COMPETENCE

Soc., 22 janvier 2020, n° 17-31.266, (P)

Rejet

Compétence territoriale – Règles particulières – Faute délictuelle – Réparation du dommage – Tribunal du lieu du dommage – Applications diverses – Siège social de la société en liquidation judiciaire – Dommage résultant de la liquidation judiciaire

Ayant fait ressortir que le dommage invoqué par le liquidateur d'une société était constitué par la liquidation judiciaire de celle-ci, résultant de l'attitude prétendument fautive de la société mère, une cour d'appel en déduit exactement que le tribunal compétent est celui dans le ressort duquel se trouve le siège social de la société en liquidation judiciaire.

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Reims, 18 octobre 2017) rendu sur contredit, que la société Overhead Door Corporation France (la société ODCF) a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire, ouverte par jugement du 11 juillet 2013 ; que le liquidateur a notifié leur licenciement à l'ensemble des salariés à partir du 17 octobre 2013, sous réserve de leur adhésion au contrat de sécurisation professionnelle ; que divers salariés licenciés ayant saisi la juridiction prud'homale en contestation de leur licenciement, le liquidateur judiciaire de la société ODCF y a attrait en intervention forcée la société Overhead Door Corporation (la société ODC), société mère dont le siège est aux Etats Unis ; que saisi d'exceptions d'incompétence par la société ODC, le conseil de prud'hommes, par jugements du 29 avril 2015, les a rejetées et a sursis à statuer dans l'attente de la décision de la juridiction administrative saisie d'une contestation de la décision d'homologation du document unilatéral fixant le plan de sauvegarde de l'emploi ; que, sur contredit, la cour d'appel a confirmé la compétence matérielle du conseil de prud'hommes pour se prononcer sur l'appel en intervention forcée aux fins de déclaration de jugement commun de la société ODC ; qu'à la suite de l'arrêt du Conseil d'Etat statuant sur le recours administratif, l'instance engagée devant la juridiction prud'homale s'est poursuivie ; que le conseil de prud'hommes, par jugements du 14 décembre 2016, a notamment dit que les recours formés désormais par les salariés contre la société ODC relevaient des juridictions américaines et qu'il demeurait compétent pour l'examen des litiges relatifs au motif économique ; que, par l'arrêt attaqué, la cour d'appel a jugé que les salariés et l'AGS ne pouvaient, à défaut d'avoir formé contredit, contester la compétence des juridictions américaines pour statuer sur leur action à l'égard de la société ODC, a confirmé l'incompétence de la juridiction prud'homale pour statuer sur l'action en garantie introduite par le mandataire liquidateur de la société ODCF à l'égard de la société ODC, infirmé les jugements en ce qu'ils avaient dit les juridictions américaines compétentes pour statuer sur cette action et dit le tribunal de commerce de Reims compétent ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal du liquidateur judiciaire de la société ODCF :

Attendu que le liquidateur fait grief à l'arrêt de confirmer les jugements en ce qu'ils ont estimé que la juridiction prud'homale n'était pas compétente pour statuer sur l'appel en garantie introduit par lui à l'égard de la société ODC et, à ce titre, de rejeter le contredit introduit par lui et, infirmant les jugements en ce qu'ils avaient estimé que les juridictions américaines étaient compétentes pour connaître de cette action et statuant à nouveau à ce titre, de dire que le tribunal de commerce de Reims avait compétence pour statuer alors, selon le moyen :

1°/ que le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche ; qu'en l'espèce, alors que la société ODC avait fait notamment valoir, à titre principal, que le conseil de prud'hommes n'était pas compétent pour statuer sur la demande d'intervention forcée de M. Q..., ès qualités, au motif qu'il s'agirait d'un litige entre deux sociétés commerciales sans qu'aucune personne n'ayant ni la qualité d'employeur ni la qualité de salarié ne soient partie et que ce litige relevait sans conteste exclusivement de la compétence des juridictions commerciales, le conseil de prud'hommes, par jugement du 29 avril 2015 a rejeté dans leur intégralité les exceptions soulevées par la société ODC ; que la société ODC ayant formé contredit contre ces jugements, la cour d'appel a considéré que l'objet de ce contredit était limité à l'appréciation de la compétence de la juridiction prud'homale pour connaître de l'intervention forcée de la société ODC aux fins de déclaration de jugement commun et que la question de la compétence d'attribution de la juridiction prud'homale pour connaître d'un éventuelle action en garantie contre la société ODC excédait les limites du contredit dont elle était saisie ; qu'en elle a, en conséquence, déboutant la société ODC de son contredit, confirmé que le conseil de prud'hommes de Reims était matériellement compétent pour se prononcer sur l'appel en intervention fixée aux fins de déclaration de jugement commun de la société ODC ; qu'ainsi, le chef de dispositif du jugement du 29 avril 2015 au terme duquel, le conseil de prud'hommes a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société ODC pour connaître d'un éventuel appel en garantie de M. Q..., ès qualités, à son encontre se trouve revêtu de l'autorité de la chose jugée ; qu'en décidant au contraire que l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du 29 avril 2015 ne pouvait être opposée à la société ODC qui était recevable à soulever l'incompétence du conseil de prud'hommes pour connaître de l'action en garantie engagée contre elle par le liquidateur judiciaire, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 480 du code de procédure civile ensemble celles de l'article 1355 nouveau du code civil ;

2°/ que les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir ; qu'en l'espèce, pour considérer que l'exception d'incompétence soulevée par la société ODC était recevable, la cour d'appel a retenu que ce n'était que postérieurement au jugement du 29 avril 2015 qui avait rejeté les exceptions préalablement soulevées par cette société que tout à la fois le liquidateur judiciaire de la société ODCF, l'AGS et les salariés avaient pour la première fois présenté des demandes de condamnation à l'égard de la société ODC et que, compte tenu de cette évolution du litige l'obligation de soulever simultanément les exceptions de procédure ne pouvait être opposée à cette société ; qu'en statuant ainsi sans rechercher

si, ainsi que le soutenait M. O..., dans l'assignation en intervention forcée délivrée à la société ODC le 12 septembre 2014, le liquidateur judiciaire ne fondait pas sa demande d'intervention, non seulement sur les articles 325, 327 et 331 du code de procédure civile relatifs à l'intervention mais également sur les articles 336 et 337 du même code propres à l'appel en garantie si bien que la société ODC était en mesure, dès cette assignation, de soulever l'incompétence du conseil de prud'hommes pour statuer sur cet appel en garantie quand bien même cette demande n'avait pas, à ce stade, été expressément formulée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 74 du code de procédure civile ;

3°/ que lorsqu'il prononce la condamnation solidaire de deux parties, le juge prud'homal est compétent pour statuer sur le recours en garantie de l'une de ces parties contre l'autre ; qu'il s'en déduit que le juge ne peut statuer sur sa compétence pour connaître d'un recours en garantie formé par un co-défendeur contre l'autre sans s'être au préalable prononcé sur les demandes de condamnation solidaire formées contre ces co-défendeurs ; qu'en l'espèce, statuant sur le périmètre du contredit dont elle était saisie, la cour d'appel a retenu que celui-ci se trouvait limité à la seule action en garantie du mandataire liquidateur à l'égard de la société ODC, un tel contredit ne pouvant viser à voir juger que l'action des salariés engagés au titre de la responsabilité délictuelle à l'égard de la société ODC relèverait de la compétence du conseil de prud'hommes, le mandataire judiciaire étant dépourvu d'intérêt à agir à ce titre au lieu et place des salariés ; qu'en statuant ainsi alors que la compétence du conseil de prud'hommes pour connaître des demandes de condamnation solidaire formées à l'encontre de la société ODC par les salariés demandeurs conditionnait la compétence de ce conseil pour connaître du recours en garantie formé par M. O..., ès qualités, contre cette même société, ce dont il se déduisait que celle-ci avait un intérêt légitime à voir reconnaître cette compétence, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 1411-1 du code du travail, ensemble celles des articles 31 et 70 du code de procédure civile ;

4°) que lorsqu'il prononce la condamnation solidaire de deux parties, le juge prud'homal est compétent pour statuer sur le recours en garantie de l'une de ces parties contre l'autre ; qu'il s'en déduit que le juge ne peut statuer sur sa compétence pour connaître d'un recours en garantie formé par un co-défendeur contre l'autre sans s'être au préalable prononcé sur les demandes de condamnation solidaire formées contre ces co-défendeurs ; qu'en l'espèce, statuant sur le périmètre du contredit dont elle était saisie, la cour d'appel a retenu que celui-ci se trouvait limité à la seule action en garantie du mandataire liquidateur à l'égard de la société ODC, les jugements attaqués, notamment en ce qu'ils ont retenu l'incompétence du conseil de prud'hommes pour statuer sur les recours des salariés et de l'AGS contre la société ODC, ayant fait l'objet de la part des salariés et de l'AGS non pas de contredits mais d'appels qui seraient examinés ultérieurement par la cour d'appel ; qu'en cet état dont il résultait que la question de la compétence du juge prud'homal pour connaître des demandes des salariés tendant à voir la société ODC condamnée solidairement avec M. O..., ès qualités, à leur verser diverses sommes et indemnités n'était pas définitivement tranchée, la cour d'appel ne pouvait valablement retenir l'incompétence du conseil de prud'hommes pour connaître du recours en garantie formée par M. O..., ès qualités, contre la société ODC au motif qu'elle constituait une action en responsabilité délictuelle opposant une société commerciale à une autre société commerciale ; qu'en statuant par de tels motifs, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 1411-1 du code du travail, ensemble celles de l'article 70 du code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel a constaté que l'appel en garantie n'avait été formé par le liquidateur judiciaire de la société ODCF que postérieurement au jugement du 29 avril 2015 et à l'arrêt subséquent ; qu'elle a exactement décidé, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du 29 avril 2015 ne pouvait dès lors être opposée à la société ODC ;

Et attendu, d'autre part, qu'elle a à bon droit retenu, par application des dispositions combinées des articles 51, alinéa 2, du code de procédure civile et L. 1411-1 du code du travail, que la juridiction prud'homale était incompétente pour connaître de la demande incidente formée par le liquidateur judiciaire de la société ODCF à l'encontre de la société ODC, à l'égard de laquelle il n'était pas invoqué de contrat de travail ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident de la société ODC :

Attendu que la société ODC fait grief à l'arrêt d'infirmer les jugements en ce qu'ils ont estimé que les juridictions américaines étaient compétentes pour connaître de l'action en garantie du liquidateur de la société ODCF contre la société ODC et, statuant à nouveau à ce titre, de dire que le tribunal de commerce de Reims a compétence pour statuer, alors, selon le moyen :

1°/ que si le demandeur peut saisir, en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi, cela suppose, dans ce dernier cas, que le dommage se soit effectivement réalisé ; qu'en considérant, pour en déduire l'incompétence des juridictions américaines et retenir la compétence des juridictions françaises, que le liquidateur pouvait saisir la juridiction dans le ressort de laquelle le dommage avait été subi, tandis que, l'action du liquidateur visant à la condamnation de la société ODC à le garantir de toutes condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre envers les salariés, aucun dommage n'avait été effectivement subi par le liquidateur au jour où l'appel en garantie avait été formé, justifiant de déroger à la compétence de principe du lieu où demeure le défendeur, la cour d'appel a violé l'article 46 du code de procédure civile ;

2°/ que le demandeur peut saisir à son choix, en matière délictuelle, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté que les fautes alléguées à l'encontre de la société ODC relevaient de décisions prises au siège social de cette dernière, situé aux Etats unis d'Amérique ; qu'en retenant la compétence du tribunal de commerce de Reims, au motif inopérant qu'il serait patents que ces comportements irréguliers voire frauduleux allégués ont produit des effets dommageables dans le ressort où la société ODCF a elle-même son siège, sans aucunement identifier ni caractériser quels seraient effectivement ces effets dommageables, dont la situation géographique commandait la question de compétence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 46 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant fait ressortir que le dommage invoqué par le liquidateur de la société ODCF était constitué par la liquidation judiciaire de celle-ci, résultant de l'attitude prétendument fautive de la société ODC, la cour d'appel en a exactement déduit que le tribunal compétent était celui dans le ressort duquel se trouvait le siège social de la société ODCF ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Maron - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Article 51, alinéa 2, du code de procédure civile ; article L. 1411-1 du code du travail ; article 46 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Sur l'incompétence du conseil de prud'hommes pour connaître d'une action engagée contre une société mère en l'absence de contrat de travail, à rapprocher : Soc., 13 juin 2018, pourvoi n° 16-25.873, Bull. 2018, V, (cassation partielle sans renvoi).

2e Civ., 30 janvier 2020, n° 18-25.340, (P)

Rejet

Décision sur la compétence – Contredit – Voie de l'appel seule ouverte – Contredit formé à tort – Saisine de la cour d'appel – Conditions – Litige ayant donné lieu à un jugement rendu avant le 1er septembre 2017

L'article 91, alinéa 1er, du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, selon lequel lorsque la cour d'appel estime que la décision qui lui est déférée par la voie du contredit devant l'être par celle de l'appel elle n'en demeure pas moins saisie, est applicable aux litiges ayant donné lieu à un jugement rendu avant le 1er septembre 2017.

Décision sur la compétence – Contredit – Domaine d'application – Exclusion – Cas – Jugement déclarant la saisine irrecevable

Cet article ne s'applique toutefois qu'aux recours formés contre un jugement statuant sur la compétence. Se trouve dès lors légalement justifié l'arrêt d'une cour d'appel qui déclare irrecevable un contredit après avoir constaté que celui-ci était dirigé contre le jugement d'une juridiction ayant, non pas statué sur la question de sa compétence, mais déclaré irrecevable sa saisine par une déclaration au greffe.

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 30 novembre 2017), que M. Y... a saisi une juridiction de proximité, par une déclaration au greffe, d'une demande de condamnation de M. I... à lui payer une somme de 315 000 euros ; qu'un tribunal d'instance, auquel l'affaire a été renvoyée par application de l'article 847-4 du code de procédure civile, a, par un jugement du 30 mai 2017, déclaré irrecevable la saisine de la juridiction ; que M. Y... a formé un contredit de compétence contre ce jugement ;

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen annexé, pris en sa première branche, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :

Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son contredit, alors, selon le moyen, que les dispositions nouvelles moins avantageuses relatives à une voie de recours ne s'appliquent qu'aux recours formés après la date de leur entrée en vigueur ; que dès lors, en jugeant que du fait de l'entrée en vigueur, le 1er septembre 2017, des dispositions du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, elle n'était pas saisie, en tant que juge d'appel, du recours formé le 19 juin 2017 par la voie du contredit, la cour d'appel a méconnu les dispositions de ce décret et celles de l'article 91 alinéa du code de procédure civile en réalité applicable en la cause ;

Mais attendu que l'article 91, alinéa 1er, du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, applicable au litige dès lors que le jugement frappé de contredit était rendu avant le 1er septembre 2017, ne s'applique qu'aux recours formés contre un jugement statuant sur la compétence ; que, par ce motif de pur droit, substitué aux motifs critiqués, après avis donné aux parties, l'arrêt, qui a constaté que le contredit était dirigé contre un jugement d'une juridiction ayant, non pas statué sur la question de sa compétence, mais déclaré irrecevable sa saisine par une déclaration au greffe, se trouve légalement justifié ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. de Leiris - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot -

Textes visés :

Article 91, alinéa 1, du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017.

Rapprochement(s) :

Soc., 23 avril 2003, pourvoi n° 01-40.127, Bull. 2003, V, n° 139 (rejet) et les arrêts cités.

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