Numéro 1 - Janvier 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2019

OFFICIERS PUBLICS OU MINISTERIELS

1re Civ., 9 janvier 2019, n° 18-50.032, (P)

Cassation

Notaire – Nomination – Nomination soumise au statut du notariat en Polynésie française – Prestation de serment – Notaires salariés ayant déjà exercé leurs fonctions en Polynésie française – Dispense – Délivrance en considération d'un arrêté de nomination déterminé – Nécessité

Sur le moyen unique, pris en sa cinquième branche :

Vu l'article 80 de la délibération n° 99-54 APF du 22 avril 1999 modifiée portant refonte du statut du notariat en Polynésie française, ensemble l'article 5 du code civil ;

Attendu qu'il résulte du premier de ces textes que, dans les deux mois de la notification de sa nomination, le notaire nouvellement nommé est, à peine de déchéance, sauf s'il peut justifier d'un empêchement de force majeure, tenu de prêter, à l'audience de la cour d'appel à laquelle une ampliation de son arrêté de nomination a été notifiée, le serment de remplir ses fonctions avec exactitude et probité ; qu'il n'a le droit d'exercer qu'après avoir prêté ce serment ; que, cependant, les notaires salariés ayant déjà exercé leurs fonctions en Polynésie française peuvent être dispensés d'une nouvelle prestation de serment ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que M. X... a été nommé notaire salarié au sein de l'office notarial Bernard A... par arrêté du 17 septembre 2009 et a prêté serment, en cette qualité, le 22 octobre de la même année ; qu'un arrêté du 31 août 2017, publié au Journal officiel de la Polynésie française le 8 septembre suivant, a constaté la démission de Bernard A..., nommé la SCP « Office notarial Bernard A... et Alexandre X... » titulaire de son office et désigné Bernard A..., depuis décédé, et M. X... en qualité de notaires associés ; que, le 7 novembre 2017, M. X... a présenté une requête aux fins d'être dispensé de prêter à nouveau serment ; qu'un arrêté du 8 novembre 2017 a retiré l'arrêté de nomination du 31 août 2017, à défaut de prestation de serment de M. X... dans le délai imparti ; que cet arrêté a été annulé par jugement du tribunal administratif de la Polynésie française du 18 septembre 2018, l'annulation prononcée ne prenant effet qu'à compter du 1er octobre 2018, sous réserve des actions contentieuses déjà engagées contre les actes pris sur son fondement ;

Attendu qu'après avoir constaté que M. X... avait déjà prêté serment en qualité de notaire salarié et exercé ses fonctions en Polynésie française, la cour d'appel l'a dispensé d'une nouvelle prestation de serment pour l'exécution de tout arrêté du président de la Polynésie française pris en conseil des ministres qui le nomme notaire associé dans une société titulaire d'une charge de notaire ;

Qu'en statuant ainsi, par voie de disposition générale, alors que la dispense de prestation de serment ne peut être accordée qu'en considération d'un arrêté de nomination déterminé, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 décembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Papeete, autrement composée.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Canas - Avocat général : M. Sudre - Avocat(s) : SCP Monod, Colin et Stoclet -

Textes visés :

Article 5 du code civil ; article 80 de la délibération n° 99-54 APF du 22 avril 1999 modifiée portant refonte du statut du notariat en Polynésie française.

1re Civ., 9 janvier 2019, n° 17-31.609, n° 17-31.610, (P)

Cassation partielle

Notaire – Responsabilité – Obligation d'éclairer les parties – Etendue – Cas – Levée de l'obtion d'un crédit-bail immobilier et bail commercial consenti par le crédit-preneur – Conséquences fiscales – Applications diverses

En l'absence d'effet translatif de propriété, un bail commercial d'un immeuble ne constitue pas l'acte qui constate le transfert de propriété de celui-ci, au sens de l'article 93 quater, IV, du code général des impôts.

En conséquence, viole ce texte, ainsi que l'article 1382, devenu 1240 du code civil, la cour d'appel qui, pour rejeter les demandes formées par les clients d'un notaire à l'encontre de ce dernier, retient que le lien de causalité entre la faute du notaire et les préjudices subis n'est pas établi, dès lors que rien ne démontre que l'administration fiscale, informée de l'existence d'un bail commercial ayant opéré le transfert de propriété préalablement à l'acte authentique qui avait constaté la levée de l'option d'un crédit-bail portant sur la parcelle du terrain sur laquelle avait été édifié le bâtiment à usage industriel donné à bail et avait modifié, dès sa conclusion, le régime fiscal des revenus produits par ce bail, aurait apporté une réponse favorable à une demande de report d'imposition formulée dans un acte que les parties auraient ultérieurement requis le notaire d'authentifier.

Vu leur connexité, joint les pourvois n° 17-31.609 et 17-31.610 ;

Donne acte à Mme Martine X... et à MM. Marcel, Mathieu et Z... X... (les consorts X...) du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société CNA Audit ;

Sur les moyens uniques des pourvois, pris en leurs premières branches, rédigés en termes identiques, réunis :

Vu l'article 93 quater, IV, du code général des impôts, ensemble l'article 1382, devenu 1240 du code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, le 20 juillet 1991, la société Batimap-Sicomi a consenti à la société civile immobilière BMP (la SCI), constituée par les consorts X..., un crédit-bail immobilier portant sur une parcelle de terrain sur laquelle a été édifié un bâtiment à usage industriel ; que, par acte authentique du 4 septembre 2008, reçu par M. A... (le notaire), la SCI a levé l'option du crédit-bail ; qu'un bail commercial a été conclu entre la SCI et la société PTA, à effet du 1er août 2008, qui s'est substitué à une sous-location conclue entre les mêmes parties ; que, par acte du 27 juillet 2011, reçu par le notaire, les consorts X... ont demandé à bénéficier du report d'imposition de la plus-value constatée lors de la levée de l'option d'achat ; que l'administration fiscale a notifié aux consorts X... une proposition de rectification, précisant que la demande de report d'imposition aurait dû être formulée dans l'acte authentique du 4 septembre 2008 constatant le transfert de la propriété de l'immeuble ; qu'ils ont notamment assigné le notaire en responsabilité et indemnisation ;

Attendu que, pour rejeter les demandes des consorts X..., l'arrêt retient que la faute du notaire est caractérisée, dès lors qu'il s'est abstenu de rechercher le régime fiscal auquel était soumise la SCI et n'a pas mis ses associés en mesure de demander le report d'imposition de la plus-value conformément aux dispositions de l'article 93 quater, IV, paragraphes 1 et 3, du code général des impôts ; qu'il ajoute que, cependant, le lien de causalité entre cette faute et les préjudices par eux subis n'est pas établi, dès lors que rien ne démontre que l'administration fiscale, informée de l'existence d'un bail commercial ayant opéré le transfert de propriété préalablement à l'acte authentique qui avait constaté la levée de l'option et modifié, dès sa conclusion, le régime fiscal des revenus produits par ce bail, aurait apporté une réponse favorable à une demande de report d'imposition formulée dans un acte que les parties auraient ultérieurement requis le notaire d'authentifier ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'en l'absence d'effet translatif de propriété, un bail commercial d'un immeuble ne constitue pas l'acte qui constate le transfert de propriété de celui-ci, au sens de l'article 93 quater, IV, du code général des impôts, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches des moyens :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de Mme Martine X... et de MM. Marcel, Mathieu et Z... X... dirigées contre M. A... et la SCP Xavier G..., Pierre B..., Pierre A..., Stéphanie C..., l'arrêt rendu le 23 octobre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Truchot - Avocat général : M. Sudre (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 1382, devenu 1240 du code civil ; article 93 quater, IV, du code général des impôts.

1re Civ., 9 janvier 2019, n° 17-27.411, (P)

Cassation partielle

Notaire – Responsabilité – Rédaction des actes authentiques – Recherche de l'efficacité de l'acte – Obligations en découlant – Formalités nécessaires à la mise en place des sûretés – Cas – Inscription partielle du privilège du prêteur – Effet

Le notaire, tenu d'assurer l'efficacité des actes auxquels il prête son concours ou qu'il a reçu mandat d'accomplir, doit, sauf s'il en est dispensé expressément par les parties, veiller à l'accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés qui en garantissent l'exécution. Dès lors, viole l'article 1382, devenu 1240 du code civil, ensemble les articles 815-17, 2377, et 2379, alinéa 1, du même code, une cour d'appel qui, pour rejeter la demande de dommages-intérêts formée par une banque à l'encontre d'un notaire, retient que, l'acte de vente notarié prévoyant une inscription du privilège de prêteur de deniers sur la totalité du bien immobilier, l'inscription sur la seule part du coacquéreur emprunteur est sans incidence sur les droits que la banque tient du titre, alors que, du fait de cette inscription, la banque avait, à l'égard des tiers, la qualité de créancier personnel du coïndivisaire emprunteur, de sorte qu'elle ne pouvait exercer son droit de poursuite sur l'immeuble indivis.

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, suivant acte reçu le 20 novembre 2003 par M. X... (le notaire), M. Y... et Mme Z... ont acquis un ensemble immobilier, en indivision pour la nue-propriété, à concurrence respectivement de 38 % et 62 %, et en tontine pour l'usufruit ; que M. Y..., artisan, a financé l'acquisition de sa part au moyen d'un prêt consenti par la société Banque populaire Loire et Lyonnais, aux droits de laquelle vient la société Banque populaire Auvergne Rhône Alpes (la banque), et garanti par un privilège de prêteur de deniers ; que ce privilège a été inscrit par le notaire sur la seule quote-part de M. Y... ; que celui-ci a été placé en liquidation judiciaire par jugement du 2 mars 2010 ; qu'après avoir déclaré sa créance, la banque a assigné, d'une part, M. Y... et Mme Z... en partage de l'indivision existant sur l'immeuble, d'autre part, le notaire en responsabilité et indemnisation ;

Sur le moyen unique, pris en ses première et deuxième branches :

Attendu que la banque fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages-intérêts formée à l'encontre du notaire, alors, selon le moyen :

1°/ que le notaire est tenu d'assurer l'efficacité juridique des actes qu'il instrumente ; que seuls les créanciers qui auraient pu agir sur les biens indivis avant qu'il n'y eût indivision sont payés sur l'actif indivis avant le partage ; que le créancier prêteur de deniers qui n'est créancier que de l'un des emprunteurs indivisaires ne peut agir, avant l'acquisition indivise, sur l'immeuble qui n'appartient pas à son débiteur ; qu'en retenant pourtant en l'espèce que « la Banque pouvait poursuivre la vente forcée de l'immeuble dont elle a financée l'acquisition sans passer par une procédure préalable de partage », la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240 du code civil, ensemble l'article 815-17 du même code ;

2°/ que le notaire est tenu d'assurer l'efficacité juridique des actes qu'il instrumente ; qu'en vertu de l'effet déclaratif du partage, l'indivisaire à qui le bien est attribué dans l'acte de partage est réputé en être seul propriétaire depuis la date de son acquisition ; qu'en conséquence, le privilège du prêteur de deniers inscrit du chef de l'autre indivisaire est réputé rétroactivement n'avoir jamais existé ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que, s'agissant de l'immeuble assiette de la sûreté, Mme Z... et M. Y... sont « en indivision pour la nue-propriété » à concurrence, respectivement, de 62 % et 38 % ; que la cour d'appel a encore relevé que le notaire instrumentaire n'a inscrit le privilège que « du seul chef de M. Serge Y... sur les 38 % de la propriété et sur l'usufruit en tontine » ; qu'il en résultait nécessairement que l'acte instrumenté par le notaire n'était pas efficace, puisqu'il faisait courir le risque à la banque de perdre le bénéfice de sa sûreté au moment du partage, si le bien était attribué à Mme Z... ; qu'en décidant l'inverse au prétexte que « le privilège grève de plein droit la totalité de l'immeuble acquis », la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240 du code civil, ensemble l'article 883 du même code ;

Mais attendu que, même dans l'hypothèse où un prêt est souscrit par l'un seulement des acquéreurs d'un bien immobilier, pour financer sa part, l'assiette du privilège de prêteur de deniers est constituée par la totalité de l'immeuble et le prêteur, titulaire d'une sûreté légale née antérieurement à l'indivision, peut se prévaloir des dispositions de l'article 815-17, alinéa 1er, du code civil ; que, dès lors, la cour d'appel a exactement retenu que ce privilège grevait de plein droit la totalité de l'immeuble acquis, même s'il était né du chef d'un seul acquéreur, et que la banque aurait pu poursuivre la vente forcée de l'immeuble dont elle avait partiellement financé l'acquisition sans engager une procédure préalable de partage et sans que puissent lui être opposés les démembrements de la propriété convenus entre les acquéreurs ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur la troisième branche de ce moyen :

Vu l'article 1382, devenu 1240 du code civil, ensemble les articles 815-17, 2377 et 2379, alinéa 1, du même code ;

Attendu que le notaire, tenu d'assurer l'efficacité des actes auxquels il prête son concours ou qu'il a reçu mandat d'accomplir, doit, sauf s'il en est dispensé expressément par les parties, veiller à l'accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés qui en garantissent l'exécution ;

Attendu que, pour rejeter la demande de la banque dirigée contre le notaire, après avoir relevé que l'acte du 20 novembre 2003 prévoyait l'inscription du privilège de prêteur de deniers sur l'entier immeuble et précisait que Mme Z... était informée que l'inscription prise contre M. Y... portait sur la totalité du bien, l'arrêt retient que la publicité foncière est destinée à l'information des tiers et à leur rendre opposables les conventions portant sur les droits réels et les sûretés et que, dès lors, le caractère restrictif de l'inscription litigieuse, tenant aux règles issues du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, est sans incidence sur les droits que la banque tient du titre ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, du fait de l'inscription du privilège de prêteur de deniers sur la seule part de M. Y..., la banque avait, à l'égard des tiers, la qualité de créancier personnel du coïndivisaire emprunteur, de sorte qu'elle ne pouvait exercer son droit de poursuite sur l'immeuble indivis, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la quatrième branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de dommages-intérêts formée par la société Banque populaire Auvergne Rhône Alpes à l'encontre de M. X..., l'arrêt rendu le 12 septembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Canas - Avocat général : M. Ingall-Montagnier (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 815-17, alinéa 1, du code civil ; articles 815-17, 2377, 2379 et 1382, devenu 1240, du code civil.

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