Numéro 1 - Janvier 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2020

FILIATION

1re Civ., 15 janvier 2020, n° 19-12.348, (P)

Rejet

Actions relatives à la filiation – Actions en contestation de la filiation – Délai de forclusion – Interruption ou suspension – Suspension en raison d'une impossibilité d'agir – Possibilité (non)

L'article 333, alinéa 2, du code civil édicte un délai de forclusion, qui n'est pas susceptible de suspension en application de l'article 2234 du même code, lequel ne vise que les délais de prescription.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 décembre 2018), les 2 juillet et 28 août 2015, Mme O... a assigné Mme X... S..., née le [...] à Adzopé (Côte d'Ivoire), et M. M... S..., né le [...] à Adzopé (les consorts S...) devant le tribunal de grande instance de Paris pour voir juger qu'elle n'est pas leur mère et, avant dire droit, ordonner une expertise biologique afin d'établir l'absence de lien de filiation.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa première branche, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen unique, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

3. Mme O... fait grief à l'arrêt de la déclarer irrecevable en son action en contestation de maternité alors :

« 1°/ que la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ; que la fin de non-recevoir tirée de la prescription quinquennale de l'action en contestation de maternité ne peut être opposée que si celui qui l'exerce avait connaissance du titre dont se prévalaient ses adversaires pour prétendre être ses enfants ; que, pour déclarer Mme O... irrecevable en sa contestation de la maternité des consorts S..., la cour d'appel énonce que le délai de cinq ans prévu par l'article 333 du code civil était expiré lorsqu'elle avait engagé son action par actes délivrés les 2 juillet et 28 août 2015, dès lors que les consorts S... justifiaient d'une possession d'état conforme aux actes de naissance qu'ils produisaient ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, ainsi que l'y invitait Mme O..., la date à laquelle elle avait eu connaissance des titres dont se prévalaient les consorts S..., et à laquelle elle pouvait ainsi agir en contestation du lien de filiation que ces actes établissaient, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 333 du code civil, ensemble l'article 2234 du code civil et la règle « contra non valentem agere non currit praescriptio » ;

2°/ qu'en toute hypothèse, Mme O... soutenait, dans ses conclusions, que le jugement de divorce du 10 décembre 1982, dont se prévalaient les consorts S..., était un faux et elle mettait en exergue les nombreuses erreurs et incohérences contenues dans ce jugement, telles l'erreur sur sa date et son lieu de naissance, l'erreur sur le régime matrimonial des époux, la mention erronée de ce que J... S..., née en 1961, serait sa fille, quand elle-même n'avait que 12 ans à cette date ; que, pour retenir une possession d'état des consorts S... conforme à leurs titres et déclarer Mme O... irrecevable en sa contestation de la maternité des consorts S..., la cour d'appel se fonde sur les énonciations de ce jugement, après avoir considéré que Mme O... soutenait que le jugement de divorce du 10 décembre 1982 serait un faux, que celui-ci se référait pourtant à un jugement avant dire droit du 17 mars 1980 qui avait constaté la non-conciliation des époux, ordonné la résidence séparée et la remise des effets personnels, que les intimés produisaient également, et que l'appelante ne produisait de son côté aucun jugement de divorce ; qu'en statuant ainsi, sans s'expliquer, comme elle y était invitée, sur les nombreuses erreurs et incohérences contenues dans ce jugement, qui étaient de nature à établir que ce jugement était un faux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 333 du code civil ;

3°/ que, très subsidiairement, l'aveu fait au cours d'une instance précédente, même opposant les mêmes parties, n'a pas le caractère d'un aveu judiciaire et n'en produit pas les effets ; que, pour déclarer Mme O... irrecevable en sa contestation de la maternité des consorts S..., la cour d'appel énonce que les consorts S... justifient d'une possession d'état d'enfant de Mme O... d'au moins cinq années par la production d'une expédition certifiée conforme datée du 12 septembre 2018, du jugement de divorce de Mme N... R... O... et de M. G... K... S..., rendu le 10 décembre 1982 par le tribunal de première instance d'Abidjan et que, selon les termes de ce jugement, Mme O... a exposé que de son union avec M. G... K... S... sont nés trois enfants J..., X... et M... S..., faisant ainsi l'aveu en justice d'être la mère des enfants, et a demandé la garde des deux derniers, X... et M..., qui lui a été accordée ; qu'en statuant ainsi, quand les déclarations faites au cours d'une instance précédente en divorce portée devant le juge ivoirien n'avaient pas le caractère d'un aveu judiciaire et ne pouvaient en produire les effets, la cour d'appel a violé l'article 1356, devenu 1383-2 du code civil. »

Réponse de la Cour

4. En premier lieu, selon l'article 333, alinéa 2, du code civil, nul, à l'exception du ministère public, ne peut contester la filiation lorsque la possession d'état conforme au titre a duré au moins cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance, si elle a été faite ultérieurement.

5. Selon l'article 2234 du même code, la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure.

6. Le premier de ces textes édicte un délai de forclusion (1re Civ., 1er février 2017, pourvoi n° 15-27.245, Bull. 2017, I, n° 35), qui n'est pas susceptible de suspension en application du second, lequel ne vise que les délais de prescription. Il résulte en effet de l'article 2220 du code civil que les délais de forclusion ne sont pas régis par le titre XXe du livre III du code civil sur la prescription extinctive, sauf dispositions légales contraires.

7. La cour d'appel, qui a fait application de l'article 333, alinéa 2, n'était donc pas tenue de s'interroger sur une éventuelle impossibilité d'agir de Mme O..., par suite d'un empêchement.

8. En second lieu, la cour d'appel, après avoir relevé que Mme O... ne rapportait pas la preuve que le jugement de divorce du 10 décembre 1982 était faux, a souverainement estimé, sans être tenue de suivre celle-ci dans le détail de son argumentation, qu'il résultait de l'ensemble des éléments soumis à son examen que l'intéressée avait traité les consorts S... comme ses enfants et qu'ils s'étaient comportés comme tels, qu'elle avait pourvu à leur éducation et à leur entretien, qu'ils étaient reconnus par la société et par la famille comme ses enfants, qu'ils étaient considérés comme tels par l'autorité publique, caractérisant ainsi une possession d'état publique, paisible et non équivoque, conforme à leurs titres, d'une durée d'au moins cinq ans.

9. Elle en a exactement déduit que Mme O... était irrecevable en son action en contestation de maternité.

10. Le moyen qui, en sa troisième branche, critique des motifs surabondants, n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Cotty - Avocat(s) : SCP Marlange et de La Burgade ; SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés ; SCP Sevaux et Mathonnet -

Textes visés :

Articles 333, alinéa 2, et 2234 du code civil.

1re Civ., 15 janvier 2020, n° 18-24.261, (P)

Cassation

Filiation adoptive – Procédure – Jugement – Décision étrangère – Exequatur – Conditions – Absence de contrariété à l'ordre public international français – Portée

Attendu selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 22 juin 2016, n° 15-18.742), que Mme I... et M. R..., ont formé tierce opposition au jugement du 10 janvier 2007 accordant l'exequatur en France à un jugement rendu le 11 juillet 2006 par le tribunal d'Eseka (Cameroun) prononçant l'adoption de Mmes V... et X... par E... R..., décédé depuis ;

Attendu que Mmes V... et X... ayant déjà formé un pourvoi contre l'arrêt rendu le 6 mai 2014 par la cour d'appel de Paris, lequel a été définitivement jugé (1re Civ., 22 juin 2016), elle ne sont pas recevables à former un nouveau pourvoi en cassation contre cet arrêt ;

Sur le second moyen, pris en sa première branche :

Attendu que Mme I... et M. R... font grief à l'arrêt de rejeter leur tierce opposition, alors, selon le moyen, que l'exigence d'un agrément pour toute personne qui se propose d'adopter un mineur étranger constitue un principe essentiel d'ordre public du droit français ; qu'en déclarant exécutoire en France le jugement rendu le 11 juillet 2006 par le Tribunal de premier degré d'Eseka (Cameroun) ayant prononcé l'adoption par M. E... R... de U... X..., née le [...] à Zoétélé (Cameroun) et de W... B... V..., née le [...] à Zoétélé (Cameroun) tout en constatant que M. R... n'avait pas sollicité l'agrément, la cour d'appel a violé l'article 34 f) de l'Accord de coopération en matière de justice du 21 février 1974 entre la France et le Cameroun ;

Mais attendu qu'après avoir justement énoncé que la conformité de la décision camerounaise doit être vérifiée, non à l'ordre public national, mais à l'ordre public international français, l'arrêt retient à bon droit que la disposition de l'article 353-1 du code civil subordonnant l'adoption d'un enfant étranger à un agrément ne consacre pas un principe essentiel du droit français ; que la cour d'appel en a exactement déduit que l'absence de sollicitation par E... R... d'un agrément pour adopter ne portait pas atteinte à l'ordre public international français ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles 34 et 38 de l'Accord de coopération en matière de justice du 21 février 1974 entre la France et le Cameroun, ensemble, l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Attendu que l'arrêt retient que l'interdiction de la révision au fond ne permet pas au juge de l'exequatur d'examiner les violations du droit au respect de la vie familiale de Mme I... ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le juge de l'exequatur doit d'office vérifier et constater, sans la réviser au fond, que la décision étrangère ne contient rien de contraire à l'ordre public international français, lequel inclut les droits reconnus par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que la France s'est engagée à garantir à toute personne relevant de sa juridiction, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et sur le second moyen, pris en sa seconde branche :

Vu l'article 34 de l'Accord de coopération en matière de justice du 21 février 1974 entre la France et le Cameroun ;

Attendu que l'arrêt retient que la fraude à la loi ne peut résulter de la seule abstention de l'adoptant d'indiquer qu'il était marié et que le consentement de son épouse était nécessaire ou qu'il n'avait pas obtenu l'agrément requis ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le seul but poursuivi par E... R... n'était pas de favoriser la naturalisation ou le maintien sur le territoire national de sa concubine, mère des adoptées, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du premier moyen :

Déclare le pourvoi irrecevable en ce qu'il est formé contre l'arrêt rendu le 6 mai 2014 par la cour d'appel de Paris ;

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Hascher - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 34 de l'Accord de coopération en matière de justice du 21 février 1974 entre la France et le Cameroun ; article 38 de l'Accord de coopération en matière de justice du 21 février 1974 entre la France et le Cameroun ; article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 8 juillet 2010, pourvoi n° 08-21.740, Bull. 2010, I, n° 162 (cassation sans renvoi). 1re Civ., 22 juin 2016, pourvoi n° 15-18.742, Bull. 2016, I, n° 141 (cassation partielle).

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.