en charge solidairement avec l'assuré la charge finale de cette indemnisation, n'est pas contraire aux dispositions de la directive n° 2009/103/CE du 16 septembre 2009 concernant l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l'obligation d'assurer cette responsabilité ; que la cour d'appel, après avoir constaté que l'assureur avait indemnisé la victime pour le compte de qui il appartiendra avant d'agir en nullité du contrat pour fausse déclaration de son assuré, a néanmoins refusé de déclarer son arrêt opposable au FGAO ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses constatations et a violé les articles L. 211-20 et R. 421-18 du code des assurances, tels qu'interprétés à la lumière de la directive susvisée ;

Mais attendu que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit (arrêt du 20 juillet 2017, C 287-16) que l'article 3, paragraphe 1, de la directive 72/166/CEE du Conseil, du 24 avril 1972, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs, et au contrôle de l'obligation d'assurer cette responsabilité, et

l'article 2, paragraphe 1, de la deuxième directive 84/5/CEE du Conseil, du 30 décembre 1983, concernant le rapprochement des législations des États

membres relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale qui aurait pour effet que soit opposable aux tiers victimes, dans des circonstances telles que celles de l'affaire au principal, la nullité d'un contrat d'assurance de responsabilité civile automobile résultant de fausses déclarations initiales du preneur d'assurance en ce qui concerne l'identité du propriétaire et du conducteur habituel du véhicule concerné ou de la circonstance que la personne pour laquelle ou au nom de laquelle ce contrat d'assurance est conclu n'avait pas d'intérêt économique à la conclusion dudit contrat ;

Qu'il s'en déduit que la nullité édictée par l'article L. 113-8 du code des assurances, tel qu'interprété à la lumière de la directive 2009/103/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, concernant l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l'obligation d'assurer cette responsabilité, qui a abrogé et codifié les directives susvisées, n'est pas opposable aux victimes d'un accident de la circulation ou à leurs ayants droit ;

Qu'aux termes de l'article R. 421-18 du même code, lorsqu'un contrat d'assurance a été souscrit pour garantir les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile découlant de l'emploi du véhicule qui a causé des dommages matériels, le FGAO ne peut être appelé à indemniser la victime ou ses ayants droit qu'en cas de nullité du contrat, de suspension du contrat ou de la garantie, de non-assurance ou d'assurance partielle, opposables à la victime ou à ses ayants droit ;

Qu'il en résulte que la nullité, pour fausse déclaration intentionnelle, du contrat d'assurance conclu par Mme O... étant inopposable à la victime, le FGAO ne pouvait être appelé à prendre en charge tout ou partie de l'indemnité versée par l'assureur et a, à bon droit, été mis hors de cause dans l'instance engagée par ce dernier à l'encontre de son assurée ;

Que par ce motif de pur droit, substitué, en tant que de besoin, à ceux critiqués, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée ;

Et attendu que le rejet du pourvoi principal rend sans objet le pourvoi incident éventuel ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi principal ;

CONSTATE que le pourvoi incident éventuel est devenu sans objet.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Guého - Avocat général : Mme Nicolétis - Avocat(s) : SCP Gaschignard ; SCP Delvolvé et Trichet -

Textes visés :

Articles L. 113-8 et R. 421-18 du code des assurances.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 29 août 2019, pourvoi n° 18-14.768, Bull. 2019, II (cassation) et l'arrêt cité.

2e Civ., 16 janvier 2020, n° 18-24.594, (P)

Rejet

Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions – Recours subrogatoire – Recours contre l'agent judiciaire de l'Etat – Prescription – Prescription quadriennale – Interruption – Cas – Constitution de partie civile de la victime contre l'agent public auteur de l'infraction – Conditions – Détermination – Portée

La constitution de partie civile de la victime d'un dommage contre le seul agent public auteur des faits à l'origine de ce dommage et qui sont de nature à engager la responsabilité d'une collectivité publique, dès lors qu'elle a pour but d'obtenir des dommages-intérêts et porte, au sens des dispositions de l'article 2 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968, sur le fait générateur, l'existence, le montant ou le paiement d'une créance sur cette collectivité publique, interrompt le cours de la prescription quadriennale de cette créance, alors même que la collectivité publique n'a pas été mise en cause dans la procédure pénale.

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 15 octobre 2018), qu'à la suite d'un cambriolage, des agents de police ont intercepté un véhicule à bord duquel se trouvait notamment M. G..., qui a été blessé par un coup de feu tiré par l'un de ces agents, M. F... ; que M. G..., dont il s'est avéré qu'il n'était pas l'un des auteurs du cambriolage, ainsi que sa mère, Mme U... G..., et son frère, M. A... (les consorts G...), ont saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) afin d'être indemnisés de leurs préjudices ; qu'ayant versé le 22 juillet 2010 aux consorts G... les indemnités qui leur avaient été allouées par décision de la CIVI du 21 juin 2010, le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI) a exercé le 22 janvier 2016, sur le fondement de l'article 706-11 du code de procédure pénale, un recours subrogatoire contre l'Agent judiciaire de l'Etat, dont l'agent, M. F..., avait été déclaré coupable, le 10 mars 2015, de l'infraction de blessures involontaires sur la personne de M. G... ;

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen, annexé, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que l'Agent judiciaire de l'Etat fait grief à l'arrêt de dire que l'action du FGTI à son encontre est recevable, alors, selon le moyen :

1°/ qu'une citation en justice interrompt la prescription ainsi que les délais pour agir si elle a été signifiée à celui que l'on veut empêcher de prescrire ; que l'article 2, alinéa 2, de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 subordonne l'interruption du délai de prescription qu'il prévoit en cas de recours juridictionnel à la mise en cause d'une collectivité publique ; qu'en jugeant au contraire que la plainte déposée dans la procédure pénale contre M. F..., poursuivi pour blessures involontaires, avait pu interrompre le cours de la prescription quadriennale de l'action en responsabilité contre l'Etat sur le fondement d'une atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques, sans constater qu'une collectivité publique avait été mise en cause dans la procédure pénale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 2241 du code civil et 2, sous alinéa 2, de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

2°/ qu'un recours juridictionnel n'interrompt pas le délai de prescription s'il n'a pas le même objet que la procédure où l'interruption est alléguée ; qu'en jugeant que la plainte déposée par le FGTI dans la procédure pénale diligentée contre M. F... pour des faits de blessures involontaires avait interrompu le délai de prescription de l'action en responsabilité contre l'Etat pour rupture de l'égalité devant les charges publiques, quand les deux procédures ne portaient pas sur la même cause juridique, la cour d'appel a violé les articles 2241 du code civil et 2 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

Mais attendu que la constitution de partie civile de la victime d'un dommage contre le seul agent public auteur des faits à l'origine de ce dommage et qui sont de nature à engager la responsabilité d'une collectivité publique, dès lors qu'elle a pour but d'obtenir des dommages-intérêts et porte, au sens des dispositions de l'article 2 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968, sur le fait générateur, l'existence, le montant ou le paiement d'une créance sur cette collectivité publique, interrompt le cours de la prescription quadriennale de cette créance, alors même que la collectivité publique n'a pas été mise en cause dans la procédure pénale ;

Que, dès lors, c'est à bon droit que la cour d'appel a jugé qu'il était indifférent que l'Agent judiciaire de l'Etat n'ait pas été partie à l'information judiciaire ni au procès correctionnel, et qu'en l'espèce où le fait générateur de la responsabilité de l'Etat résidait dans le coup de feu tiré par M. F... dans l'exercice de ses fonctions de gardien de la paix, qui constituait l'élément matériel de l'infraction de violences involontaires objet de la procédure pénale, la constitution de partie civile à l'occasion de cette procédure avait bien interrompu la prescription de l'action en responsabilité contre l'Etat ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le troisième moyen :

Attendu que l'Agent judiciaire de l'Etat fait grief à l'arrêt de dire que l'Etat est responsable du préjudice subi par les consorts G..., et de le condamner à verser au FGTI la somme de 1 849 649,58 euros, alors, selon le moyen, que le FGTI est subrogé dans les droits de la victime pour obtenir des personnes responsables du dommage causé par l'infraction ou tenues à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle le remboursement de l'indemnité ou de la provision versée par lui, dans la limite du montant des réparations à la charge desdites personnes ; qu'il est mal fondé à exercer son recours subrogatoire contre l'Etat dont la responsabilité sans faute est engagée pour rupture de l'égalité devant les charges publiques en conséquence des agissements d'un agent de la police judiciaire dès lors que cette atteinte au principe d'égalité est sans rapport avec la faute pénale ayant ouvert le droit à indemnisation de la victime par le Fonds de garantie ; qu'en accueillant au contraire la demande du Fonds de garantie en son recours subrogatoire contre l'Etat dont elle retient que la responsabilité est engagée sans faute pour atteinte à l'égalité des charges publiques, quand l'indemnisation avait été allouée par la CIVI en réparation de l'infraction de blessures involontaires commises par l'agent de police judiciaire, qui était sans rapport avec la cause juridique fondant la mise en oeuvre de la responsabilité de l'Etat, la cour d'appel a violé l'article L. 706-11 du code de procédure pénale ;

Mais attendu que la cour d'appel, après avoir rappelé que le fait générateur de la responsabilité de l'Etat résidait dans le coup de feu tiré par M. F... dans l'exercice de ses fonctions de gardien de la paix, a exactement retenu qu'en l'espèce la rupture d'égalité devant les charges publiques alléguée résultait précisément des faits constitutifs de l'infraction pénale dont M. F... était l'auteur et qui ont donné lieu à une indemnisation par le FGTI, de sorte que ce dernier pouvait, en qualité de subrogé dans les droits des victimes de l'infraction, valablement agir sur ce fondement à l'encontre de l'Etat ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre (président) - Rapporteur : M. Besson - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Articles 2241 du code civil et 2 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968.

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