Numéro 1 - Janvier 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 1 - Janvier 2019

CASSATION

1re Civ., 30 janvier 2019, n° 16-25.259, (P)

Annulation sans renvoi

Moyen – Décision d'une juridiction de renvoi – Doctrine conforme à celle de l'arrêt de cassation – Moyen le critiquant de ce chef – Recevabilité – Cas – Appréciation de la Cour de cassation non conforme au droit de l'Union tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne

Par arrêt du 20 octobre 2011 (C-396/09 Interedil), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que le droit de l'Union s'oppose à ce qu'une juridiction nationale soit liée par une règle de procédure nationale, en vertu de laquelle les appréciations portées par une juridiction supérieure nationale s'imposent à elle, lorsqu'il apparaît que les appréciations portées par la juridiction supérieure ne sont pas conformes au droit de l'Union, tel qu'interprété par la Cour. Il s'ensuit qu'un moyen, qui reproche à la juridiction de renvoi d'avoir statué conformément à l'arrêt de cassation qui la saisissait, est recevable lorsqu'il soutient, à bon droit, que les appréciations portées par la juridiction supérieure ne sont pas conformes au droit de l'Union, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne.

Sur le moyen unique, pris en ses trois premières branches :

Vu l'article 23 du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 7 octobre 2015, pourvoi n° 14-16.898), que la société eBizcuss.com (eBizcuss) s'est vue reconnaître la qualité de revendeur agréé pour les produits de la marque Apple par contrat conclu le 10 octobre 2002 avec la société Apple Sales International, contenant une clause attributive de compétence au profit des juridictions irlandaises ; qu'invoquant des pratiques anticoncurrentielles et des actes de concurrence déloyale qui auraient été commis à partir de l'année 2009 par les sociétés Apple Sales International, Apple Inc. et Apple retail France (Apple), la société eBizcuss, désormais représentée par la société MJA, en qualité de mandataire liquidateur, les a assignées en réparation de son préjudice devant un tribunal de commerce sur le fondement des articles 1382, devenu 1240 du code civil, L. 420-2 du code de commerce et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; que l'arrêt ayant accueilli l'exception d'incompétence soulevée par la société Apple Sales International a été cassé, au visa de l'article 23 du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 ;

Attendu que, pour accueillir le contredit de compétence et renvoyer l'affaire devant le tribunal de commerce de Paris, l'arrêt retient que la clause attributive de compétence invoquée par les sociétés Apple ne stipule pas expressément qu'elle trouve à s'appliquer en matière d'abus de position dominante ou de concurrence déloyale ;

Attendu cependant que, saisie par voie préjudicielle, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE 24 octobre 2018, C-595/17) a dit pour droit que l'article 23 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que l'application, à l'égard d'une action en dommages-intérêts intentée par un distributeur à l'encontre de son fournisseur sur le fondement de l'article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, d'une clause attributive de juridiction contenue dans le contrat liant les parties n'est pas exclue au seul motif que cette clause ne se réfère pas expressément aux différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d'une infraction au droit de la concurrence ;

Et attendu que, par arrêt du 20 octobre 2011 (C-396/09 Interedil), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que le droit de l'Union s'oppose à ce qu'une juridiction nationale soit liée par une règle de procédure nationale, en vertu de laquelle les appréciations portées par une juridiction supérieure nationale s'imposent à elle, lorsqu'il apparaît que les appréciations portées par la juridiction supérieure ne sont pas conformes au droit de l'Union, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne ;

D'où il suit que, bien que la cour d'appel de renvoi se soit conformée à la doctrine de l'arrêt qui l'avait saisie, l'annulation est encourue ;

Vu les articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;

Attendu que la société eBizcuss a assigné les sociétés Apple devant le tribunal de commerce de Paris en soutenant que, dès l'ouverture de son premier Apple Store en France, en novembre 2009, Apple avait décidé le développement de son propre réseau de distribution et réservé, à cette fin, un traitement discriminatoire aux distributeurs indépendants qui, comme elle, en sont les principaux concurrents, en refusant ou en retardant la fourniture de nouveaux modèles au moment de leur mise sur le marché, puis en retardant les livraisons, la plaçant ainsi en situation de pénurie par rapport à son propre réseau de distribution, lui-même abondamment achalandé, en lui refusant la possibilité de procéder à la pré-vente de certains produits, par ailleurs offerte aux clients se rendant sur le site Internet Apple Store ou dans les magasins Apple Store, et en imposant à eBizcuss des tarifs grossistes supérieurs aux prix de vente au détail pratiqués sur le site Internet Apple Store ou dans les magasins Apple Store ; que ces pratiques anticoncurrentielles alléguées, qui se seraient matérialisées dans les relations contractuelles nouées entre les sociétés eBizcuss et Apple Sales International, au moyen des conditions contractuelles convenues avec elle, ne sont donc pas étrangères au rapport contractuel à l'occasion duquel la clause attributive de juridiction a été conclue ; que cette clause doit, donc, recevoir application ;

D'où il suit que, le comportement anticoncurrentiel allégué à l'encontre des sociétés Apple étant en lien avec le contrat contenant la clause attributive de juridiction, la Cour de cassation est en mesure de mettre fin au litige en constatant l'incompétence des juridictions françaises ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 octobre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il fixe à la somme de 1 000 euros la créance de la société Apple Sales International, au passif de la liquidation judiciaire de la société eBizcuss.com au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Vigneau - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer -

Textes visés :

Article 23 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 11 octobre 2017, pourvoi n° 16-25.259, Bull. 2017, I, n° 216 (renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne), et l'arrêt cité. Sur la portée d'une clause attributive de juridiction ne se référant pas expressément aux différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d'une infraction au droit de la concurrence, cf. : CJUE, arrêt du 24 octobre 2018, Apple Sales International e.a., C-595/17. Ch. mixte, 30 avril 1971, pourvoi n° 61-11.829, Bull. 1971, Ch. mixte, n° 8 (rejet). Sur l'obligation de laisser inappliquées des appréciations portées par une juridiction supérieure nationale lorsque celles-ci ne sont pas conformes au droit de l'Union, tel qu'interprété par la CJUE, cf. : CJUE, arrêt du 20 octobre 2011, Interedil, C-396/09 ; CJUE, ordonnance du 24 mai 2016, Leonmobili et Leone, C-335/15.

2e Civ., 31 janvier 2019, n° 17-28.605, (P)

Cassation

Pourvoi – Effet suspensif (non) – Exécution de la décision attaquée – Cassation ultérieure – Restitution – Applications diverses – Cassation d'un arrêt rendu en référé

Selon l'article L. 111-11 du code des procédures civiles d'exécution, sauf dispositions contraires, le pourvoi en cassation en matière civile n'empêche pas l'exécution de la décision attaquée. Cette exécution ne peut donner lieu qu'à restitution ; elle ne peut en aucun cas être imputée à faute.

Dès lors, encourt la cassation, l'arrêt qui retient qu'une partie qui a fait procéder à l'exécution forcée à ses risques et périls d'un arrêt rendu en matière de référé, engage sa responsabilité sur le fondement de l'article L. 111-10 du code des procédures civiles d'exécution, au motif qu'il constitue un titre exécutoire à titre provisoire n'ayant pas statué au fond, alors que la cassation d'un arrêt exécuté ne peut donner lieu qu'à restitution, peu important qu'il ait été rendu en matière de référé.

Pourvoi – Effet suspensif (non) – Exécution de la décision attaquée – Absence de faute

Sur le moyen unique :

Vu l'article L. 111-11 du code des procédures civiles d'exécution ;

Attendu qu'aux termes de ce texte, sauf dispositions contraires, le pourvoi en cassation en matière civile n'empêche pas l'exécution de la décision attaquée ; que cette exécution ne peut donner lieu qu'à restitution ; qu'elle ne peut en aucun cas être imputée à faute ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, statuant sur l'appel d'une ordonnance de référé du 6 décembre 2006 ayant débouté M. X... de ses demandes en résiliation du bail commercial le liant à la société Saber et en expulsion, une cour d'appel a, par un arrêt du 23 octobre 2007, infirmé cette décision et, statuant à nouveau, constaté la résiliation du bail, ordonné l'expulsion de la société Saber et a condamné cette dernière au paiement d'une indemnité d'occupation égale au montant du loyer ; que M. X... a fait signifier cet arrêt et fait délivrer un commandement d'avoir à quitter les lieux à la société Saber ; que par un arrêt du 9 décembre 2008 (3e Civ., 9 décembre 2008, pourvoi n° 07-22.002), la Cour de cassation a cassé l'arrêt du 23 octobre 2007 ; que par un arrêt irrévocable du 5 février 2015, la cour d'appel de renvoi a confirmé l'ordonnance de référé du 6 décembre 2006 ; que M. Y..., en qualité de liquidateur judiciaire de la société Saber, a saisi un juge de l'exécution à fin d'indemnisation du préjudice résultant de son départ des lieux en exécution de l'arrêt du 23 octobre 2007 sur le fondement de l'article L. 111-10 du code des procédures civiles d'exécution ;

Attendu que pour dire que la responsabilité de M. X... est engagée sur le fondement de l'article L. 111-10 du code des procédures civiles d'exécution, l'arrêt retient qu'il a fait procéder à l'exécution forcée à ses risques et périls d'un arrêt rendu en matière de référé, constituant un titre exécutoire à titre provisoire n'ayant pas statué au fond ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la cassation d'un arrêt exécuté ne peut donner lieu qu'à restitution, peu important qu'il ait été rendu en matière de référé, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 septembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.

- Président : Mme Flise - Rapporteur : Mme Lemoine - Avocat général : Mme Vassallo - Avocat(s) : SCP Lesourd ; Me Haas -

Textes visés :

Article L. 111-11 du code des procédures civiles d'exécution.

Com., 16 janvier 2019, n° 16-26.989, (P)

Renvoi

Pourvoi – Qualité pour le former – Entreprise en difficulté – Liquidation judiciaire – Débiteur dessaisi de l'administration de ses biens – Pourvoi formé par le débiteur seul à l'encontre d'une décision ayant une incidence sur son passif – Recevabilité – Indivisibilité à l'égard du liquidateur – Effets – Appel en intervention du liquidateur – Nécessité

Vu l'article 332 du code de procédure civile ;

Attendu que M. Y... a formé seul, le 5 décembre 2016, un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers du 30 mars 2016, qui, par confirmation du jugement qui lui était déféré, l'a condamné à relever et garantir Mme A..., dont il est divorcé, « de toutes les sommes qui pourraient être mises à [la] charge » de celle-ci au profit de divers créanciers ;

Attendu que si M. Y... est en liquidation judiciaire depuis le 18 septembre 2012 et si son liquidateur n'a pas été mis en cause devant les juges du fond, ni devant la Cour de cassation, le pourvoi n'est pas pour autant irrecevable, dès lors que M. Y... peut contester seul une décision qui a une incidence sur son passif ;

Qu'en revanche, en raison de l'indivisibilité de l'objet de ce pourvoi, qui concerne le passif et n'est donc pas étranger à la mission du liquidateur, la mise en cause de celui-ci est nécessaire à la régularisation de la procédure ;

PAR CES MOTIFS :

Invite M. Y... à mettre en cause son liquidateur ;

Lui impartit, à compter de ce jour, un délai de quatre mois pour effectuer cette mise en cause et dit qu'à défaut, l'irrecevabilité du pourvoi sera prononcée ;

Dit que l'affaire sera à nouveau examinée à l'audience de formation restreinte du 28 mai 2018.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Brahic-Lambrey - Avocat général : M. Le Mesle (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Didier et Pinet -

Textes visés :

Article 332 du code de procédure civile.

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