Numéro 1 - Janvier 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2019

UNION EUROPEENNE

1re Civ., 30 janvier 2019, n° 17-28.555, (P)

Cassation partielle

Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions – Accords et conventions divers – Convention de Lugano du 30 octobre 2007 – Champ d'application – Matière civile et commerciale – Nature de la juridiction – Absence d'influence – Applications diverses

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Z... a saisi le tribunal de police de Genève d'une plainte pour diverses malversations contre son associé, M. B... Y..., ainsi que d'une demande d'indemnisation du préjudice subi ; que le jugement rendu le 11 juillet 2013 a condamné pénalement celui-ci, alloué à M. Z... la somme de 36 000 francs suisses au titre de ses frais de défense et l'a renvoyé à agir par la voie civile pour ses autres prétentions ;

Sur le moyen unique, pris en ses première et deuxième branches :

Attendu que M. B... Y... fait grief à l'arrêt d'accorder l'exequatur au jugement suisse, alors, selon le moyen :

1°/ que seules les décisions des juridictions répressives statuant sur l'action civile peuvent bénéficier du régime simplifié de reconnaissance et d'exécution prévu par l'article 509-2 du code de procédure civile se référant à la Convention de Lugano du 30 octobre 2007 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions de justice en matière civile et commerciale ; qu'en jugeant ce régime simplifié applicable à la reconnaissance de la force exécutoire du jugement rendu le 11 juillet 2013 par le tribunal de police suisse bien que, s'il avait condamné M. B... Y... à verser à M. Z... une somme de 36 000 francs suisses à titre de juste indemnité de participation à ses honoraires de conseil afférents à cette procédure, ce jugement avait néanmoins renvoyé M. Z..., partie plaignante, à agir par la voie civile pour qu'il soit statué sur ses prétentions, de sorte que la décision de la juridiction répressive dont la reconnaissance simplifiée était demandée n'avait statué qu'au pénal et que la condamnation prononcée au profit du plaignant sur la seule action publique n'était pas de nature civile, la cour d'appel a violé l'article 509-2 du code de procédure civile ensemble l'article 1er de la Convention de Lugano du 30 octobre 2007 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions de justice en matière civile et commerciale ;

2°/ que les indemnités de procédure allouées à une partie par une juridiction pénale qui n'a pas statué sur les intérêts civils ne relèvent pas de la matière civile et commerciale au sens de l'article 1er de la Convention de Lugano du 30 octobre 2007 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions de justice en matière civile et commerciale ; qu'en affirmant que la condamnation dont M. Z... poursuit l'exécution est, certes prononcée par une juridiction répressive, mais est allouée à une victime en indemnisation des honoraires de conseils qu'elle a engagée dans le cadre de la procédure, la cour d'appel a violé l'article 1er de la Convention de Lugano du 30 octobre 2007 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions de justice en matière civile et commerciale ;

Mais attendu que l'arrêt énonce, d'une part, que l'article 509-2 du code de procédure civile et la Convention de Lugano du 30 octobre 2007 concernent la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, d'autre part, que selon son article 1er, cette Convention est applicable à ces deux matières, quelle que soit la nature de la juridiction ; que la cour d'appel en a exactement déduit que la condamnation au paiement d'une indemnité au titre des honoraires de conseil exposés par la victime devant la juridiction pénale saisie d'une demande civile relevait du champ d'application de cette Convention ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur la troisième branche du moyen :

Vu les articles 34 de la Convention de Lugano du 30 octobre 2007, ensemble l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Attendu que, pour accorder l'exequatur au jugement, l'arrêt retient que le fait que l'indemnité procède d'une appréciation souveraine du juge préserve la décision d'une réaction de l'ordre public international et qu'en outre, le montant de cette indemnité doit être relativisé compte tenu de l'évolution de la parité entre l'euro et le franc suisse, du niveau plus élevé en Suisse qu'en France des rémunérations et des prix et du peu d'éléments pour apprécier l'importance, la complexité, la longueur de l'affaire ou sa mise en perspective avec d'autres instances ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'exercice par le juge étranger de son office en équité ne fait pas, par principe, obstacle au contrôle par le juge de l'exequatur de l'éventuelle atteinte à l'ordre public international, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare l'appel interjeté par M. D... Y... irrecevable, l'arrêt rendu le 11 mai 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ; remet, en conséquence, sauf sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Hascher - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Article 1 de la Convention de Lugano du 30 octobre 2007 concernant la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ; article 509-2 du code de procédure civile ; article 34 de la Convention de Lugano du 30 octobre 2007 concernant la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ; article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Sur l'interprétation de la notion de matière civile retenue par la Cour de justice de l'Union européenne, cf. : CJCE, arrêt du 21 avril 1993, Sonntag, C-172/91 ; CJUE, arrêt du 22 octobre 2015, Aannemingsbedrijf Aertssen NV et Aertssen Terrassements SA, C-523/14.

Com., 23 janvier 2019, n° 15-14.212, (P)

Cassation partielle

Cour de justice de l'Union européenne – Question préjudicielle – Interprétation des actes pris par les institutions de l'Union – Directive 86/683/CEE du Conseil du 18 décembre 1986 – Article 17 – Indemnité due en cas de cessation du contrat d'agence commerciale – Période d'essai – Bénéfice

Par un arrêt du 19 avril 2018 (C-645/16), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 17 de la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants, doit être interprété en ce sens que les régimes d'indemnisation et de réparation que cet article prévoit, respectivement ses paragraphes 2 et 3, en cas de cessation du contrat d'agence commerciale, sont applicables lorsque cette cessation intervient au cours de la période d'essai que ce contrat stipule.

Viole en conséquence l'article L. 134-12 du code de commerce, tel qu'interprété à la lumière de l'article 17 précité, la cour d'appel qui, pour rejeter la demande d'indemnité compensatrice prévue par l'article L. 134-12 du code de commerce formée par un agent commercial, retient que cette indemnité n'est pas due lorsque la cessation du contrat d'agence commerciale intervient pendant la période d'essai, dès lors que le statut des agents commerciaux, qui suppose pour son application que la convention soit définitivement conclue, n'interdit pas la stipulation par les parties d'une période d'essai.

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Demeures terre et tradition (la société DTT) a conclu avec la société Conseils et mise en relations (la société CMR) un contrat d'agence commerciale pour la construction de maisons individuelles dans un secteur déterminé ; que le contrat stipulait une période d'essai de douze mois, à l'issue de laquelle il serait réputé à durée indéterminée, avec la faculté pour chaque partie de le résilier au cours de cette période en respectant un préavis ; que la société DTT ayant rompu le contrat au cours de la période d'essai, avec préavis, pour non-réalisation des objectifs convenus, la société CMR l'a assignée en paiement d'une indemnité compensatrice en réparation du préjudice résultant de la cessation des relations et en paiement de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat ; que par un arrêt du 6 décembre 2016, la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle portant sur l'application de l'article 17 de la directive 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986, lorsque la cessation du contrat d'agence commerciale intervient au cours de la période d'essai ; que la société DTT ayant été mise en liquidation judiciaire, la société CMR a assigné M. X..., liquidateur de celle-ci, en reprise d'instance ;

Sur le moyen unique, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article L. 134-12 du code de commerce, tel qu'interprété à la lumière de l'article 17 de la directive 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986 ;

Attendu que par un arrêt du 19 avril 2018 (C-645/16, société Conseils et mise en relations c/ société Demeures terre et tradition), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 17 de la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants, doit être interprété en ce sens que les régimes d'indemnisation et de réparation que cet article prévoit, respectivement à ses paragraphes 2 et 3, en cas de cessation du contrat d'agence commerciale, sont applicables lorsque cette cessation intervient au cours de la période d'essai que ce contrat stipule ;

Attendu que pour rejeter la demande d'indemnité compensatrice prévue par l'article L. 134-12 du code de commerce formée par la société CMR, l'arrêt retient que cette indemnité n'est pas due lorsque la cessation du contrat intervient pendant la période d'essai dès lors que le statut des agents commerciaux, qui suppose pour son application que la convention soit définitivement conclue, n'interdit pas la stipulation par les parties d'une période d'essai ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande d'indemnité de cessation du contrat d'agence commerciale de la société Conseils et mise en relations, l'arrêt rendu le 18 décembre 2014, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Laporte - Avocat général : Mme Pénichon - Avocat(s) : SCP Rousseau et Tapie ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article L. 134-12 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

En sens contraire : Com., 23 juin 2015, pourvoi n° 14-17.894, Bull. 2015, IV, n° 108 (cassation partielle).

1re Civ., 17 janvier 2019, n° 18-23.849, (P)

Cassation partielle

Règlement (CE) n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 – Compétence en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale – Déplacement ou non-retour illicite d'un enfant – Article 11, § 1 – Domaine d'application – Exclusion – Cas – Résidence habituelle de l'enfant avant son déplacement dans un pays extérieur à l'Union europénne

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que de l'union de M. Z... et de Mme X..., tous deux de nationalité belge, sont nés E... et F...-C... Z..., nés respectivement le [...] et le [...] à Uccle (Belgique) ; que, par arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 15 mars 2011, la résidence principale des enfants a été fixée chez le père en République démocratique du Congo et un droit de visite et d'hébergement attribué à la mère ; que cette décision a été rendue exécutoire en cet Etat par ordonnance du président du tribunal de grande instance de Kinshasa du 27 février 2012 ; que, soutenant que le 27 décembre 2017, à l'occasion de l'exercice de son droit de visite et d'hébergement, elle avait constaté que les enfants présentaient des signes de maltraitance, Mme X... a saisi la juridiction française du lieu de son domicile d'une demande de mesure de protection, sur le fondement de l'article 515-9 du code civil ; que, par ordonnance du 26 avril 2018, le juge aux affaires familiales, après avoir retenu sa compétence internationale et dit la loi française applicable, compte tenu de l'urgence, a accordé la protection sollicitée, fixé la résidence habituelle des enfants chez la mère et instauré un droit de visite médiatisé pendant un délai de six mois au bénéfice du père ; que M. Z... a décliné la compétence des juridictions françaises et de la loi française et sollicité le retour immédiat des enfants en République démocratique du Congo ;

Sur le premier moyen :

Vu l'article 455 du code de procédure civile ;

Attendu que, pour infirmer, sur ce point, l'ordonnance qui avait dit le droit français applicable à raison de l'urgence, l'arrêt se borne à énoncer, dans le dispositif, que la loi congolaise est applicable au litige ;

Qu'en statuant ainsi, sans donner aucun motif à sa décision, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé ;

Sur le deuxième moyen, pris en sa quatrième branche :

Vu les articles 4 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants et 11 du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale ;

Attendu que, selon le premier de ces textes, la Convention du 25 octobre 1980 n'est applicable qu'entre Etats contractants ; qu'il résulte du second que les dispositions du règlement relatives au déplacement ou au non-retour illicite d'un enfant ne peuvent être mises en oeuvre que dans l'espace européen ;

Attendu que, pour qualifier d'illicite le non-retour des enfants en République démocratique du Congo, l'arrêt retient qu'au sens des articles 3 et 4 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 et 11, § 1, du règlement du 27 novembre 2003, est illicite tout déplacement d'un enfant fait en violation d'un droit de garde exercé effectivement et attribué à une personne par le droit ou le juge de l'Etat dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle avant son déplacement ;

Qu'en statuant ainsi, alors que les enfants avaient leur résidence habituelle en République démocratique du Congo, Etat qui n'a pas adhéré à la Convention du 25 octobre 1980 et qui est extérieur à l'Union européenne, la cour d'appel a violé, par fausse application, les textes susvisés ;

Et sur le troisième moyen :

Vu l'article 624 du code de procédure civile ;

Attendu que la cassation prononcée sur les deux premiers moyens entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef du dispositif condamnant Mme X... au paiement de dommages-intérêts à M. Z... pour le déplacement illicite des enfants communs ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du deuxième moyen :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il confirme l'ordonnance du juge aux affaires familiales du 28 avril 2018 en ses dispositions relatives à l'autorité parentale conjointe, à l'enquête sociale et au rejet de la demande de dissimuler l'adresse de Mme X..., l'arrêt rendu le 23 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sauf sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Acquaviva - Avocat général : Mme Caron-Déglise - Avocat(s) : SCP Bénabent -

Textes visés :

Article 4 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 ; article 11 du Règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003.

1re Civ., 30 janvier 2019, n° 16-25.259, (P)

Annulation sans renvoi

Règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 – Article 23 – Compétence – Clause attributive de juridiction – Cas – Action en responsabilité d'un fournisseur contre son distributeur – Allégation de pratiques anticoncurrentielles – Clause se référant à la responsabilité d'un cocontractant du fait de pratiques anticoncurrentielles – Nécessité (non)

Sur le moyen unique, pris en ses trois premières branches :

Vu l'article 23 du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 7 octobre 2015, pourvoi n° 14-16.898), que la société eBizcuss.com (eBizcuss) s'est vue reconnaître la qualité de revendeur agréé pour les produits de la marque Apple par contrat conclu le 10 octobre 2002 avec la société Apple Sales International, contenant une clause attributive de compétence au profit des juridictions irlandaises ; qu'invoquant des pratiques anticoncurrentielles et des actes de concurrence déloyale qui auraient été commis à partir de l'année 2009 par les sociétés Apple Sales International, Apple Inc. et Apple retail France (Apple), la société eBizcuss, désormais représentée par la société MJA, en qualité de mandataire liquidateur, les a assignées en réparation de son préjudice devant un tribunal de commerce sur le fondement des articles 1382, devenu 1240 du code civil, L. 420-2 du code de commerce et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; que l'arrêt ayant accueilli l'exception d'incompétence soulevée par la société Apple Sales International a été cassé, au visa de l'article 23 du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 ;

Attendu que, pour accueillir le contredit de compétence et renvoyer l'affaire devant le tribunal de commerce de Paris, l'arrêt retient que la clause attributive de compétence invoquée par les sociétés Apple ne stipule pas expressément qu'elle trouve à s'appliquer en matière d'abus de position dominante ou de concurrence déloyale ;

Attendu cependant que, saisie par voie préjudicielle, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE 24 octobre 2018, C-595/17) a dit pour droit que l'article 23 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que l'application, à l'égard d'une action en dommages-intérêts intentée par un distributeur à l'encontre de son fournisseur sur le fondement de l'article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, d'une clause attributive de juridiction contenue dans le contrat liant les parties n'est pas exclue au seul motif que cette clause ne se réfère pas expressément aux différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d'une infraction au droit de la concurrence ;

Et attendu que, par arrêt du 20 octobre 2011 (C-396/09 Interedil), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que le droit de l'Union s'oppose à ce qu'une juridiction nationale soit liée par une règle de procédure nationale, en vertu de laquelle les appréciations portées par une juridiction supérieure nationale s'imposent à elle, lorsqu'il apparaît que les appréciations portées par la juridiction supérieure ne sont pas conformes au droit de l'Union, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne ;

D'où il suit que, bien que la cour d'appel de renvoi se soit conformée à la doctrine de l'arrêt qui l'avait saisie, l'annulation est encourue ;

Vu les articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;

Attendu que la société eBizcuss a assigné les sociétés Apple devant le tribunal de commerce de Paris en soutenant que, dès l'ouverture de son premier Apple Store en France, en novembre 2009, Apple avait décidé le développement de son propre réseau de distribution et réservé, à cette fin, un traitement discriminatoire aux distributeurs indépendants qui, comme elle, en sont les principaux concurrents, en refusant ou en retardant la fourniture de nouveaux modèles au moment de leur mise sur le marché, puis en retardant les livraisons, la plaçant ainsi en situation de pénurie par rapport à son propre réseau de distribution, lui-même abondamment achalandé, en lui refusant la possibilité de procéder à la pré-vente de certains produits, par ailleurs offerte aux clients se rendant sur le site Internet Apple Store ou dans les magasins Apple Store, et en imposant à eBizcuss des tarifs grossistes supérieurs aux prix de vente au détail pratiqués sur le site Internet Apple Store ou dans les magasins Apple Store ; que ces pratiques anticoncurrentielles alléguées, qui se seraient matérialisées dans les relations contractuelles nouées entre les sociétés eBizcuss et Apple Sales International, au moyen des conditions contractuelles convenues avec elle, ne sont donc pas étrangères au rapport contractuel à l'occasion duquel la clause attributive de juridiction a été conclue ; que cette clause doit, donc, recevoir application ;

D'où il suit que, le comportement anticoncurrentiel allégué à l'encontre des sociétés Apple étant en lien avec le contrat contenant la clause attributive de juridiction, la Cour de cassation est en mesure de mettre fin au litige en constatant l'incompétence des juridictions françaises ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 octobre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il fixe à la somme de 1 000 euros la créance de la société Apple Sales International, au passif de la liquidation judiciaire de la société eBizcuss.com au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Vigneau - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer -

Textes visés :

Article 23 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 11 octobre 2017, pourvoi n° 16-25.259, Bull. 2017, I, n° 216 (renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne), et l'arrêt cité. Sur la portée d'une clause attributive de juridiction ne se référant pas expressément aux différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d'une infraction au droit de la concurrence, cf. : CJUE, arrêt du 24 octobre 2018, Apple Sales International e.a., C-595/17. Ch. mixte, 30 avril 1971, pourvoi n° 61-11.829, Bull. 1971, Ch. mixte, n° 8 (rejet). Sur l'obligation de laisser inappliquées des appréciations portées par une juridiction supérieure nationale lorsque celles-ci ne sont pas conformes au droit de l'Union, tel qu'interprété par la CJUE, cf. : CJUE, arrêt du 20 octobre 2011, Interedil, C-396/09 ; CJUE, ordonnance du 24 mai 2016, Leonmobili et Leone, C-335/15.

2e Civ., 24 janvier 2019, n° 17-20.191, (P)

Cassation partielle

Sécurité sociale – Règlement (CEE) n° 1408/71 du 14 juin 1971 – Article 14, § 2 – Activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs Etats membres – Salarié faisant partie du personnel roulant ou navigant d'une entreprise effectuant des transports internationaux – Certificat E 101 – Délivrance – Effets – Caractère obligatoire du certificat – Portée

Il résulte de l'article 11, § 1er, du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d'application du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, de l'article 14, § 2, sous a), du règlement n° 1408/71, dans leur version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005, de l'article 5 du règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d'application du règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, des principes de primauté et d'effectivité du droit de l'Union européenne et de l'article 88-1 de la Constitution qu'un certificat E 101 délivré par l'institution désignée par l'autorité compétente d'un Etat membre lie tant les institutions de sécurité sociale de l'Etat membre dans lequel le travail est effectué que les juridictions de cet Etat

membre, même lorsqu'il est constaté par celles-ci que les conditions de l'activité du travailleur concerné n'entrent manifestement pas dans le champ d'application matériel de cette disposition du règlement n° 1408/71.

Dès lors, les institutions des Etats amenés à appliquer les règlements n° 1408/71 et 574/72, doivent, même dans une telle situation, suivre la procédure fixée par la Cour de justice en vue de résoudre les différends entre les institutions des Etats membres qui portent sur la validité ou l'exactitude d'un certificat E 101.

En conséquence viole ces textes, la cour d'appel qui, pour rejeter la demande d'annulation du redressement de cotisations sociales, retient que la validité des certificats de détachement des salariés n'avait pas lieu d'être examinée puisque la juridiction pénale avait retenu que le lien de subordination avait été transféré et que les salariés étaient liés à la société de droit français par un contrat de travail, ce qui excluait une situation de détachement au sens de la réglementation européenne.

Sécurité sociale – Règlement (CEE) n° 1408/71 du 14 juin 1971 – Règlement (CEE) n° 574/72 du 21 mars 1972 – Certificat E 101 – Validité – Contestation – Conditions – Détermination – Portée

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article 11, paragraphe 1er, du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d'application du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, l'article 14, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1408/71, dans leur version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005, l'article 5 du règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d'application du règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, ensemble les principes de primauté et d'effectivité du droit de l'Union européenne et l'article 88-1 de la Constitution ;

Attendu qu'il résulte du premier de ces textes qu'un certificat E 101 délivré par l'institution désignée par l'autorité compétente d'un Etat membre, au titre du deuxième texte, lie tant les institutions de sécurité sociale de l'Etat membre dans lequel le travail est effectué que les juridictions de cet Etat membre, même lorsqu'il est constaté par celles-ci que les conditions de l'activité du travailleur concerné n'entrent manifestement pas dans le champ d'application matériel de cette disposition du règlement n° 1408/71 ; que les institutions des États amenés à appliquer les règlements n° 1408/71 et 574/72, doivent, même dans une telle situation, suivre la procédure fixée par la Cour de justice en vue de résoudre les différends entre les institutions des États membres qui portent sur la validité ou l'exactitude d'un certificat E 101 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que lors d'un contrôle le 30 mai 2006 sur un chantier de construction, réalisé par la société Batival, il a été constaté la présence de plusieurs salariés de nationalité polonaise de l'entreprise BCG ; que par un jugement d'un tribunal correctionnel du 22 avril 2009, confirmé en appel le 5 octobre 2010, la société Batival (la société) a été reconnue coupable de prêt de main d'oeuvre illicite par personne morale hors du cadre du travail temporaire, et exécution d'un travail dissimulé entre mars 2006 et août 2007 ; qu'à la suite de cette condamnation, l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales de Franche-Comté (l'URSSAF) a adressé le 20 juin 2008 à la société une lettre d'observations lui notifiant un redressement de cotisations sociales et d'annulation du bénéficie de la réduction sur les cotisations sur les bas salaires ; que la société a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale ;

Attendu que pour rejeter ce recours, l'arrêt retient que l'analyse de la situation de détachement, au sens soit de l'arrangement administratif fixant diverses mesures d'application de la convention générale de sécurité sociale entre la France et la Pologne du 2 juin 1948, soit de la réglementation européenne, invoquées cumulativement par la société Batival, qui constitue l'essentiel de l'argumentation de cette dernière, suppose le maintien d'un lien de subordination entre l'employeur du pays d'envoi et le salarié ; que la juridiction pénale ayant retenu que le lien de subordination avait été transféré et que les salariés étaient liés à la société Batival par un contrat de travail, il ne pouvait donc exister de situation de détachement au sens de ces dispositions, de sorte que l'argumentation de l'intimée sur ce point, et notamment la validité des certificats de détachement, n'a pas lieu d'être examinée ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable l'action de la société Batival, l'arrêt rendu le 28 avril 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ; remet, en conséquence, sauf sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Dijon.

- Président : Mme Flise - Rapporteur : Mme Brinet - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer ; SCP Gatineau et Fattaccini -

Textes visés :

Article 11, § 1er, du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d'application du règlement (CEE) n° 1408/71, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté ; article 14, § 2, sous a), du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971, ces deux articles dans leur version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005 ; article 5 du règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d'application du règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale ; principes de primauté et d'effectivité du droit de l'Union européenne ; article 88-1 de la Constitution.

Rapprochement(s) :

Ass. plén., 22 décembre 2017, pourvoi n° 13-25.467, Bull. 2017, Ass. plén. (cassation).

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.