Numéro 1 - Janvier 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2019

DONATION

1re Civ., 16 janvier 2019, n° 18-10.603, (P)

Cassation partielle

Révocation – Inexécution des charges – Action en révocation – Titulaires – Détermination – Portée

Il résulte des articles 953 et 954 du code civil que l'action en révocation d'une donation pour inexécution des charges, qui tend à la restitution du bien donné, peut être intentée par le donateur ou ses héritiers.

Viole ces textes la cour d'appel qui, après avoir constaté qu'une donation d'oeuvres d'art avait été subordonnée par leur auteur à l'absence de revente et d'exploitation à des fins commerciales de ces oeuvres, déclare irrecevable la demande de révocation pour inexécution des charges formée par sa veuve, bénéficiaire notamment de l'attribution intégrale en toute propriété des biens meubles dépendant de la communauté universelle, aux motifs que les charges relevant, par leur nature, du droit moral de l'artiste, entièrement dévolu à ses enfants, celle-ci n'avait pas qualité à agir.

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Simon Y... a consenti à l'association L'Incitation à la création (IAC) une donation portant sur quatorze de ses oeuvres, en précisant, par lettre du 5 mars 1987 adressée au vice-président de celle-ci, que « ces oeuvres ne pourront en aucun cas être revendues et qu'elles ne pourront être utilisées que pour des accrochages ou des expositions à caractère non commercial et non publicitaire » ; que Simon Y... est décédé le [...], laissant pour lui succéder son épouse, Mme X..., bénéficiaire de l'attribution intégrale en toute propriété des biens meubles et immeubles dépendant de la communauté universelle, ainsi que de l'usufruit des droits patrimoniaux d'auteur, et ses cinq enfants issus de leur union, Daniel, Jean-Marc, André, Pierre et Anna (les consorts Y...), qui ont reçu la nue-propriété de ces droits et le droit moral ; qu'ayant découvert, en novembre 2012, que l'oeuvre « [...] », incluse dans cette donation, allait faire l'objet d'une vente aux enchères publiques à la requête de la société Total lubrifiants, et que le débiteur saisi n'était pas l'association IAC mais M. A..., son président depuis 1988, Mme X... a fait procéder, avant la vente, à une saisie-revendication, puis a assigné l'association IAC, M. A... et la société Total lubrifiants en révocation de la donation pour inexécution fautive des charges ; que ses enfants sont intervenus volontairement à l'instance ;

Sur le deuxième et le troisième moyens du pourvoi principal et les deux moyens du pourvoi incident, ci-après annexés :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, qui est recevable :

Vu les articles 953 et 954 du code civil ;

Attendu que l'action en révocation d'une donation pour inexécution des charges peut être intentée par le donateur ou ses héritiers ;

Attendu que, pour dire que Mme X... est dépourvue de qualité pour agir en révocation de la donation et en conséquence déclarer irrecevables ses demandes, l'arrêt relève que celle-ci sollicite la révocation de la donation au motif que la volonté de son époux tenant à l'absence de revente des oeuvres ou à leur exposition n'a pas été respectée ; qu'il énonce que ces charges invoquées ne relèvent pas, par leur nature, de la propriété matérielle des supports des oeuvres et ne peuvent être assimilées à des charges grevant des donations portant sur des biens matériels, mais relèvent du droit moral de l'artiste, peu important que l'association n'ait pas été investie du moindre droit d'auteur ; qu'il en déduit que Mme X... agit donc afin que soit respecté le droit moral de Simon Y..., lequel a été dévolu à ses enfants ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la donation portait sur des biens corporels, dont l'action en révocation pour inexécution de charges engagée par Mme X... tendait à la restitution, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que Mme X... est dépourvue de qualité pour agir en révocation de la donation et en conséquence déclare irrecevables ses demandes, l'arrêt rendu le 22 décembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Auroy - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Bénabent ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Articles 953 et 954 du code civil.

1re Civ., 30 janvier 2019, n° 18-10.091, (P)

Cassation partielle sans renvoi

Révocation – Ingratitude – Action en révocation – Exercice – Délai – Point de départ – Report au jour de la condamnation pénale établissant la réalité des faits reprochés – Détermination – Portée

L'article 957 du code civil, qui fixe le point de départ du délai d'un an pour exercer l'action en révocation pour cause d'ingratitude au jour du délit imputé au donataire ou au jour où ce délit aura pu être connu de celui-ci, n'exclut pas que, lorsque le fait constitue une infraction pénale, ce point de départ soit retardé jusqu'au jour où la condamnation pénale établit la réalité de ce fait, c'est-à-dire au jour où elle devient définitive, peu important qu'il n'ait pas mis lui-même en mouvement l'action publique.

Révocation – Ingratitude – Conditions – Faits délictueux commis à l'encontre du donateur – Exclusion – Cas – Infractions commises au préjudice de sociétés dans lesquelles les donateurs avaient des intérêts

Il résulte de l'article 955 du code civil que la révocation d'un acte de donation pour ingratitude ne peut être prononcée que pour des faits commis à l'encontre du donateur. En conséquence, la révocation de l'acte de donation ne peut être prononcée lorsque les infractions n'ont pas été commises au préjudice des donateurs mais de sociétés dans lesquelles ils avaient des intérêts.

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, par acte authentique du 21 décembre 2007, M. et Mme X... ont consenti à leurs deux enfants, Valérie et C..., une donation-partage incorporant plusieurs donations antérieures, aux termes de laquelle ce dernier a reçu la nue-propriété de 66 % des actions de la société financière X... (SFR) constituée par son père, holding regroupant plusieurs sociétés civiles immobilières et commerciales, l'usufruit étant conservé par les donateurs ; qu'un arrêt du 17 décembre 2013, devenu définitif, a condamné M. C... X... pour abus de biens sociaux, abus de confiance et complicité d'abus de confiance au préjudice des sociétés SFR et Néra propreté Provence ; que, le 30 juin 2014, M. et Mme X... ont assigné leur fils en révocation des donations consenties le 21 décembre 2007 pour cause d'ingratitude et paiement de dommages-intérêts ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. C... X... fait grief à l'arrêt de déclarer l'action recevable, alors, selon le moyen :

1°/ que si l'article 957 du code civil, qui fixe le point de départ du délai d'exercice de l'action en révocation pour cause d'ingratitude au jour du délit civil imputé au donataire ou au jour où ce délit aura pu être connu du disposant, n'exclut pas que, lorsque le fait invoqué constitue une infraction pénale, ce point de départ soit retardé jusqu'au jour où la condamnation pénale aura établi la réalité des faits reprochés au gratifié, c'est à la condition que le délai d'un an ne soit pas expiré au jour de la mise en mouvement de l'action publique par le demandeur à la révocation ; que le report du point de départ du délai préfix au jour de la condamnation pénale définitive suppose ainsi que le donateur ait été à l'initiative de la mise en mouvement de l'action publique ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 957 du code civil ;

2°/ qu'en retenant que les donateurs avaient pu introduire leur demande en révocation dans le délai d'un an à compter du jour où la condamnation pénale du donataire était devenue définitive, sans constater que le délai préfix d'un an n'était pas expiré au jour de la mise en mouvement de l'action publique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 957 du code civil ;

Mais attendu que l'arrêt relève qu'à la suite d'une enquête préliminaire ordonnée en janvier 2010 par le procureur de la République, à réception d'une dénonciation de faits suspects émanant du commissaire aux comptes de la société SFR, et d'une plainte des sociétés SFR et Néra propreté Provence, une information judiciaire a été ouverte le 18 juin 2011, qui a abouti au renvoi de M. C... X... devant le tribunal correctionnel ; qu'il retient que M. et Mme X... ne pouvaient agir en révocation de la donation avant la condamnation définitive de leur fils, dès lors qu'ils invoquaient contre lui, à titre de délits civils, des faits constitutifs d'infractions pénales ; que, de ces énonciations et appréciations, sans avoir à constater que le délai d'un an prévu à l'article 957 du code civil n'était pas expiré lors de la mise en mouvement de l'action publique dès lors que ce point n'était pas discuté, la cour d'appel a exactement déduit que l'action en révocation de la donation, engagée moins d'un an après la condamnation pénale définitive établissant la réalité des faits reprochés à leur fils, était recevable ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article 955 du code civil ;

Attendu qu'il résulte de ce texte que la révocation d'un acte de donation pour ingratitude ne peut être prononcée que pour des faits commis à l'encontre du donateur ;

Attendu que, pour dire que les faits imputables à M. C... X..., matérialisés à travers différentes infractions pénales pour lesquelles il a été définitivement condamné, constituent le délit civil visé à l'article 955, 2°, du code civil et justifient qu'il soit fait droit à l'action révocatoire, l'arrêt énonce que celui-ci a ainsi manqué à une obligation de reconnaissance envers ses parents qui l'avaient gratifié et que le détournement des fichiers clients de l'entreprise Néra propreté Provence a notamment concrétisé son intention de concurrencer, par des moyens illicites, l'activité des sociétés créées par son père ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, M. C... X... ayant été définitivement condamné pour des infractions commises au préjudice des sociétés SFR et Néra propreté Provence et non pour des faits commis envers les donateurs, ces délits n'étaient pas de nature à constituer l'une des causes de révocation légalement prévues, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et vu les articles L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare M. et Mme X... recevables en leur action, l'arrêt rendu le 8 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Rejette les demandes de M. et Mme X... en révocation des donations consenties à M. C... X... suivant acte authentique du 21 décembre 2007 et en paiement de dommages-intérêts.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Reygner - Avocat(s) : Me Le Prado ; SCP Bénabent -

Textes visés :

Article 957 du code civil ; article 955 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur le report du point de départ du délai d'exercice de l'action en révocation pour cause d'ingratitude lorsque le fait imputé au donataire constitue une infraction pénale, à rapprocher : 1re Civ., 19 mars 2014, pourvoi n° 13-15.662, Bull. 2014, I, n° 43 (rejet), et les arrêts cités.

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