Numéro 1 - Janvier 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2020

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE

Soc., 29 janvier 2020, n° 18-21.862, (P)

Cassation partielle

Licenciement – Nullité – Cas – Discrimination – Discrimination en raison de l'état de grossesse – Egalité de droits entre l'homme et la femme – Atteinte au principe – Effets – Indemnités – Calcul – Déduction des revenus de remplacement (non) – Portée

Tout licenciement prononcé à l'égard d'une salariée en raison de son état de grossesse est nul.

Dès lors qu'un tel licenciement caractérise une atteinte au principe d'égalité de droits entre l'homme et la femme, garanti par l'alinéa 3 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, la salariée qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'elle aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration, sans déduction des éventuels revenus de remplacement dont elle a pu bénéficier pendant cette période.

Licenciement – Nullité – Effets – Réintégration – Indemnisation – Détermination – Portée

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme R... M... a été engagée en qualité de chef de projet communication le 17 janvier 2007 par la société Watson France, son contrat de travail étant transféré à la société Marionnaud Lafayette par avenant du 1er mai 2009 ; qu'elle a été licenciée le 26 novembre 2012 ; qu'estimant avoir été victime d'une discrimination, la salariée a saisi la juridiction prud'homale afin de voir prononcer la nullité de la rupture de son contrat de travail ainsi que sa réintégration, qui a été ordonnée par jugement du 18 septembre 2015 ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal de la salariée et le moyen unique du pourvoi incident de l'employeur :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les moyens annexés qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur le second moyen du pourvoi principal de la salariée en ce qu'il critique les chefs de l'arrêt condamnant la salariée à restituer à l'employeur la somme de 3 799,54 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement :

Attendu qu'il n'existe aucune corrélation entre les chefs de l'arrêt condamnant la salariée à restituer à l'employeur la somme de 3 799,54 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement et le moyen qui reproche à la cour d'appel de déduire des sommes dues par l'employeur au titre des rappels de salaire pour la période d'éviction les revenus de remplacement ainsi que l'indemnité de licenciement versée ; qu'à cet égard, le moyen est donc irrecevable ;

Mais sur le second moyen du pourvoi principal de la salariée en ce qu'il critique les chefs de l'arrêt condamnant la salariée à restituer à l'employeur les revenus de remplacement perçus durant la période d'éviction :

Vu l'alinéa 3 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et les articles L. 1132-1 et L. 1132-4 du code du travail ;

Attendu, qu'en application des dispositions des articles L. 1132-1 et L. 1132-4 du code du travail, tout licenciement prononcé à l'égard d'une salariée en raison de son état de grossesse est nul ; que, dès lors qu'un tel licenciement caractérise une atteinte au principe d'égalité de droits entre l'homme et la femme, garanti par l'alinéa 3 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, la salariée qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'elle aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration, sans déduction des éventuels revenus de remplacement dont elle a pu bénéficier pendant cette période ;

Attendu qu'après avoir prononcé la nullité du licenciement pour discrimination liée à l'état de grossesse de la salariée, l'arrêt ordonne que soit déduit du rappel de salaires dû entre la date du licenciement et la date effective de réintégration de la salariée dans l'entreprise, les sommes perçues à titre de revenus de remplacement ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit qu'il convient de déduire des sommes dues à Mme R... M... au titre du rappel de salaires entre le 27 février 2013 et le 27 décembre 2015 les sommes versées à la salariée à titre de revenu de remplacement et en ce qu'il condamne Mme R... M... à restituer à la société Marionnaud Lafayette la somme de 36 329,10 euros nets correspondant aux revenus de remplacement perçus durant la période d'éviction, l'arrêt rendu le 5 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Capitaine - Avocat général : Mme Rémery - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Gatineau et Fattaccini -

Textes visés :

Alinéa 3 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ; articles L. 1132-1 et L. 1132-4 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur le calcul de l'indemnisation en cas de licenciement prononcé en violation d'autres libertés fondamentales, à rapprocher : Soc., 21 novembre 2018, pourvoi n° 17-11.122, Bull. 2018, V, (cassation partielle), et les arrêts cités.

Soc., 22 janvier 2020, n° 17-31.158, (P)

Cassation partielle

Licenciement – Nullité – Cas – Discrimination – Discrimination fondée sur l'âge

Il résulte de l'article L. 122-45 du code du travail, devenu L. 1132-1 et L. 1132-4 du même code, et de l'article 1er du décret n° 2010-105 du 28 janvier 2010, alors applicable, interprétés conformément à l'article 6, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, qu'aucun salarié ne peut être licencié en raison de son âge et que toute disposition ou acte contraire à l'égard d'un salarié est nul. Le salarié dont la rupture du contrat de travail est discriminatoire en raison de l'âge et qui demande sa réintégration a droit, lorsque il a atteint l'âge limite visé à l'article 1er du décret n° 2010-105, alors applicable, à une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait perçue, après déduction des revenus de remplacement, depuis la date de son éviction jusqu'à cet âge. Toutefois, le salarié qui présente de façon abusive sa demande de réintégration tardivement, n'a droit, au titre de cette nullité, qu'à la rémunération qu'il aurait perçue du jour de la demande de réintégration à celui auquel il a atteint ledit âge.

Licenciement – Nullité – Effets – Réintégration – Possibilité (non) – Réparation du préjudice – Indemnités – Montant – Limites – Détermination

Attendu, selon l'arrêt attaqué rendu sur renvoi après cassation (Soc., 7 décembre 2016, pourvoi n° 15-21.190), que le 1er décembre 2005, la SNCF, aux droits de laquelle vient l'établissement public industriel et commercial SNCF mobilités, a mis à la retraite d'office M. W... qui, à cette date, remplissait la double condition d'âge et d'ancienneté de service prévue à l'article 7 du règlement des retraites de la SNCF ; que, le 12 juillet 2010, le salarié a saisi la juridiction prud'homale en annulation de sa mise à la retraite d'office, comme constituant une discrimination en raison de l'âge, et en réintégration ;

Sur le premier moyen en ce que celui-ci critique le rejet de la demande du salarié de réintégration et de ses demandes en paiement d'une indemnité arrêtée au 30 septembre 2017 pour perte de revenus, correspondant à la différence entre la rémunération que celui-ci aurait dû percevoir depuis son soixante-cinquième anniversaire s'il était demeuré dans son emploi et la pension de retraite perçue, et d'une indemnité correspondant à cette différence entre le 1er octobre 2017 et la date de réintégration effective :

Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en réintégration au sein de l'établissement après annulation de sa mise à la retraite d'office et de ses demandes en paiement d'une indemnité arrêtée au 30 septembre 2017 pour perte de revenus, correspondant à la différence entre la rémunération qu'il aurait dû percevoir depuis son soixante-cinquième anniversaire s'il était demeuré dans son emploi et la pension de retraite perçue, ainsi que d'une indemnité correspondant à cette différence entre le 1er octobre 2017 et la date de réintégration effective, alors, selon le moyen :

1°/ que conformément à l'article 17 de la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, l'article L. 122-45 ancien puis l'article L. 1132-4 du code du travail ont édicté, à droit constant, qu'est nul toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance du principe de non-discrimination ; qu' après avoir jugé discriminatoire la décision de mise d'office à la retraite de M. W..., la cour d'appel devait en déduire que cette mesure était nulle et, dès lors, accueillir sa demande en réintégration avec effet rétroactif au 1er décembre 2005 ; qu'en décidant, au contraire, que M. W... n'avait droit qu'à réparation du préjudice subi, la cour d'appel a violé les textes susvisés, ensemble l'article 6, § 1, de la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, les articles L. 1133-1, L. 1237-5 et L. 3111-1 du code du travail ;

2°/ que l'article 3 de la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, relatif au champ d'application, a étendu son champ d'application à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics ; qu' après avoir jugé discriminatoire la décision de mise d'office à la retraite de M. W..., la cour d'appel devait en déduire que cette mesure était nulle et, dès lors, accueillir sa demande en réintégration au sein de la Sncf avec effet rétroactif au 1er décembre 2005 ; qu'en décidant, au contraire, que cette directive ne s'appliquait pas à M. W..., salarié de la Sncf établissement public industriel et commercial, à la date de sa mise en retraite d'office, la cour d'appel a violé le texte susvisé, ensemble l' article 6, § 1, de la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, les articles L. 1133-1, L. 1237-5 et L. 3111-1 du code du travail ;

Mais attendu, d'abord, qu'il résulte de l'article L. 122-45 du code du travail, devenu L. 1132-1 et L. 1132-4 du même code, qu'aucun salarié ne peut être licencié en raison de son âge et que toute disposition ou acte contraire à l'égard d'un salarié est nul ; que le salarié dont la rupture du contrat de travail est discriminatoire en raison de l'âge et qui demande sa réintégration a droit à une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait perçue, après déduction des revenus de remplacement, depuis la date de son éviction jusqu'à celle de sa réintégration ; que, toutefois, le salarié qui présente de façon abusive sa demande de réintégration tardivement, n'a droit, au titre de cette nullité, qu'à la rémunération qu'il aurait perçue du jour de sa demande de réintégration à celui de sa réintégration effective ;

Attendu, ensuite, que, aux termes de l'article 1er du décret n° 2010-105 du 28 janvier 2010 relatif à la limite d'âge des agents de la Société nationale des chemins de fer français et de la Régie autonome des transports parisiens, en vigueur à la date à laquelle le salarié a formé sa demande de réintégration, la limite d'âge à laquelle les agents du cadre permanent de la SNCF sont admis à la retraite est fixée à soixante-cinq ans ;

Attendu que l'arrêt fait ressortir que, le 7 novembre 2017, date où celui-ci est rendu, le salarié, né le [...], était âgé de soixante-sept ans et retient que la mise à la retraite de ce dernier est discriminatoire en raison de l'âge ;

Qu'il en résulte que, le salarié ayant atteint la limite d'âge de soixante-cinq ans, sa demande en réintégration au sein de l'établissement après annulation de sa mise en retraite d'office ainsi que ses demandes en paiement d'une indemnité arrêtée au 30 septembre 2017 pour perte de revenus correspondant à la différence entre la rémunération qu'il aurait dû percevoir s'il était demeuré dans son emploi et la pension de retraite perçue et d'une indemnité correspondant à cette différence entre le 1er octobre 2017 et la date de réintégration effective n'étaient pas fondées ;

Que, par ces motifs, substitués à ceux critiqués après avis donné aux parties, la décision se trouve légalement justifiée ;

Sur le premier moyen en ce que celui-ci critique le rejet de la demande d'indemnisation du préjudice moral et de la demande indemnitaire, correspondant à la différence entre la rémunération que le salarié aurait dû percevoir antérieurement à son soixante-cinquième anniversaire s'il était demeuré dans son emploi et la pension de retraite perçue, et sur le second moyen :

Vu l'article L. 122-45 du code du travail, devenu L. 1132-1 et L. 1132-4 du même code, l'article 1er du décret n° 2010-105, alors applicable, interprétés conformément à l'article 6, § 1, de la directive n° 2000/78/CE, du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail ;

Attendu qu'il résulte de ces textes qu'aucun salarié ne peut être licencié en raison de son âge et que toute disposition ou acte contraire à l'égard d'un salarié est nul ; que le salarié dont la rupture du contrat de travail est discriminatoire en raison de l'âge et qui demande sa réintégration a droit, lorsque il a atteint l'âge limite visé à l'article 1er du décret n° 2010-105, alors applicable, à une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait perçue, après déduction des revenus de remplacement, depuis la date de son éviction jusqu'à cet âge ; que, toutefois, le salarié qui présente de façon abusive sa demande de réintégration tardivement, n'a droit, au titre de cette nullité, qu'à la rémunération qu'il aurait perçue du jour de la demande de réintégration à celui auquel il a atteint ledit âge ;

Attendu que pour limiter à la somme de 3 000 euros l'indemnité allouée au salarié au titre de sa mise à la retraite d'office discriminatoire en raison de son âge, l'arrêt retient que cette décision apparaît comme une mesure individuelle préjudiciable prise exclusivement en violation du principe général du droit de l'Union de non-discrimination en raison de l'âge, et non du code du travail, dans la mesure où il résulte des articles L. 120-1 et L. 200-1 de ce code en vigueur au jour de la mise à la retraite de l'agent, que les dispositions de l'article L. 122-45, reprenant la directive 2000/78 n'étaient pas applicables aux établissements industriels et commerciaux publics jusqu'à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 applicable à compter du 1er mars 2008, qu'aucune norme n'est utilement invoquée obligeant de prononcer la nullité d'un acte pris en violation d'un principe général du droit communautaire ou d'une norme ou jurisprudence européenne muette sur sa sanction, que M. W... a droit de prétendre à l'indemnisation intégrale du préjudice causé par cette situation, qu'en l'état de l'ensemble des éléments dont il justifie, son préjudice peut être évalué à ladite somme ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu le caractère discriminatoire en raison de l'âge de la mise à la retraite d'office du salarié, la cour d'appel, qui devait appliquer l'article L. 122-45 du code du travail conformément à l'article 6, § 1, de la directive n° 2000/78/CE, du 27 novembre 2000, qui consacre un principe général du droit de l'Union européenne, a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite à la somme de 3 000 euros le montant de l'indemnisation de la mise à la retraite discriminatoire de M. W..., l'arrêt rendu le 7 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Le Masne de Chermont - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Ghestin ; SCP Colin-Stoclet -

Textes visés :

Article L. 122-45 du code du travail, devenu articles L. 1132-1 et L. 1132-4 du même code ; article 1er du décret n° 2010-105 du 28 janvier 2010 relatif à la limite d'âge des agents de la Société nationale des chemins de fer français et de la Régie autonome des transports parisiens ; article 6, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'indemnisation du préjudice du salarié en cas d'impossibilité de procéder à sa réintégration, à rapprocher : Soc., 25 juin 2003, pourvoi n° 01-44.722, Bull. 2003, V, n° 207 (2) (cassation partielle), et les arrêts cités.

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