Numéro 1 - Janvier 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2020

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION

Soc., 29 janvier 2020, n° 18-15.388, n° 18-15.396, (P)

Cassation

Employeur – Obligations – Sécurité des salariés – Obligation de sécurité – Manquement – Préjudice – Préjudice spécifique d'anxiété – Action en réparation – Prescription – Délai – Point de départ – Détermination – Portée

Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l'exercer, et un salarié bénéficiaire de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) a connaissance du risque à l'origine de son anxiété à compter de l'arrêté ministériel ayant inscrit l'établissement sur la liste permettant la mise en oeuvre de ce régime légal spécifique.

Vu la connexité, joint les pourvois n° 18-15.388 et 18-15.396 ;

Attendu, selon les arrêts attaqués, que M. G... et quatre autres salariés ont été engagés entre 1978 et 1980 par la société Revco, spécialisée dans la conception et la fabrication de matériaux destinés à l'industrie automobile ; qu'ils ont travaillé sur le site d'Ozouer-le-Voulgis puis à compter de 1980, sur celui de Saint-Just-en-Chaussée ; que par suite de cessions et restructurations, la société Revco est devenue successivement Gurit Essex et Dow Automotive France ; que le 2 février 2009, cette dernière a cédé le fonds de commerce lié au site de Saint-Just-en-Chaussée à la société Revocoat devenue Axson France puis Revocoat France ; que par un arrêté ministériel du 24 avril 2002 modifié par arrêté du 25 mars 2003, l'établissement de Saint-Just-en-Chaussée a été inscrit sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) pour la période 1977 à 1983 ; qu'un nouvel arrêté du 10 mai 2013 a réduit de 1981 à 1983 la période afférente à l'établissement de Saint-Just-en-Chaussée et mentionné l'établissement de Ozouer-le-Voulgis pour la période de 1977 à 1983 : que les salariés, qui ont cessé leur activité entre 2012 et 2014, ont saisi la juridiction prud'homale, le 22 juillet 2014 de demandes en réparation de leur préjudice d'anxiété à l'encontre de la société Axson France ;

Sur le pourvoi n° 18-15.388 de la société Axson France dirigé contre l'arrêt RG n° 16/04216 du 21 février 2018 :

Sur le premier moyen :

Vu l'article 2262 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, l'article 26, II, de cette même loi et l'article 2224 du code civil ;

Attendu que pour déclarer recevable l'action des salariés, l'arrêt retient que le premier arrêté concernant l'entreprise en date du 24 avril 2002 mentionnait en Picardie « Gurit Essex, Dow automotive, [...], de 1981 à 1983 », qu'un second arrêté modificatif en date du 25 mars 2003 reprenait le même intitulé du site concerné et modifiait les années concernées « de 1977 à 1983 », qu'enfin un troisième arrêté complémentaire en date du 10 mai 2013 était rédigé comme suit : « Ile de France : au lieu de : Gurit Essex, Dow automotive, [...], de 1977 à 1983, écrire : Revco puis Gurit Essex puis Dow Automotive, [...] de 1977 à 1983 puis Revco puis Gurit Essex puis Dow Automotive, [...] de 1981 à 1983 », qu'il ressort de ces divers arrêtés que le site d'Ozouer-le-Voulgis, où ont travaillé les salariés appelants, n'a été inscrit sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre du régime légal de l'Acaata que le 10 mai 2013, et que le délai de prescription de cinq ans n'était pas atteint lorsque les salariés ont initié leur action le 22 juillet 2014, que l'action sera déclarée recevable au regard des règles de prescription ;

Attendu cependant que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ;

Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors que les salariés avaient eu connaissance du risque à l'origine de l'anxiété à compter de l'arrêté ministériel du 24 avril 2002 ayant inscrit le site de Saint-Just-en-Chaussée sur la liste des établissements permettant la mise en œuvre du régime légal de l'ACAATA, à une période où ils y avaient travaillé, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et attendu que la cassation à intervenir sur le premier moyen entraîne, par voie de conséquence, par application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif relatif à la condamnation de la société Axson France au paiement de dommages-intérêts aux salariés critiqué par le second moyen ;

Sur le pourvoi n° 18-15.396 des sociétés Axson France et Revocoat France dirigé contre l'arrêt RG n°16/04349 du 21 février 2018 :

Vu l'article 625 du code de procédure civile ;

Attendu que la cassation de l'arrêt RG 16/04216 rendu le 21 février 2018 entraîne l'annulation, par voie de conséquence, de l'arrêt RG 16/04349 rendu le même jour, condamnant solidairement la société Revocoat France au paiement des condamnations prononcées à l'encontre de la société Axson France ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt n° RG 16/04216 rendu le 21 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

CONSTATE l'annulation de l'arrêt n° RG 16/04349 rendu le 21 février 2018 par la cour d'appel d'Amiens ;

remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Van Ruymbeke - Avocat général : M. Liffran - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article 2262 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile ; article 26 de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile ; article 2224 du code civil dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.

Rapprochement(s) :

Sur le point de départ du délai de prescription de l'action en indemnisation du préjudice d'anxiété, dans le même sens que : Soc., 11 septembre 2019, pourvoi n° 18-50.030, Bull. 2019, V, (cassation), et l'arrêt cité.

Soc., 22 janvier 2020, n° 17-25.744, (P)

Cassation

Employeur – Redressement et liquidation judiciaires – Plan de redressement – Action des salariés introduite avant l'ouverture de la procédure collective – Action poursuivie contre le débiteur seul – Fondement – Effets – Portée

Sur le moyen unique, après avis de la chambre commerciale, sollicité par application des dispositions de l'article 1015-1 du code de procédure civile :

Vu l'article L. 626-25 du code de commerce ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. S... a été engagé le 16 novembre 2011 par la société Oh Paradis, en qualité d'agent d'accueil ; que, licencié pour faute grave le 3 mai 2013, il a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir condamnation de son employeur au paiement de diverses sommes ; qu'en cours de procédure, le 17 juillet 2013, la société a été placée en redressement judiciaire et que, le 26 juin 2014, un plan de continuation a été adopté ; que, par jugement du 12 septembre 2016 du conseil de prud'hommes auquel étaient parties tant la société que le mandataire judiciaire et le commissaire à l'exécution du plan de celle-ci, ainsi que l'AGS, la société a été condamnée à payer au salarié notamment une indemnité pour irrégularité de la procédure ; que le salarié a interjeté appel en intimant la société, le mandataire judiciaire, le commissaire à l'exécution du plan et l'AGS ; que le conseiller de la mise en état a déclaré caduque la déclaration d'appel à l'égard de toutes les parties intimées, constituées ou non, par application des dispositions de l'article 911 du code de procédure civile ; que par l'arrêt attaqué, la cour d'appel a confirmé cette ordonnance ; que le salarié a formé un pourvoi contre cet arrêt ; que pendant l'instance devant la Cour de cassation, la société Oh Paradis a été mise le 10 octobre 2018 en liquidation judiciaire, M. Q... étant nommé liquidateur ; que le salarié a déclaré reprendre l'instance à l 'encontre de ce dernier ;

Attendu que pour confirmer sur déféré l'ordonnance du conseiller de la mise en état, l'arrêt, après avoir constaté que l'appelant avait fait signifier ses conclusions aux intimés constitués mais pas au commissaire à l'exécution du plan, intimé non constitué, retient que conformément à l'article L. 626-25 du code de commerce, les actions introduites avant le jugement qui arrête le plan et auxquelles l'administrateur ou le mandataire judiciaire sont parties sont poursuivies par le commissaire à l'exécution du plan ; que l'action introduite avant l'ouverture de la procédure collective et l'arrêté du plan de continuation devait être poursuivie en présence du commissaire à l'exécution du plan ; qu'il en résulte que la présence de ce dernier était obligatoire aux côtés de la société au regard de l'indivisibilité du litige entre eux ;

Attendu cependant que les dispositions de l'article L. 626-25, alinéa 3, du code de commerce suivant lesquelles les actions introduites avant le jugement qui arrête le plan et auxquelles l'administrateur ou le mandataire judiciaire est partie sont poursuivies par le commissaire à l'exécution du plan, ne concernent pas les instances qui étaient en cours à la date du jugement d'ouverture du redressement judiciaire ; qu'il en résulte qu'après le jugement arrêtant le plan de redressement, l'action en paiement engagée contre le débiteur avant le jugement d'ouverture de son redressement judiciaire est poursuivie contre ce dernier redevenu maître de ses biens, le commissaire à l'exécution du plan n'ayant pas qualité pour poursuivre l'instance ;

Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors que le litige n'était pas indivisible entre la société et le commissaire à l'exécution du plan, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 juillet 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée.

- Président : Mme Leprieur (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Maron - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article L. 626-25 du code de commerce.

Soc., 29 janvier 2020, n° 18-21.862, (P)

Cassation partielle

Maternité – Licenciement – Nullité – Effets – Réintégration – Perte de salaire entre le licenciement et la réintégration – Indemnité compensatrice de salaires – Cumul avec les revenus de remplacement – Possibilité – Détermination

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme R... M... a été engagée en qualité de chef de projet communication le 17 janvier 2007 par la société Watson France, son contrat de travail étant transféré à la société Marionnaud Lafayette par avenant du 1er mai 2009 ; qu'elle a été licenciée le 26 novembre 2012 ; qu'estimant avoir été victime d'une discrimination, la salariée a saisi la juridiction prud'homale afin de voir prononcer la nullité de la rupture de son contrat de travail ainsi que sa réintégration, qui a été ordonnée par jugement du 18 septembre 2015 ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal de la salariée et le moyen unique du pourvoi incident de l'employeur :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les moyens annexés qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur le second moyen du pourvoi principal de la salariée en ce qu'il critique les chefs de l'arrêt condamnant la salariée à restituer à l'employeur la somme de 3 799,54 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement :

Attendu qu'il n'existe aucune corrélation entre les chefs de l'arrêt condamnant la salariée à restituer à l'employeur la somme de 3 799,54 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement et le moyen qui reproche à la cour d'appel de déduire des sommes dues par l'employeur au titre des rappels de salaire pour la période d'éviction les revenus de remplacement ainsi que l'indemnité de licenciement versée ; qu'à cet égard, le moyen est donc irrecevable ;

Mais sur le second moyen du pourvoi principal de la salariée en ce qu'il critique les chefs de l'arrêt condamnant la salariée à restituer à l'employeur les revenus de remplacement perçus durant la période d'éviction :

Vu l'alinéa 3 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et les articles L. 1132-1 et L. 1132-4 du code du travail ;

Attendu, qu'en application des dispositions des articles L. 1132-1 et L. 1132-4 du code du travail, tout licenciement prononcé à l'égard d'une salariée en raison de son état de grossesse est nul ; que, dès lors qu'un tel licenciement caractérise une atteinte au principe d'égalité de droits entre l'homme et la femme, garanti par l'alinéa 3 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, la salariée qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'elle aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration, sans déduction des éventuels revenus de remplacement dont elle a pu bénéficier pendant cette période ;

Attendu qu'après avoir prononcé la nullité du licenciement pour discrimination liée à l'état de grossesse de la salariée, l'arrêt ordonne que soit déduit du rappel de salaires dû entre la date du licenciement et la date effective de réintégration de la salariée dans l'entreprise, les sommes perçues à titre de revenus de remplacement ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit qu'il convient de déduire des sommes dues à Mme R... M... au titre du rappel de salaires entre le 27 février 2013 et le 27 décembre 2015 les sommes versées à la salariée à titre de revenu de remplacement et en ce qu'il condamne Mme R... M... à restituer à la société Marionnaud Lafayette la somme de 36 329,10 euros nets correspondant aux revenus de remplacement perçus durant la période d'éviction, l'arrêt rendu le 5 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Capitaine - Avocat général : Mme Rémery - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Gatineau et Fattaccini -

Textes visés :

Alinéa 3 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ; articles L. 1132-1 et L. 1132-4 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur le calcul de l'indemnisation en cas de licenciement prononcé en violation d'autres libertés fondamentales, à rapprocher : Soc., 21 novembre 2018, pourvoi n° 17-11.122, Bull. 2018, V, (cassation partielle), et les arrêts cités.

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