Numéro 9 - Septembre 2022

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

INSTRUCTION

Crim., 20 septembre 2022, n° 22-84.038, FS

Cassation sans renvoi

Désignation du juge d'instruction – Juge d'instruction empêché – Remplacement – Désignation anticipée par l'assemblée générale – Condition

Aux termes de l'article 50, alinéa 4, du code de procédure pénale, si le juge d'instruction est absent, malade ou autrement empêché, le tribunal judiciaire désigne l'un des juges de ce tribunal pour le remplacer.

En permettant par avance et de manière indifférenciée à l'ensemble des magistrats du siège de la juridiction de remplacer les juges d'instruction empêchés, l'assemblée générale du tribunal judiciaire n'a pas procédé à la désignation nominative exigée par ce texte.

M. [V] [W] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 16 juin 2022, qui, dans l'information suivie contre lui du chef de violences aggravées en récidive, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 22 avril 2022, une information a été ouverte au tribunal judiciaire de Saint-Nazaire du chef de violences aggravées.

3. Le 27 mai 2022, M. [V] [W] a été mis en examen du chef susmentionné. Incarcéré provisoirement le même jour, il a été placé en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention le 31 mai 2022.

4. M. [W] a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité de l'ordonnance de saisine du juge des libertés et de la détention, et a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ordonnant le placement en détention provisoire de M. [W], alors :

« 1°/ que les actes de la procédure doivent être annulés s'ils sont accomplis par un juge incompétent ; que tel est le cas lorsque, sauf urgence, dont il doit être justifié, le juge d'instruction empêché a été remplacé par un magistrat du siège qui n'a pas été nommément désigné par l'assemblée générale à ces fonctions, selon les modalités de l'article 50 du code de procédure pénale ; qu'en effet, il doit alors être établi qu'aucun autre juge d'instruction n'a pu être désigné pour remplacer le juge d'instruction empêché, qu'aucun juge n'a été spécialement désigné en application des dispositions de l'article 50 susvisé et de l'article R. 212-36 du code de l'organisation judiciaire ; enfin l'urgence et d'impossibilité de réunir l'assemblée générale des magistrats du tribunal doivent être constatées ; qu'en l'espèce, il résulte des motifs de l'arrêt que les deux juges d'instruction nommés étant absents le 27 mai 2022, Mme [Y], magistrat du siège, a été désigné par le tribunal pour remplacer Mme [J], juge d'instruction titulaire absente, tout magistrat du siège du tribunal judiciaire de Saint-Nazaire ayant, selon l'arrêt, vocation à pourvoir au remplacement du juge d'instruction empêché en application de l'ordonnance de roulement du 23 novembre 2021 ; qu'en statuant ainsi sans rechercher si les conditions susvisées, notamment l'urgence et l'impossibilité de réunir une assemblée générale étaient réunies, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 50, alinéa 4, 84, alinéas 3 et 4, 591 et 593 du code de procédure pénale, R. 212-36 du code de l'organisation judiciaire ;

2°/ que la chambre de l'instruction n'a pu sans excès de pouvoir considérer que l'ordonnance de roulement du 23 novembre 2021 a désigné indifféremment « tout magistrat du siège » du tribunal judiciaire de Saint-Nazaire pour exercer, en cas de nécessité, les fonctions de juge d'instruction, sans qu'aucune désignation nominative ne soit exigée, ce qui reviendrait à ce que tout magistrat du siège soit potentiellement juge d'instruction, en méconnaissance des règles d'ordre public qui gouvernent la désignation du juge d'instruction ; qu'ainsi l'arrêt qui relève que l'ordonnance de roulement du 23 novembre 2021 mentionne, s'agissant du service de l'instruction, que ce service est assuré par mesdames [C] et [J] et, en cas d'empêchement, « par l'ensemble des magistrats du siège, selon désignation spéciale par l'assemblée générale » ne pouvait en déduire qu'il résulte sans ambiguïté de cette ordonnance, que tout magistrat du siège a été désigné pour pourvoir au remplacement du juge d'instruction titulaire, et qu'ainsi, même en l'absence de toute désignation nominative par l'assemblée générale, Mme [Y] a été régulièrement désignée par le tribunal pour remplacer Mme [J] au demeurant « seulement absente », et que la saisine du juge des libertés et de la détention était dès lors régulière ; en validant une désignation absolument générale et non nominative, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés, et excédé ses pouvoirs, la cassation interviendra sans renvoi. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 50, alinéa 4, du code de procédure pénale et R. 212-36 du code de l'organisation judiciaire :

6. Selon ces textes, si le juge d'instruction est absent, malade ou autrement empêché, l'assemblée générale des magistrats du siège du tribunal désigne l'un des juges de ce tribunal pour le remplacer.

7. Pour écarter le moyen de nullité, pris de l'irrégularité de la désignation du magistrat ayant remplacé ponctuellement le juge d'instruction empêché, l'arrêt attaqué énonce que les magistrats du siège du tribunal judiciaire de Saint-Nazaire, réunis en assemblée générale, ont approuvé l'ordonnance de roulement qui attribue le service de l'instruction à deux d'entre eux, nommément désignés, et le cas échéant, en cas de nécessité, à tout autre magistrat du siège, selon les modalités prévues à l'article 50 du code de procédure pénale.

8. Les juges ajoutent qu'une ordonnance de roulement modificative, prise sur le fondement du procès-verbal de l'assemblée générale susmentionnée, a constaté la prochaine indisponibilité des deux juges d'instruction de la juridiction et désigné un autre magistrat du siège pour les remplacer.

9. Ils concluent que la saisine du juge des libertés et de la détention a été effectuée par un magistrat régulièrement désigné.

10. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des textes susvisés et du principe ci-dessus énoncé.

11. En effet, en permettant par avance et de manière indifférenciée à l'ensemble des magistrats du siège de la juridiction de remplacer les juges d'instruction empêchés, l'assemblée générale n'a pas procédé à la désignation nominative exigée par l'article 50, alinéa 4, du code de procédure pénale.

12. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

13. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

14. La détention provisoire ayant été ordonnée sur le fondement de la saisine du juge des libertés et de la détention par un magistrat qui n'avait pas été régulièrement désigné à cette fin, M. [W] doit être remis en liberté, s'il n'est détenu pour autre cause.

15. Cependant, les dispositions de l'article 803-7, alinéa 1, du code de procédure pénale permettent à la Cour de cassation de placer sous contrôle judiciaire la personne dont la détention provisoire est irrégulière en raison de la méconnaissance des formalités prévues par ce même code, dès lors qu'elle trouve dans les pièces de la procédure des éléments d'information pertinents et que la mesure apparaît indispensable pour assurer l'un des objectifs énumérés à l'article 144 du même code.

16. En l'espèce, il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable que M. [W] ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont le juge d'instruction est saisi.

17. La mesure de contrôle judiciaire est indispensable afin de :

 - garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice, un mandat de recherche ayant été nécessaire pour procéder à son interpellation dans la présente procédure ;

 - prévenir le renouvellement de l'infraction, l'intéressé ayant été précédemment condamné pour des faits de violences aggravées ;

 - empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices et empêcher une pression sur les témoins ou les victimes, en ce que les investigations se poursuivent afin d'identifier et interpeller les coauteurs des violences en réunion commises sur deux personnes.

18. Afin d'assurer ces objectifs, M. [W] sera astreint à se soumettre aux obligations précisées au dispositif.

19. Le magistrat chargé de l'information est compétent pour l'application des articles 139 et suivants et 141-2 et suivants du code de procédure pénale.

20. Le parquet général de cette Cour fera procéder aux diligences prévues par l'article 138-1 du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 16 juin 2022 ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

CONSTATE que M. [W] est détenu sans titre dans la présente procédure depuis le 27 mai 2022 ;

ORDONNE la mise en liberté de M. [W] s'il n'est détenu pour autre cause ;

ORDONNE le placement sous contrôle judiciaire de M. [W] ;

DIT qu'il est soumis aux obligations suivantes :

 - Ne pas sortir des limites territoriales suivantes : département de l'Ille-et-Vilaine ;

 - Ne s'absenter de son domicile ou de sa résidence, qu'il convient de fixer chez Mme [F] [D], [Adresse 1], qu'aux conditions suivantes : chaque jour de 6 heures 00 à 16 heures 00 ;

 - Se présenter, dans les deux jours ouvrables de sa libération, et ensuite chaque lundi, mercredi et vendredi à la gendarmerie de Vitré ;

 - S'abstenir de recevoir ou de rencontrer MM. [A] [B], [G] [B], [R] [P], [O] [K] et [N] [W], ainsi que d'entrer en relation de quelque façon que ce soit avec eux ;

DÉSIGNE pour veiller au respect des obligations prévues aux rubriques ci-dessus la gendarmerie de Vitré ;

DÉSIGNE le magistrat chargé de l'information aux fins d'assurer le contrôle de la présente mesure de sûreté ;

RAPPELLE qu'en application de l'article 141-2 du code de procédure pénale, toute violation de l'une quelconque des obligations ci-dessus expose la personne sous contrôle judiciaire à un placement en détention provisoire ;

DIT que le parquet général de cette Cour fera procéder aux diligences prévues par l'article 138-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge où à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Sottet - Avocat général : M. Lagauche - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 50 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 2 mars 2021, pourvoi n° 20-84.004, Bull. (rejet), et l'arrêt cité.

Crim., 21 septembre 2022, n° 22-84.128, (B), FRH

Rejet

Détention provisoire – Décision de prolongation – Débat contradictoire – Demande de renvoi – Rejet du juge des libertés et de la détention – Motivation – Nécessité – Applications diverses

Le juge des libertés et de la détention qui rejette une demande de report du débat contradictoire aux fins de prolongation de la détention provisoire doit motiver sa décision. Ces motifs peuvent être énoncés dans un courrier électronique, adressé à l'avocat de la personne mise en examen, dont fait état le procès-verbal de débat contradictoire.

Justifie sa décision la chambre de l'instruction qui, pour écarter le moyen de nullité tiré du défaut de réponse à la demande de renvoi formée avant l'ouverture du débat contradictoire par l'avocat de la personne mise en examen, énonce que l'ordonnance de prolongation de la détention provisoire vise le procès-verbal de débat contradictoire, lequel mentionne le courrier électronique adressé à l'avocat préalablement au débat contradictoire et qui comprend la réponse motivée apportée par le juge des libertés et de la détention à cette demande.

M. [Z] [C] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Montpellier, en date du 13 juin 2022, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de tentative de meurtre en bande organisée, association de malfaiteurs, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [Z] [C] a été mis en examen le 29 novembre 2020 des chefs précités, et placé en détention provisoire le même jour.

3. Le 12 mai 2022, l'un de ses avocats, convoqué en vue du débat contradictoire sur la prolongation de la détention provisoire de l'intéressé devant avoir lieu le 17 mai 2022, a adressé par télécopie au juge des libertés et de la détention une demande de report du débat, à laquelle ce magistrat a répondu négativement par courrier électronique du même jour.

4. Le 17 mai 2022, le juge des libertés et de la détention a prolongé la détention provisoire de M. [C] pour une durée de six mois.

5. Ce dernier a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué de rejeter le moyen de nullité présenté par M. [C], de dire l'appel mal fondé et de prolonger sa mesure de détention provisoire pour une durée de six mois, alors « que le juge des libertés et de la détention qui rejette une demande motivée présentée avant un débat contradictoire relatif à la prolongation d'une mesure de détention provisoire doit dans son ordonnance faire mention de la demande et énoncer les motifs de son refus y compris dans l'hypothèse où il a, précédemment au débat, indiqué à l'avocat qu'il refusait sa demande ; qu'en retenant que le juge des libertés et de la détention avait répondu à la demande de renvoi, avait motivé sa décision et l'avait mentionnée dans le procès-verbal de débat contradictoire auquel faisait référence l'ordonnance de prolongation, alors que ni l'ordonnance ni le procès-verbal ne faisait mention des motifs du refus évoqués uniquement par message RPVA, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 6 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, préliminaire, 137-3, 145, 145-2, alinéa 1 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

7. Les règles applicables à la convocation pour le débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention sont fixées par renvoi de l'article 145-1 du code de procédure pénale à l'article 114 du même code, applicable à l'interrogatoire devant le juge d'instruction.

8. Il résulte de ces textes que le juge des libertés et de la détention a seul la maîtrise de son audiencement, qu'il peut reporter ou avancer la date du débat contradictoire par simple émission d'une nouvelle convocation, qu'il n'est pas tenu, comme la juridiction de jugement, de réunir les parties à la date initialement fixée avant de statuer sur une demande de renvoi par une décision formalisée, et qu'il peut faire connaître par tous moyens les motifs de sa décision sur cette demande.

9. Il résulte par ailleurs des articles 137-1, alinéa 2, et 145 du code de procédure pénale que le débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention donne lieu à l'établissement d'un procès-verbal attestant du déroulement des débats, qui est signé par le juge, le greffier et la personne mise en examen.

10. Il se déduit des textes et principes ci-dessus énoncés qu'il est possible de rechercher dans ce procès-verbal, dont la Cour de cassation a le contrôle, les motifs de la décision du juge des libertés et de la détention de rejeter une demande de renvoi, lorsque le procès-verbal en fait état.

11. Pour rejeter la demande d'annulation de l'ordonnance prolongeant la détention provisoire de M. [C], prise de ce que celle-ci ne répond pas à la demande de renvoi formée par son avocat, l'arrêt attaqué énonce qu'il résulte des pièces de la procédure que les conseils du mis en examen ont été convoqués dès le 27 avril 2022 pour assister leur client lors du débat contradictoire devant se tenir le 17 mai 2022 devant le juge des libertés et de la détention en vue de la prolongation éventuelle de la détention provisoire de l'intéressé, que le 12 mai 2022, l'un des avocats a adressé au juge des libertés et de la détention une demande de report du débat faisant valoir qu'il était au jour convenu retenu par deux autres audiences concernant des détenus, et que le juge des libertés et de la détention lui a répondu le jour même.

12. Les juges relèvent que le juge des libertés et de la détention a pris soin de motiver son refus par le nombre important de débats contradictoires ayant dû être fixés en mai, dont les convocations ont déjà été envoyées, les contraintes des services d'extraction ayant fait connaître des impossibilités à certaines dates, et par l'échéance du mandat de dépôt.

13. Ils ajoutent que le débat contradictoire s'est tenu à la date prévue, et que le procès-verbal de débat mentionne qu'il a eu lieu en l'absence de l'avocat, régulièrement convoqué, qui a demandé le renvoi le 12 mai 2022, lequel lui a été refusé par courrier électronique du même jour.

14. Ils retiennent que l'ordonnance de prolongation dont appel fait référence au procès-verbal de débat contradictoire, qu'en conséquence, contrairement à ce qui est avancé, le juge des libertés et de la détention a répondu à la demande de renvoi, a motivé sa décision et l'a mentionnée dans le procès-verbal de débat contradictoire auquel se réfère l'ordonnance de prolongation, et relèvent qu'au surplus, les deux autres avocats de M. [C] n'ont pas répondu à la convocation du juge des libertés et de la détention.

15. Ils en concluent que le juge des libertés et de la détention a statué dans le respect des droits de la défense et que le moyen de nullité sera écarté.

16. En prononçant ainsi, dès lors que le juge des libertés et de la détention a répondu de manière motivée, par un courrier électronique adressé préalablement au débat contradictoire, à la demande de report de celui-ci formée par l'avocat de la personne mise en examen, et que le procès-verbal de débat contradictoire fait état de la réponse qui a été apportée à cette demande, la chambre de l'instruction a justifié sa décision sans méconnaître les textes visés au moyen.

17. Il s'ensuit que le moyen doit être écarté.

18. Par ailleurs, l'arrêt est régulier, tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3 et 143-1 du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Turcey - Avocat général : Mme Bellone - Avocat(s) : SAS Buk Lament-Robillot -

Textes visés :

Articles 114, 137-1, 137-3, 145 et 145-1 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 10 novembre 2021, pourvoi n° 21-84.948, Bull. crim. 2021 (1) (rejet), et les arrêts cités.

Crim., 28 septembre 2022, n° 22-85.547, (B), FS

Irrecevabilité

Ordonnances – Ordonnance de dessaisissement – Dessaisissement au profit d'une juridiction interrégionale spécialisée – Recours – Délai

Le recours prévu par l'article 706-78 du code de procédure pénale, qui n'est pas un pourvoi en cassation, est irrecevable lorsqu'il est formé plus de cinq jours après la notification au requérant de l'ordonnance de dessaisissement du juge d'instruction. Le délai n'est pas un délai franc.

M. [M] [H] a formé un recours contre l'ordonnance du juge d'instruction du tribunal judiciaire de Lyon, en date du 24 juin 2022, qui, dans l'information suivie notamment contre lui des chefs d'association de malfaiteurs et détention illégale de produit ou engin explosif, s'est dessaisi au profit de la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (JUNALCO).

LA COUR,

Examen de la recevabilité du recours

Le recours formé par M. [H], le 30 juin 2022, plus de cinq jours après la notification de l'ordonnance de dessaisissement du juge d'instruction de Lyon au profit de la JUNALCO, rendue le 24 juin 2022, est irrecevable comme tardif en application de l'article 706-78 du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DÉCLARE le recours IRRECEVABLE.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Sudre - Avocat général : M. Valat - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article 706-78 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 7 septembre 2011, pourvoi n° 11-86.559, Bull. crim. 2011, n° 174 (irrecevabilité).

Crim., 13 septembre 2022, n° 21-87.452, (B), FRH

Cassation partielle

Pouvoirs du juge – Ecoutes téléphoniques – Transcription de la conversation entre un avocat et son client – Validité – Cas

S'il résulte de l'article 100-5, alinéa 3, du code de procédure pénale que l'interdiction de transcription des correspondances avec un avocat relevant de l'exercice des droits de la défense de son client s'étend à celles échangées à ce sujet entre l'avocat et les proches de celui-ci, n'encourt pas la censure l'arrêt de la chambre de l'instruction qui rejette le moyen de nullité de la transcription de l'appel téléphonique d'un avocat à la compagne de son client pour l'informer du défèrement de celui-ci et lui fixer rendez-vous au tribunal, cette transcription ayant eu pour seul objet de donner les informations nécessaires à la compréhension de la mise en place d'un dispositif de géolocalisation sur le véhicule de cette dernière.

Ordonnances – Criminalité organisée – Procédure – Perquisitions – Locaux d'habitation – Perquisitions nocturnes – Régularité – Conditions – Ordonnance écrite – Ordonnance formalisée avant la perquisition et comportant les motifs la justifiant

Il résulte des articles 706-91 et 706-92 du code de procédure pénale que l'autorisation donnée par le juge d'instruction aux officiers de police judiciaire de procéder à une perquisition dans un lieu d'habitation en dehors des heures légales doit comporter les motifs propres à justifier cette atteinte à la vie privée dans une ordonnance écrite et motivée formalisée sans délai, faute desquels aucun contrôle réel et effectif de la mesure ne peut avoir lieu, ce qui cause nécessairement un grief à la personne concernée. Il en découle qu'est nulle l'autorisation verbale donnée par ce magistrat, même suivie, après la réalisation de l'acte, de la formalisation d'une ordonnance écrite et motivée. Encourt dès lors la censure l'arrêt de la chambre de l'instruction qui, pour rejeter le moyen de nullité de trois perquisitions effectuées au domicile des personnes mises en examen en dehors des heures légales, relève que les mesures ont été verbalement autorisées par le juge d'instruction vu l'urgence et la possible déperdition de preuves, que le magistrat a transmis le lendemain son ordonnance d'autorisation qui a été annexée aux procès-verbaux et qui est motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que ces opérations sont nécessaires et ne peuvent être réalisées durant les heures légales.

MM. [S] [H], [E] [V], [G] [J] et [X] [K] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 17 décembre 2021, qui, dans l'information suivie contre eux, notamment, des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs et blanchiment, a prononcé sur leurs demandes d'annulation d'actes de la procédure.

Par ordonnance en date du 7 février 2022, le président de la chambre criminelle a joint les pourvois et prescrit leur examen immédiat.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Mis en examen notamment des chefs précités, MM. [S] [H], [E] [V], [G] [J] et [X] [K] ont présenté des demandes d'annulation d'actes de la procédure.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen

3. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande tendant à l'annulation des procès-verbaux faisant état des conversations téléphoniques interceptées entre Mme [I] [D] et l'avocat de son compagnon, M. [K], des procès-verbaux de mise en place et d'exploitation du dispositif de géolocalisation du véhicule Ford Fiesta immatriculé [Immatriculation 1] et des actes subséquents, alors :

« 1°/ qu'il résulte de l'article 100-5, alinéa 3, du code de procédure pénale que ne peuvent être transcrites les correspondances avec un avocat relevant de l'exercice des droits de la défense ; qu'en affirmant, pour rejeter la demande d'annulation des procès-verbaux relatant les conversations téléphoniques interceptées entre Mme [D] et l'avocat de son compagnon, M. [K], et des actes subséquents, que « la lecture du procès-verbal coté D 110 révèle que celui-ci a pour objet une surveillance et qu'il ne s'agit pas d'un procès-verbal de retranscription d'une conversation téléphonique au sens des dispositions de l'article 101 du code de procédure pénale », quand il ressortait de cet acte qu'y était transcrite la teneur d'une conversation entre Mme [D] et l'avocat de M. [K], la chambre de l'instruction a dénaturé ce procès-verbal et violé les articles 100-5, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que l'interdiction de transcription posée par l'article 100-5, alinéa 3, du code de procédure pénale n'est pas limitée aux seules conversations avocat-client mais s'étend aux échanges entre un avocat et un proche de son client, lorsque la conversation concerne les droits de la défense dudit client ; qu'en retenant, pour rejeter la requête tendant à l'annulation des procès-verbaux transcrivant les conversations téléphoniques interceptées entre Mme [D] et l'avocat de son compagnon, M. [K], qu'il n'est pas établi que cet avocat assure la défense de Mme [D], motif impropre à justifier le maintien à la procédure des transcriptions litigieuses, la chambre de l'instruction a violé les articles 100-5, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que devant la chambre de l'instruction, M. [K] faisait valoir que l'avocat dont les propos avaient été enregistrés et transcrits était également celui de sa compagne Mme [D] ; qu'en se bornant, pour écarter la demande d'annulation des procès-verbaux de transcription et des actes subséquents, qu'il ne ressortait pas de la conversation interceptée que « cet avocat assure la défense de la personne titulaire de la ligne téléphonique susvisée ainsi placée sous surveillance », sans rechercher, indépendamment de l'écoute elle-même, si l'avocat n'était pas celui de Mme [D], la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 100-5, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

5. Pour rejeter le moyen de nullité du procès-verbal relatant l'appel téléphonique d'un avocat, intercepté sur la ligne de la compagne de M. [K], l'informant du défèrement de celui-ci et lui donnant rendez-vous au tribunal, l'arrêt attaqué énonce que ce procès-verbal a pour objet une surveillance et qu'il ne s'agit pas d'un procès-verbal de transcription d'une conversation téléphonique.

6. Les juges ajoutent qu'il ne ressort pas de ce procès-verbal que cet avocat assure la défense de la personne titulaire de la ligne téléphonique surveillée.

7. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

8. En effet, d'une part, si l'interdiction de transcription des correspondances avec un avocat relevant de l'exercice des droits de la défense de son client s'étend à celles échangées à ce sujet entre l'avocat et les proches de celui-ci, les échanges litigieux relatifs au défèrement de M. [K] au tribunal et au rendez-vous pris entre l'avocat et la compagne de celui-ci n'ont été rapportés que pour rendre compte des circonstances ayant permis la localisation du véhicule de cette dernière et l'installation sur celui-ci d'un dispositif de géolocalisation, de sorte que le procès-verbal en cause a eu pour seul objet de donner les informations nécessaires à la compréhension des investigations.

9. D'autre part, ainsi que la Cour de cassation, qui a le contrôle des pièces de la procédure, est en mesure de le constater, la compagne de M. [K] n'avait pas encore été placée en garde à vue dans le dossier au moment où s'est tenu l'échange téléphonique litigieux et n'était pas partie à la procédure au moment où la chambre de l'instruction a statué, de sorte que cette conversation avec l'avocat ne pouvait relever de l'exercice des droits de sa défense.

10. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les demandes d'annulation des procès-verbaux d'interpellation de MM. [H], [J] et [V], des procès-verbaux des perquisitions réalisées à leurs domiciles respectifs et des actes subséquents, alors :

« 1°/ que le juge d'instruction ne peut autoriser les enquêteurs à perquisitionner des locaux d'habitation en dehors des heures prévues à l'article 59 du code de procédure pénale que par ordonnance écrite et motivée préalable à la perquisition ; qu'en affirmant que les perquisitions réalisées au domicile de MM. [H], [J] et [V] dans la nuit du 7 au 8 février 2021 respectivement à 3 heures 15, 2 heures 25 et 2 heures 26, ainsi que les interpellations de ces derniers, avaient pu être autorisées par une ordonnance écrite établie postérieurement aux opérations de perquisition dès lors que cette ordonnance écrite serait venue « régulariser » une « autorisation verbale » qui aurait été donnée par le juge avant les perquisitions, la chambre de l'instruction a violé l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ainsi que les articles 706-91, 706-92, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'une autorisation de perquisition en dehors des heures prévues à l'article 59 du code de procédure pénale ne saurait être motivée rétrospectivement par des considérations relatives aux découvertes, saisies ou interpellations effectuées au cours de cette perquisition que les « éléments de fait et de droit » motivant l'autorisation doivent nécessairement être antérieurs à la perquisition qu'au cas d'espèce la chambre de l'instruction a elle-même constaté que l'ordonnance écrite d'autorisation du juge d'instruction était en particulier motivée par l'interpellation, au cours des perquisitions, de MM. [H], [J] et [V] ; qu'en rejetant néanmoins la demande d'annulation des perquisitions et interpellations, la chambre de l'instruction a derechef violé l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ainsi que les articles 706-91, 706-92, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 706-91 et 706-92 du code de procédure pénale :

12. Il résulte de ces textes que l'autorisation donnée par le juge d'instruction aux officiers de police judiciaire de procéder à une perquisition dans un lieu d'habitation en dehors des heures légales doit comporter les motifs propres à justifier cette atteinte à la vie privée dans une ordonnance écrite et motivée formalisée sans délai, faute desquels aucun contrôle réel et effectif de la mesure ne peut avoir lieu, ce qui cause nécessairement un grief à la personne concernée. Il en découle qu'est nulle l'autorisation verbale donnée par ce magistrat, même suivie, après la réalisation de l'acte, de la formalisation d'une ordonnance écrite et motivée.

13. Pour rejeter le moyen de nullité des perquisitions effectuées aux domiciles respectifs de MM. [H], [V] et [J] le 8 février 2021 respectivement à 3 heures 15, 2 heures 26 et 2 heures 25, l'arrêt attaqué énonce que, selon le procès-verbal établi le 7 février à 20 heures, les officiers de police judiciaire ont reçu un appel téléphonique du juge d'instruction les autorisant verbalement à effectuer des perquisitions de nuit, vu l'urgence et la possible déperdition de preuves et leur indiquant régulariser son autorisation en leur transmettant une ordonnance dès le lendemain.

14. Les juges ajoutent que cette ordonnance, dont l'existence n'est pas mise en cause et qui figure en procédure, a bien été transmise aux enquêteurs qui l'ont annexée à leurs procès-verbaux de perquisition et qu'elle est motivée par référence à des éléments tant de fait que de droit justifiant que ces opérations sont nécessaires et qu'elles ne peuvent être réalisées durant les heures légales.

15. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés.

16. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 17 décembre 2021, mais en ses seules dispositions ayant rejeté les moyens de nullité des procès-verbaux d'interpellation de MM. [H], [V] et [J] et de perquisition de leurs domiciles, ainsi que l'ensemble des actes subséquents y faisant référence, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal (conseiller le plus ancien faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Thomas - Avocat général : M. Aubert - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 100-5 du code de procédure pénale ; articles 706-91 et 706-92 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 8 juillet 2015, pourvoi n° 15-81.731, Bull. crim. 2015, n° 174 (3) (cassation partielle).

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