Numéro 1 - Janvier 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2020

CASSATION

1re Civ., 8 janvier 2020, n° 19-10.001, (P)

Cassation partielle

Moyen nouveau – Cas – Question préjudicielle portant sur la légalité d'un acte administratif – Recevabilité – Condition

Une partie n'est pas tenue de soulever, en cause d'appel, le moyen tiré de l'existence d'une question préjudicielle portant sur la légalité d'un acte administratif, dès lors qu'elle ne conteste pas la validité de cet acte, dont elle entend, au contraire, se prévaloir. Un tel moyen est donc recevable devant la Cour de cassation.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 15 novembre 2018), I... K... a, suivant acte notarié des 27 et 29 mars 2002, mis à la disposition de la société Beghin Say, aux droits de laquelle vient la société Tereos France (la société), avec effet rétroactif au 1er janvier 2001 et pour une durée de dix-huit ans, plusieurs parcelles lui appartenant, destinées à être utilisées comme terrain de décantation et d'épandage des eaux de lavage de betteraves.

Par lettre du 16 février 2009, la société a résilié la convention, en raison de la cessation définitive de l'activité de la sucrerie qu'elle exploitait.

2. Reprochant à la société divers manquements contractuels, Mme K..., agissant en qualité d'ayant droit de I... K..., décédé le 26 novembre 2009, l'a assignée aux fins, notamment, de voir ordonner la remise en état, à ses frais, des parcelles litigieuses et juger que la résiliation ne sera parfaite qu'à l'issue de ces opérations, ainsi qu'en paiement, jusqu'à cette date, des indemnités et loyers prévus à la convention.

3. Soutenant que les installations en cause étaient soumises au régime des installations classées pour la protection de l'environnement, la société s'est prévalue d'une lettre du 22 novembre 2010 valant, selon elle, autorisation du préfet de maintenir les bassins en l'état.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa première branche

Énoncé du moyen

4. La société fait grief à l'arrêt de lui ordonner de procéder, à sa charge, à la remise en état des bassins dans les conditions du premier paragraphe de l'article quatrième de la convention des 27 et 29 mars 2002, de dire que la résiliation de cette convention ne sera juridiquement parfaite entre les parties qu'à l'issue de ces opérations de remise en état et de dire que, jusqu'à cette date, elle sera tenue de régler à Mme K... les différentes indemnités et les loyers prévus par ladite convention, alors que « l'appréciation de la légalité et de la force obligatoire d'un acte administratif ressort de la compétence exclusive du juge administratif ; que le juge judiciaire ne peut écarter l'acte administratif qu'en cas d'illégalité manifeste de celui-ci au regard de la jurisprudence constante des juridictions administratives ; qu'en considérant que Le courrier du 22 novembre 2010 argué par la société Tereos de décision du préfet ne peut en aucun cas être considéré comme tel, celui-ci n'émanant pas du préfet mais de la direction des affaires juridiques et de l'administration locale de la préfecture de la Somme, signé Pour le Préfet et par délégation, le directeur », se bornant à donner une suite favorable » à un projet, ne contenant donc aucune obligation, ne mentionnant par ailleurs aucun délai et voie de recours possible et ne faisant référence à aucune autre décision ni un quelconque arrêté préfectoral et n'étant d'ailleurs adressée qu'à la société Tereos », la cour d'appel, qui ne pouvait être juge de la légalité et de la force obligatoire de cet acte administratif a excédé ses pouvoirs et violé le principe de séparation des pouvoirs, ensemble les lois des 16-24 août 1790 et du 16 fructidor an III et l'article 49 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. Mme K... conteste la recevabilité du moyen. Elle fait valoir qu'en application de l'article 74 du code de procédure civile, la société n'est pas recevable à soutenir, pour la première fois devant la Cour de cassation, que le juge judiciaire devait renvoyer à la juridiction administrative l'appréciation de la légalité de la lettre du 22 novembre 2010, faute d'avoir soulevé, devant les juges du fond, une exception tirée de l'existence d'une question préjudicielle.

6. Cependant, la société n'était pas tenue de soulever cette exception en cause d'appel, dès lors qu'elle ne contestait pas la validité de l'acte administratif en cause, dont elle entendait, au contraire, se prévaloir.

Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III :

7. Il résulte du principe et des textes précités que, hors les matières réservées par nature à l'autorité judiciaire et sauf dispositions législatives contraires, les tribunaux de l'ordre judiciaire statuant en matière civile ne peuvent porter une appréciation sur la légalité d'un acte administratif, sauf lorsqu'il apparaît, au vu d'une jurisprudence établie, que cette illégalité est manifeste.

8. Pour ordonner à la société de procéder à la remise en état des parcelles litigieuses, dans les conditions prévues à la convention conclue entre les parties, l'arrêt retient que la lettre du 22 novembre 2010 ne peut être considérée comme une décision du préfet, dès lors qu'elle émane de la direction des affaires juridiques et de l'administration locale de la préfecture de la Somme, qu'elle est signée « pour le préfet et par délégation, le directeur », qu'elle se borne à donner une « suite favorable » à un projet et ne contient donc aucune obligation, qu'elle ne mentionne aucun délai ni voie de recours possible, qu'elle ne fait référence à aucune autre décision ni à un quelconque arrêté préfectoral et, enfin, qu'elle n'est adressée qu'à la société.

9. En se prononçant ainsi sur le caractère décisoire de l'acte administratif unilatéral en cause et, en conséquence, sur sa légalité, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé le principe et les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il ordonne à la société Tereos France de procéder, à sa charge, à la remise en état des bassins dans les conditions du premier paragraphe de l'article quatrième de la convention des 27 et 29 mars 2002, en ce qu'il dit que la résiliation de cette convention ne sera juridiquement parfaite entre les parties qu'à l'issue des opérations de remise en état et en ce qu'il dit que, jusqu'à la remise en état des parcelles, la société Tereos France sera tenue de régler à Mme K... les différentes indemnités et les loyers prévus par ladite convention, l'arrêt rendu le 15 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Canas - Avocat général : M. Sudre - Avocat(s) : Me Rémy-Corlay ; SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois -

Textes visés :

Article 74 du code de procédure civile ; principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires ; loi du 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III.

2e Civ., 9 janvier 2020, n° 18-24.513, (P)

Rejet

Moyen nouveau – Moyen tiré de la violation de l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme – Recevabilité – Conditions

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 septembre 2018), que sur des poursuites de saisie immobilière engagées par la société SRGM contre la SCI Mondorivoli, le juge de l'exécution d'un tribunal de grande instance, statuant sur l'orientation de la procédure, a retenu pour un certain montant la créance de la société Münchener Hypothekenbank eG (la société), créancier inscrit ; que cette dernière a relevé appel de ce jugement d'orientation, puis a été autorisée à assigner à jour fixe les parties défenderesses ;

Attendu que la société fait grief à l'arrêt de déclarer caduc son appel, alors, selon le moyen :

1°/ que les excès de formalisme en matière de procédure portent atteinte au droit d'accès à un tribunal ; qu'en jugeant caduque la déclaration d'appel, pourtant régulière, faute de transmission de la copie de l'assignation à jour fixe par voie électronique, quand copie de cette assignation avait été effectivement déposée au greffe de la cour d'appel avant le jour de l'audience, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 922 et 930-1 du code de procédure civile ;

2°/ que lorsque le juge a le pouvoir de soulever d'office une sanction procédurale, il lui incombe de se prononcer, même d'office, sur la proportionnalité de cette sanction ; qu'en s'abstenant de tout examen du caractère disproportionné de la caducité de l'appel consécutive à l'absence de transmission de la copie de l'assignation par voie électronique, quand copie de cette assignation a été déposée avant le jour de l'audience au greffe de la cour d'appel qui en a eu ainsi effectivement connaissance dans les temps requis, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 922 et 930-1 du code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, que le moyen invoquant pour la première fois une violation de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la Cour de cassation ne saurait apprécier le caractère proportionné de la sanction prononcée par la cour d'appel qu'au regard des textes applicables au litige et des éléments que cette dernière a constatés ;

Attendu, d'autre part, que dans la procédure avec représentation obligatoire par avocat en appel, le dépôt au greffe d'une copie établie sur support matériel de l'assignation à jour fixe délivrée aux intimés, en l'absence de cause étrangère ayant empêché le recours à la voie électronique, ne satisfait pas à l'obligation, imposée aux parties par l'article 930-1 du code de procédure civile, de remettre leurs actes par cette voie dans les conditions techniques fixées par un arrêté du garde des sceaux ; que cette obligation est dénuée d'ambiguïté pour un avocat, professionnel averti, et que sa sanction, par une irrecevabilité de l'acte qui n'a pas été transmis au greffe par la voie électronique, est proportionnée au but légitime que poursuit cette disposition, qui est d'assurer la célérité et l'efficacité de la procédure d'appel, de sorte qu'elle ne procède, par elle-même, d'aucun formalisme excessif ;

Et attendu, enfin, qu'ayant exactement retenu qu'il résulte des dispositions des articles 922 et 930-1 du code de procédure civile que, dans le cadre d'une procédure à jour fixe, la cour d'appel est saisie par la remise d'une copie de l'assignation au greffe avant la date de l'audience à peine de caducité de la déclaration d'appel, cette remise devant être effectuée par voie électronique, puis constaté que l'appelante n'avait pas déposé par voie électronique au greffe une copie de l'assignation à jour fixe qu'elle avait délivrée, c'est à bon droit que la cour d'appel a déduit de l'irrecevabilité de la remise de la copie de l'assignation, la caducité de la déclaration d'appel ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. de Leiris - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 922 et 930-1 du code de procédure civile ; article 922 et 930-1 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 9 avril 2013, pourvoi n°11-27.071, Bull. 2013, I, n° 66 (cassation). 2e Civ., 27 septembre 2018, pourvoi n° 17-20.930, Bull. 2018, II (rejet).

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